Cours d’agriculture (Rozier)/ORTOLAN

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ORTOLAN, (Emberiza ortolanus Lin.) oiseau du genre du bruant, dans l’ordre des passereaux. (Voyez le commencement de l’article Étourneau.)

Caractères génériques : Le bec gros et conique, ayant la pièce inférieure à bords rentrans et plus large que la supérieure, au dedans de laquelle est un tubercule osseux.

Cet oiseau, un peu moins gros que le moineau franc, n’a rien de brillant dans sa parure ; les teintes douces et variées de son plumage plaisent à l’œil sans l’éblouir. Sur le corps, c’est un mélange de marron et de noirâtre ; le dessous est de couleur rousse parsemée de quelques mouchetures ; il y a du jaune à la gorge, autour des yeux et sous les ailes ; du cendré olivâtre sur la tête et le cou ; du brun et du roux sur les ailes, dont les grandes plumes, ainsi que celles de la queue, sont noirâtres. Le cendré domine sur la robe de la femelle, et ses yeux ne sont point entourés de jaune. Belon observe judicieusement que l’ortolan, qu’il appelle verdier de haie, est quasi comme bâtard, par ses couleurs, entre un verdier et un pinson. (Nat. des Oiseaux.) Cette comparaison, fort juste et facile à saisir, servira, ainsi que la description succincte que je viens de donner de l’ortolan, à distinguer cet oiseau de quelques autres espèces avec lesquelles on le confond assez communément. L’ortolan, si renommé pour la délicatesse de sa chair, qu’il en est devenu un terme de comparaison et un synonyme de la délicatesse des mets, arrive, comme oiseau de passage, à peu près avec les hirondelles et les cailles ; il précède même de quelques jours ces dernières ; il repart vers la fin de septembre et dans octobre, pour chercher des climats plus chauds, qui sont la patrie natale de cette espèce.

À leur arrivée, les ortolans sont maigres, et ne valent pas le coup de fusil ; il convient mieux alors de les prendre vivans pour les engraisser, ce qui n’est nullement difficile. En août et septembre, ils sont devenus naturellement très délicats, et si chargés de graisse, sur-tout quand ils ont tombé dans des champs d’avoine, qu’ils en deviennent pesans au point de ne pouvoir plus fuir et de se laisser tuer à coups de baguettes. Les jeunes s’éloignent dès le mois d’août ; les vieux restent quelquefois jusqu’aux premiers froids. L’abondance de la nourriture détermine leur passage ainsi que leur séjour. L’avoine, comme je viens de le dire, ainsi que l’orge, leur conviennent infiniment. Ils fréquentent aussi les vignes ; mais on croit que c’est pour manger les insectes qui se rassemblent sur les pampres, et qu’ils n’attaquent point le raisin. Nos provinces méridionales font leur profit de ce joli gibier ; ce n’est que rarement qu’ils remontent vers le nord, au delà du milieu de la France.

Les ortolans pris vivans, et nourris pour être engraissés, deviennent un objet de commerce non à dédaigner dans un État où règne le luxe. Ces oiseaux s’engraissent, comme je l’ai dit, facilement et promptement. Pour cela, il suffit de les tenir enfermés, quinze jours environ, dans une chambre entièrement close au jour extérieur, et éclairée par une lampe qu’on y entretient, pour ne donner aux oiseaux que la clarté nécessaire à les guider pour satisfaire leurs besoins. Les murs de cette chambre sont peints en gris ; aux quatre coins sont autant de perches traversées de bâtons pour leur servir de perchoirs ; le long des murs on en place aussi quelques unes plus petites, garnies de même de traverses étagées, c’est-à-dire, dont les supérieures sont plus courtes que les inférieures. Cette chambre s’appelle une mue. Il faut la mettre à l’abri des rats, souris et autres animaux ou insectes quelconques ; on y tient les prisonniers proprement pour leur boire et pour leur manger, que d’ailleurs on leur prodigue. La base de leur nourriture est l’avoine, le millet et le pain. On doit leur refuser le chènevis qui communique à tous les oiseaux qui le mangent une saveur huileuse. Il en est qui rendent cette mue plus rigoureuse, en enfermant les oiseaux dans des cages basses et obscures, le long desquelles règnent des augets éclairés, où ils peuvent prendre leur nourriture. Lorsqu’on les laisse libres, il ne faut pas prendre, dans la mue ceux qu’on veut tuer ; cela effaroucheroit les autres et pourroit même les faire périr de mélancolie ; mais on ouvre une communication qui donne, de la mue, dans une chambre éclairée. Les oiseaux se portent du côté du jour, passent la porte, et, lorsqu’il en est entré le nombre qu’on désire, on laisse retomber la trappe qui sert de communication. Il est encore à propos de n’en pas mettre en mue une trop grande quantité à la fois ; au bout de très-peu de jours, qu’ils seroient parvenus à l’état d’embonpoint qui leur convient, ils mourroient de trop de graisse, ce qui cependant n’empêche pas de les manger de suite. Un ortolan engraissé pèse jusqu’à quatre onces ; maigre, il en pèse à peine une. L’excellence de ce manger consiste à conserver cette graisse savoureuse ; et, pour cela, il faut les faire cuire au bain-marie, ou au bain de sable ou de cendre, et même dans des coques d’œufs, comme autrefois, à Rome, on cuisoit les bec figues dans des œufs de paon.

L’ortolan, tué et plumé, s’emballe dans des mallettes remplies de millet, et s’envoie très-loin par la poste. À Rome, on les couvre de farine, et on les range dans des boîtes pour les faire voyager.

Chasse aux ortolans. Les Provençaux les chassent au fusil, comme les becfigues, au moyen de l’arbret. (Voyez Becfigue.) Ils nourrissent des ortolans toute l’année, pour servir d’appelans ; au défaut de ceux-ci, les bruants, avec lesquels les ortolans ont de l’analogie, les verdiers, les becfigues, les linottes, les pinsons, peuvent servir d’appelans ; avec le même moyen, on les attire autour de gluaux, ou sous des filets, ou des trébuchets. Dans ce dernier cas, on élève au bout d’un grand bâton ou perche, une petite cage où est enfermé un ortolan ; au pied de la perche, on tend une quantité de trébuchets ; on sème du grain sous les pièges, et on y ramasse bon nombre de prisonniers. On tend aussi, avec beaucoup de succès, pour les ortolans, les nappes décrites dans l’article Alouette ; mais le filet doit être plus léger et la maille plus petite. Autour des nappes, on élève, sur des piquets ou petites fourches hautes d’un pied à un pied et demi, des cages renfermant des appelans, et recouvertes de quelques feuillages. Entre les nappes, on répand un peu de grain, et on attache des Moquettes (Voyez ce mot) à une petite verge longue d’un pied et demi, et que l’on agite, du fond de la loge où est le nappiste, au moyen d’une ficelle. D’autres attachent la moquette au moyen d’un petit harnois de ruban qui lui embrasse le corps, ainsi qu’on enchaîne les chardonnerets à la galère, et l’arrêtent à un piquet autour duquel elle a la liberté d’aller, venir et voltiger. On enfonce en terre, à la portée de cet oiseau, de petits vases de fer-blanc, en forme d’entonnoir, mais fermés par le bout, et on y met à boire et à manger. Pour porter au champ tout cet attirail, les chasseurs, bien approvisionnés, ont un grand panier d’environ trois pieds de haut, fermé, et qui se porte sur le dos comme une hotte ; autour du panier, en dehors, sont attachées des pochettes de toile, pour recevoir et serrer les ustensiles qui n’entrent pas dans la hotte. Il faut tendre avant le soleil levé, choisir une place nette, éloignée des arbres et buissons ; cependant le voisinage des vignes est, en général, un endroit favorable, ainsi que les champs couverts d’avoine. (S.)