Cours d’agriculture (Rozier)/MOULIN

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Hôtel Serpente (Tome sixièmep. 620-672).
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MOULIN. Machine dont on se sert pour pulvériser différentes matières, & particulièrement pour convertir le grain en farine.

Les moulins, considérés dans leur généralité, exigeroient un très-grand traité ; il est déjà fait, relativement aux bleds, par M. Beguillet, en six volumes in- 8°. à Paris, chez Prault, 1780, & enrichi de toutes les gravures nécessaires à leur description. Le même auteur avoit déjà publié, en 1775, un ouvrage, intitulé : Manuel du charpentier des moulins & du meûnier, rédigé sur les mémoires du sieur César Buquet, & c’est l’extrait du grand ouvrage dont on vient de parler. Les moulins ordinaires & à bled sont trop connus pour que je m’en occupe ici, d’ailleurs on peut recourir au travail de l’auteur. Les moulins économiques méritent de remplacer tous les autres, parce que, d’une quantité de bled donnée, on en retire plus de farine, par conséquent moins de son, & une farine de qualité très-supérieure à celle qui provient de la mouture ordinaire ; enfin une farine appellée de minot, & telle qu’on l’expédie dans de petits tonneaux pour les isles. Je préviens que ce qui va être dit est copié littéralement de l’ouvrage intitulé Manuel du meunier. Nous nous occuperons ensuite des moulins particuliers aux fruits.

Section Première.

§. I. Du meilleur moulin à bled, ou moulin économique.

Ce moulin, comme tous les autres, peut être mis en mouvement par le vent ou par l’eau ; on doit préférer ceux à base solide aux moulins montés sur bateaux. Les moulins à vent sont ou à cage tournante, ou à sommier, ou à axe, ou à pied droit qui les traverse perpendiculairement, ou à pile, c’est-à-dite, que le comble seul tourne, afin de pouvoir placer les aîles sur la direction du vent ; ou le moulin à la polonaise, dont les aîles sont verticales, ainsi que l’arbre tournant. Le second mérite la préférence à cause de sa base solide ; le troisième est peu connu en France. Il faut remonter aux temps des croisades pour trouver l’origine des moulins à vent ; c’est de l’orient que les croisés en apportèrent l’idée en france, découverte précieuse pour l’europe, parce que par-tout on peut établir ces moulins, & par-tout on n’a pas la commodité de l’eau. Le moulin à vent n’est cependant autre chose que le moulin à eau renversé, c’est-à-dire que dans celui-ci le mouvement est communiqué par le bas à toute la machine, tandis que dans celui-là il l’est par le haut.

Le sieur César Buquet ne se donne pas pour l’inventeur des moulins économiques, plusieurs meuniers faisoient un secret de cette mouture, mais on lui doit la justice de dire qu’il a donné le premier à cette invention la publicité que méritoit une si utile manipulation, & qu’il l’a singulièrement perfectionnée.

Comme chacun connoît la manière dont est placée la roue à aube, mue par l’eau, ainsi que celle des aîles d’un moulin à vent, & de la manière dont l’arbre qu’elles font tourner, s’engraine avec le reste du mécanisme, il suffit de faire sentir ici en quoi les moulins économiques différent des autres.

Description de la Planche XVI ;
coupe du moulin sur la largeur.
A. Pont de bois.
B. Vanne de décharge.
C. Pont de pierre qui conduit à la vanne mouloire.
D. Entrée principale.
E. Escalier pour monter au premier étage.
F. Rouet avec chevilles.
G. Arbre tournant.
H. Tourillon.
I. Hérisson & chevilles.
K. Lanterne à fuseaux pour faire tourner la petite bluterie.
L. Lanterne à faire tourner la meule.
M. Croisée.
N. Fer.
O. Palier.
P. Les deux braies.
Q. Lanterne à faire monter les sacs.
S. Arbre de couche portant une lanterne & des poulies, servant à faire tourner les bluteries, & tarare des étages supérieurs.
T. Meule gissante.
V. Meule courante.
X. Enchevêtrures.
Y. Annille.
Z. Archures & couvercles qui entourent & recouvrent les meules.
&&. Trémions & porte trémions.
1. Auget.
2. Trémie.
3. Crible de fil de fer, ou crible d’Allemagne.
4. Moulinet pour lever la meule.
5. Bluterie à son gras.
6. Auget de la bluterie.
7. Trémie de la même bluterie.
8. Tarare servant à nettoyer le bled.
9. Ailes du tarare.
10. Poulie.
11. Corde à faire tourner le tarare.
12. Trémie & auget.
13. Anche qui conduit le bled dû tarare dans le bluteau de fer blanc.
14. Bluteau de fer blanc à passer le bled.
15. Poulie & corde servant à faire tourner le même bluteau.
16. Ouvrier qui jette du bled dans la trémie.
17. Bascule à monter les sacs.
18. Garouenne de dehors pour monter les sacs.
19. Corde à pareil usage.
20. Garouenne du dedans.
21. Rouleau à faciliter le câble.
22. Ouvrier qui engrène le câble.
23. Autre qui verse du bled dans le tarare.

La Planche XVII représente la coupe du moulin sur la longueur.
A. Ouvrier qui avance ou recule le chevressier.
B. Chevressier du dehors.
C. Chaise qui porte l’arbre tournant.
D. Arbre tournant.
E. Tourrillon.
F. Massif servant à porter la chaise.
G. Roue à vanne.
HH. Aubes.
II. Coyaux.
K. Niveau de l’eau qui fait tourner la grande roue.
L. Rouet, embrasures & chevilles.
M. Chevressier du dedans.
N. Hérisson servant à faire tourner la bluterie de dessous.
O. Palier.
P. Lanterne à monter le bled.
Q. Les deux braies.
R. Beffroi.
S. Batte & croisée.
T. Lanterne.
V. Babillard.
X. Baguette pour remuer le bluteau qui tamise la farine.
Y. Bascule pour engrener la lanterne qui fait tourner la bluterie du dessous.
Z. Bluteau supérieur.
&. Partie supérieure de la huche, où tombe la farine lorsqu’elle se tamise.
a. Accouples du bluteau.
b. Bluterie cylindrique tournante.
c. Anche qui conduit les issues dans la bluterie du dessous.
dd. Les différens gruaux.
e. Lanterne à faire tourner la bluterie du dessous.
f. Chaise du dedans.
g. Poulie & corde à faire monter le bled.
h. Corde à monter les sacs.
i. Anche des meules, ou conduite de la farine dans le bluteau.
k. Cordages & poulies faisant tourner les bluteries au-dessus.
l. Trempure pour approcher les meules.
m. Meule gissante.
n. Meule courante vue en coupe.
o. Enchevêtrure.
p. Annille.
q. Frayon.
r. Archures.
ss. Trémions & porte trémion.
t. Poulie & corde servant à élever ou à baisser l’auget.
u. Auget.
x. Trémie.
y. Crible de fer.
z. Mouliner, câble & vintaine à élever la meule pour rhabiller.
1. Bluterie à son gras.
2. Auget.
3. Trémie.
4. Sonnette avec une corde, pour avertir lorsqu’il n’y a plus de bled dans la trémie.
5. Tarare servant à nettoyer le bled.
6. Aîles du tarare.
7. Trémie du tarare.
8. Auget du tarare.
9. Bluteau de fer blanc pour cribler le bled.
10. Ouvrier qui renverse un sac de son gras dans une trémie.
11. Dessous de l’escalier.
12. Bascule à faire monter les sacs.
13. Garouenne à tirer les sacs.
14. Ouvrier qui engrène le câble pour faire monter les sacs.
15. Corde à monter les sacs.
16. Palier de l’escalier.
17. Ouvrier qui ramasse le son.
La Planche XVIII est divisée en deux parties, dont la première représente une nouvelle crapaudine, servant à porter le pivot ou la pointe du fer.
La figure I. donne le plan de la crapaudine.
A. Crapaudine ou pas qui porte la pointe du fer.
B. Boîte ou pellette dans laquelle est enfermée la crapaudine.
C. Châssis de cuivre à travers lequel passent les vis de pression.
DD. Vis de pression pour faire couler la pellette du côté nécessaire pour dresser les meules.
EE. Boulons pour arrêter le châssis sur le palier.
FF. Grosses pièces de bois ou palier, sur lequel se pose la crapaudine.
G. Plaque de taule ou de fer blanc battu, pour faciliter la pellette à couler avec plus d’aisance.
H. Quarré ponctué qui désigne le plan du fer.
Il est à observer que lorsque les crapaudines n’ont qu’un seul pas, quatre vis suffisent.
Les fig. II & III représentent différentes clefs pour serrer plus ou moins les vis de pression.
La seconde partie de la Planche XVIII exprime en détail la principale méchanique du moulin.
A. Coupe de la meule courante.
B. Coupe de la meule gissante.
C. Annille ou clef de la meule courante.
D. Papillon du gros fer.
E. Fusée.
F. Pointe du fer.
G. Boîte & boitillons.
H. Faux bottillon de tôle.
I. Frayon à remuer l’auger.
K. Trémie où l’on met le bled.
L. Auget qui conduit le bled dans l’œillard de la meule.
M. Corde du baille-bled, servant à élever plus ou moins l’auget.
N. Anche qui conduit la farine dans le bluteau mouvant.
O. Lanterne à fuseaux pour faire tourner la meule.
P. Baguette pour secouer le bluteau.
Q. Croisée pour faire mouvoir le babillard.
R. Le pas ou crapaudine pour porter le pivot ou la pointe du fer.
S. Palier & les deux braies.
T. Arbre tournant.
U. Rouet, embrasures & chevilles.
V. Hérisson & chevilles pour faire tourner la lanterne 8 qui est au-dessous.
X. Tourillon.
Y. Plumard de cuivre pour porter le tourillon.
Z. Chevressier ou chaise de l’arbre tournant.
&. Babillard.
1. Batte.
2. Baguette ou clogne.
3. Bluteau mouvant.
4. Accouples du bluteau.
5. Huche où tombe la farine à mesure qu’elle se tamise.
6. Petite porte à coulisse, pour tirer la farine hors de la huche.
7. Bluterie tournante pour tamiser les différents gruaux.
8. Lanterne de la bluterie à gruaux.
9. Bascule pour engrener la lanterne dans le hérisson, à dessein de faire tourner la bluterie.
10. Épée de la trempure pour élever plus ou moins la meule courante, au moyen d’une bascule 11, & de son contrepoids 12.
13. Beffroi pour porter le plancher des meules.
14. Pied droit ou pilier en pierre.
15. Bastiant.
La Planche XIX, divisée en trois parties, représente différens détails & outils.
La Première partie offre divers développemens.
A. D. Le gros fer.
A. Papillon.
B. Fusée.
C. Fer.
D. Pointe du fer.
E. Pas ou crapaudine.
F. Plan de la crapaudine.
G. Une des chevilles du rouet.
H. Fuseau de la lanterne.
I. Petit coin de fer pour dresser la meule.
K. Plan de l’annille.
L. Tourillon.
M. Frayon.
N. Plan de la boîte.
O. Coupe de la boîte.
P. Autre coupe de la boîte.
Q. Plumard de cuivre servant sous les tourillons R. de l’arbre tournant.
La Deuxième partie de la planche XIX, présente les différens outils pour rhabiller les meules.
A. Orgueil ou crémaillère qui sert d’appui à la pince pour lever la meule.
B. Pince pour lever la meule.
C. Coin de levée, qui sert à caler la meule à mesure qu’on l’a levée.
D. Pipoir qui sert à serrer les pipes ou petits coins.
E. Pipe ou petit coin de fer, servant à serrer la meule courante.
F. Rouleau servant à monter ou descendre la meule pour la remettre à sa place.
G. Marteau à rhabiller les meules.
H. Marteau à grain d’orge, servant à engraver l’annille.
I. Marteau servant à piquer les meules.
K. Masse de fer servant à frapper sur le pipoir.
La troisième partie de la planche XIX exprime les plans de différentes meules.
La figure I représente le plan des meules qui rendent la farine rouge, le son lourd & mal écuré, ce qui provient de la mauvaise qualité des meules, de la manière de les rhabiller, & de l’irrégularité des rayons.
La figure II exprime le plan des meules à moudre par économie.
A. Meule courante, fig. I & II.
B. Engravure de l’annille, ou place de la clef, fig. I.
B. L’annille, scellée sur la meule, fig II.
C. Meule gissante, fig. I & II.
D. Place où l’on met la boîte, fig. I.
D. Boîte & boîtillons, fig. II.
E. Coupe de la meule courante avec les engravures de l’annille, fig. I. La même garnie de l’annille, fig. II.
G. Coupe de la meule gissante avec la place de la boîte H, fig. I. La même garnie de sa boîte, boîtillon & faux boîtillon, fig. II.

Le grain de bled est composé de plusieurs substances, (Voyez le mot Bled & son analyse) les unes plus dures & plus grossières, les autres plus fines & plus molles. Il est donc évident qu’un seul & même moulage & qu’un seul blutage sont insuffisans pour séparer ces parties, mêlées par un seul broiement. Après le premier moulage du grain, il reste beaucoup de parties qui ne sont que concassées, & qui n’ont pu être pulvérisées, parce qu’elles ont échappé à l’action de la meule qui portoit sur le grain entier dans le premier broiement ; d’ailleurs, le rhabillage des meules, excepté celui du moulin économique, est trop grossier pour atteindre ces petites parties : ce sont ces parties concassées & non moulues qu’on nomme gruau on grésillon.

Il y a donc dans le produit du même grain plusieurs espèces de gruaux, comme il y a plusieurs sortes de son & de farine, selon la différence des parties pulvérisées ou seulement concassées. On distingue le gruau blanc, qui n’a pas d’écorce ; le gruau gris, qui n’a que la seconde écorce, & le gruau gris qui est taché de son. On retire des deux premiers gruaux, lorsqu’on les fait remoudre séparément, une farine plus belle & plus savoureuse que celle du corps farineux qu’on nomme farine de bled.

Par une mouture bien raisonnée, & par des préparations faites à propos dans des sas convenables, on retire des farines différentes en goût & en qualité, sur-tout si l’on remoud chaque partie du grain, comme les gruaux, à diverses reprises, selon leur degré respectif de dureté & de densité, ce que l’on ne peut faire dans la mouture ordinaire.

On connoît en France quatre sortes de moutures, la rustique, en usage dans les provinces du nord ; la mouture en grosse, où l’on rapporte chez foi la farine mêlée avec le son ; la mouture méridionale pour les isles, qui n’est que la mouture en grosse perfectionnée ; enfin la mouture économique.

Pour opérer selon la mouture rustique, on place dans une huche au dessous des meules, un bluteau d’étamine de laine, qui va en même temps que le moulin. On divise la mouture rustique en trois classes, relatives aux différentes grosseurs des bluteaux, & à leur plus ou moins de finesse. Lorsque le bluteau est d’une étamine assez grosse pour laisser passer le gruau & la grosse farine avec beaucoup de son, on l’appelle la mouture du pauvre ; si le bluteau, moins gros, sépare le son, les recoupes, recoupettes, &c. on la nomme la mouture du bourgeois ; enfin, si l’étamine est assez fine pour ne laisser passer que la fleur de farine, on l’appelle mouture du riche.

Tout ce qui n’a pas passé par les bluteaux dans ces différens moulages, se nomme son gras, parce qu’il y reste encore quantité de belle & bonne farine adhérente au son ; ce qui le rend gras, lourd & épais. On sait que le bled renferme beaucoup d’huile, qui a des propriétés, & qu’on se procure en pressant le grain entre deux lames de fer chaud : de même, cette mouture grossière étant rapide & fort serrée, elle échauffe le grain & fait sortir l’huile du bled ; la farine, tamisée sur le champ, lorsqu’elle est encore brûlante & grasse, ne peut se détacher du son, ce qui le rend gras. Le bluteau ne pouvant débiter aussi vite que les meules, on éprouve un déchet & une perte d’autant plus considérables, que le bluteau est plus fin. Un septier de bled de deux cent quarante livres ne rend souvent que quatre-vingt dix livres de farine, au lieu de cent soixante-quinze à cent quatre-vingt qu’il pourroit produire. Si, au contraire, le bluteau est gros & ouvert, le son passe avec les recoupes & les gruaux bruts, ce qui rend le pain lourd, brun, indigeste, difficile à lever & à cuire, &c.

Les inconvéniens de la mouture rustique, & les pertes qu’elle entraîne, l’ont fait abandonner à Paris & dans plusieurs provinces, sur-tout par les boulangers. On a préféré avec raison la mouture en grosse, qui consiste à faire moudre le grain sans bluteau. À la sortie des meules, on ensache le son pêle-mêle avec la farine, & l’on rapporte tout le produit à la maison, où l’on est d’obligation de le tamiser & bluter à la main.

Cette mouture en grosse, quoique moins défectueuse que la précédente, occasionne cependant bien des pertes, sans parler de celles qui viennent de la mauvaise mouture, parce que les meuniers ont intérêt d’expédier l’ouvrage. On peut même ajouter que le prix des moutures n’ayant augmenté que de très-peu, ou même de rien du tout en plusieurs lieux, malgré le surhaussement des baux, de l’impôt & de toutes les denrées, les meuniers les plus honnêtes se trouvent forcés de hâter l’ouvrage, & de ne broyer les grains qu’à moitié, pour se trouver au pair. Mais, pour se restreindre aux seuls inconvéniens de la mouture en grosse, il doit se trouver une grande variation dans les produits, suivant les différentes manières de bien ou mal sasser ou bluter. On sent de reste, que le pauvre & l’artisan, obligés de vivre au jour le jour, & d’acheter le bled à la petite mesure, ne fassent qu’une fois par un tamis de même grosseur, sitôt que la farine encore chaude est arrivée du moulin, & qu’ils essuient à-peu-près la même perte, le même déchet que dans la mouture rustique. Le bourgeois, qui laisse reposer & refroidir la farine, en ne la faisant bluter qu’à mesure de l’emploi, dans une bluterie dont le sas est de trois grosseurs, fait bien moins de perte ; mais il en essuie toujours beaucoup, sur-tout en confiant le soin de la bluterie à des servantes & à des domestiques ignorans. Les boulangers, qui font moudre à la grosse, sont ceux qui savent tirer le meilleur parti de cette méthode, par une bluterie bien entendue & bien conduite. Ceux de Paris sur-tout excellent dans cet art.

Le commerce a aussi contribué à perfectionner la mouture en grosse dans les provinces méridionales, où l’on fabrique les farines de minot, ainsi nommées du nom des barriques dans lesquelles on les envoie aux Isles. Avant de faire moudre le grain dans la mouture méridionale, on a soin d’adoucir les meules en les faisant travailler pour le pauvre, ou pour les bestiaux. On rapporte tout le produit de la mouture qu’on étend dans un grenier, pour le laisser fermenter en tas pendant cinq ou six semaines. Ce tas de farine entière se nomme rame, sans doute parce qu’on le remue de temps à autre avec des rames ou balais, pour le faire fermenter également par-tout avec le son. On prétend que cette opération perfectionne la farine, & la dispose à se mieux séparer des sons. Quand la rame est refroidie, il faut la bluter à propos ; une seconde fermentation la feroit gâter, en détruisant la combinaison de principes, qui est le résultat de la première.

Pour tirer la farine de la rame, on la fait passer par un bluteau de trois qualités qui se suivent par degrés de finesse. On se sert aussi de plusieurs bluteries de différentes soies, plus ou moins grosses. La farine qui tombe la première, se nomme farine de minot, ou le fin la seconde se nomme le simple, & quand on la mêle avec la première, on l’appelle simple-fin, ou farine en cô ; enfin, la troisième & la plus grosse, qui comprend le germe & la plupart des gruaux, se nomme gresillon, sans doute à cause de sa ressemblance avec du gresil. On passe encore les sons dans un bluteau plus gros, pour en tirer une farine grossière qu’on nomme repasse, & qu’on mêle avec le gresillon pour faire le pain du pauvre : le simple sert à faire le pain bourgeois, & le fin s’envoie aux Isles en minot, ou sert à faire le pain des riches.

L’auteur de l’art de la meûnerie, inséré parmi ceux de l’Académie, donne la préférence à la mouture méridionale sur toutes les autres ; mais il n’étoit pas assez instruit sur les procédés de la mouture économique, pour pouvoir les comparer, quoiqu’il y ait d’excellentes choses dans son Ouvrage. Parmi une infinité de défauts qui se rencontrent dans la mouture méridionale, elle a 1°. le vice de multiplier la main-d’œuvre & d’occasionner la perte du temps ; 2°. de trop échauffer la farine, par un moulage trop fort & trop serré, quand on veut broyer en une seule fois toutes les parties du grain ; 3°. la farine trop échauffée fermente, ce qui, au lieu de la bonifier, comme on le croit, peut en altérer la qualité plus ou moins : d’ailleurs, si l’on manque l’instant de cette première fermentation, on court risque de voir corrompre tout le tas de rame ou de farine entière ; 4°. la farine qui a éprouvé un commencement de fermentation, à cause du son qu’on y laisse pendant six semaines, ne se conserve pas si bien que celle qui a été purgée du son sans fermentation ; 5°. on sacrifie, par le défaut de remoulage, des gresillons & repasses, & même du son qui est mal écuré, une quantité considérable de bonne farine qui pourroit être employée avec avantage : le fin qu’on retire par cette méthode est en très-petite quantité.

Enfin, la mouture méridionale ne diffère de la mouture en grosse, que par la fermentation qu’on lui fait éprouver à l’aide d’un air chaud & d’une mouture serrée. Cette fermentation n’a pas paru si nécessaire dans les pays septentrionaux, où le bled est moins sec & le climat plus humide : elle seroit inutile d’ailleurs dans la mouture économique, où l’on a trouvé le secret de moudre à plusieurs reprises toutes les parties du grain, sans échauffer la farine, d’épargner, par des bluteaux attachés au moulin, des manipulations ultérieures, du temps & des frais. Ceux des boulangers de Paris, qui font encore moudre à la grosse, & qui sont en petit nombre, se contentent de laisser reposer leur farine avant de la bluter, sur-tout s’ils ont le moyen d’attendre.

§. II. Examen des pièces particulières aux moulins économiques.

Les moulins économiques ne diffèrent des moulins ordinaires que par les cribles, tarares & autres machines à nettoyer les grains. Le simple énoncé ou catalogue des pièces qui constituent ceux-ci, suffit pour en donner une idée juste. D’ailleurs, on peut se transporter dans les moulins ordinaires, & y étudier ce que l’on ne connoîtroit qu’imparfaitement.

Les deux points capitaux de la mouture par économie, consistent : 1°. À bien manœuvrer les bleds pour ne les moudre qu’après avoir été bien épurés & nettoyés de toutes les mauvaises graines & poussières qui les infectent : 2°. à bien séparer les farines des sons, recoupes & gruaux, pour pouvoir remoudre ceux-ci séparément & à propos.

On vient à bout de la première opération par le moyen des cribles, tarares, &c. & de la seconde par le secours des bluteries adaptées au moulage. Toutes ces machines font leur effet, & sont mises en mouvement par la même force motrice de la roue à aubes : le reste est entièrement semblable aux moulins ordinaires, tels qu’ils sont décrits dans ce chapitre.

Le nettoyage des grains doit précéder leur moutures, & ne s’opère que par les cribles qui sont de trois sortes ; 1°. les cribles ronds à la main. Voyez fig. 11, de la Planche XI, pag. 309, du second volume, au mot Blutoir. Les cribles inclinés ou cribles d’Allemagne, fig. 10 de la même gravure ; 3 °. Les cribles cylindriques, fig. 1. idem.

Le meunier économe, qui sait de quelle importance il est, pour faire de belles farines & de bon pain, & même pour la santé, de ne moudre que des grains bien nets, bien épurés, bien secs & bien rafraîchis par le sassement, fait usage des trois sortes de cribles dont on vient de parler, sur-tout quand il a des endroits convenables, & que son moulin a plusieurs étages ; parce qu’alors le même mouvement du moulage peut faire tourner les cribles & épargner la main d’œuvre.

On sépare avec les cribles, les bleds dans les trois qualités distinguées dans le commerce des grains ; savoir, bled de la tête, bled du milieu & bled de la dernière qualité.

Dans le crible normand, qu’on emploie à la main, on fait passer tout le grain le plus petit, le moins nourri & les mauvaises graines. Ce bled, formé en tas avec le crible normand, sert à faire les petites farines bises de dernière qualité. Un autre avantage qu’on a de se servir d’abord du crible normand, c’est que le coup de poignet fait venir du bord, au-dessus du bon bled, la paille du petit bled mort, toutes les bouffes, & sur-tout l’ergot & la clocque, qui est proprement l’enveloppe du bled charbonné, dont la poussière fétide nuiroit à la qualité des farines & à la salubrité du pain. L’homme se plaint souvent d’un grand nombre de maladies dont il ignore la source ; il la trouveroit dans son indolence à nettoyer les grains dont il se nourrit. Lorsque le coup de poignet a fait monter toutes ces saletés, qui se rassemblent au-dessus du bon grain parce qu’elles sont plus légères que lui, on les enlève soigneusement à la main, ce qui ne peut s’opérer aussi parfaitement dans les autres cribles que dans le crible normand qui mérite, à cet égard, la préférence, ou du moins qui est plus à la portée de tout le monde.

Après cette opération, on verse le bon grain qui n’a pu passer par le crible normand, dans un grand crible cylindrique à fil de fer, dont la tête étant plus serrée, laisse passer le grain moyen, & forme le bled du milieu : la partie inférieure de ce cylindre étant un peu plus ouverte, livre passage aux grains les plus gros, les plus ronds & les mieux nourris, qui forment le bled de la tête.

Après la division faite de ces bleds en trois qualités, ils ne sont point encore nettoyés des poussières provenant du mélange des grains étrangers, de la nielle & de la poussière du charbon, dont la brosse du grain peut être garnie.

Mais on remplit ce dernier objet, en faisant passer chaque qualité de grain séparément par le ventilateur[1] ou crible à vent, que les meuniers nomment tarare, mot significatif, emprunté du bruit qu’il fait.

Du ventilateur, le bled tombe dans un grand cylindre de fer-blanc, appellé crible des Chartreux, dont les feuilles de fer-blanc sont piquées en-dedans en manière de rape pour nétoyer & comme raper les grains qui y sont ballotés, afin d’enlever la poussière de charbon dont ils pourroient être tachés. Au sortir du cylindre de fer blanc, les bleds coulent dans un second crible d’Allemagne, au bas duquel est un émotteux, pour arrêter les pierres & les petites mottes de terre qui auroient pu passer avec le bled par tous les cribles. Une petite poche de cuir qui est attachée sous ce dernier crible incliné, en reçoit les criblures & mauvaises graines. D’autres se servent d’un petit ventilateur qui est préférable au crible d’Allemagne, attendu que le cylindre en rape, ayant occasionné beaucoup de crasse & de poussière dans le bled par les tours qu’il a fait, le vent les jette hors ou dans une poche. Enfin, le bled bien nettoyé tombe dans la trémie, & delà entre les meules, où il est écrasé. Ce manœuvrage industrieux des bleds en augmenteroit beaucoup la valeur.

Il faut supposer un étage supérieur dans tous les moulins ordinaires, pour y placer les différens cribles dont j’ai parlé, & pour faire tourner par le même moteur un ventilateur ou tarare, fig. 8 & 9, Planche XVI, un crible des Chartreux, fig. 14, & une bluterie cylindrique, fig. 5, 6 & 7, destinée pour bluter à part les sons gras lorsqu’on les a un peu laissés sécher, afin d’en tirer encore mieux la farine qui pourroit y être restée adhérente : elle peut aussi faciliter le travail des moulins qui, tandis que la bluterie sépare les gruaux, continuent toujours de leur côté à moudre du nouveau bled.

Pour cet effet, il n’y a qu’à adapter à l’extrémité d’un arbre de couche ou horizontal, faisant un angle droit avec le grand arbre tournant du moulin, une petite lanterne de dix-huit à vingt pouces de diamètre, plus ou moins, suivant la force du moulin, afin que les fuseaux de cette petite lanterne, prenant les dents du rouet F, fassent tourner l’arbre de couche de trois ou quatre pouces de gros, dans lequel sont emmanchées les trois poulies S, Planche XVI.

Ces poulies sont de petites roues cannelées qu’on enchâsse dans les arbres des machines, auxquelles on veut imprimer un mouvement de rotation par le moyen d’une chaîne ou corde sans fin. Ces poulies se peuvent prendre dans une même tourte de bois d’orme, quand la bluterie à son gras est droit sous le tarare, ou si elle n’y est pas, on place sa poulie sur l’arbre de couche au droit de ladite bluterie.

Il est bon que les poulies de l’arbre de couche soient, autant que faire se peut, directement au-dessous des autres poulies adaptées aux autres machines qu’elles doivent mettre en mouvement : car si les poulies ne pouvoient pas être placées directement les unes sous les autres, il faudroit absolument se servir de poulies de renvoi pour regagner la perpendiculaire.

La poulie d’en-bas du tarare ou ventilateur, peut avoir trente pouces de diamètre, & celle qui sera emmanchée dans le tourrillon de l’arbre tournant du ventilateur, doit avoir douze pouces : celle de l’arbre de couche, destinée à faire mouvoir le moulin de fer-blanc, vingt-quatre pouces, & celle emmanchée dans le bout de l’arbre tournant dudit moulin de fer-blanc, vingt-huit pouces. On peut faire cette dernière poulie d’une tourte plus épaisse, afin d’y ménager une seconde poulie de renvoi qui ira faire tourner un grand crible de fil de fer, posé en sens contraire du moulin de fer-blanc. Enfin la poulie qui fera tourner la bluterie, doit avoir vingt-deux pouces, & celle qui sera emmanchée dans le bois de l’arbre tournant de ladite bluterie, doit avoir vingt-six pouces. Toutes ces mesures peuvent varier suivant la différence & la force des moulins, des machines & des mouvements. On peut voir cette disposition dans la Planche XVI, fig. S.

En général, on peut observer que si le mouvement se trouve trop rapide, on peut tenir les poulies plus grandes en haut, ou bien se contenter de diminuer celles du bas : cela fera ralentir le mouvement. S’il arrivoit au contraire que le mouvement fût trop lent, on diminueroit les poulies d’en haut, ou, ce qui produiroit le même effet, on en mettroit de plus grandes en bas. On doit calculer les poulies suivant la force des moulins, de manière que le ventilateur fasse quatre-vingt-dix à cent tours par minute, & la bluterie, ou crible cylindrique, environ vingt-cinq ou trente au plus.

Il est nécessaire que les poulies soient faites en patte d’écrevisse, c’est-à-dire, que la rainure soit large d’entrée, & aille toujours en diminuant, afin que les cordes serrent mieux & tournent avec plus de facilité. Il est à propos que les cordes employées à ces opérations, aient déjà servi, parce qu’elles ne sont point si dures, & qu’elles font tourner plus rondement quand elles ont fait leur effet.

On sait que les cordes se raccourcissent dans les temps humides, & s’allongent dans les temps secs. On remédie aisément à cet inconvénient, en mettant au bout des cordes une patte de cuir de Hongrie d’un bout, & de l’autre une longe. Par ce moyen si simple, on peut allonger ou raccourcir les cables suivant le temps. On peut encore faire de petites bascules qui servent à élever ou à baisser les arbres tournants ; ce qui fera allonger ou raccourcir les cordes suivant le besoin.

Si le tarare ne tourne point assez rapidement, le secret est de raccourcir les cordes ; s’il tourne au contraire avec trop de rapidité, il faut les rallonger.

Cet arrangement est, sans nulle comparaison, de beaucoup préférable aux rouages & aux petits hérissons qu’on pourroit employer en pareilles occasions ; parce que les poulies durent bien plus & coûtent bien moins. D’ailleurs, ces hérissons demandent, pour leur exécution, un charpentier habile & versé dans la méchanique, ce qui n’est pas facile à trouver ; au lieu que l’invention des poulies est d’une simplicité qui est à portée de toutes sortes d’ouvriers, & qui ne demande que peu d’attention & d’adresse pour être conduite.

Telle est, en général, la manière d’opérer la première chose qu’exige la bonne mouture par économie, savoir, le parfait nettoiement des grains.

§ III. Des pièces qui donnent le mouvement au blutage, &c.

Le blutage de la méthode économique contribue en quelque sorte encore plus que les meules, à la perfection des farines. C’est par cette raison que la mouture en grosse & la mouture méridionale, dans lesquelles on blute hors le moulin, apportent tant de soins, tant de précautions & de patience, & emploient un si grand nombre de bluteaux différents pour distinguer les farines, les gruaux & les sons.

La mouture rustique avoit un avantage sur les deux autres, en ce qu’en faisant bluter en même temps qu’elle broie les grains, elle épargne du temps & de la main d’œuvre. Mais la bluterie est si imparfaite, & la perte qu’on essuie, faute de savoir employer les sons gras, est si considérable, que la mouture en grosse & la mouture méridionale, malgré leurs imperfections, sont de beaucoup préférables à la mouture rustique.

Les meûniers économes ont adopté ce que toutes les autres méthodes avoient de meilleur : ils ont procuré aux moutures en grosse l’épargne du temps & de main d’œuvre employés aux bluteries hors le moulin, & ils ont substitué à la mouture rustique toute la perfection des bluteries de la mouture en grosse & de la méridionale. Outre ces avantages, considérables par eux-mêmes, ces meuniers ont encore su faire bénéficier leur méthode de tout l’excédent de belles farines de gruaux, c’est-à-dire, des meilleures parties du grain, que les autres meuniers laissent consommer en pure perte.

On voit par-là, de quelle importance est la bluterie dans la mouture par économie, dont elle est une dépendance & comme l’accessoire principal. Il y a un grand nombre de moulins économiques qui pèchent par cet article : la perfection & la conduite du blutage méritent la plus sérieuse attention des meuniers pour qui cette science est toute nouvelle.

Il ne faut pas que le blutage commande le moulin ; en effet, s’il ne répondoit pas suffisamment au mouvement des meules, cela occasionneroit un retard, parce qu’il faudroit souvent retirer du bled. Le bluteau supérieur, placé dans la huche sous les meules, est un sac d’étamine de sept à huit pieds de longueur, dont l’ouverture est cousue par un bout, sut le cerceau qui joint au trou de la huche par où sort le son gras : ce dernier tombe dans l’anche, qui conduit dans le dodinage ou la bluterie cylindrique, posée dans la partie inférieure de la même huche. Il faut donc que ce bluteau supérieur tamise également la même quantité que les meules font de farine ; autrement si le bluteau ne tamise pas aussi vite que le moulin moud, il faut relever l’auget de la trémie, pour empêcher qu’il ne tombe tant de bled dans les meules. Mais alors les meules n’ayant pas une nourriture suffisante, ou manquant de bled, font la farine rouge, parce que le son se broie en très-petites parties & se mêle à la farine. Il est donc bien essentiel que le blutage marche en même temps que le moulin, puisque s’il fait un retard, & que les meules n’aient pas autant de bled qu’elles en doivent porter, les farines seront bises & mauvaises. Si au contraire le bluteau tamise plus vite que le moulin ne fournit, il tamise mal & il laisse passer du son avec la fleur.

Tout dépend donc de l’accord de ces pièces, qui doivent être proportionnées entr’elles, afin qu’elles puissent produire leur effet à leur aise.

Pour parvenir à faire bien bluter un moulin, il faut que le pivot du babillard, & Planche XVIII, soit placé sur le chevressier, du dedans Z, ou à côté & le plus près possible, à six ou huit pouces des tourillons de l’arbre tournant T, Planche XVIII. Il faut lui donner une croisée Q, de trente à trente-six pouces, à quatre bras, quand le lieu le permet. Si l’on est borné par la place, il suffit de monter une croisée faite d’une tourte de bois d’orme, d’environ vingt deux pouces de diamètre, avec trois bras égaux de huit à dix pouces de longueur, en observant de percer bien dans le milieu, la lumière ou le trou par où doit passer le fer du moulin. À l’aide de cet arrangement, le blutage sera excellent & très-doux ; car il est souvent préférable de ne laisser que trois bras à la croisée, parce que lorsqu’il y en a quatre, & que le moulin va fort, les coups sont trop fréquents, & le bluteau n’a pas le temps de bien tamiser.

On se rappelle sans doute que le babillard est une pièce de bois posée perpendiculairement, de manière qu’elle peut se mouvoir en bas sur un pivot, & en haut dans un collet de fer ou de bois bien dur, attaché au beffroy. Il est percé en haut d’une lumière ou trou quarré, par où passe la batte, qui va joindre la croisée, & d’une seconde lumière où passe la baguette, ou clogne attachée au bluteau.

Pour monter la batte 1 & la baguette P dans une juste proportion, il faut appuyer la baguette d’un côté P contre la huche 5, & mesurer la batte 1 contre la pointe de la croisée Q, de façon qu’il y ait à-peu-près deux pouces de distance du bout de la batte au bout de la croisée. On laisse alors revenir le babillard, de manière que la batte prenne de quatre à cinq pouces sur le bras de la croisée, & l’on est sûr alors que la baguette doit faire remuer le bluteau dans une juste vitesse, & ne sauroit toucher contre la huche en tournant ; ce qu’il faut éviter avec soin. Il faut que la force de la batte soit proportionnée à celle du moulin, & même qu’elle ne soit pas si forte, parce que cette partie doit être leste.

St un moulin est en-dessous avec une huche de bout, il convient de mettre le babillard à mont l’eau ; & avallant l’eau, toujours près du Tourillon, si c’est un moulin en-dessus. Le mouvement en est bien plus doux.

Lorsqu’un moulin va très-fort, il y a toujours de l’avantage de préférer, comme on l’a dit, une croisée à trois bras & trente pouces de diamètre, quand le lieu le permet. On peut faire la croisée de trois morceaux de jantes ; c’est-à-dire, de ces pièces de bois qui forment les tours d’une roue de charriot emmanchées l’une dans l’autre & bien chevillées : de cette manière la croisée n’est pas si sujette à se fendre que si elle n’étoit que d’une seule pièce.

On parvient à la consolider par le moyen de trois boulons ou têtes de fer de deux à trois pouces de tour, retenus chacun par un bon écrou, & qui prenne depuis la tourte du dessous de la lanterne, c’est-à-dire depuis l’assiette du dessous de la lanterne, jusques dessus les bras de la croisée : ces boulons servent de faux fuseaux en dedans de la tourte, en y ajoutant une équerre de fer sur la croisée si l’on veut de la solidité, & fermant le tout à écrou ; cette pièce devient presque impérissable, elle rend le mouvement plus doux & casse bien moins de bluteaux que les croisées à quatre bras, sur-tout quand les moulins passent vingt-cinq à trente setiers. En effet, à chaque tour de lanterne, la croisée heurte trois fois contre la batte, ce qui fait remuer trois fois le babillard, la baguette, & par conséquent le bluteau ; & quatre fois lorsque la croisée a quatre bras. Comme il faut que le bluteau aille & vienne, il est évident que lorsque le moulin va vite, le bluteau n’a pas le temps de revenir, & la farine ne se remue pas bien.

On ajoute un second babillard auprès du premier quand on se sert d’un dodinage ou bluteau lâche pour tamiser les gruaux, en observant que si le grand babillard qui donne la secousse au bluteau supérieur, est à mont l’eau, à côté de l’arbre tournant, il faut que celui du dodinage ou bluteau inférieur soit avallant l’eau : si au contraire le grand est avallant, l’autre doit être à mont l’eau.

Mais lorsqu’au lieu du dodinage, ou second bluteau à gruaux, on préfère, comme plus utile, une petite bluterie cylindrique, alors on la fait tourner au moyen d’une petite lanterne de vingt à vingt-deux pouces de diamètre, avec onze ou douze fuseaux, même à huit (suivant la force du moulin) qui n’engrènent dans les dents d’un petit hérisson de vingt-quatre à vingt-cinq chevilles, posé autour de l’arbre tournant, près les tourillons du dedans.

Cette dernière méthode est très bonne, lorsque la huche est de bout, c’est-à-dire, lorsque les bluteaux sont sur la même ligne que l’arbre du moulin. Mais si la huche est de plat, c’est-à-dire, si elle est posée en sens contraire de l’arbre du moulin, de manière qu’elle coupe l’arbre du moulin à angles droits, alors on pourra faire engrener une petite lanterne ou un petit hérisson dans les dents du grand rouet ; cette lanterne ou hérisson fera tourner à l’autre bout une poulie qui, par le moyen d’une chaîne ou d’une corde, ira prendre l’autre poulie adaptée à l’arbre de la bluterie cylindrique, pour lui communiquer le même mouvement. On sent que ces poulies doivent être proportionnées à la force des moulins, c’est-à-dire, que lorsqu’un moulin va fort, il faut que la poulie soit plus grande pour ralentir son mouvement : si le moulin est inférieur en force, il faut que la poulie soit plus petite, pour multiplier le mouvement. En un mot, il faut donner aux poulies le diamètre nécessaire pour que les bluteries fassent à-peu-près vingt-cinq tours par minute.

Il faut des pages entières pour décrire des machines qui sont si simples, que la seule inspection les feroit comprendre dans un clin d’œil. J’ai tâché d’y suppléer en définissant tous les termes, afin de donner de la clarté aux expressions, & de les rendre à portée d’être facilement entendues, sur-tout si l’on veut prendre la peine de conférer les explications avec les gravures.

§. IV. Des bluteaux, &c.

Après l’examen des pièces qui donnent le mouvement au blutage, vient celui de l’arrangement intérieur d’une bonne bluterie ; il faut une huche 5, Planche XVIII, de sept à huit pieds de longueur, & de trois à quatre pieds de largeur, avec un bluteau à trois grands lés d’étamine, ou à quatre petits lés, ce qui produit le même effet.

Vers le haut de cette huche, on place unpalonnier 4, Planche XVIII, Part. 2. supporté par des accouples de fer ou de cuivre, & même de corde, qui tiennent à la huche & au palonnier. Ce palonnier qui sert à soutenir la corde du bluteau, est un morceau de bois blanc bien sec & bien léger, d’environ quatre pouces de largeur ; il doit déborder le bluteau aux deux bouts, tant à cause des accouples qui le soutiennent par des cordons, que des passements qui font le tour du palonnier.

Les passements sont la partie du cordeau qui soutient le bluteau, renforcée d’une longe de cuir de Hongrie, qui doit aller le long du bluteau & soutenir les attaches de cuir qui tiennent à la baguette : la dernière attache du bluteau doit être au bout de la baguette, & l’autre à environ quinze pouces de distance. Il est à propos que la longe de cuir ait déjà servi, afin qu’elle s’alonge moins ayant fait son effet. Il est bon de réduire le palonnier à un pouce d’épaisseur entre les deux passements, parce que plus il sera léger, & mieux le bluteau tamisera ; il suffit qu’il ait de la force aux accouples & sous les passements.

On ne doit point mettre de passement de l’autre côté des attaches, à moins que ce ne soit un moulin très-forcé ; car quand le bluteau est ferme d’un passement des deux côtés, souvent il ne commence à bluter qu’aux attaches : il y en a qui préfèrent les bluteaux à quatre petits lés & deux palonniers à chassis, parce qu’étant bien ouverts ils doivent mieux bluter : mais ces bluteaux sont trop lourds & trop matériels pour des moulins inférieurs de force ; le poids des deux palonniers à chassis surcharge trop, & un blutage ne sauroit être trop leste pour bluter avec plus de facilité : quoiqu’il n’y ait qu’un passement, on ne doit pas craindre que le bluteau se déchire s’il est bien monté.

La pente qu’on donne au bluteau, doit être d’environ un pouce par chaque pied, suivant la longueur de la huche ; c’est-à-dire, une huche de huit pieds à huit pouces de pente, & sept pouces de pente si elle n’a que sept pieds, à moins que ce ne soit un moulin qui aille fort : auquel cas on peut donner encore quelques pouces de pente au bluteau, afin qu’il ne se charge pas tant.

On ne peut avoir de belle farine que par l’accord du blutage avec le moulage, parce que le bluteau doit débiter à proportion que les meules travaillent : ainsi la grosseur du bluteau doit être proportionnée à la force des moulins : car plus un moulin moud fort & vite, plus il faut que le bluteau débite à proportion ; il doit par conséquent être un peu plus gros, afin qu’il laisse passer vite la farine, puisqu’il s’en présente plus, si les meules vont vîte & si elles moulent promptement. Un moulin qui affleure bien, souffre un bluteau plus gros sans que la farine en soit pour cela plus bise.

La qualité & la finesse des bluteaux doit aussi varier suivant la sécheresse des bleds, suivant la piquure des meules, & suivant qu’un bluteau est bien ou mal monté. Tout le monde sait que quand les bleds sont secs, il faut des bluteaux plus fins, & que quand ils sont tendus, il en faut de plus ronds : des meules piquées convenablement, & montées pour faire un bon travail, peuvent souffrir un bluteau plus rond, sans pour cela rougir la farine. Souvent on peut faire bluter également un bluteau de deux échantillons plus fins l’un que l’autre avec les mêmes bleds & mêmes moulins d’égale force ; tout cela dépend de la manière de bien monter le blutage.

L’étamine ou étoffe à deux étaims, est une étoffe de laine, qu’on fabrique à Rheims & en Auvergne, pour les bluteaux, & qui porte un tiers ou un quart de largeur : il y a douze échantillons d’étamines pour les bluteaux, qui vont en augmentant de finesse depuis le numéro 11, jusqu’aux numéros 40 à 42, c’est-à-dire qu’elles ont depuis onze jusqu’à quarante deux fils dans chaque portée : les derniers numéros sont les plus fins, parce que plus il y a de fils dans une même portée, & plus les intervalles qu’ils laissent entre eux sont étroits ; ainsi on prend ces derniers numéros pour les bluteaux supérieurs qui tamisent la fleur-farine de bled, & on emploie depuis le numéro 11 jusqu’au numéro 18, pour le dodinage ou bluteau inférieur qui doit tamiser les gruaux & recoupes, &c.

Tous les détails qu’on vient d’exposer montrent suffisamment de quelle importance il est de bien savoir monter les bluteaux supérieurs, propres à tamiser la farine de bled & celle de gruau : c’est apparemment cette difficulté qui avoit engagé le sieur Malisset à substituer dans ses moulins de Corbeil, des blutoires cylindriques de soie aux bluteaux lâches ordinaires ; mais il s’en faut bien que le produit en farine blanche en soit aussi avantageux, tant pour la qualité que pour la quantité, & ils ne peuvent d’ailleurs servir à faire moudre les gruaux.

En effet, ces blutoires de soie donnent assez leur premier produit pour les farines de bled, parce qu’il s’y trouve des sons alongés, des gruaux en nature, & des recoupes en noyaux durs, qui, par leur tassement, frottent continuellement la soie, & facilitent le passage de la fleur : mais lorsque les gruaux sont remoulus, il ne s’y trouve presque plus aucuns noyaux, aucune dureté, & les blutoires de soie s’engraissent & ne tamisent plus, ou du moins pas si bien, à beaucoup près, qu’une étoffe de laine fortement secouée, & sans cesse agitée par le mouvement de la baguette.

On a fait à Lizy, près de Meaux en Brie, une nouvelle épreuve, qui consiste à mettre deux bluteaux dans le premier étage d’une huche de bout, de six pieds de large sur sept à huit de long, un babillard à mont l’eau, & l’autre avallant, à côté de l’arbre tournant. Il y a aussi deux anches qui, à l’aide d’une coulisse adaptée à la pièce d’enchevêtrure dirigent la farine pour la faire tomber également dans les deux bluteaux : il faut que le second bluteau soit plus fin que le premier, attendu que la première anche, du côté de la poussée de la meule, est celle où est la coulisse, & par où la fleur tombe toujours la première : au moyen de cette coulisse, on charge le second bluteau tant & si peu que l’on veut. Il faut tenir ces deux bluteaux à trois petits lés, & bien ouverts, avec des palonniers larges, comme on l’a expliqué ci-devant.

Il faut observer qu’avant cet arrangement, la huche du moulin de Lizi étoit de travers au lieu d’être en long, de sorte que n’étant pas possible d’approcher le babillard près le tourillon, à cause d’un mur, il falloit retirer beaucoup de bled au moulin pour faire bluter le bluteau, ce qui rougiroit la farine. Ce moulin ne pouvoit moudre alors qu’environ trente setiers en vingt quatre heures ; mais depuis qu’il est monté de cette nouvelle façon, il peut moudre, dans la bonne eau, jusqu’à cinquante-cinq & même soixante setiers dans le même espace de temps, & faire la farine de bien meilleure qualité. Une suite de cette observation est que, pour opérer un pareil changement dans un moulin, il faut qu’il aille fort, & que les meules soient bien ardentes à proportion, pour bien affleurer & écurer les sons, & cela parce qu’il a fallu augmenter le débit du bluteau à proportion de la force du moulin : il faut cependant avouer que la farine d’un moulin économique, qui va de vingt cinq à quarante setiers, est préférable à celle d’un moulin qui débite jusqu’à soixante setiers.

Pour terminer cet article du blutage par quelques principes généraux, il faut examiner, 1°. si le babillard du bluteau supérieur n’est éloigné du tourillon de l’arbre roumain que de six à huit pouces, ou de dix au plus ; 2°. si la bluterie déchire les bluteaux, ou s’ils bluttent trop fort ; car alors il faudroit débrayer la batte ou la baguette pour rallentir & diminuer leurs coups ; 3°. ou bien s’il arrivoit que les bluteaux ne blutent point assez, ce seroit alors une marque qu’ils n’auroient pas assez de mouvement, & il faudroit remblayer. Débrayer ou remblayer, c’est serrer plus ou moins la batte sur la croisée, ou serrer la baguette plus ou moins près de la huche du côté de la croisée.

§. V. Du dodinage & de la bluterie cylindrique.

Comme l’étage supérieur de la huche est pour les bluteaux fins, destinés à tirer la première farine de blé, on place dans l’étage inférieur un dodinage ou bluteau lâche, d’une étamine plus ouverte, & de deux ou trois grosseurs pour séparer les gruaux & recoupes. Ce dodinage peut être fait & monté comme le grand blutage, à l’exception que la lumière de la baguette ne doit point être à plomb à celle de la batte ; mais elle doit être percée un peu en équerre, suivant la lumière de la batte, c’est-à-dire venant sur la croisée, afin de donner au bout de la baguette une plus grande distance de son moteur, & que cela fasse mieux tamiser, en donnant un plus grand mouvement au dodinage. Si le grand babillard est, comme on l’a déjà dit, à mont l’eau, celui du dodinage doit être avallant, parce qu’il faut les poser en sens contraires.

Dans tous les cas, soit que l’on ait une huche de bout, soit qu’elle soit de plat, on doit préférer une bluterie cylindrique à un dodinage, sur-tout si l’on vise au blanc, & à l’exacte division des matières. Cette bluterie se met en mouvement, comme on l’a pu remarquer plus haut, au moyen d’une lanterne emmanchée à son extrémité, & engrenant dans les dents d’un petit hérisson posé près les tourillons sur l’arbre tournant ; ou bien on supplée la lanterne & hérisson par deux poulies unies par un pignon, engrenant dans les dents du grand rouet.

Par le moyen de cette bluterie, on a toujours un gruau plus parfait qu’avec un dodinage, mais il faut bien prendre garde que la bluterie ne se gomme, c’est-à-dire, ne s’engraisse par les gruaux trop mous. C’est ce qui arrive encore quand le bluteau supérieur ne blute pas suffisamment, ou blute mal, parce qu’alors il tombe dans la bluterie cylindrique de la farine de bled, ou de la fleur avec les gruaux, ce qui gomme la soie.

Lorsqu’on se sert d’un dodinage, les gruaux, & sur-tout les seconds sont souvent mêlés de rougeurs, & quand on fait remoudre ces parties, qui sont dures & petites, on est obligé d’approcher les meules pour pouvoir les atteindre, & l’on rougit la farine en mettant en poudre les rougeurs que le dodinage a mêlées aux gruaux. Le plus sûr moyen, pour avoir du blanc, est de sasser les gruaux gris, pour en ôter les rougeurs avant de les moudre.

Mais, par le moyen d’une bluterie, on soulage le moulin pour n’enlever que l’écorce extérieure de la partie qu’on veut moudre, parce qu’on est sûr que la bluterie séparant exactement ces rougeurs, on pourra ensuite, dans le moulage, approcher tant qu’on voudra pour atteindre les petits noyaux qui auront échappé aux premières moutures, sans piquer ni rougir la farine qui en doit provenir. Le premier lés de la bluterie fait, en dernier travail, un gruau clair & fin, qu’on peut aisément mettre dans le blanc ; le second lés, un second gruau qui est bon pour le bis-blanc, & une partie du reste en bis : au lieu qu’avec le dodinage, les gruaux restans du rémoulade sont bien plus rouges, & ne peuvent plus être employés qu’en bis.

La bluterie est encore d’une grande utilité lorsqu’il y a des recoupes qui sont dures, ce qui est souvent occasionné par une rouillure trop foncée, ou par la nature du bled. Lorsqu’on veut remoudre ces recoupes, on est obligé d’approcher le moulin, ce qui le fatigue beaucoup & rougit totalement la farine qui provient de ces recoupes, si l’on se sert d’un dodinage ; au lieu que, par le moyen d’une bluterie, le moulin va toujours en allégeant, sans que l’on remette les rougeurs sous la meule, ce qui fait que la farine provenant de ces recoupes est bien plus claire. On trouve encore par le remoulage au premier lés de la bluterie, de petits gruaux bons à mettre en bis-blanc, & le reste en bis ; ce qui avantage beaucoup un moulin, parce que rien n’est perdu, & qu’il tourne toujours sur ses marchandises en allégeant.

Il est vrai que cette méthode occasionne des évaporations ; mais on en est amplement dédommagé par la quantité & la qualité de la farine. D’ailleurs, il ne faut pas perdre de vue qu’on n’entend parler ici que d’un moulin à blanc, d’où l’on cherche à tirer de grandes qualités : mais pour un moulin à bis ou à bis-blanc le dodinage est suffisant, & l’on peut tirer, par son moyen, la totalité des farines. On ne prétend cependant pas blâmer les dodinages ; mais, d’après l’expérience, il conste que les bluteries font les gruaux plus clairs. Plusieurs meûniers se servent d’abord du dodinage pour dégraisser les sons gras, & ensuite d’une bluterie : cette opération est très-bonne.

On pourra encore objecter, qu’au §. précédent on a blâmé la méthode de ceux qui préfèrent les blutoirs de soie aux bluteaux d’étamine ; mais il s’agissoit alors du bluteau supérieur, qui, dans tous les cas, doit être de laine, parce qu’il est destiné à passer la fleur ou farine de bled qui gommeroit la soie : ici au contraire il ne s’agit que du bluteau inférieur pour les gruaux & recoupes, dont le supérieur a ôté la fine fleur ou farine alongée sur le bled, & grasse par elle-même, & qui a besoin d’une forte secousse pour être bien blutée ; au lieu que la bluterie cylindrique suffit pour les gruaux secs & les sons durs. D’ailleurs, les soies, ou quìntìns & cannevas des cylindres à gruaux, doivent être plus ouverts que ceux qu’on emploieroit à tamiser la farine de bled, & par cela même ils sont moins sujets à s’engraisser, &c.[2]

§. VI. Résumé de toutes les machines du moulin économique, de leur prix commun, & des moyens de monter les moulins ordinaires à l’économique.

On a cru bien faire de récapituler en très-peu de mots le jeu des machines, & de suivre le bled par les différens changemens successifs qu’il éprouve, pour parvenir à donner ses divers produits.

En supposant donc qu’il s’agisse d’un moulin à eau de pied ferme, où l’on peut moudre par économie, avec des greniers au-dessus pour le nettoyage des grains le bled, après avoir été transporté, à l’aide des machines, dans l’étage supérieur, où il est criblé & séparé en ses trois qualités de bled, de la tête, du milieu & de la dernière classe, par les différens cribles normands & à cylindre, est versé,

1°. Dans la trémie du tarare ou ventilateur, qui en enlève la poussière & la balle.

D’où il tombe, 2°. dans le crible cylindrique de fer-blanc, où le bled moucheté & niellé est comme vergetté & râpé ;

— 3°. Dans le crible d’Allemagne incliné, au bas duquel est l’émotteux.
— 4°. Dans la trémie des meules, qui le verse par l’auget agité par le frayon.
— 5°. Dans l’œillard de la meule courante, à travers les bras de l’annille ;
— 6°. Sur le cœur de la meule gissante boulinière, où il se brise.
— 7°. Dans l’entrepied des meules, où il s’afine & se forme en gruau ;
— 8°. Dans la feuillure des meules, où il s’affleure par l’écurage des sons & se convertit en farine ;
— 9°. Dans l’anche, où la farine entière est chassée par le mouvement circulaire des meules ;
— 10°. Dans le bluteau supérieur, où passe la farine de bled, dite le blanc, & d’où sort le son gras ;
— 11°. Dans le dodinage, ou bluterie cylindrique, qui distingue le son gras dans ses trois gruaux, recoupettes & recoupes ;
Et enfin, 12°. Au bout du bluteau inférieur, par où sort le son maigre bien évidé de farine.

Quand on a retiré toutes ces qualités & ces divers produits du grain, on met à part la farine de bled ou le blanc tiré par le bluteau supérieur, & on la distingue en deux qualités ; savoir, la première farine de bled, ou la fleur, qui se trouve à la tête du bluteau, & un cinquième ou un sixième sur la longueur de la huche, de seconde farine de bled. Cette distinction de première & de seconde farine de bled est bonne dans les moutures, telles que celles de Melun, où les sons gras sont rapportés chez le boulanger ; mais à la mouture économique toutes ces farines doivent être tirées à blanc.

Ensuite on prend le gruau blanc pour le faire repasser sous les meules & le produit de ce premier gruau fait le même chemin que le premier produit du blé. Il donne, par le bluteau supérieur, une première farine ou fleur, bien supérieure à la première de bled. On la nomme première farine de gruau.

Ce qui n’a pas passé à travers le bluteau supérieur, se remet encore sous la meule, pour être remoulu une seconde fois, & l’on obtient la seconde farine de gruau, qui est un peu moins blanche que la précédente.

Le résidu de cette seconde farine se repasse encore sous la meule une troisième fois, lorsqu’on a pour but de tirer la plus grande quantité de blanc possible ; mais ordinairement ce résidu se mêle avec le gruau gris, ce qui forme une troisième farine de gruau, moins blanche encore que la seconde.

L’on passe une seconde fois sous la meule le résidu du gruau gris pour avoir une quatrième farine de gruau qui est bise, & l’on y mêle encore le produit des gruaux bis & des recoupettes qu’on ne moud qu’une seule fois.

Il reste à la fin de toutes ces opérations, un petit son qu’on appelle fleurage, ou rémoulade de gruaux, qui est bon pour les volailles & les cochons.

On voit par-là qu’on peut varier à l’infini les procédés de la mouture par économie, pour en tirer toutes les qualités de farine qu’on désire.

La construction de la cage & des bâtimens d’un moulin à eau de pied ferme, qui est la principale sorte de moulin la plus commune, la mieux connue & la plus utile, coûte à proportion de la plus ou moins grande étendue des bâtimens qu’on veut y faire, & du nombre ou de l’étendue des magasins que l’on y veut établir. On n’entrera point dans le détail & le prix de ces sortes de constructions, pour se fixer à ce qui regarde la méchanique seulement.

La roue & l’arbre tournant peuvent coûter deux cent soixante, à trois cent livres, suivant la hauteur de la roue, la grosseur de l’arbre, & les ferrures qu’on veut y mettre.

Le rouet & la lanterne coûtent environ deux cent, à deux cent cinquante liv., suivant la hauteur du rouet, la qualité des bois, le boulonnement du rouet, les ferrures de la lanterne, &c.

Le beffroi peut être en maçonnerie ; le pallier, les deux braies & la trempure peuvent coûter cinquante à soixante liv.

Le fer, l’annille, le pas ou crapaudine, environ cent ou cent-cinquante liv., suivant la force ; & si l’on veut y joindre les nouveaux châssis à dresser les meules avec des vis, châssis de fer, poëlette de cuivre, crapaudine métallique, c’est encore un objet de soixante à quatre-vingt liv.

Les deux meules de bonne qualité, & bien mises en moulage, peuvent revenir à environ mille livres, & à Paris, huit cent liv. Les cerces des meules, couvercles, trémion, porte-tremion, trémie, auget & frayon, environ cent liv.

La huche & sa bluterie de dessous, ou dodinage, quatre-vingt-dix à cent livres ; ses bluteaux, depuis quinze à vingt-quatre liv. pièce, suivant leur finesse ; le babillard quinze liv., &c.

Et si l’on veut y joindre les machines nécessaires pour cribler & manœuvrer les bleds, il faut une lanterne qui prenne dans le rouet ; un petit arbre de couche ; poulies, cordages, ventilateurs, cylindre d’environ douze pieds sur deux pieds & demi de gros, garni de feuilles de fer-blanc piqué ; cribles Normands, cribles de fil-de-fer à cylindres, cribles d’Allemagne, inclinés, &c. &c. Toutes ces machines qui servent à cribler & épurer les blés sans main d’œuvre, peuvent coûter environ trois à quatre cens liv., même jusqu’à six & huit cens liv., suivant leurs qualités.

Un moulin à vent que l’on voudroit construire pour y moudre par économie, seroit un objet de cinq à six mille livres. D’ailleurs, tous ces prix varient suivant le prix de la main-d’œuvre, plus ou moins chère dans un pays que dans l’autre, ainsi que le prix du bois.

On doit également conclure de tout ce qui précède, que tout moulin ordinaire peut facilement opérer la mouture par économie avec peu de dépenses, en y faisant très-peu de changemens, sur-tout si l’on ne veut pas y ajouter les machines à nettoyer les blés ; parce qu’en effet on peut y suppléer en quelque sorte par les cribles Normands, par les cribles d’Allemagne inclinés, par les cribles cylindriques de fil-de fer à manivelle ; & enfin, par le tarare portatif.

Dans cette supposition, il ne s’agit, 1o. que de piquer les meules, non pas à coups perdus comme ci-devant, mais en rayons compassés du centre à la circonférence, comme ou le voit représenté, Planche XIX, part. 3.

2o. D’ajouter une huche divisée sur la hauteur en deux parties. Dans la partie supérieure, on placera un bluteau d’une seule étamine, pour tirer tout le produit de la farine de blé. Pour mouvoir ce premier bluteau, on placera, comme on l’a dit, un babillard ou treuil vertical sur le chevressier du dedans, à six pouces environ du tourillon du grand arbre. Ce treuil roulant par en-bas sur un pivot, & par en-haut dans un collet attaché au beffroi, est percé dans la partie supérieure de deux lumières, l’une par où passe la batte qui va joindre les dents de la croisée adaptée à l’arbre de fer au dessus de la lanterne ; l’autre trou, ou lumière sert à passer la baguette attachée au bluteau, de manière que chaque fois que la batte attrape la croisée, le babillard fait un demi-tour, & par conséquent la baguette attachée au bluteau fait le même mouvement dans un sens opposé à la batte. La planche XVIII rend cet arrangement sensible. & est le babillard ; 1 est la batte ; P est la baguette ; 3 est le bluteau ; Q est la croisée adaptée sur la lanterne, & tournant avec elle.

3o. Dans la partie inférieure de la huche, il faut mettre une bluterie cylindrique garnie de trois différentes étoffes : la première de soie, la deuxième de quintin, la troisième de cannevas. Ceux qui veulent distinguer les recoupettes & recoupes, du gruau bis, mettent le cannevas de trois grosseurs. Cette bluterie cylindrique est traversée par un axe, au bout duquel est une lanterne qui tourne par le moyen d’un hérisson adapté au grand arbre de la roue. Le bas de la planche XVII fait voir cette disposition : & est la huche, Z est le premier bluteau, 6 représente la bluterie, C la lanterne, & N le hérisson adapté à l’arbre D du moulin. Souvent, à la place du hérisson & d’une lanterne, on met à la tête de la bluterie une poulie de renvoi, qui tourne au moyen d’un pignon prenant dans le rouet. On peut aussi remplacer la bluterie cylindrique par un dodinage ou bluteau lâche, formé d’étamines de trois grosseurs, & agité par un second babillard posé en sens contraire du premier, &c.

Tel est le simple mécanisme à ajouter aux moulins ordinaires, pour y pratiquer la mouture par économie. Tous ces changemens sont peu coûteux, quand d’ailleurs le moulin est bien monté de ses pièces, telles qu’elles ont été décrites. Une huche avec une petite bluterie, ou dodinage, peut coûter à-peu-près cent livres. Chaque babillard peut être un objet de douze à quinze livres. Il est à propos d’avoir cinq à six bluteaux d’étamines de différentes grosseurs, qui reviennent depuis quinze à vingt quatre livres. On peut juger par-là qu’un moulin bien conditionné pour moudre à l’ordinaire, ne peut guères exiger au-delà de quatre à cinq cent liv. Au surplus, l’estimation de cette dépense concerne principalement les moulins des environs de Paris, qui sont déjà en bon état, quoique moulant brut. Mais lorsqu’il s’agit de faire ce changement en province, & d’y envoyer des ouvriers, cela coûte beaucoup plus, tant pour la main d’œuvre que pour le voyage & retour des ouvriers. D’ailleurs, les autres pièces de ces moulins sont souvent en très-mauvais état.

§. VII. Description d’un moulin économique, & détail de ses opérations.

Avant de faire l’explication de tous les procédés de la mouture économique, il faut donner une idée légère de l’ensemble d’un moulin disposé pour opérer suivant cette nouvelle méthode. Cet ensemble servira de récapitulation à tout ce qui a précédé sur le mécanisme de chaque partie en détail. On pourra recourir au grand Ouvrage de M. Beguillet pour avoir de plus grands éclaircissemens sur les moulins économiques, & en particulier sur celui de Senlis, dont je me contente de tracer l’élévation & la coupe sur la longueur & la largeur.

La planche XVI exprime la coupe du moulin sur la largeur. On y voit sa liaison de routes les diverses parties : on doit principalement observer comment, à laide des poulies S adaptées à un arbre de couche, ayant à son extrémité une lanterne qui n’engrène dans les dents du rouet, on fait mouvoir naturellement la bluterie à son gras 5 au premier étage ; & dans le second, le tarare 8, 9, au moyen de la poulie de renvoi 10, ainsi que le crible de fer-blanc 14, à l’aide de la poulie de renvoi 11.

L’ouvrier 22, en tirant une corde, fait engrener dans le rouet la lanterne Q, qui a pour axe le treuil R : aussitôt le câble 19, au crochet duquel est attaché un sac, file sur ce treuil, l’enlève au troisième étage du moulin, où l’ouvrier le reçoit & le verse dans le grenier à l’endroit 23, d’où il découle dans la trémie 12, de-là dans le tarare 8, 9, dans l’anche 13, dans le crible de fer-blanc 14, dans le crible de fil-de-fer d’Allemagne 3, dans la trémie 2, de-là entre les meules pour être moulu.

Si l’on veut suivre le chemin que fait le produit du blé moulu, il faut avoir recours à la planche XVII qui représente la coupe du moulin sur la longueur. On y voit dans une autre situation les objets qu’on vient de décrire. L’ouvrier 14 fait engrener la lanterne pour faire monter le sac ; 5, 6 expriment le tarare ou ventilateur ; 9, le bluteau de fer-blanc ; y, le crible de fil-de-fer ; x, la trémie ; n, la meule courante ; m, la meule gissante.

Le blé broyé entre les meules, est chassé par l’anche i, d’où il entre dans un bluteau fin Z où passe la fleur de farine &, qui tombe dans la huche : de-là, par un conduit c, le son gras va dans la bluterie b, dont la longueur est divisée en trois parties : celle qui est plus élevée est plus fine que la seconde, & celle-ci plus fine que la troisième : les trois tas de différens gruaux sont exprimés par d, d, d, & le son maigre sort par l’extrémité inférieure.

Cette bluterie b est mise en mouvement par la lanterne e, que l’on fait engrener à volonté dans les dents du hérisson N, adapté au grand arbre de la roue.

Quand au bluteau Z, il est mû par la baguette X, qui tient au babillard V, lequel est mis à son tour en mouvement par le moyen de la batte S, qui frappant sur les dents de la croisée adaptée sous la lanterne T, fait agiter le bluteau Z.

Toute cette disposition du moulin étant bien entendue, il sera aisé de concevoir ses différentes opérations. La première consiste à nettoyer & à cribler le blé, avant qu’il tombe dans la trémie des meules : la seconde, à le moudre de manière qu’il ne puisse ni s’échauffer, ni contracter aucune odeur ni autre mauvaise qualité, ni souffrir trop de déchet & d’évaporation : la troisième, à bluter en même temps que les meules travaillent, pour séparer les diverses qualités de farines & de gruaux : la quatrième, à faire remoudre les différens gruaux, pour en tirer de nouvelle farine.

La première opération, de nettoyer le blé, se fait, comme on l’a déjà dit, en transportant les sacs au troisième étage, pour y passer par les cribles. Deux ouvriers, l’un en bas, l’autre en haut, font tout ce service. Le premier, à l’aide, d’une brouette très-commode par sa simplicité & sa facilité, mène le sac jusqu’à l’endroit convenable, & l’attache au crochet du câble 19 ; aussi-tôt l’ouvrier 22, Planche XVI, qui est en haut, fait engrener, en tirant une corde, la lanterne Q du treuil R dans le rouet F, ce qui emporte sur le champ au troisième étage le sac de blé attaché au câble 19 : lorsqu’il y est arrivé, l’ouvrier 22 lâche la corde pour désengrener la lanterne Q, & détache le sac, qu’il vide sur un tas voisin, d’où, après avoir été criblé deux fois au crible normand ou à la main, il découle de lui-même à travers le plancher, par un conduit, dans la trémie 12 du tarare 8, où il est éventé par les aîles 9 du ventilateur, qui le purifient & le nettoyent en chassant la poussière, les pailles, la clocque, les grains légers rongés par les insectes, & en séparant, par ses grilles, la plupart des grains étrangers. Ensuite le grain va communiquer, par le conduit 13, dans le crible de fer-blanc piqué 14, où il est comme rapé & frotté, pour en ôter la poussière de charbon : le tarare & le crible sont mis en action par les poulies S. De-là le grain est reçu dans un crible d’Allemagne 3, Planche XVI, & y Planche XVII, au bas duquel est un émotteux dont les fils de fer plus distants laissent passer le grain & retiennent les pierres & les petites mottes de terre qui pourroient s’y trouver : enfin, le grain tombe pur & net dans la trémie des meules.

Cette première opération du nettoyage des grains, est, comme l’on voit, indépendante de la mouture économique, & ne regarde que la préparation du blé avant d’être moulu ; préparation qui peut se faire naturellement & à peu de frais, en disposant la partie supérieure d’un moulin à eau de la manière qu’on vient de décrire ; mais dans le cas où cet arrangement ne seroit pas possible, il faut apporter au moulin les blés bien nets & purgés de toute mauvaise graine ; sans cela, il ne faut espérer ni belle farine ni bon pain.

La seconde opération consiste dans le moulage du grain, sans échauffer la farine. Les meules entre lesquelles le blé est introduit, sont piquées en rayons réguliers, Pl. XIX, part. 3. fig. II. Comme les meules sont bien montées, elles vont toujours en allégeant. La piquure plus fine que celle des meules ordinaires, fabrique mieux la farine, sans couper le grain ni hacher les sons. À quelques pouces de l’annille, le blé commence à être concassé ; au milieu de l’entrepied, ce sont les gruaux, & la feuillure affleure la farine & écure les sons. Comme on doit remoudre les différents grains, l’on n’est point forcé de rapprocher ni de serrer les meules, ainsi que dans les méthodes ordinaires, où l’on veut tirer tout le produit par une seule mouture. Ici au contraire le premier moulage est fort gai, la farine qui en sort n’est point échauffée & conserve toute sa qualité.

Par la troisième opération, on tamise la satine & l’on sépare les gruaux en même temps que l’on moud, ce qui se fait d’après les principes donnés dans le chapitre précédent, pour accorder le blutage avec le moulage, afin que le bluteau ne débite ni plus ni moins que les meules. La farine entière, c’est-à-dire, mêlée avec les gruaux, les recoupes & les sons, tombe au sortir des meules par la hanche i, Pl. XVII, dans le premier bluteau Z, placé dans la partie supérieure de la huche : le bluteau reçoit son mouvement de la batte S, qui, en frappant sur les bras de la croisée, placée sur la lanterne T, fait agir le babillard V, & par conséquent la baguette X, attachée au bluteau Z. La farine qui passe par ce bluteau, tombe en & ; elle est d’une grande finesse & a toute sa perfection ; on la nomme farine de blé, parce qu’elle est produite dans la mouture sur blé, ce qui la distingue des farines de gruau : elle va à-peu-près à la moitié du produit.

Le reste du grain moulu qui est le son gras, sort par le bout inférieur du premier bluteau, & va par un conduit c, dans un second bluteau frappant, nommé dodinage, qui est plus gros & plus lâche que le précédent. Il est ordinairement composé de trois différentes grosseurs d’étamines & de cannevas qui divisent sa longueur en trois parties égales. On verra tous ces développemens du dodinage, dans les Planches du grand ouvrage de M. Beguillet, & dans l’explication dont elles sont accompagnées.

Dans le modèle du moulin de Senlis, il n’y a point de dodinage dans la partie inférieure de la huche ; à sa place est une bluterie à cylindre b, Pl. XVII, laquelle est préférable, en ce qu’elle fait un plus beau gruau qu’un dodinage ; elle est garnie par tiers, de soie ronde, d’un quintin & d’un cannevas : cette bluterie b, reçoit son mouvement de rotation du hérisson N, dont les dents s’engrènent dans les fuseaux de la petite lanterne e, qui termine l’axe de la bluterie à cylindre.

Des divisions du bluteau inférieur, soit dodinage, soit bluterie cylindrique, doivent nécessairement sortir trois sortes de gruaux, ou plutôt de matières de farine imparfaite ; d, d, d ; la première, est le gruau blanc qui se trouve à la tête du bluteau ; la deuxième, le gruau gris qui se prend dans le milieu, & la troisième, les recoupes à l’extrémité du bluteau : ceux qui multiplient les divisions de la bluterie cylindrique, distinguent encore avant les recoupes, les gruaux gris & les recoupettes ; mais une si grande précision n’est pas nécessaire.

La quatrième opération du moulin de Senlis, consiste à remoudre les différens gruaux pour en tirer de nouvelle farine. Après que les bluteaux ont séparé toutes les qualités, & que le meunier a mis à part la farine de bled, il rengrène le gruau blanc trois fois séparément des autres espèces, & toujours de la même façon, mais en ne faisant communément usage dans tout le reste des opérations que du premier bluteau Z, Planche XVII. On dit communément, parce que les meuniers qui visent à une grande qualité de blancheur, laissent encore passer à chaque opération les gruaux à travers la bluterie cylindrique ou le dodinage, pour en extraire les rougeurs ou les particules de son qui s’y trouvent, d’où il résulte que la deuxième & troisième farine de gruaux en est bien plus claire.

Le premier engrenage du gruau donne une farine supérieure en qualité à la farine de blé : on nomme cette farine de premier gruau, blanc-bourgeois, pour la distinguer de la farine de blé qu’on appelle le blanc. Le blanc n’est pas plus fin que le blanc-bourgeois, mais celui-ci a plus de corps & de saveur.

Le second engrenage du restant du premier gruau, produit une farine d’une qualité un peu inférieure à la précédente, & le troisième engrenage donne encore une farine au-dessous, mais sans mélange de son, parce que le gruau blanc n’en a point ; c’est en remêlant ces farines des trois rengrènages du premier gruau, qu’on forme le blanc-bourgeois, selon l’Auteur de l’art de la meûnerie ; mais selon les termes admis par les marchands de farine, le blanc-bourgeois est proprement le produit du premier engrenage de gruau blanc seul.

Le gruau gris se rengrène séparément & se moud légèrement pour en extraire, par un tour de bluterie, les rougeurs, de manière que la tête de cette bluterie peut rentrer avec le gruau blanc sous les meules. Enfin le reste du gruau gris, après avoir été repassé sous la meule, donne une farine bise, mais purgée de son par l’attention qu’on a de moudre les gruaux gris légèrement la première fois, & d’en extraire le son ou les rougeurs par la bluterie. Les farines de blé, de premier & second gruaux, mêlées ensemble, forment le pain blanc de quatre livres qu’on vend à Paris.

Il est à observer qu’il y a des meûniers qui, après avoir tiré la première satine du gruau blanc, mêlent le testant des gruaux blancs avec le gruau gris, & les font repasser ensemble deux fois sous les meules ; mais les meûniers intelligents repassent à part sous les meules, les gruaux gris, & à l’aide d’une bluterie, parviennent à en faire du blanc, ou du moins une partie.

Les recoupes se rengrènent de même séparément une seule fois, & produisent une farine bise égale à-peu près à la seconde qualité du gruau gris, & toujours sans mélange de son : comme il tombe à chaque opération du blutage, de gros gruaux qui ont échappé à la meule, le meunier les ramasse encore pour les remoudre, ce qu’on nomme remoulage de gruaux.

Le meûnier doit être attentif pendant ces différents moulages, à fixer l’assette de ses meules, à en diriger les mouvements avec égalité, à les faire approcher plus ou moins, afin d’enlever légèrement la pellicule suivant les différents genres de mouture, & afin d’empêcher dans tous les cas que la farine ne soit courte & échauffée, mais au contraire, de faire en sorte qu’elle soit fraîche, allongée, & produise un gros son doux : lors de la mouture des derniers gruaux, il n’en résulte qu’un petit son qu’on nomme fleurage.

Pendant le premier moulage sur blé, le meûnier a soin de tenir la meule courante un peu haute, c’est-à-dire de ne pas la serrer beaucoup, afin d’enlever la pellicule, de faire plus de gruaux, & de mettre moins de son avec la farine ; mais lors de la mouture des gruaux, il affecte au contraire de tenir les meules plus serrées, vu que les parties sont plus petites, dures, &c. Cependant les véritables bons moulages bien rhabillés, demandent souvent à alléger un quart d’heure après avoir pris fleur.

§. VIII. Différents résultats de la mouture économique des blés.

Premier Résultat. En suivant tous les procédés qu’on vient de décrire, un setier de bon blé pesant deux cents quarante livres, mesure de Paris, doit donner communément en totalité de farines, tant bises que blanches, 175 à 180 livres,

ci 180 l.
En sons, recoupes, & issues 55
En déchet 5

Poids égal à celui du blé. 240 l.

Si la bluterie inférieure sépare les issues du premier bluteau, en trois gruaux, recoupettes & recoupes, alors ces différents produits montent en détail, savoir :
En fleur ou farine de blé environ 100 l.
En belle farine de premier gruau 40
En farine de deuxième gruau. 10
En farine de troisième gruau. 10
En farine de remoulages de gruaux & recoupettes 10

180
Sons de différentes espèces 55
Déchet 5

Poids égal à celui du blé 240 l.

Par le mélange de toutes ces sortes de qualités, on fait ordinairement de quatre espèces de farines ; 1°. la farine de blé, ou le blanc, en mêlant les deux qualités que donne le bluteau supérieur ; 2°. la farine des trois engrenages du premier gruau, appellée blanc bourgeois ; 3°. la farine de second gruau, que l’on mêle très-souvent avec le blanc bourgeois, quand le meunier a eu assez d’adresse pour moudre légèrement le gros gruau & en séparer les rougeurs. ; 4°. la farine bise, qui résulte du mélange des farines des derniers gruaux, remoulages & recoupettes.

Les sons restants se trouvent aussi de trois espèces : les gros sons, les recoupes, les petits sons ou fleurages.

Il faut encore observer qu’il y a beaucoup de variations sur les déchets : ils sont moins forts dans les procès-verbaux d’expériences publiques, où tout est pesé aux onces avec le plus grand scrupule, & au sortir des meules, ce qui fait moins de déchet que si les farines reposées ne sont pesées que deux ou trois jours après la mouture, sur-tout si elles ont été transportées de cinq, dix, quinze à vingt lieues par la chaleur qui, avec les secousses des voitures, contribue pour beaucoup aux déchets : souvent l’erreur vient de l’inexactitude de la pesée, &c.

On devinera aisément que les produits de la mouture économique ne peuvent pas être toujours uniformes tant en farines qu’en sons ; les différentes façons de moudre & remoudre, l’habileté du meunier, la bonté des meules & du moulin, le jeu & la perfection de ses diverses pièces, les différentes sortes de grains, suivant qu’ils sont plus ou moins secs, plus ou moins pesants, plus nouveaux ou plus vieux, &c. apportent toujours des différences considérables dans les produits. On va, par cette raison, examiner encore les divers produits, eu égard aux qualités des blés, & en faisant en sorte de se borner, pour chaque qualité de blé, à un terme moyen de comparaison, souvent même en affectant de prendre le plus foible, pour qu’on n’accuse pas l’auteur de trop avantager la nouvelle méthode.

Second Résultat. Il y a en tout pays trois classes de blé : blé de la tête, ou de qualité supérieure ; blé du milieu, dit blé marchand, & blé de la dernière qualité, dit blé commun.

Première Classe.
Poids du setier année commune. 240 l.

Produit en farines des quatre sortes susdites 180
Produit en sons des trois sortes susdites 55
Déchet 5 à 6 l.

Poids égal à celui du blé 240

Produit en pain cuit 240


Deuxième Classe.
Poids du setier 230 l.

Produit en farines des quatre sortes 170
Produit en sons des trois sortes 55
Déchet 5 à 6 l.

Poids égal à celui du blé 230

Produit en pain cuit 230


Troisième Classe.
Poids du setier 220 l.

Produit en farines des quatre sortes 160
En sons 55
Déchet 6 à 7 l.

Poids égal à celui du setier 220  

Produit en pain cuit 220


On voit par ces résultats que, dans la différence des qualités de grains, celle des produits tombe sur la farine, & non pas sur les sons ; parce que meilleur est le blé, & moins il a de son. Je mets ici le produit en pain cuir au plus bas. Il est de fait qu’on retire d’un setier de blé, lorsque la farine est bien purgée de son, autant de livres de pain cuit qu’il y a de livres de blé.

Troisième Résultat. En opérant sur de moindres quantités, de blés également secs, mais de qualités différentes, un quintal, ou cent livres de blé de la tête peuvent produire environ quatre-vingt livres de farine, savoir[3] :

Farine à faire pain blanc 65 l.
Farine à faire pain bis-blanc & bis 15
Gros & petits sons 18
Déchet, environ 2

Total égal au poids du blé 100 l.

Un quintal de blé de la deuxième qualité peut produire 76 livres de farines, savoir :
Farine à faire pain blanc 60 l.
Propre à faire pain bis-blanc & bis 16
Sons 21
Déchet 2
Égal au poids 100 l.


Un quintal de blé de la dernière qualité peut produire soixante-dix livres de farine, dont cinquante à cinquante-cinq livres à faire pain bis-blanc, & le surplus en pain bis, en son & en déchet. Les troisièmes classes de blé ne sont propres en effet qu’à faire de bon bis-blanc, & il n’y a que les deux premières qui puissent fournir le blanc.

On voit avec plus d’évidence encore dans ce troisième résultat, où le poids des trois qualités est supposé le même, que la diminution qui se fait sur les farines, se rejette sur les sons & le déchet, qui augmentent en quantité, à proportion que celle des farines diminue relativement à la qualité des blés.

Il se trouve aussi une différence relative à la qualité des farines. Les meuniers de Pontoise prétendent que le blé de belle qualité doit rendre environ seize parties de farines blanches contre une dix-septième patrie de farine bise ou petite farine : que le blé de la seconde qualité rend neuf dixièmes de blanc contre un dixième de bis ; & celui de la dernière qualité, cinq sixièmes de blanc ou bis-blanc contre un sixième de bis. L’exactitude de ces proportions dépend aussi des années ; par exemple, les blés versés rendent moins en farines blanches, &c. &c.

Les proportions ci-dessus ne sont pas exactes, selon le sieur Buquet, qui prétend qu’un neuvième à un dixième, tant bis-blanc que bis, est une mouture bien faite, ou un douzième au plus. Mais il faut de grandes qualités de blé pour cela : si on tire plus, le pain blanc & le bis n’ont pas assez de saveur : le pain blanc n’est pas clair, &c.

Observez encore que, relativement à cette même qualité de blés, le pain fait de farine provenant du blé de la première classe, sera plus beau que celui de la seconde, & celui de la seconde, que celui de la troisième, suivant les proportions ci-devant remarquées.

§. IX. Mouture des pauvres, dite à la Lyonnoise.

Dans les résultats précédens, on a fixé le produit du septier de blé par la mouture économique, de cent soixante-quinze à cent quatre-vingt livres de farine bien purgée de son ; mais avec un peu d’adresse & d’habitude, & si les blés sont d’une qualité supérieure, on peut porter ce produit à cent quatre-vingt cinq liv. & plus. Le sieur Buquet imagina depuis la mouture des pauvres, dite à la Lyonnoise, comme un rafinement de la mouture économique, pour procurer encore, en faveur des maisons de charité, une plus grande épargne & un plus grand produit du grain, & pour tirer des issues de la mouture les parties de farine qui y restent encore attachées après la séparation des gruaux.

Suivant cette nouvelle méthode, on dispose les meules comme pour la mouture économique, de manière qu’elles travaillent légèrement sans trop approcher le blé : on a également soin de tenir le cœur & l’entre-pied des meules, plus ouverts de deux à trois pouces, afin que le son se concasse moins, devant repasser sous la meule. On retire d’abord la farine de blé ; mais au lieu de remoudre toute la masse des sons gras ensemble, on les fait passer par une bluterie cylindrique qu’on emploie au lieu du dodinage. On en retire les deux gruaux blancs, dits premier & second, qu’on fait remoudre deux fois, toujours sans trop approcher les meules, crainte de tacher la farine par les parties de son qu’une mouture trop forte y feroit infailliblement passer : la farine de ces gruaux se mêle avec la première farine de blé.

Ensuite on repasse sous la meule tout à la fois le gruau gris, la recoupette, les recoupes & les sons, en adaptant un bluteau d’un ou deux degrés plus gros que celui qui a servi à tirer la première farine, & on place au-dessous un dodinage pour en tirer encore un petit gruau que l’on peut faire entrer dans la masse totale de la farine, en le mêlant, soit tel qu’il a passé par le dodinage, soit en le repassant encore sous la meule.

La mouture dite des pauvres a cet avantage, que si l’on veut séparer la farine de blé d’avec celle des gruaux blancs ainsi remoulus, elle donnera beaucoup plus de pain, & il sera de meilleur goût ; mais si l’on mêle les derniers produits du gruau gris, recoupes & sons avec ces premières farines blanches, on aura un pain de ménage excellent, supérieur en substance & en vraie nourriture à tous les autres pains, & l’on en aura une plus grande quantité.

C’est-là le vrai pain qui convient au peuple, c’est le plus savoureux, le plus substantiel, celui qui conserve le plus long-temps sa fraîcheur, celui qui fait le plus de profit : c’est le pain de ménage fait de toutes farines, en n’ôtant que le gros son & les recoupes ; ce pain n’est pas parfaitement blanc ; il est plutôt jaune mêlé de gris ; c’est pourquoi les habitans des villes pourroient le confondre au premier coup-d’œil avec le pain bis-blanc ; mais la différence en est bien grande, puisque dans ce dernier, on a extrait la farine de blé ou le blanc, & la farine savoureuse du premier gruau pour faire le pain blanc, & que le pain bis, & le bis-blanc ne sont faits que de seconde, troisième & quatrième farines de gruaux & recoupettes, suivant le nombre de fois qu’on les fait remoudre. Souvent encore mêle-t-on du son & des recoupes dans le pain bis. Le pain de ménage, au contraire, est fait en mêlant ensemble toutes les farines, soit la farine de blé, soit les farines de gruau & le produit des remoulages.

On dira que le son d’une mouture économique ne vaut rien pour les animaux ; ce son, il est vrai, n’est pas si gros, ni si chargé de farine. Mais apprenons à tirer toute la farine de nos grains, nous serons les maîtres de laisser aux animaux la nourriture quand nous le voudrons, c’est-à-dire dans les années abondantes. D’ailleurs on voit les pauvres manger du sarrasin, même de l’avoine, de l’orge, du seigle ergotté, &c. Qu’on donne aux animaux tous ces grains, & qu’on fasse manger aux pauvres la farine de froment, en apprenant bien la mouture, & à tirer tout le produit du grain.

Jusqu’ici, ceux qui suivoient la mouture économique ne faisoient remoudre que les gruaux ; mais, malgré toutes les ressources de l’art, il restoit encore beaucoup de parties farineuses attachées aux recoupes & aux sons. Ces parties retranchées sur la substance du pauvre, pouvoient être épargnées en faisant remoudre les écorces dans lesquelles elles étoient retenues, pour les mêler avec toutes les autres farines. C’est là la véritable mouture des pauvres & des maisons de charité, puisque c’est celle qui donne le plus grand produit, la meilleure nourriture & le moins de déchet. Il est vrai que le pain est moins blanc ; mais est-ce la couleur qui fait le bon pain ?

La mouture des pauvres, dite à la Lyonnoise, au lieu de cent soixante-quinze à cent quatre-vingt livres de farine que peut rendre le setier de blé du poids de deux cent quarante livres par la mouture économique, en peut tirer jusqu’à cent quatre-vingt quinze de toute farine ; ce qui fait quinze livres de farine de plus sur le setier, & près de sept pour cent sur le produit en farine. Le même setier moulu à la Lyonnoise, rend environ deux cent soixante livres de pain, &c. C’est par cette économie que l’Hôpital-général de Paris a épargné près de cinq mille setiers par année, lorsque le sieur Buquet fut chargé des moutures de cet Hôpital. Les preuves de ce fait sont authentiques, puisqu’elles sont consignées dans les registres de cette maison, & dans le rapport imprimé de l’un des administrateurs, &c.

En effet, le setier de blé ne produisoit, lors de l’entrée du sieur Buquet à l’Hôpital, que de cent soixante-quinze à cent soixante-dix-huit livres de farine, & il l’a porté de cent quatre-vingt-dix à cent quatre-vingt-quatorze. L’Hôpital consomme six à sept muids par jour : c’est donc environ douze cent livres de farine, qui font au moins seize cent livres de pain par jour, dont le sieur Buquet a fait profiter l’Hôpital : c’est bien cinquante à soixante mille livres par an que ce meunier a fait gagner à cette maison ; ce qui a déjà été prouvé par M. l’abbé Baudeau, dans les éphémérides.

§. X. Manière de moudre par économie les seigles, méteils, &c.

Tout ce qu’on a dit jusqu’ici sur la manière de moudre par économie, ne concerne que les fromens. À l’égard des autres grains, les procédés, ainsi que les résultats, en sont un peu différens.

Comme il y a plus d’un cinquième du royaume qui ne vit que de seigle, on a cru devoir donner un article particulier à la mouture de cette espèce de blé qui, par sa forme mince & alongée, perd bien plus que le froment, par la mouture ordinaire. C’est néanmoins précisément sur les seigles qu’on devroit prévenir la perte énorme qui s’en fait par les mauvaises moutures, parce que le pauvre qui s’en nourrit n’est en état de supporter aucune perte.

La mouture rustique est celle qui occasionne le plus grand déchet dans l’emploi des seigles. On dira peut-être que l’on parvient à l’éviter, en mettant un gros bluteau qui tire toutes les farines, & même les sons. Mais alors la farine est composée, pour la majeure partie, de gruaux entiers & de recoupes qui ne prennent pas l’eau, qui ne lèvent point, qui empêchent le bouffement du pain & la bonne fabrication : indépendamment de ce qu’un pareil pain sera préjudiciable à la santé, c’est qu’en employant les gros & petits gruaux en nature, il y a un douzième ou un quinzième à perdre sur la quantité, dans la fabrication du pain.

Le dodinage dont on se sert pour la mouture économique, permet d’employer un bluteau d’un degré plus fin que le bluteau ordinaire parce que l’on peut remoudre les gruaux & les recoupes qui sont dilatés par l’effet de la meule : la farine plus alongée fait beaucoup plus blanc, prend plus d’eau, occasionne la bonne fabrication du pain, & le rend plus profitable au corps.

Il faut, pour la bonne mouture des seigles, tenir les rayons des meules plus près & plus petits que pour moudre les fromens, afin que le grain se hache davantage, parce qu’on en tirera plus de farine. On commence par moudre les seigles sans dodinage, puis l’on fait remoudre la totalité des sons & gruaux, & l’on ne fait aller le dodinage ou la bluterie que la seconde fois pour en tirer tous les gruaux & recoupes, afin de les remoudre séparément deux petites fois, & de les tirer à sec.

La vraie raison de la différence de ces procédés de la mouture économique des seigles à celles des blés, vient de ce que le son, ou la robe extérieure du froment, tient moins à la farine que celle du seigle ; un premier broiement suffit pour détacher l’enveloppe du froment ; au lieu que le son de seigle restant toujours chargé de farine, il est bon de le faire repasser sous la meule une seconde fois avec les recoupes ou gruaux. Cette observation est de la plus grande importance, en ce qu’elle opère un ménagement considérable sur la nourriture spéciale du pauvre. Dans tous les pays où la mouture économique n’est point adoptée, il seroit du moins intéressant, lorsqu’il s’agit de petites moutures, de faire remoudre toute la quantité des sons, une ou deux petites fois, & de bien alonger la farine. Le produit se trouveroit à-peu-près le même que celui de la mouture économique, quoique la farine n’en fût pas si purgée de son, à cause du dodinage qui tire chaque partie à blanc ; mais du moins l’on éviteroit sur cette denrée la perte de la mouture rustique. Quant à la mouture en grosse, comme on ne tire pas les sons au moulin, on ne peut pas les faire remoudre, & la perte qu’elle fait faire sur les seigles est inévitable.

Si la nature même des choses exige que les procédés de la mouture des seigles soient différens de ceux de la mouture des fromens, & que même le rabillage des meules & les rayons varient suivant l’espèce à moudre, il est évident que tous les mélanges de seigle & de froment, connus sous les noms de méteil, conceau, mescle, méléard, cossegail, &c. seront toujours désavantageux à toutes les moutures. Cela sera encore plus sensible, si l’on réfléchit qu’à chaque broiement des parties de froment, soit entières, soit en gruaux, l’adresse du meûnier consiste dans l’art d’enlever légèrement la pellicule extérieure, tandis que dans le seigle, le son étant plus adhérent par sa nature à la farine, il faut un broiement plus fort & plus serré pour l’en détacher.

Il seroit donc intéressant de faire toujours moudre le froment d’un côté, & le seigle à part, suivant les procédés détaillés ci-devant pour chaque espèce, afin de mieux tirer toute la farine. Sans cela, la différente configuration de ces deux espèces de grains fait que l’un est broyé & haché sous la meule, tandis que l’autre n’est qu’applati ou à peine concassé, ce qui produit une perte considérable dans la mouture, mais bien moins grande dans la mouture économique que dans les autres, parce que celle-là se tempère par le remoulage des gruaux. Au reste, ces observations sur les méteils ne concernent que ceux qui sont dans l’habitude de mêler le seigle & le froment avant de les envoyer au moulin ; car lorsque ces deux sortes de blés ont été semés & récoltés ensemble (ce qui est encore désavantageux, puisque le temps de leur maturité n’est pas le même), il est alors impossible de les moudre séparément : mais du moins dans ce cas, il n’y a que la mouture économique qui puisse diminuer le déchet & la perte que l’on fait sur les méteils.

La mouture économique des orges demande aussi des attentions particulières. Il faut bien se garder de remoudre la totalité des sons comme cela se fait pour les seigles, parce que la paille de l’orge passeroit alors dans le bluteau, & seroit préjudiciable à la conservation des farines, à la beauté du pain, & même à la salubrité. Il faut nécessairement mettre un dodinage ou une bluterie pour en tirer la paille : ensuite on fait remoudre deux fois les gruaux bis & blancs qui en sortiront, en ayant soin de les bien affleurer. Puis on remoud les recoupes une seule fois & fort légèrement, sans approcher les meules que très-peu, afin que repassant toute la masse au dodinage ou à la bluterie, on puisse encore en tirer les petits gruaux qui pourront s’y trouver.

La mouture des blocailles, sarrasins ou blés noirs, ainsi que celle des avoines, peut se faire également avec beaucoup d’avantage par la même méthode que celle des orges, au moyen d’un gros dodinage pour en extraire la paille, & en faisant remoudre deux fois les gruaux, &c.

La conséquence naturelle de ce §., est que la mouture économique est spécialement avantageuse dans l’emploi des seigles & menus grains, pour l’épargne de la subsistance des pauvres : on en va voir de nouvelles preuves que l’expérience rendra sans réplique.

Résultats de la mouture économique des seigles.
Le produit d’un setier de seigle moulu par économie, & supposé du poids de deux cent cinquante livres, donne en farine de seigle 107 l. 183 l.
En deuxième farine 42
En troisième farine 34

En sons 34 60
Et de remoulage 26
Fraiement ou déchet 6

Total égal à celui du setier 250 l.

Les expériences de comparaison des moutures faites par économie, avec toutes les autres moutures, & où on avoit poussé l’exactitude jusqu’à tenir compte des onces & même des gros, ont prouvé dans différentes provinces, que les anciennes sont très-défectueuses, & que la mouture économique mérite seule à tous égards de devenir la méthode universelle dans le royaume.

Section II.

Des moulins à graines.

Je prends & cite pour modèle celui des Hollandois, comme le plus parfait de tous ceux que l’on connoît, & le seul en état de bien extraire l’huile des graines ; mais je puis en même temps parler du moulin, sans donner le détail du pressoir qui l’accompagne. La même méchanique fait mouvoir l’un & l’autre, & ils sont pour ainsi dire inséparables. Les moulins à huile & à vent, si multipliés dans les environs de Lille en Flandres, en sont les diminutifs, quant à l’effet & quant à la perfection.

Le moulin que je vais décrire n’est point une machine nouvelle, enfantée par une imagination plus brillante que réglée ; une machine dont le succès soit douteux. Elle existe, au contraire, depuis nombre d’années ; d’abord grossière & mal entendue comme nos moulins, elle est parvenue, à force de tâtonnemens & d’expériences, à la plus haute perfection. Toutes les proportions en sont si bien & si exactement prises, la machine a tant de solidité, qu’on n’entend aucun craquement. Elle est si bien entendue, qu’on n’aperçoit aucun frottement dur ; en un mot, chaque pièce est dans son genre aussi bien travaillée, aussi bien proportionnée que le sont les rouages & les autres pièces de nos montres. Ceux qui ne connoissent pas les machines hollandoises, diront que ce témoignage tient de l’enthousiasme ; j’y consens, & j’ajouterai encore, que dans le silence du cabinet, je ne puis me lasser d’admirer la simplicité & la perfection du mécanisme de ce moulin ; cependant, la description en sera longue, parce qu’il est plus difficile de décrire toutes les parties pour les faire comprendre, que de se les représenter à l’imagination.

Les objets d’utilité réelle gagnent de proche en proche, & pour cela il faut du temps ou des circonstances heureuses. Le Brabançon, lié intimément par son commerce avec le Hollandois, a commencé à adopter son moulin à graines : celui de Gand mérite d’être examiné par les voyageurs ; & comme il est nouvellement construit, il a presque toutes les perfections de ceux de Hollande. Le genre de moulin que je décris, est prodigieusement multiplié en Hollande, & c’est aujourd’hui le seul qui y soit en usage ; il n’y varie que par un peu plus ou par un peu moins de perfections.

La Hollande & le Brabant sont à la porte de nos provinces septentrionales ; & froids sur nos véritables intérêts, nous regardons avec indifférence, ou plutôt, nous ne savons pas voir ce qui augmenteroit nos richesses. L’homme qui ne peut pas apprécier une machine, & dont les connoissances sont bornées, devroit faire le raisonnement suivant, qui est à la portée de l’homme le moins instruit, puisqu’il s’agit de ses intérêts. « Le Hollandois sait compter & calculer le produit & la dépense ; il a l’œil ouvert jour & nuit sur le plus léger intérêt, il tire le fin du fin. Or, s’il a généralement adopté ce moulin, quoique plus dispendieux que celui de ses voisins, ce moulin doit donc donner un plus grand bénéfice ? Mais, pour qu’il donne un plus grand bénéfice, il faut donc que le travail aille plus vite, que la main-d’œuvre soit diminuée ; que l’huile soit extraite des graines en plus grande quantité ; car il ne peut y avoir que ces objets qui assurent un bénéfice, & qui couvrent l’intérêt pour la mise des frais de construction ? Pourquoi ne retirerai-je pas comme lui ce bénéfice » ? Ce raisonnement est bien simple, & tout simple qu’il est, nous ne l’avons pas encore fait, nous dont le terrein produit abondamment les graines à huiles, avantages que n’ont pas les Hollandois ; nous qui avons la simplicité de leur vendre ces mêmes graines, tandis que nous rachetons d’eux l’huile qu’ils en fabriquent. Cet aveu est humiliant pour la Nation ; mais il n’en est pas moins vrai. Comme ces vues de commerce ne sont pas de ma compétence, je ne m’y arrêterai pas davantage, & je reviens à des observations préliminaires sur le moulin dont il est ici question.

En Hollande, dans le Brabant, en Flandres, en Artois, &c. ces moulins ont le vent pour moteur. Si le local le permettoit, il seroit bien plus avantageux que l’eau le fît agir, parce que le vent est trop inconstant, souvent trop actif, ou nul, & rarement modéré au point qu’on le désire : mais il faut bien se servir du vent quand on ne peut pas faire autrement. Malgré cette nécessité absolue pour quelques endroits, j’ai représenté le moulin que je vais décrire, pour être placé sur un courant d’eau, moteur plus uniforme & toujours constant ; parce que les moulins à vent ne peuvent avoir lieu dans la majeure partie des provinces de France. Si on trouve des positions où l’on puisse employer les moulins à vent & à eau, c’est aux propriétaires à bien examiner lequel des deux partis leur sera le plus avantageux. Tout le monde connoît le mécanisme du moulin à vent ordinaire, il suffit de faire l’application de son mouvement pour le moulin dont je parle. La différence de celui à vent avec celui à eau est peu considérable pour le mouvement à donner. Dans celui à vent, le mouvement est communiqué par les ailes ou vannes par le haut, & dans celui à eau, par une roue à aubes ou à palettes, &c., qui agit dans le bas.

La division du mouvement d’un moulin à huile à la manière des Hollandois, & qui est mu par le vent, s’accorde, à peu de chose près, avec celui que je vais décrire. Voici en abrégé la règle du mouvement de ce moulin à vent.

La première roue dentée, mue par l’arbre qui porte les ailes ou volans, a 54 dents. l’espace de 5 pouces & demi.
La lanterne mue par celle-ci a 35 dents.
Le même arbre perpendiculaire a une autre lanterne de 26 dents. l’espace de 5 pouces & demi.
Sur l’arbre horizontal, qui fait mouvoir les pilons 61 dents.
Sur le même arbre perpendiculaire, une lanterne de treize fuseaux, mue par la lanterne de 35 dents 13 dents. l’espace de 5 pouces 3 quarts
Cette lanterne de 13 dents fait mouvoir une roue de 76 dents, laquelle fait mouvoir les meules 76 dents.

Ceux qui veulent avoir une idée claire & rapprochée des moulins actuels de Flandres, & qui ne peuvent pas les juger sur les lieux, n’ont qu’à consulter le mémoire que j’ai publié, intitulé : Vues économiques sur les moulins & pressoirs à huile d’olives, connus en France & en Italie. Ce mémoire a été inséré dans le journal de physique, d’histoire naturelle & des arts, dans le cahier de décembre 1776.

Plan, description, coupes & proportions de toutes les parties du moulin à huile, construit à la manière des Hollandois, & combiné pour être mis en action par un courant d’eau. (Planche XX, première division.)

Figure Première. A… n°. 1. La roue à aubes, mue par un courant d’eau. Pour sa grandeur, voyez l’échelle de proportion, ainsi que pour toutes les autres parties de cette planche. C’est à la masse ou à la chûte d’eau que l’on a, à décider le diamètre de cette roue. Elle est la cheville ouvrière de tout l’édifice & le moteur général. Moins la chute sera haute, moins on aura d’eau, plus les aubes doivent avoir de largeur, & le diamètre de la roue diminuer en proportion. On voit à Apeldorn un moulin, dont la chute est si courte, que la roue a à peine six pieds de diamètre ; mais en revanche, les aubes ont six pieds de longueur, & deux pieds & demi de largeur ; de sorte que cette chûte ayant plus de surface, équivaut à une chute d’une plus grande hauteur. Au contraire, si la chûte vient d’un endroit fort élevé, & si on a la facilité d’agrandir le diamètre de la roue, la chûte aura plus de force. Tout dépend donc du local & de savoir combiner la masse d’eau & le poids qu’elle acquiert par sa chûte avec le diamètre de la roue, afin d’avoir une force suffisante pour mettre en jeu toutes les pièces nécessaires.

2. Le dormant sur la maçonnerie, avec le pivot de l’arbre tournant.

3. La chûte d’eau supposée & vue par derrière.

Figure Seconde. B… n°. 1. La roue dentée, mue par la roue à aubes, composée de 52 dents, le pas de 5 pouces un quart.

2. La lanterne ou rouet, mise en mouvement par la roue dentée, n°. 1, cette lanterne est composées de 78 dents, dont le pas est de 5 pouces & un quart.

3. L’arbre tournant, destiné à élever les pilons. Cet arbre est garni de grandes dents ou élèves, sur sa circonférence, & les pilons tombent deux fois sur une révolution de la roue, mue par le courant d’eau.

4. La charpente avec la pierre, ou grenouille de cuivre, placée & assujettie sur le dormant, pour supporter l’arbre tournant ; le tout marqué par des points, pour éviter toute confusion à l’œil. Le profil en est représenté, figure 5, seconde division.

5. Maçonnerie portant le dormant de l’arbre de la roue à aubes, supportant l’équipage du haut.

6. Pivot qui entre dans un heurtoir ou plaque d’acier, pour contenir l’arbre à sa place.

Figure Troisième. C, élévation du moulin à huile ; équipage des pilons, les creux, les pilons pour presser ou tordre l’huile, & less pilons du défermoir.

1. Les six pilons. Leurs proportions sont données dans la planche XXI, seconde division.

2. Les pièces appliquées entre les pilons & les pièces de traverse, marquées 3. Ces premières pièces désignées par le chiffre 2, forment des coulisses qui maintiennent les pilons dans leur à-plomb & dans leur place.

3. Deux pièces de traverse. (On ne voit qu’une de ces pièces dans cette élévation). Elles sont assujetties par des boulons de fer dans les montans, n°. 12… Ces pièces de traverse sont caractérisées, n°. 13, dans la planche XXI, première division.

4. Les queues des mentonnets des pilons, qui répondent aux bras des élèves de l’arbre.

5. Une pièce de traverse, seulement par-devant pour adapter les élèves & pour arrêter les pilons, marqués n°. 14, dans la planche XXI, première division.

6. Une solive à une distance des pilons, sur laquelle sont attachées les poulies qui supportent la corde pour lever & arrêter les pilons, indiqués, n°. 16, planche XXI, première division.

7. Les poulies avec les cordes, marquées n°. 14, planche XXI, première division.

8. Le pilon pour frapper sur le coin qui presse ou tord l’huile.

9. Le pilon pour frapper sur le défermoir qui fait lâcher le coin.

10. Deux pièces de traverse (on n’en peut voir qu’une dans le dessin) avec les pièces entre-deux, qui forment des coulisses en bas, marquées n°. 19, planche XXI, première division.

11. Rouet destiné à mouvoir la spatule dans la payelle ou bassine, pour remuer & retourner la pâte sur le feu, il est composé de 28 dents, dont le pas est de 3 pouces & demi, marqué, n°. 6, figure 1, planche XXI, première division.

12. Quatre montans attachés au bloc & supérieurement aux poutres & solives du bâtiment, & qui contiennent & affermissent ensemble tout l’équipage.

13. Les six creux pour les six pilons.

14. Le bas des six pilons, garnis d’une chaussure de fer.

15. Une planche par-derrière, de champ, & inclinée en renversant, pour empêcher le grain de sauter, de tomber par terre & de se perdre : on le garantit par-devant de la même manière ; mais on n’a pu représenter ici cette seconde planche.

16. Creux pour presser ou tordre la farine de la graine après qu’elle est sortie pour la première fois de dessous les meules. Figure 3, n°. 9.

17. Creux à l’autre extrémité du bloc, pour tordre la farine après qu’elle a passé pour la seconde fois sous les pilons.

18. Équipage pour supporter l’arbre des pilons.

19. Rouet à l’extrémité de l’arbre des pilons, pour mouvoir les meules, composé de 28 à 30 dents, dont le pas est de 5 pouces & un quart.

20. Pivot heurtant contre un heurtoir, affermi dans le montant de l’équipage, & simplement marqué par des points.

21. Bassins à recevoir l’huile.

22. Pièces de support, assises sur le terrein sous le bloc.

Figure Quatrième. D, mécanisme & élévation des meules.

1. Arbre perpendiculaire, qui traverse la roue dentée & le châssis des meules qui tournent sur champ.

2. Roue horizontale, mise en mouvement par le rouet, n°. 19, de la figure troisième. Cette roue est composée de 76 dents, dont le pas est de cinq pouces un quart.

3. Châssis des meules tournantes, plus facile à connoître dans la figure 6, n°. 4 de la planche XX, seconde division.

4. Pierre ou meule tournante, que je nomme intérieure, parce qu’elle est plus rapprochée de l’arbre, n°. 1.

5°. Pierre ou meule extérieure, parce qu’elle est plus éloignée de l’arbre.

6. Le ramoneur intérieur, qui conduit le grain sous la meule extérieure.

7. Le ramoneur extérieur, qui conduit le grain sous la meule intérieure ; en sorte que le grain est sans cesse labouré & écrasé en-dessus, en-dessous & dans toutes les faces qu’il présente successivement[4]. Ce ramoneur extérieur est encore garni d’un chiffon de toile qui frotte contre la bordure ou contour, n°. 10, afin d’entraîner le peu de graines qui resteroient dans l’angle de ce contour.

8. Les extrémités de l’essieu de fer qui traverse l’arbre perpendiculaire, de sorte que les meules tournent sur ce centre. Elles ont donc deux mouvemens ; 1°. le mouvement de rotation sur elles-mêmes ; 2°. celui qu’elles subissent en décrivant un cercle sur la table, ou maçonnerie sur laquelle elles roulent. Les trous des meules, & même ceux des oreilles du chassis, ne doivent point être si justes, que l’essieu n’ait pas un jeu très libre ; car on sent très-bien que si la meule rencontroit sur la table une trop grande masse de graines à écraser par son seul poids, elle ne pourroit vaincre cet obstacle qui feroit forcer l’essieu, & le casseroit peut-être. Il convient donc qu’elle puisse un peu hausser ou baisser, suivant le besoin ; alors son mouvement sera toujours régulier, uniforme, & n’ira pas par sauts & par bonds.

9. Les oreilles qui conduisent les deux extrémités de l’essieu. Elles sont attachées avec des tenons qui traversent la pièce de bois du chasssis en + +.

10. Contour & rebord en bois de la table, ou pierre gissante ou meule posée à plat. Quelques moulins n’ont point de rebord, & c’est un mal, parce qu’il s’échappe beaucoup de graines.

11. La table, ou pierre gissante, ou meule posée à plat. Ces noms varient suivant les lieux.

12. Maçonnerie solide sur laquelle est posée la meule gissante. Cette meule doit être parfaitement assujettie & placée dans le niveau le plus exact, sans quoi la mouture seroit plus longue, & on risqueroit de faire rompre l’essieu, & d’user les meules plus sur un point que sur un autre.

PLANCHE XX, SECONDE DIVISION.

Figure première. L’arbre tournant avec les cames, ou mentonnets à élever les pilons.

1. Deux endroits arrondis, garnis de lames de fer enchâssées exactement au niveau du bois, pour tourner sur une pierre dure, ou sur une grenouille de cuivre fondu, de métal, &c., parce que le jeu des pilons & le tremblement, ne pourroient être supportés par des pivots enchâssés aux extrémités, comme dans la manière ordinaire.

2. Deux pivots heurtoirs aux extrémités, pour heurter en tournant contre une plaque d’acier qui empêche que l’arbre ne vacille.

3. Les rouets pour mouvoir la spatule, marquée dans le plan d’élévation, n°. 11, figure 3, planche XX, première division.

4. Les mentonnets pour la presse, ou tordoir du rebattage.

5. Les mentonnets pour le tordoir du premier battage.

6. Les mentonnets pour élever les six pilons.

Figure Seconde. Explication pour compasser le devis des mentonnets sur l’arbre tournant, pour le mouvement des six pilons, des fermoirs du premier tordage & du second tordage, ou rabattage : le tout à la façon de Hollande, qui diffère de celle de Flandres.

La figure seconde représente l’arbre déployé dans toute sa circonférence, de sorte que l’on voit l’arbre tout entier. 1°. On partage l’arbre sur la longueur & par quartiers ; 2°. on marque les quatre lignes mitoyennes, qu’on appelle les quatre pôles mitoyens, comme on les voit dans cette figure, marqués par des points & numérotés 1. 2. 3. 4. Les quatre lignes sont indiquées par des + + + +.

On commence ensuite par une ligne mitoyenne, & on partage la longueur de l’arbre sur la circonférence, en 21 portions égales ; la circonférence est ensuite partagée en 7 portions ; savoir, 6 pour les pilons, & une pour le fermoir & défermoir du rabattage, ou second tordage. Elles sont indiquées dans cette figure par les nombres 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Le fermoir & défermoir du premier tordage, ne se comptent pas dans la mesure de la marche.

On place ensuite trois mentonnets pour chaque pilon, & trois pour le fermoir & défermoir du second tordage. Le fermoir & défermoir du premier tordage ont une cheville & demie, c’est-à-dire, une pour le fermoir, & une demie pour le défermoir seulement ; en sorte que le défermoir frappe deux fois, & le fermoir une fois dans une révolution de l’arbre, comme on le voit par le n°. 5.

Figure Troisième. L’arbre divisé en 21 portions égales ; les quatre lignes mitoyennes plus en grand, afin de mieux faire sentir les divisions. On prévient que dans cette figure, on n’a pas observé l’échelle de proportion.

Figure Quatrième. Manière dont l’arbre est divisé en 21 portions égales, avec les quatre lignes mitoyennes marquées par des points qui forment la croix. On n’a observé ici aucune proportion de l’échelle, parce qu’elle étoit inutile.

Pour placer les chevilles, on observe de les mettre vis-à-vis les mentonnets des pilons où elles doivent agir, & dans chaque point où la ligne de distance coupe la division de 21. La cheville & demie du premier tordage, du côté où elle est double, se place sur la ligne mitoyenne qui tombe entre les numéros 10 & 11, comme on le voit dans la fig. 3, au point marqué + de la Pl. XX, seconde division, traversant l’arbre par le centre. On a la cheville, dont la moitié sert à l’autre côté, comme on le voit dans la figure première de la même planche, à l’endroit marqué n°. 5. Ensuite, on commence, à gauche, à disposer les chevilles pour les pilons. Si on compte à gauche, ce premier pilon porte sur les chevilles. 1. 8. 15. ; le second, sur les chevilles 4. 11. 18. le troisième, sur les chevilles 7. 14. 21… On voit dans le troisième, les deux demi-chevilles ne faire qu’un dans la circonférence… Le quatrième porte sur les numéros 3. 10. 17… ; le cinquième, sur les numéros 6. 13. 20… ; le sixième, sur les numéros 2. 9. 16… La septième cheville, destinée pour le fermoir & le défermoir du second tordage, se place sur les numéros 5. 12. 19.

Les pilons, pour tordre ou presser l’huile, s’élèvent à 20 pouces de hauteur, & ceux qui tombent dans les creux, s’élèvent à la hauteur de 7 pouces. Les creux ont douze pouces & demi de profondeur.

Figure Cinquième. Numéro 1. L’arbre à chevilles ou de profil.

2. L’arbre mu par la roue à aubes, & mise en mouvement par le courant d’eau.

3. La roue dentée, mue par la roue à aubes, & caractérisée par des points.

4. La roue de l’arbre aux pilons, marquée par des points.

5. La maçonnerie.

6. Le dormant.

7. Le montant & le dormant pour supporter l’arbre des pilons, marqué par des points, n°. 4, planche XX, fig. 2, première division.

Figure Sixième, représentant la meule sur la table ou sur la pierre gissante.

Numéro 1. La maçonnerie sur laquelle porte la meule.

2. Meule tournant sur champ.

3. La meule emboîtée, pour empêcher que le grain ne tombe à terre, entraîné par le mouvement de rotation. Je préférerois, en cette partie, la méthode de Gemer de Dordrecht, à celle de Sardam. Voyez figure 9. AA, sont deux tringles de fer, de 6 à 8 lignes d’épaisseur, attachées des deux côtés sur l’essieu B de la meule. La partie inférieure C de cette tringle, touche presque à la meule, & dans le petit intervalle qui reste entre deux, on adapte un morceau de cuir D, qui frotte continuellement sur la meule, & fait tomber la graine sur la table.

4. La partie du châssis, du côté du plat de la meule.

5. L’arbre droit qui donne le mouvement.

6. L’oreille enchâssée par le haut dans le châssis, avec deux pièces en arc-boutant, fixant & portant dans sa base l’axe qui traverse la meule. Cet axe est porté & implanté dans l’arbre principal, n°. 5, dont je viens de parler.

Figure Septième. Les mêmes parties que celles décrites dans la figure sixième, mais vues par-dessus ou à vol d’oiseau.

1. Les meules tournantes.

2. La pierre gissante.

3. Le châssis.

4. Les bras qui enveloppent l’arbre perpendiculaire.

5. L’essieu qui traverse la pierre.

6. Le ramoneur extérieur.

7. Le ramoneur intérieur.

Figure Huitième, représentant la table nue (aux deux ramoneurs près), ou la pierre gissante avec le couloir.

1. Le couloir à l’entour de la pierre gissante.

2. Bordure en bois, de 6 pouces de hauteur, sur un pouce d’épaisseur, élevée à l’entour du couloir. Beaucoup de moulins n’ont pas cette bordure, & c’est un mal.

3. Vanne ou trappe, qu’on ouvre & ferme à volonté, pour faire tomber la farine, c’est-à-dire la graine moulue.

4. Portion du cercle que décrit la meule extérieure en tournant.

5. Portion du cercle décrit par la meule intérieure en tournant. On voit par ces deux portions de cercle, que les deux meules ne roulent pas sur la même place, & on juge par-là de la nécessité des deux ramoneurs pour diriger les grains sous les meules.

6. Le ramoneur extérieur.

7. Le ramoneur intérieur.

8. Ramoneur pour faire tomber la farine par la trappe, n° 3. On voit dans cette figure 8 deux traits près du n°. 7, & une + depuis ces deux traits jusqu’au n°. 8. Or, cette partie reste soulevée pendant tout le temps que la meule broyé les graines. Lorsqu’elles sont suffisamment broyées, moulues, on laisse tomber l’extrémité de ce ramoneur intérieur sur la table, lorsqu’on veut faire couler la farine par la trappe, pour remettre de nouvelles graines. La partie de ce ramoneur intérieur, la plus rapprochée du centre, reste toujours étendue, & touchant la table par tous ses points.

PLANCHE XXI, PREMIÈRE DIVISION.
Équipage vu de profil.

Figure Première. Numéro 1. L’arbre tournant pour élever les pilons.

2. Trois chevilles à élever les pilons.

3. Roue pour la spatule, désignée planche XX, n°. 11, première division, & n°. 3, seconde division, composée de 28 dents.

4. Autre roue qui engraine dans la première, composée de 20 dents. Les dents de cette roue & de la précédente sont espacées de trois pouces & demi.

5. L’essieu tournant.

6. Autre roue à l’extrémité de l’essieu, composée de 13 dents… Pas, de trois pouces.

7. La roue au haut de la verge de la spatule, composée de 12 dents… Pas de trois pouces.

8. Deux pièces, que traverse la verge de fer de la spatule, de façon à pouvoir tourner librement dans les ouvertures, & hausser & baisser à volonté.

9. Pièce mobile, par laquelle passe la verge & où elle tourne librement. La verge dans cet endroit est garnie d’un bouton ou rebord qui appuie dessus la pièce mobile, & par lequel elle est élevée ou abaissée à volonté.

10. Pièce mobile pour lever la spatule & la verge, pour les engrainer & dégrainer. La pièce 9 est fixée en a, & mobile en b dans une coulisse.

11. Un pilon.

12. Un mentonet attaché au pilon.

13. Les deux pièces de traverse, marquées n°. 3 dans la planche XX figure 3, première division.

14. La pièce de traverse, à laquelle est attaché le bras pour élever, arrêter & tenir le pilon suspendu, marqué n°. 5 dans le plan d’élévation.

15. Bras pour arrêter les pilons par le moyen de la corde.

16. Solive à une distance des pilons pour attacher la poulie, par laquelle passe la corde, marquée dans le plan d’élévation, n°. 6.

17. Poulie sur laquelle passe la corde, marquée dans le plan d’élévation, n°. 7.

18. La corde pendante du côté de l’ouvrier.

19. Deux pièces de traverse, marquées, n°. 10, dans le plan d’élévation.

20. Bloc des creux des pilons, marqués, n°. 21 dans le plan d’élévation.

21. Bassin à recevoir l’huile, marqué dans le plan d’élévation, n°. 22.

22. Fourneau à échauffer la farine.

23. Bassin ouvert par-dessous, dans lequel on place le sac destiné à recevoir la farine, dont on doit extraire l’huile après qu’elle a été échauffée.

24. Spatule qu’on laisse tomber dans la payelle, ou bassine pour retourner la farine pendant qu’elle est sur le feu.

Figure Seconde. Plate-forme de l’ouvrage sur le terrein.

1. Fourneau à échauffer la farine, marqués n°. 22, dans la figure précédente.

2. Le bassin divisé en deux portions, sous lesquelles on suspend les deux sacs pour verser la farine derrière la payelle ; de sorte qu’elle tombe en deux portions égales, marquées n°. 13 dans la figure précédente.

3. Payelle ou bassine sur le feu avec la spatule dans le fond.

4. Boîte, sur laquelle est posé un couteau pour rogner les rives ou bords des tourteaux, lorsqu’ils sortent du sac après la presse, & dans laquelle tombent les débris des tourteaux.

5. Le tordoir ou presse pour le second tordage.

6. Le tordoir du premier tordage parce qu’il est plus près des meules.

7. Les six creux pour les pilons.

8. Planche sur champ & inclinée pour empêcher la graine de tomber.

9. La meule gissante.

10. Le centre de la meule gissante, plus élevée.

11. Planche garnie d’une bordure pour élargir le contour de la meule gissante, & pour empêcher la farine de tomber à terre. Elle est indiquée n°. 10, figure 4, planche XX, première division.

PLANCHE XXI, SECONDE DIVISION.
Le bloc avec les creux des pilons & les tordoirs coupés.

Figure Première. Numéro 1. Les six pilons.

2. Les six creux avec une plaque de fer dans le fond, marquée par une +.

3. Le fermoir qui frappe sur le coin du premier battage ou tordage.

4. Le fermoir qui frappe sur le coin du second tordage.

5. Le défermoir du premier tordage, qui frappe sur le coin à défermer.

6. Le défermoir du second tordage, qui frappe sur le coin à défermer.

7. Coin à défermer.

8. Coin à fermer.

9. Coussins de bois entre le fer & le coin + + +, deux plaques de bois de deux pouces d’épaisseur, qui se placent entre le coin à fermer & le coussin & le défermoir.

10. Serrails, entre lesquels on place le sac de crin qui contient la graine. Dans la figure suivante, je détaillerai mieux ce qu’on entend par serrail. L’usage varie pour les sacs : ici, ils sont de crin ; là, c’est une pièce d’étoffe de laine. Tous deux sont bons, dès qu’ils n’éclatent pas par la force de pression.

11. Fontaine par où coule l’huile.

12. Bassin pour recevoir l’huile.

13. Plaque de fer, qui se place à plat sous les coins, les coussins & les glissoirs.

14. Pièces de bois sur lesquelles est posé & assujetti le bloc.

15. Le bloc en deux pièces jointes ensemble dans le milieu, garnies de bandes de fer. Il doit en être également garni aux deux extrémités.

16. La corde pour laisser descendre le coin ou défermoir à la hauteur convenable, afin qu’il puisse défermer.

Figure Seconde. Serrails entre lesquels on place les sacs garnis de farine pour en extraire l’huile.

1. Deux fers nommés chasseurs de plat.

i. Les mêmes vus sur champ ou par côté, de la manière dont on les voit n°. 10 > figure 1 ; Planche XXI, seconde division.

3. Plaques de fer, qui se placent sur la longueur.

4. La fontaine, marquée n°. 11, dans la figure première. Les serrails se placent de la même façon que dans cette figure ; il s’agit seulement de réunir les deux bouts qui répondent à la fontaine, & en redressant les quatre extrémités, marquées par une +, on s’en forme une idée très juste.

5. Les sacs dans lesquels on met la farine pour tordre. Il faut observer que les coutures de ces sacs viennent sur le plat & non sur les bords extérieurs ; la pression pourroit les faire éclater.

6. Le crin, entre les plis duquel on renferme le sac.

Détails de l’opération pour enfermer le sac dans le crin. Le sac étant rempli, on place sa base en a & l’autre bout en b ; on plie ensuite le bout c jusqu’en b, & on replie ensuite l’extrémité d jusqu’en a ; l’ouverture c sert pour l’empoigner, l’emporter le placer dans le tordoir & l’en retirer.

7. Un pilon garni de sa virole, ou chaussure de fer.

8. Clous qui s’enfoncent dans le bout du pois du pilon, lequel est entouré de sa virole ou chaussure.

9. Pièces qui servent pour élever les pilons & les arrêter.

10. Pilon pour le tordoir.

11. Mortoises, dans lesquelles se placent les mentonnets qui répondent au bras des leviers sur l’arbre tournant pour élever les pilons.

Figure Troisième. Ce qui constitue la presse ou tordoir.

1. Les coussins, pièces de bois, marquées n°. 9, dans la figure première.

2. Le coin à défermer, n°. 7, figure 1.

3. Le coin à fermer ou tordre, n°. 8, figure 1.

4 & 5. Les deux glissoirs de bois, entre lesquels on place le coin à fermer, marqué figure 1, par des + + + +.

D’après les détails dans lesquels je viens d’entrer pour expliquer le mouvement & l’action de toutes les pièces qui composent cette ingénieuse machine, que l’on compare actuellement le moulin Hollandois avec ceux des provinces de Flandres, d’Artois & de Picardie. Le plus simple coup d’œil & le plus léger examen démontreront jusqu’à l’évidence, lequel des deux l’emporte en perfection, en diminution de main-d’œuvre & en produit. Le Flamand se contente, en premier lieu, de faire écraser la graine par des pilons ; le Hollandois la fait broyer par des meules qui ont 7, 8 & même 9 pieds de hauteur, sur 18 à 20 pouces d’épaisseur. Cette opération lui donne une graine beaucoup mieux écrasé en tout sens, & par conséquent, elle fournit au tordage beaucoup plus d’huile vierge c’est-à-dite, tirée sans feu… Comme les meules écrasent beaucoup plus de graines à la fois que les pilons, & que la même quantité de graines, mises sous les pilons ou sous les meules, est beaucoup plus promptement écrasée par celle-ci, le travail est donc considérablement diminué, & dans le même espace de temps, il l’est au moins du double par les meules… Quel avantage immense ne retireroit-on pas d’un semblable moulin placé sur une rivière ; puisqu’en Flandres, comme en Hollande, les moulins ne peuvent aller un bon tiers de l’année, je pourrois même dire la moitié… Le moulin Flamand n’a qu’un tordoir : il faut donc qu’on se contente, ou de tordre seulement de la graine pour avoir l’huile vierge, ou de la graine qui passe par la payelle pour y être échauffée. Le moulin Hollandois fait ces deux opérations à la fois… Le Flamand ne dispose que des trois pilons pour écraser ou la graine fraîche, ou la farine qui a déjà été tordue ; le Hollandois en fait manœuvrer six, dont trois pour la farine fraîche & trois pour la farine qui a subi le premier tordage ; il a donc encore en cela un double avantage… Comme la graine a été mieux écrasée par la meule, elle devient donc susceptible d’être mieux écrasée de nouveau par les pilons au second battage. Or, cette pâte du second battage donne plus d’huile au retordage. En effet, les tourteaux sortis du retordage hollandois sont parfaitement secs, tandis que ceux des moulins de Flandres, d’Artois & de Picardie sont encore gras au toucher & onctueux, lorsqu’ils sortent du retordage… Le Hollandois a donc retiré plus d’huile d’une masse de graine donnée… il l’a retirée plus promptement ; il a donc, sur le Flamand, l’Artésien & le Picard, le bénéfice du temps, & le bénéfice de la plus grande quantité d’huile… Le Flamand & le Hollandois ont le même moteur pour leurs moulins, le vent ; il est aussi actif dans l’un que dans l’autre pays. La seule différence est donc dans le produit ? Quelle leçon !

Si on compare actuellement à combien la graine revient aux Hollandois, on concluera que, sans la promptitude & l’excellence de leurs moulins, ils ne pourroient pas soutenir la concurrence dans cette branche de commerce, avec le Brabançon & le François. En effet, le Hollandois vient acheter nos graines, particulièrement celles de lin, jusques dans les provinces méridionales de France, sans parler de celles qu’il achète à Bordeaux, à la Rochelle, à Nantes, à Dunkerque, &c.[5]. Il a donc à supporter le prix de l’achat, & par conséquent, le bénéfice de celui qui vend la graine, les frais de chargement, de déchargement, de fret, &c. & ceux de la main d’œuvre beaucoup plus hauts chez lui qu’en France. Malgré cela, il donne les huiles de graine au même prix qu’en France, & même quelquefois à un prix inférieur.

À ces considérations, il convient d’en ajouter encore une autre ; c’est la dépense considérable qu’il fait nécessairement pour la construction de ses moulins. Le Hollandois ne regarde jamais à la mise première, lorsqu’elle doit assurer la solidité & la durée. Par-tout, il est obligé de fortement piloter pour bâtir, & le pays ne fournit pas un seul arbre capable de se conserver sous terre & dans l’eau. Il est donc forcé de recourir à l’étranger pour les bois de pilotage. Il l’est également pour tous les bois de construction, de charpente, & même pour le bois destiné à faire des planches. S’il bâtit, c’est en briques, & la brique est fort chère en Hollande ; enfin, l’on voit à Amsterdam, près la porte d’Utrecht, un moulin piloté, bâti en brique & fort élevé, pour gagner le vent, qui a coûté plus de 80000 liv. de notre monnoie. On sent bien que tous les moulins à huile de la Hollande ne coûtent pas à beaucoup près autant que celui-ci. Je ne cite cet exemple que pour prouver quel doit donc être le produit pour couvrir les intérêts de la mise de construction, la différence du prix auquel les graines reviennent, & la hausse de la main d’œuvre. Cependant, le Hollandois soutient la concurrence avec nous, si elle n’est pas déjà à son avantage.

Tout concourt donc à prouver les avantages que les Flamands, les Artésiens et les Picards auroient en adoptant ce moulin. Il serviroit avec le même succès dans l’intérieur de ce royaume, pour la mouture des noix, objet d’une prodigieuse consommation. Combien n’y a-t-il pas de provinces dans le royaume où la seule huile de noix est en usage !

Des Provinces septentrionales, passons à celles du midi, et faisons l’application de ce moulin pour les huiles d’olives de Languedoc, de Provence et de Corse. Les meules qu’on y emploie sont, en général, trop petites, pas assez massives, & l’ettritage d’une motte d’olives, dure trois heures. Des meules de 7 à 9 pieds de diamètre, & de 16 à 18 pouces d’épaisseur, feroient l’ettritage en moins d’une demi-heure, 1°. à cause de leur poids ; 2°. à cause de la vitesse avec laquelle elles tournent ; 3°. parce qu’il y auroit deux meules si on adoptoit la machine que je propose ; 4°. enfin, que l’on compare l’action du vent ou de l’eau avec celle du cheval qui tourne la meule, & qui est obligé de décrire un très-grand cercle. Chaque meule, mue par ces deux agens, auroit fait trois tours dans le temps que celle que fait aller un cheval, n’en auroit fait qu’un ; c’est donc six contre un de différence.

Ceux qui veulent avoir de l’huile excellente pour la qualité, verront les premiers, qu’en diminuant le temps de l’opérarion de l’ettritage, les olives seront moins long-temps à fermenter, & les habitans d’Aix savent, par expérience, que l’amoncellement des olives trop long-temps mises à fermenter, nuit singulièrement à la qualité de l’huile. Il ne s’agit aujourd’hui que de la manière d’extraire l’huile en plus grande quantité & plus promptement ; suivons la marche de l’opération.

1°. L’olive, parfaitement ettritée, sera mise dans des cabats ou dans des sacs de laine ou de crin, (plus grands que ceux dont on se sert actuellement en Hollande, quoique ceux-ci soient plus que du double plus grands que ceux de Flandres), attendu que l’olive, réduite en pâte, est bien moins sèche que la farine de la graine, & qu’elle cède plus facilement à l’action de la presse. Je ne crains pas de soutenir que cette manière de tordre, l’emporte sur toutes celles qu’on employe dans les pays méridionaux. L’action du coin, ici, est directe, & les coussins agissent directement sur toutes les parties du sac, tandis que l’action du manteau des presses ordinaires, se porte & se partage sur plusieurs doubles des cabats. L’on met d’ailleurs toujours trop de cabats les uns sur les autres, ce qui diminue & amortit beaucoup l’action de la presse. Il faut cinq, & même six hommes, pour servir les presses ordinaires ; ici, un seul suffit pour le premier tordage & pour le service des meules ; & un second, pour le second tordage & le rabattage. La machine fait tout le reste.

2°. Les tourteaux sortis du premier tordage, seront mis dans les pots voisins, pour que la pâte soit écrasée de nouveau par les pilons, & remise ensuite dans le premier battage. On retirera, par cette opération, une huile plus épaisse & moins fine que la première, mais elle sera encore retirée sans le secours de l’eau chaude, qui nuit toujours à la qualité de l’huile ; cette seconde huile formera une seconde qualité.

3°. Le tourteau sorti pour la seconde fois du premier tordage, sera repris par une seconde personne pour être remis sous les seconds pilons, ou pilons de rabattage ; ensuite, les parties de ce tourteau ainsi brisées, seront misés dans la payelle ou bassine, avec un peu d’eau. L’action du feu du petit fourneau qui est en dessous, ramollira le parenchyme du fruit, détachera l’huile des débris des noyaux, & cette pâte ainsi échauffée, sera portée dans les sacs du rebattage, & tellement disposée à subir l’action de la presse, qu’il n’y restera plus un atome d’huile. Si on veut juger de la quantité d’huile qui reste dans les tourteaux sortis des presses ordinaires, que l’on considère que les moulins de recense de la seule ville de Grasse, retirent par an plus de 2000 rhubs d’huile (le rhub pèse 20 liv.) des seuls marcs que l’on jettoit autrefois[6].

Cette manière de presser l’olive dispenseroit donc, 1°. d’avoir recours aux moulins de recense ; 2°. on diminueroit au moins de moitié, peut-être même des trois quarts, la dépense en bois pour chauffer l’eau que l’on vide dans les cabats après la première presse. Cet objet mérite certainement d’être pris en considération dans le Languedoc & dans la Provence, où le bois est très-cher. Je sais que l’on se sert communément du marc, après qu’on l’a retiré de la presse, pour chauffer l’eau ; mais ce marc, consumé inutilement, serviroit à chauffer ses propriétaires, ou du moins les gens de leur ferme. 3°. Deux hommes seuls dirigeront six opérations à la fois 1°. celle des deux meules ; 2°. celle du premier tordage ; 3°. le battage pour le second tordage ; 4°. le battage pour le troisième tordage ; 5°. l’échaudement de la pâte ; 6°. le battage du retordage. Enfin, ces six opérations seront faites en deux tiers moins de temps que l’ettritage & le pressurage tels qu’on les fait actuellement. Cela paroît difficile à comprendre, mais je m’en rapporte à la décision de ceux qui auront vu, comme moi, les opérations de Languedoc & de Provence, & qui, sans prévention, les auront comparées avec celles de Flandres, & sur-tout, avec celles de Hollande. Si ces vérités étoient moins frappantes, il me seroit facile de les démontrer jusqu’à l’évidence ; mais ce n’est point pour celui qui ne sait pas voir, que j’écris.

On se récriera, sans doute, sur la difficulté de se procurer des meules de sept à neuf pieds de diamètre, sur quinze à dix-huit pouces d’épaisseur, & sur la dépense de cette emplette. Je demande : en reconnoît-on l’avantage ? on ne doit donc pas regarder à la dépense. Si le Hollandois s’en sert pour des graines, à plus forte raison le Languedocien & le Provençal doivent-ils les employer pour un fruit dont le noyau l’emporte par sa dureté, à tous égards, sur celle des graines. Si le moulin de recense, établi près de Bastia en Corse, avoit une meule dont la hauteur fût en proportion de son épaisseur, on ne diroit pas que les noyaux des olives de Corse sont trop durs pour être écrasés, parce que la meule agiroit avec plus d’action sur une moins grande surface, car il est évident que la trop grande surface diminue considérablement l’action de la meule en partageant trop son poids. Il faut donc du poids aux meules, & plus il sera considérable, plus elles seront parfaites. Revenons aux moyens de se procurer des meules, & examinons quelle doit être leur qualité.

Plus le grain d’une meule est serré & compacte, plus la meule pèse, & moins elle s’use promptement. Aussi, un Hollandois qui auroit à faire construire un moulin, par exemple, dans la partie voisine du Pont de Saint-Esprit, & qui n’auroit pas une espèce de marbre comme celui des meules qu’il tire des environs de Namur, ne balanceroit pas à faire tailler les laves dures qui sont à cent toises du Rhône, vis-à-vis Montélimard. Celui qui craindra cette dépense, trouvera entre Viviers & le village de Theil, au bord du Rhône, dans la carrière nommée le Détroit, une pierre calcaire, dure, qui offre de très-grands bancs, & qui est susceptible du poli ; il trouvera encore à Chaumeyrac en Vivarais, & qui n’est pas éloignée du Rhône, une bonne carrière de marbre gris, & d’une grande dureté ; enfin, une autre carrière près du Poussin. On voit donc que ces carrières suffiroient bien au-delà pour la fourniture des moulins à huile, depuis Rochemore, Aramont, jusqu’à Nismes, & le transport n’en seroit pas bien coûteux. Les moulins, depuis Nismes jusqu’à Beziers & au-delà, seront approvisionnés par les meules du Poussan, entre Agde & Montpellier ; par celles de Saint-Julien, près de Carcassonne, qui seront transportées par le canal. On donne la préférence pour le blé à celles de Saint-Julien, & je préférerois à toutes deux, pour ettriter les olives, les meules qu’on feroit avec les laves d’Agde ; le transport en seroit facile & peu coûteux. Les pierres noires de Nebian, près de Pezenas, sont déjà employées pour l’ettritage ; elles sont bonnes, très-dures, il ne s’agit plus que de leur donner un plus grand volume. Ne pourroit-on pas encore, dans les couches de marbre gris, veiné de blanc, qu’on voit près de la ville de Cette, & au bord de la mer, tailler commodément des meules ? ceci mérite d’être examiné. Combien d’autres endroits n’y a-t-il pas à citer dans cette partie basse du Languedoc ? mais c’est à chaque particulier à étudier la nature des carrières qui sont dans son voisinage, afin d’éviter la dépense. Il suffit de bien voir, & surtout de vouloir efficacement.

La Provence n’est pas moins abondamment pourvue de carrières. Les environs de Draguignan fournissent aujourd’hui des meules taillées dans la grandeur de cinq pieds, sur huit à dix pouces de largeur. Ces bancs de pierres calcaires sont susceptibles de fournir des meules dans les proportions que je demande… On en trouveroit du même grain & de même nature à Cassis… La pierre calcaire de la petite montagne du fort de la Malque, qui couvre Toulon, offre les mêmes ressources… Dans les environs de cette ville, on a découvert un marbre (bardille bleu) aussi dur que le marbre ou pierre de Namur, dont les Hollandois se servent si avantageusement pour leurs moulins. Les blocs de ce marbre sont d’un volume prodigieux, & les meules qu’on en tailleroit seroient transportées sans peine par terre & par mer. Le marbre de Sainte-Baume seroit trop dispendieux pour le transport… Le territoire de Roquevaire fournit des meules dont on se sert à Marseille ; mais les meilleures, sans contredit, sont celles que l’on tire des vaux d’Ollioules à Cagolin & à Evenos ; ces vaux sont remplis de laves & de pierres volcaniques. La chaîne de montagnes de Toulon en fourniroit de semblables. On regarde en Provence les meules tirées des laves, comme les meilleures & les plus propres à écraser l’olive, & j’y en ai vu plusieurs de cette nature. Les bonnes meules d’Ollioules, de cinq pieds & demi de hauteur sur quatorze pouces d’épaisseur, ne coûtent, transportées jusqu’à Saint-Nazaire, que de cent cinquante à deux cent livres, & en leur donnant la proportion que je demande, elles seroient excellentes pour le nouveau moulin. J’ai vu de semblables laves dans les montagnes de l’Esterelle, que l’on traverse pour aller de Toulon à Antibes ; mais la difficulté du transport en rendroit le prix trop excessif… La chaîne de montagnes contre laquelle la ville de Grasse est adossée, fournit des marbres à grains durs & excellens, dont on tireroit de bonnes meules, & même dans des grandeurs plus considérables que celle de dix pieds.

Plus la pierre sera dure, plus son grain sera serré, & mieux elle vaudra pour ettriter l’olive. Celle que l’on nomme ordinairement pierre meulière, (lapis molitoris) quoique excellente pour moudre le blé, n’a pas le même avantage pour l’olive ; elle s’use trop facilement, & elle est trop persillée. La pâte de l’olive se niche dans cette espèce de carie ; ces petites cavités correspondent presque toutes les unes avec les autres ; elles font, pour ainsi dire, l’office de siphon, & une quantité d’huile est absorbée par cette pierre. Ce n’est encore qu’un demi mal, puisqu’une fois farcie de pâte & d’huile, elle ne sauroit en recevoir davantage ; mais cette pâte & cette huile moisissent, fermentent, se rancissent, & acquièrent enfin la causticité des huiles essentielles. On sent combien, dans cet état, elles communiquent facilement leur mauvais goût & leur mauvaise odeur à la pâte fraîche qu’elles broyent. Le besoin exigeroit donc de démonter tous les mois ces meules pour les laver & les nettoyer à fond ; ce qui seroit encore presque impossible.

J’avois publié ce mémoire en 1777, & tout ce que j’ai vu en fait de moulins à graines & à fruit, depuis cette époque, ne sert qu’à confirmer mon opinion sur l’excellence du moulin Hollandois ; j’en avois fait faire un modèle en Hollande, je l’ai envoyé à M. de Marange, à Cadillac sur Garonne, près de Bordeaux, où il va le faire exécuter, & je ne doute pas que son exemple ne soit bientôt suivi dans les provinces voisines où l’on fait calculer. Si j’avois eu de l’eau à ma disposition, il y a long-temps qu’il seroit sur pied dans l’endroit que j’habite.

Section III.

Des moulins à fruit.

Ils servent communément aux noix, noisettes, faînes, pommes, poires, olives, &c.

L’emplacement d’un moulin à graines huileuses n’est pas indifférent ; car l’on sait que lorsque le froid s’y fait sentir, ces graines lâchent plus difficilement l’huile qu’elles contiennent ; par conséquent il y a une perte réelle pour le propriétaire ; & cette perte augmente en raison de l’intensité du froid. Malgré cette observation, connue dans tous les pays, on voit cependant presque par-tout ces moulins mal recouverts, les fenêtres n’en sont pas fermées par des châssis, & souvent leur toîture est percée par de grandes lucarnes destinées à l’issue de la fumée des fourneaux. Les propriétaires de pareils moulins, & sur-tout ceux qui retiennent comme salaire, une partie des marcs de ces graines, ajoutent encore le plus d’ouvertures qu’ils peuvent, afin d’augmenter le bénéfice qu’ils retirent par une nouvelle mouture des marcs, soit en les faisant bouillir dans des chaudières, soit en les passant au moulin de recense (Voyez la gravure & la description de ce moulin, à l’article Huile.)

Le moulin n’est autre chose qu’une masse de maçonnerie A (figure 1, planche XXII). Suivant les pays elle varie beaucoup sur la hauteur, qui est communément de vingt-quatre à trente pouces. Je crois que la meilleure est celle qui, combinée avec la hauteur de la meule B, rendroit presque de niveau la barre C au poitrail du cheval, comme on la voit représentée dans la figure 2 ; parce que, dans cette position, l’animal a plus de force & fatigue moins. Il est bien démontré que le cheval ne tire que par son poids, ou par sa pesanteur, & l’effort de ses muscles ne sert qu’à porter successivement son centre de gravité en avant, ou à reproduire continuellement le renouvellement de cette action de sa pesanteur. Si les cordes ou leviers attachés à la barre C sont trop basses, le cheval, en tournant, a beaucoup plus de peine, & supporte en partie le poids de la meule : cette pesanteur est cependant nécessaire pour écraser les graines, étritter les olives, &c. Si, au contraire, elles sont trop hautes, le cheval est soulevé par-devant, & ses pieds ne trouvent pas contre terre un bon appui pour pousser son corps en avant. Il y a donc un point qu’on doit saisir, & auquel on ne pense guères, puisque les mêmes traits, sans les alonger ou les raccourcir, servent à des chevaux qui varient beaucoup pour la taille. Exiger ces précautions de l’ouvrier, ce seroit trop lui demander ; il n’y regarde pas de si près.

La maçonnerie A, figure 1, dont le diamètre est de six à huit pieds, est recouverte de dales polies, qui inclinent de E en F. Dans certains endroits on supplée les dales par des planches de chêne fortement assujetties, & leur inclinaison est de six à dix pouces, La meilleure est celle qui offre le moins de résistance à l’homme qui, avec la pèle, repousse en G le marc que la meule en tournant fait refluer sur le plan incliné. La partie G est celle sur laquelle la meule en tournant, presse, brise, triture les graines, les fruits charnus & leurs noyaux. On doit préférer les dales aux plateaux en bois. L’humidité, la chaleur, la sécheresse fait travailler ceux-ci, ils se déjettent, se désunissent & s’usent ; enfin, l’huile les pénétre, rancit dans les pores du bois, & communique sa rancidité aux fruits qu’on y moud. Consultez le mot Huile.

Le seule inspection de la gravure explique le mécanisme bien simple de ce moulin. Le cheval attaché au levier C, fait tourner la meule B : la meule en suit le mouvement ; mais elle a encore son mouvement particulier sur son axe, autrement il n’y auroit qu’une de ses parties qui flotteroit contre la meule gissante ; ce qui la rendroit défectueuse en peu de temps… Le levier C est fortement assujetti en H dans l’arbre K, mobile & perpendiculaire, & dont la partie supérieure tourne dans une poutre du plancher L, qui le tient d’à-plomb, & lui permet de tourner sur lui-même avec la meule.

Ce moulin est le plus simple de tous ; mais il exige qu’une personne repousse sans cesse la pâte de E en F, & la suppression d’une journée d’homme, qui se renouvelle sans cesse, n’est pas une petite économie.

La figure 2 démontre qu’on peut se passer de cet ouvrier. La table A est en maçonnerie comme dans la figure première ; mais au lieu d’être inclinée comme celle de E en F, elle forme au contraire une auge circulaire. L’extérieur est construit en pierres taillées exprès, qui portent un peu sur la meule gissante ; & le noyau intérieur qui supporte l’arbre est de la même hauteur que les pierres de la circonférence ; de sorte qu’entre elles & lui, l’espace forme l’auge. Si les circonstances le permettent, on peut construire & tailler le tout dans une seule pierre, ou bien on se sert de plusieurs. La cavité qui se trouve de C en D forme l’auge de six à dix pouces de profondeur, dans laquelle la meule E roule & tourne sur elle-même comme dans la figure première. Comme les parois du noyau & des pierres de la circonférence sont taillées d’à-plomb, la pâte retombe au fond de l’auge, à mesure que la meule s’avance & s’éloigne ; mais comme cela n’arrive pas toujours, & comme la pâte a besoin d’être soulevée, d’être ramenée au milieu de l’auge pour que la meule la reprenne, on ajoute un rabot ou valet qui suit la meule, & fait le travail de l’homme dont on a parlé. À cet effet on attache en FF, du côté de la meule qui traverse le levier G, une corde ou une chaîne, ou une petite barre de fer appellée tringle : cette corde, chaîne, &c. derrière & un peu au delà de la meule. Là les deux bouts de la corde s’attachent à la base des oreilles HH de l’instrument de fer I appellé rabot ou valet, représenté séparément, fig. 3 ; de sorte que la meule en tournant le traîne après elle.

Ce rabot est courbé en demi-cercle dans le même sens que l’auge. Il touche en tournant par toutes les parties, & presse celles de la pierre. Les deux montants HH sont repliés en manière d’oreilles, dont la largeur augmente en raison de leur élévation, afin de faire tomber dans le milieu de l’auge le marc qui étoit adhérent à ses parois. La partie inférieure K du rabot est applatie, mince & elle sert à soulever la pâte sur laquelle la meule vient de passer ; de sorte que lorsque la meule revient, la pâte est retournée, & présente de nouvelles faces.

Si dans les environs du local on avoit un courant d’eau à sa disposition, il vaudroit mieux en construire un à aubes, qui iroit par la chute de l’eau (Voyez fig. 5.) ; & en y ajoutant un valet ou rabot, on économiseroit la journée d’un homme, & de deux chevaux ou mules, parce que les animaux ont besoin de se reposer après avoir travaillé pendant deux à trois heures de suite. Je ne propose le plan de ce moulin que pour en donner l’idée, parce que les accessoires doivent varier suivant le local, la quantité d’eau & sa chûte. Si la chûte ou la quantité sont considérables, la même roue à aubes, & le même arbre CC peuvent en faire aller plusieurs. Ce moulin ne diffère des précédens que par la position des roues. L’eau est supposée venir par le canal A, mettre en mouvement la roue à aubes B, fortement assujettie & traversée par l’arbre C. La roue D, perpendiculaire & parallèle à la roue à aubes, tourne avec l’arbre C. Mais comme elle est garnie de dents, elles s’engrainent dans celles de la roue horizontale D, supportée par le pied F, & contre lequel la meule G est assujettie par une traverse.

Les moulins à cidre, de Normandie, de Bretagne, &c. diffèrent des précédens, quoique dans le fond, l’idée soit la même. C’est toujours une meule qui tourne dans une auge ; mais elle doit être grosse, moins haute, moins massive, parce que les fruits à pépins, cèdent plus facilement à la pression, que les graines de lin, de colzat, &c., & sur-tout que les noyaux d’olives.

AA. Auge circulaire de la pile figures 6 & 7 ; B rabot ou valet ; CC cases ou séparation pour recevoir les différentes espèces de pommes ; D la meule ; E axe de la meule ; F palonnier auquel les traits de l’animal sont attachés ; G guide du cheval. Sans cette guide, formée d’un bois léger, l’animal ne sauroit tourner autour du moulin, & il s’en écarteroit. On couvre ses yeux avec une toile à plusieurs doubles, ou avec ce qu’on appelle des lunettes en cuir, qui s’enchâssent sur ses yeux sans les blesser. Sans cette précaution, le cheval seroit étourdi en tournant les yeux ouverts.

Il seroit trop long de décrire toutes les espèces de moulins ; en général, ils rentrent tous du plus au moins dans ceux dont on vient de parler ; & ceux-ci sont les plus simples & les plus communs.


  1. Voyez figure 2, 3, 4 de la même gravure que l’on vient de citer.
  2. Ceux qui ont assez d’emplacement, feront bien de laisser fermenter le son gras avant de le passer à la bluterie, le gruau se sépare mieux, le son reste plus sec, &c. On verra dans l’explication des Planches, les moyens de placer avantageusement cette bluterie séparément, sans qu’elle gêne en aucune manière les autres opérations du moulin.
  3. Malgré le produit admis dans ces résultats, on doit toujours s’en tenir au produit commun de cent soixante & quinze à cent quatre-vingt livres, de toute farine, par setier de deux cents quarante livres dans la mouture économique ordinaire.
  4. Le nombre de ces ramoneurs varie ; il y a des moulins où l’on n’en met qu’un ; il est plus avantageux d’en mettre deux : l’intérieur ramène la graine en talus. (Voyez fig. 3, Planche XXI, première division.) La meule l’aplatit, & le second ramoneur la relève, ainsi qu’il est marqué figure 4 ; de sorte que le grain est représenté en tout sens sous la meule, & le reste de la pierre gissante, n°. 11, ou table, est par eux balayé, de manière qu’il n’y reste pas la moindre graine.
  5. Dans les Pays-Bas Autrichiens, il est défendu, sous quelque prétexte que ce soit, de sortir des graines à huile, pour que toute l’huile soit fabriquée dans le pays. La seule Châtellenie de Lille fait, année commune, de trente-six à quarante mille tonnes d’huile (la tonne contient 200 livres, poids de marc) de graines quelconques, dont au moins, les trois quarts de celle de colsat, environ un huitième de celle de lin, environ un huitième de celle d’œillet. Ceux qui ont vu la quantité de lin cultivé dans cette Châtellenie, conviendront que les Lillois vendent aux Hollandois ou aux Brabançons, au moins la moitié de leurs graines de lin. Avec de meilleurs moulins, ils seroient dans le cas d’acheter des graines, & non pas d’en vendre.
  6. Voyez la description du moulin de recense à l’article Huile.