Cours d’agriculture (Rozier)/LAIT

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 196-205).
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LAIT. Liqueur blanche qui se forme dans les mamelles de la femme & des femelles des animaux vivipares, pour la nourriture de leurs petits… C’est de toutes les substances animales celle qui se rapproche le plus du règne végétal, & qui a souffert le moins d’altération. En effet, le lait ne diffère du chyle que par quelques légers changemens, éprouvés dans le torrent de la circulation, & qui le rendent plus fluide & plus délié. On peut regarder ce fluide comme une véritable émulsion… (Voyez ce mot). Dans les animaux herbivores, il sent encore les plantes dont l’animal a été nourri. Les vaches, dont la principale nourriture a été la luzerne, le treffle à fleur jaune, &c. donnent un lait dont le beurre est toujours haut en couleur. On pourroit à ce sujet varier les expériences, afin de connoître au juste les plantes qui influent le plus sur la quantité & sur la qualité du lait ; si chaque année & dans chaque saison elles ont la même action ; enfin quelle différence sensible il résulte de la situation de tel ou tel pâturage. Il faut convenir que sur ces points, on a seulement des apperçus généraux, & non des expériences bien constatées. Il s’agit actuellement d’examiner quelles sont les parties constituantes du lait, de la manière de le retirer des mamelles des animaux ; du petit lait, & de la qualité & des usages auxquels on peut employer le lait des différens animaux. On ne répétera pas ici ce qui a été dit aux mots Beurre & Fromage. (Voyez ces mots.)

I. Des parties constituantes du lait. Le lait, abandonné à lui-même, se sépare en trois substances ; la butireuse, qui est la crème ou l’huile du lait, est celle qui rend mate sa couleur ; la partie caseuse ou le corps muqueux, qui tient en suspension le corps huileux ou butireux ; enfin la sérosité ou petit lait, qui concouroit à l’union des deux premiers principes. Ce petit-lait est véritablement un acide végétal qui se développe par le progrès de la fermentation ; mais il est tellement combiné dans le lait, qu’il ne s’y manifeste par aucune de ses qualités. Cet acide est dans le lait à-peu-près dans le même état que le tartre (Voyez ce mot) l’est dans le vin, & il lui est analogue, c’est-à-dire, qu’il est, comme le tartre, uni à une huile & à une terre. La partie butireuse, qui n’est autre chose qu’une huile végétale, a aussi son acide. Cette décomposition du lait abandonné à lui-même, peut être regardée comme le premier temps d’une fermentation très prompte, parce que les principes du lait ont peu de liaisons entr’eux. Après cette première fermentation, le lait passe à la putréfaction, & dans cet état il donne beaucoup d’alkali volatil.

On peut regarder le lait comme une véritable émulsion animale. Il est opaque, ainsi que toutes les liqueurs sur-composées, en quoi il ressemble encore aux émulsions qui ne sont que l’huile du corps muqueux, flotante dans un liquide : il en est de même du lait. Lorsque le lait est frais, les alkalis ou les acides qu’on jette dessus, ne produisent aucune effervescence ; mais ils le coagulent, & unissent ensemble la partie butireuse & caseuse, & en séparant la partie séreuse ou petit-lait, qui demeure unie & imprégnée d’acide. Il y a cependant une différence entre la coagulation produite par les sels acides ou par les sels alkalis fixes ou volatils ; ces derniers désunissent la masse, au lieu que l’acide produit un coagulum.

Si on examine le lait avec le secours d’un microscope, on y apperçoit une multitude de globules très inégaux pour la grosseur & pour leur forme, qui nagent dans une liqueur diaphane. Il est aisé de reconnoître que les uns appartiennent à la partie butireuse, & les autres à la partie caseuse ; enfin que le fluide diaphane est ce qui forme dans la suite le petit lait ou serum. Cette observation prouve encore que les deux premiers principes sont simplement étendus, interposés dans le fluide, mais non pas dissous par lui ; & combien leur désagrégation est facile lorsqu’on emploie la chaleur, ou les acides, ou les alkalis.

II. De la manière de retirer le lait des mamelles des animaux. Les détails dans lesquels je vais entrer, sont minucieux en apparence, & non pas dans la réalité, puisque l’abondance ou l’exsication du lait tient à plusieurs causes.

Lorsqu’on a privé la mère de son petit quelque temps après qu’elle a mis bas, les tétines se remplissent, se gorgent, & deviennent douloureuses, si on ne trait pas l’animal : livré à lui-même, il souffre, & peu à peu le lait tarit, ce qui détruit le profit que le propriétaire est en droit d’en attendre & d’en retirer ; mais si l’animal est bien soigné, il donnera du lait jusqu’à ce qu’on le fasse couvrir de nouveau, souvent même presque jusqu’au moment de mettre bas. Quoique ce cas ne soit pas rare, il vaut beaucoup mieux ne pas demander à l’animal une liqueur peu saine alors, & dont la soustraction nuit à la mère & au petit.

Si on veut qu’une vache, qu’une ânesse, &c. donne du lait en abondance & pendant long-temps, on doit la traire à des heures réglées, à des distances égales, deux fois par jour, & non pas trois fois, comme on le pratique en certains endroits, ou un peu chaque fois à diverses reprises dans la journée. Il faut cependant convenir que lorsque l’animal a mis bas depuis peu de temps, & lorsque le lait est bien abondant, il est nécessaire de traire trois fois par jour ; mais cette exception ne détruit pas la règle générale ; elle dépend beaucoup de la qualité de l’individu particulier de l’animal, & des herbages dont il est nourri.

Il résulte du premier régime que la nature dans la formation du lait, suit une marche réglée, & elle en fournit en plus grande quantité. Par les autres au contraire elle est sans cesse contrariée, & insensiblement le lait tarit.

Le second avantage tient à l’envie & au besoin où l’animal se trouve de donner son lait. Lorsqu’il est réglé, il attend avec inquiétude le moment du trait, afin d’être soulagé du poids qui fatigue ses tétines alors il se présente de lui-même au seau ou baquet destiné à recevoir le lait, sur-tout si après l’opération, la trayeuse a la coutume de lui donner à manger. Une personne mal habile fatigue souvent l’animal ; elle le brusque ou le bat. Ces mauvais traitemens le rendent revêche, difficile à gouverner il redoute un moment qui devroit être pour lui plutôt sensuel que pénible, puisque le trait est un besoin réel.

La trayeuse doit manier doucement les tettines, les caresser, les presser du haut en bas, & traire jusqu’à ce qu’elles aient donné tout leur lait ; mais elle ne commencera réellement à traire que lorsqu’elle verra l’animal tranquille. Sans cette petite précaution, le seau seroit bientôt renversé & le lait perdu.

Si on néglige de traire jusqu’à la dernière goutte, si on trait à différentes reprises dans le jour, & tantôt à une heure ou à une autre, on verra insensiblement diminuer la quantité du lait, & enfin les mammelles devenir sèches. Le propriétaire qui ne voit rien, ou qui s’en rapporte trop facilement à ses valets ou aux personnes chargées de la laiterie, se plaint du peu de produit de l’animal, le condamne à être vendu à la foire, tandis que le vice réel provient presque toujours de la négligence de la trayeuse.

Après avoir trait l’animal, on passe le lait à travers un linge bien blanc, bien lavé, afin de retenir & séparer du lait toute espèce d’ordure qui peut être tombée dans le seau pendant l’opération. La manière de conserver le lait, de l’écrémer, &c. sera détaillée au mot Laiterie ; & il en a déjà été parlé à l’article Beurre, Fromage (Voyez ces mots).

III. Du petit-lait & des procèdes pour l’obtenir. On a vu dans les articles déjà cités, de quelle manière on fait cailler le lait, soit avec la présure, soit avec les fleurs du caille lait, blanches ou jaunes, soit avec celles d’artichauts, de cardons d’Espagne, &c. ainsi il est inutile de revenir sur ces articles. Le petit-lait est la partie séreuse qui se sépare du lait lorsqu’il est caillé, & elle est plus ou moins acide, suivant la substance employée à le faire cailler si on se sert des acides végétaux, tels que le vinaigre, la crème de tartre (voyez ce mot), il conserve plus d’acidité que lorsqu’il est fait, par exemple, avec les fleurs.

Dans les grands ateliers à beurre & à fromage, la même opération qui coagule le lait, en sépare le petit-lait ; mais pour les usages d’une pharmacie ou de l’intérieur d’une maison, quoique la pratique soit à-peu-près la même, elle exige cependant plus d’attentions. Chaque particulier suit un procédé différent, quoique tendant toujours au même but. Cependant la manière de préparer le petit-lait devroit varier suivant l’indication de la maladie que l’on se propose de combattre. Par exemple, si on se sert d’un acide trop développé, comme celui du vinaigre ou de la crème de tartre, le petit-lait conserve un goût aigrelet. Il en est ainsi avec la levure de bierre, &c. Ce petit-lait, avec une pointe d’acide, convient dans tous les cas où il y a putridité. Les fleurs du caille-lait blanc ou jaune, communiquent un léger goût mielleux, & qui n’est pas désagréable : celles du cardon d’Espagne n’en donnent point, & elles doivent être préférées.

Choisissez le meilleur lait & de l’animal le plus sain, faites le un peu chauffer, & versez ensuite une infusion de fleur de cardon d’Espagne. Lorsque le lait sera coagulé, placez-le sur une étamine, afin de le laisser égoutter. Ce qui a coulé est le petit-lait, & demande à être clarifié. À cet effet, prenez des blancs d’œufs, fouettez les avec le petit lait, laissez reposer, filtrez quand il sera clair, & limpide comme l’eau. On obtient, par ce procédé, une liqueur qui a une légère teinte jaunâtre, & qui a le goût de lait.

Voici un autre procédé : prenez bon lait de vache, quatre livres ; présure délayée dans une cuillerée d’eau, demi dracme ; mêlez le tout dans une terrine de fayance, que vous exposerez à une douce chaleur sur les cendres chaudes ; dès que le lait sera coagulé, versez-le sur un tamis de soie ou de crin ; recevez le petit-lait qui en découlera, dans un vaisseau de fayance ou de grès ; ajoutez sur chaque livre de petit lait, un blanc d’œuf ; mêlez exactement ; faites bouillir le tout jusqu’à ce que les blancs d’œufs soient coagulés. Pendant le temps de l’ébullition, jettez-y crème de tartre pulvérisée, huit grains ; passez le mélange à travers un linge fin & propre, sans exprimer ; filtrez la colature à travers le papier gris, & vous aurez le petit-lait clarifié.

Ce travail demande la propreté la plus rigoureuse, parce que de toutes les substances, le petit-lait est une de celles qui fermentent le plus aisément, & par conséquent qui se détériorent avec la plus grande facilité. On doit donc chaque jour laver dans une lessive faite de cendres, tous les vaisseaux en bois destinés à cet usage ; & à plusieurs reprises dans l’eau commune, les vaisseaux en verre ou en fayance, & les tenir renversés, afin qu’il n’y reste aucune humidité. L’étamine ou le filtre exige les mêmes précautions.

IV. Des différentes qualités de lait. Celui de femme est le plus nutritif & le plus agréable de toutes les espèces de lait ; il mérite la préférence dans la plupart des maladies où cette liqueur est recommandée, à cause de son analogie avec la constitution de l’homme. Il se digère facilement, restaure promptement les forces vitales & musculaires ; mais dans un très grand nombre de maladies auxquelles ce lait convient, il est dangereux & très-dangereux de faire tetter une nourrice ; elle risque d’être bientôt attaquée de la maladie de celui qui la tette. Cet inconvénient a fait recourir à plusieurs autres laits.

Le lait d’ânesse est moins abondant en fromage & en beurre, que celui de femme, & il contient une plus grande quantité de petit-lait.

Le lait de jument est plus sucré que celui d’ânesse : on y trouve moins de beurre & de fromage.

Le lait de vache est très-chargé de beurre & de fromage, relativement à la quantité de petit-lait.

Le lait de chèvre fournit plus de fromage, moins de beurre & de petit lait.

Le lait de brebis contient plus de fromage, moins de beurre & de petit-lait que les précédens. Tel est en substance le résultat des expériences faites par M. Vitet, célèbre Médecin de Lyon. Ceux qui les répéteront après lui, trouveront ces assertions, prises en général, très-vraies, mais elles varieront suivant la manière de nourrir les animaux, & suivant la qualité de l’herbe qu’on leur donne ou qu’elles pâturent.

Il est bien reconnu aujourd’hui que le lait d’ânesse se digère facilement, qu’il ne fatigue pas l’estomac, qu’il nourrit peu ; c’est pourquoi on doit le donner à plus grande dose que les autres. Il calme sensiblement l’irritation des branches pulmonaires, & tient le ventre libre.

Le lait de jument nourrit davantage : il paroit produire le même effet que le précédent.

Le lait de vache donne souvent une douleur gravative aux estomacs foibles, constipe & se digère mal. Son usage cause des coliques, la diarrhée, & quelquefois le vomissement.

Le lait de chèvre, assez analogue à celui de vache, le supplée dans les provinces où les vaches sont peu communes : il en est ainsi de celui de brebis.

Avant de parler du lait de femme, il est important de combattre une fausse opinion dans laquelle on est, lorsque le lait ne passe pas. On dit qu’il se caille dans l’estomac, & que de là naît la difficulté de le digérer.

Le lait se coagule en passant dans l’estomac ; c’est la liqueur gastrique qui produit cet effet : c’est une liqueur légère, transparente, écumeuse, savonneuse, saline, qui découle continuellement des glandes de l’estomac, & dont l’usage est de servir à la dissolution & au mélange des alimens… On trouve jusque dans le gosier des poulets une semblable liqueur, & tous les animaux le vomissent caillé. Cette coagulation est si essentielle à la digestion de cet aliment, qu’on ne le trouve jamais que coagulé dans l’estomac ; & elle est si prompte, que malgré la plus grande célérité à ouvrir le ventricule d’un animal vivant, auquel on vient de donner du lait, on le trouve toujours coagulé. C’est donc à tort que l’on craint la coagulation du lait dans l’estomac, puisque cette coagulation est absolument essentielle à la digestion. Pour la faciliter, on donne du sucre avec le lait, &, sans le savoir, on augmente les moyens de le faire coaguler plus vite. Il est vrai que dans les estomacs foibles, & qui ne peuvent pas le digérer, il fermente & s’aigrit au point qu’il cause des tranchées, des dévoiemens ordinaires aux enfans à la mammelle, & qu’on fait disparaître avec les alkalis ou avec les absorbans. Le lait qui a été coagulé dans l’estomac, se dissout ensuite dans le duodenum, s’y change en chyle, en se mêlant avec les autres liqueurs digestives ; mais il y en a toujours une partie qui passe avec les excrémens, sans être décomposée. De-là vient que les femelles des animaux qui allaitent, mangent si avidement les excrémens de leurs petits, ce qu’elles cessent de faire, dès qu’ils ont commencé à manger de quel qu’autre aliment que du lait.

Le lait de femme, (cet article est de M. Amilhon) C’est la nourriture naturelle des enfans. Il se sépare du sang, & se filtre dans les mamelles. Il mérite la préférence sur toutes les autres espèces de lait, comme étant plus analogue à nos humeurs.

Il n’est pas employé à la seule nourriture des enfans. Les hommes sont forcés quelquefois d’y avoir recours dans certaines maladies. D’après cette observation, M. de Lamure, célèbre professeur de l’Université de Montpellier, dit qu’on doit le préférer à toutes les autres espèces de lait, dans la pthysie, la consomption, le marasme, & dans les ulcères cancéreux.

La meilleure façon de le donner, est de faire sucer le lait, immédiatement à la mammelle de la femme. Si on le faisoit traire dans un vaisseau, dans le temps qu’on mettroit à en ramasser une suffisante quantité, il perdroit & exhaleroit plusieurs parties volatiles qui sont très-utiles aux malades. Une infinité d’observations prouvent les bons effets de cette façon de prendre le lait de femme dans des pthysies désespérées. Ce lait se donne ordinairement deux fois par jour. Le malade peut le prendre pour toute nourriture ; il est quelquefois employé à l’extérieur, comme remède adoucissant, & on s’en sert assez souvent pour calmer les douleurs aux dents & aux oreilles. Le lait de femme, pour être bon, doit être blanc, & avoir un goût doux & sucré ; il ne doit être ni trop aqueux, ni trop épais, il doit avoir une certaine consistance, ou, pour mieux dire, une certaine crasse. Pour qu’il ait toutes ces qualités, on doit se procurer une bonne nourrice. (Voyez ce mot)

Le lait des animaux peut remplacer celui des femmes dans presque toutes les circonstances, & sur-tout pour la nourriture des enfans. Mais la manière d’élever les enfans en France, & de les nourrir de lait de femme, est si générale, qu’elle forme dans les esprits un préjugé qui les porte à se révolter contre la proposition de s’en passer, & de leur faire user du lait de vache ou de chèvre.

L’exemple de tous les pays du nord, où les enfans sont nourris avec du lait de vaches, quelques exemples particuliers qu’on a eu en France de cette nourriture, doivent rassurer sur une méthode qui effraie d’abord, & qui, bien combinée par les exemples & les avantages qui en résultent, sera adoptée par les personnes capables de réflexion.

En Russie & en Moscovie tous les enfans sont nourris avec du lait de vache, tant ceux des princes que ceux du peuple. L’usage de nourrir les enfans avec le lait de femme, y est pour ainsi dire inconnu ; les hommes y sont forts & robustes ; ils y vivent long-temps, & soutiennent très-bien les fatigues du travail & celles de la guerre.

Personne n’ignore le fameux exemple d’une chèvre, dont l’instinct la conduisoit tous les jours à différentes heures au berceau d’un enfant pour l’allaiter, & l’enfant suçoit avec avidité le lait que cet animal lui fournissoit. La nature, en donnant du lait aux femelles des animaux, ne l’a pas réservé seulement pour leurs petits, elle a voulu encore donner aux hommes un secours dans les besoins les plus urgens.

Pourquoi n’en profiteroit-on pas ? Il faut cependant convenir que le lait de la mère doit être la nourriture la plus analogue au tempérament & à la foiblesse de l’enfant.

En convenant de ces principes, on doit avouer aussi qu’ils ne sont pas suivis en France. On y élève, il est vrai, les enfans avec du lait de femme ; mais ce sont des femmes étrangères, des nourrices mercenaires, dont le tempérament ne se rapporte aucunement à celui de l’enfant.

On devroit adopter ce système : il tariroit une source inépuisable d’inconvéniens auxquels les enfans sont exposés. Nourris d’un lait pur en lui-même, ils deviendroient forts & robustes ; ils ne participeroient ni aux vices du tempérament, ni à ceux du caractère qu’ils sucent avec le lait des nourrices. Les maladies du corps, les passions de l’ame, tout passe dans le sang ; & le lait qui en est la partie la plus essentielle, est reçu par l’enfant, qui reçoit en même temps le germe des infirmités & des passions de sa nourrice.

Parmi les gens du peuple & ceux de la campagne, dont l’intérêt est la mesure & la règle de leur conduite, la même nourrice allaite souvent plusieurs enfans : elle commence par le sien ; mais bientôt entraînée par l’appât du gain, elle se persuade que son enfant est en état d’être sevré ; elle le prive de son lait, qui lui seroit encore nécessaire, pour le vendre à un étranger. Cet infortuné devient foible, languissant & succombe ; mais elle n’impute point à sa cupidité la perte de son enfant, qui tout au moins auroit traîné une vie foible & languissante, s’il eût survécu.

L’infidélité des nourrices, qui ne veulent point découvrir leur état, dans la crainte de perdre le salaire qu’elles tirent de la nourriture d’un autre enfant, est un des inconvéniens qui demandent l’attention la plus sérieuse & la plus réfléchie. Si elles deviennent enceintes, elles perdent le lait, ou la qualité en est altérée. Il en est de même si elles tombent malades, elles donnent à l’enfant un lait pernicieux, ou sans user de prudence & de circonspection, elles le remettent & le confient à une voisine officieuse, pour le nourrir, en attendant une prompte guérison.

On doit encore compter pour beaucoup le risque que court l’enfant, si la nourrice a été dérangée dans sa conduite, ou si son mari a vécu ou vit encore dans la débauche. L’usage du lait de chèvre ou de vache remédie à tout, & n’a d’autre inconvénient que celui du préjugé, qu’on nomme, avec justice, l’ennemi de la saine raison. M. AMI.

Toutes les espèces de lait dont on vient de parler, produisent de bons effets dans les différentes espèces de toux, dans les différentes hémoptysies & pthysies ; mais leur usage est dangereux aux personnes attaquées de la fièvre, de maux de tête ; dont le foie, la rate ou le mésentère sont obstrués ; dont les hypocondres sont tuméfiés ; à celles qui sont tourmentées de la soif fébrile, affectées d’une maladie aiguë, inflammatoire, ou d’une violente hémorragie, de la diarrhée, de la dysenterie ; aux scorbutiques, aux vérolés, aux scrophuleux, aux asthmatiques, aux pituiteux & aux mélancoliques.

Le petit-lait rafraîchit, pousse par les urines, rarement par les selles : quelquefois il affoiblit l’estomac, & le rend moins propre à la digestion. Il tempère la chaleur excessive de la poitrine, il calme la soif dans la fièvre ardente & dans la fièvre inflammatoire, lorsque les premières voies ne contiennent point d’humeur acide. Il diminue la chaleur & la douleur qui accompagnent les maladies inflammatoires des voies urinaires. Il est même préférable aux émulsions dans ce dernier genre de maladies. Il est encore très-utile dans le scorbut, la vérole, le cancer oculte & la disposition aux maladies soporeuses.

V. Du sel ou du sucre de lait. Cette dernière dénomination lui est donnée à cause de son goût doux, agréable & sucré. Ce n’est point dans la boutique des apothicaires qu’on le prépare, mais sur les hautes montagnes de Suisse, de Franche-Comté, de Lorraine, &c. c’est l’ouvrage des pâtres, & leur manipulation a été pendant long-temps un secret. Il y a environ quarante ans que, pour la première fois, on ne parloit à Paris que du sucre de lait. Il étoit fort cher, & il eut une vogue prodigieuse. M. Prince, apothicaire de Berne, en étoit le grand promoteur ; mais l’enthousiasme diminua bientôt, dès que le nombre des fabricateurs eut augmenté.

Après avoir retiré du lait toutes les parties propres au fromage, il reste le petit-lait ; & dans ce petit lait, le seta ou seret est encore séparé, de sorte qu’il ne reste plus que le petit lait proprement dit, que l’on donne aux cochons, ou que l’on jette, à moins qu’on ne veuille en retirer le sel. Dans ce cas, on jette le petit lait dans un vaisseau, on le fait bouillir à petit feu, jusqu’à ce qu’il soit évaporé au moins aux trois quarts. On porte le tout dans un lieu frais, & tout autour du vase, il se forme des crystaux. On verse doucement & par inclinaison l’eau restante ; & lorsque les crystaux sont tirés du vase, on les met sécher sur du papier gris ; enfin on les conserve dans des boëtes. Si l’évaporation a été trop forte, les crystaux sont beaucoup plus colorés que lorsqu’elle a été lente. Cette première opération ne suffit pas pour les rendre parfaitement blancs & purs ; il en faut une seconde, dont on parlera ci-après. Les montagnards de l’Emmenthal en Suisse, font évaporer jusqu’à siccité, & il reste au fond de la chaudière une poudre brune ; ils portent cette poudre aux apothicaires des villes voisines, & la leur vendent six liards la livre. Le fameux Michel Shuppak, plus connu sous le nom de Micheli ou Médecin de la montagne, non loin de Berne, traité de charlatan insigne par les uns, & de Médecin par excellence par les autres, préparoit cette poudre brune, & la réduisoit en un vrai sucre de lait ou en tablettes. Il exposoit cette poudre brune à l’air, & la faisoit blanchir à la rosée, il la faisoit dissoudre ensuite dans de l’eau très-pure, il y ajoutoit de la crème de tartre, & faisoit évaporer lentement jusqu’à pellicule. Au fond de la chaudière étoit un sédiment blanc, qu’on enlevoit & qu’on coupoit en tablettes ; mais il faut que la liqueur soit tenue dans un lieu frais pendant six semaines ou deux mois, afin que la cristallisation s’opère. Ce sucre de lait vaut 24 sols la livre de Suisse, un peu plus forte que celle du poids de marc.

Toute cette opération peut être simplifiée ; il suffit de ne pas faire évaporer jusqu’à siccité, afin que les parties salines ou sucrées ne soient pas calcinées dans le fond de la chaudière. Lorsqu’on a retiré les premiers crystaux, il faut les faire dissoudre dans de l’eau de rivière, & recommencer l’évaporation jusqu’à pellicule ; si une fois ne suffit pas, on procède à une seconde & même à une troisième ; lorsque ce sel est suffisamment blanc, on le fait sécher à l’étuve, & on le conserve dans des boëtes garnies de papier blanc : cent-vingt livres de crystaux jaunes se réduisent à vingt livres de crystaux blancs & commerçables.

Le sel ou sucre, ou sel essentiel du lait, ne produit pas les mêmes effets que le petit-lait, à quelque dose & de quelque manière qu’il soit prescrit. Dans le temps de l’enthousiasme pour cette nouveauté, on le regardoit comme un grand remède dans les maladies pulmonaires, cancéreuses, dans la goutte, enfin dans toutes les maladies où il falloit corriger l’acrimonie & renouveller les principes du sang. Ce remède, si prôné, a eu le sort de beaucoup d’autres : on le prescrit depuis une drachme jusqu’à demi-once, en solution dans huit onces d’eau, ou bien on le mange en tablette ; il est peu soluble dans la bouche.

Lait des plantes. Le figuier, les tithymales, les laitues, &c., lorsqu’on sépare les feuilles de la tige, ou lorsque l’on coupe la tige, laissent suinter une liqueur blanche, semblable, pour la couleur & pour la consistance, au lait des animaux ; d’autres plantes fournissent un lait jaune, &c. ; en général, ces espèces de lait sont âcres & caustiques.