Cours d’agriculture (Rozier)/PÂTURAGE, PÂTURE

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Hôtel Serpente (Tome septièmep. 450-453).


PÂTURAGE, PÂTURE. Le premier désigne le lieu ou l’animal pâture, & le second, ce qu’il mange.

Les pâturages sont ou en communaux, & appartiennent à une ou à plusieurs paroisses, dès-lors ils sont dans le plus mauvais état possible, consultez le mot Commune) ou bien le pâturage n’appartient qu’à un seul individu, alors c’est la faute du propriétaire s’il est dégradé.

Toute grande métairie, tout domaine un peu considérable, doit avoir un pâturage consacré à son bétail ; il y couche pendant l’été, il y pâture pendant les heures qu’il ne travaille pas.

Un bon pâturage exige une certaine étendue, & proportionnée à la quantité des bêtes qu’il doit nourrir. Le propriétaire intelligent divisé son sol en plusieurs parties fermées par des haies vives ou mortes, (consultez ce mot) sur lesquelles le bétail passe successivement. Il résulte de ces divisions que pendant le temps, que l’herbe de l’une est broutée, celle des autres repousse, & que l’animal trouve toujours une pâture nouvelle & abondante. Si le local n’est pas divisé, l’animal consomme dans un jour, & détruit par son piétinement plus d’herbes qu’il n’en auroit mangé dans une semaine ; si l’on trouve qu’il soit trop long de faire venir des haies, on peut les suppléer par des fossés dont la terre est jetée sur chacun des bords, & ensemencée sur le champ en graines choisies & propres aux prairies.

Le bon cultivateur n’oublie jamais de planter au milieu de chaque division, ou dans telle autre de ses parties, un certain nombre d’arbres, afin que le bétail puisse, sous leur ombre, se reposer des travaux de la journée, & braver la chaleur du jour. Ces retraites sont indispensables dans les provinces du midi. On voit en effet le bétail abandonner l’herbe la plus attrayante, & rechercher un ombrage dont il a besoin pour ruminer paisiblement.

Les divisions de pâturages sont de toute autre plus grande nécessité lorsqu’on élève des poulains & des chevaux. Sans cette précaution ils s’attachent à l’herbe la plus tendre, & tant qu’ils en trouvent ils dédaignent l’autre qui devient à la fin trop dure.

Aussitôt que les animaux ont fini de manger toute l’herbe d’une de ces divisions, on les fait passer dans une autre, & si on a la facilité d’arroser, l’eau sera donnée aussitôt après leur sortie, & aussi souvent que le besoin l’exigera, & ainsi de suite pour chaque division. On est assuré, en suivant cette méthode, d’avoir sans cesse d’excellens pâturages.

Il est avantageux, lorsque le local le permet, de les placer près de la métairie, afin que l’œil du maître veille plus facilement sur la conduite, la tenue & la nourriture de son bétail. D’ailleurs, il faut compter pour beaucoup le temps prodigieux que les valets perdent chaque jour pour les conduire au pâturage, & les en ramener, sur tout lorsque le champ où l’on a labouré en est éloigné. Un autre avantage qui en résulte, est d’avoir près de la métairie un lieu commode & sûr, pour y faire passer les nuits d’été au bétail qui a le plus grand besoin de se rafraîchir & de se délasser des fatigues de la journée. Par cette position les loups & les voleurs sont moins à craindre.

Les excrémens des animaux, multipliés &c placés près à près, ruinent insensiblement les meilleurs pâturages. Une bouse de bœuf recouvre une surface circulaire de huit à dix pouces de diamètre, il en est ainsi du crottin du cheval ; l’herbe recouverte par eux, privée des bienfaits de la lumière du soleil & du contact immédiat de l’air, pâlit, s’étiole & pourrit ; mais ses racines ne meurent pas. Lorsque la pluie, ou tel autre météore a décomposé ces excrémens, alors l’herbe repousse avec plus de vigueur ; mais quel temps passé en pure perte jusqu’à cette époque ! Il est donc nécessaire qu’un valet soit chargé d’éparpiller chaque jour le crottin du cheval, & lorsque la fiente du bœuf est sèche, qu’elle forme une croûte, de la rompre, de la diviser par petites parcelles, & de les étendre au loin sur la surface.

Le bétail ne prospère jamais dans les pâturages humides, aqueux ou marécageux. Il y trouve une herbe aigre & peu nourrissante ; une herbe nécessairement chargée d’une forte rosée, chaque matin & chaque soir qui la fait rouiller ; d’ailleurs cette humidité, sans cesse renaissante, que l’animal éprouve, relâche ses muscles, diminue l’activité de ses viscères, le rend mou, paresseux, parce qu’il n’a plus la force d’être actif, & le dispose à contracter une infinité de maladies, si elle n’en est pas la cause immédiate. Un simple coup-d’œil jeté sur le bétail qui vit dans des communes marécageuses & humides, prouve mieux cette assertion que tout ce que l’on pourroit dire.

La fraîcheur des forêts, le peu de lumière qui éclaire leur intérieur, en rendent l’herbe peu nourrissante, & de qualité au moins médiocre ; le bétail la mange, il est vrai, mais uniquement parce qu’il n’en trouve pas d’autre ; le premier besoin est de lester son estomac ; mais si dans cette forêt il se rencontre des vides, l’animal ira de lui-même, attiré par une herbe plus nourrissante ou plus saine, & par la même raison il courra à celle qui tapisse les lizières de cette forêt. On auroit tort de s’imaginer que les plantes graminées qui végètent sous ces ombrages soient spécifiquement les mêmes que celles de nos prairies. La nature les a placées où elles doivent croître, & si on les transporte d’un lieu à un autre, elles y végéteront mal, & par conséquent elles donneront une mauvaise ou une médiocre nourriture suivant leurs qualités.

Un très-grand nombre de propriétaires destine au pâturage les pièces peu productives. Certes, c’est manquer le but ; le bœuf & la vache aiment l’herbe fraîche, une trop longue nourriture au sec leur est nuisible. Après avoir brouté pendant quelques jours, quelle nourriture les animaux trouveront-ils ? aucune, sur-tout pendant la chaleur. Le sol de ce pâturage auroit produit du seigle, de l’avoine, & la récolte de l’un ou de l’autre auroit été plus lucrative.

On est heureux, lorsqu’au milieu de quelques grands fleuves ou de quelques rivières, on a des îles un peu boisées & chargées d’herbes, sur-tout lorsque le sol n’est pas marécageux. Le bétail y trouve une nourriture abondante & saine. L’animal est forcé de faire le trajet à la nage, & ce bain répété deux fois dans la journée, vaut mieux pour lui que l’étrille du valet de l’écurie, & que le pansement le mieux soigné. C’est ainsi que sur les bords du Rhône, de la Loire, &c., le bétail est conduit chaque soir pendant l’été ; c’est ainsi qu’il passe dans l’île tous les jours exempts de travail, & qu’à la rigueur il n’auroit pas, dans la nuit, besoin de gardiens si on ne craignoit les voleurs.

Le plus ancien bœuf de la métairie, est ordinairement le conducteur du troupeau, & son exemple sert à diriger tous les autres ; c’est lui qui, le premier, se jette à l’eau, les autres suivent son exemple. Si le plus timide reste sur le bord, il beugle lorsqu’il se voit seul, les autres beuglent de l’autre côté & l’appellent ; enfin, sa timidité cesse, & bientôt après il rejoint ses camarades. L’expérience du premier jour suffit à son éducation. Lorsque l’on veut rappeler le troupeau, le bouvier vient sur le bord de la rivière ; mais afin d’attendre moins longtemps, de loin il fait entendre les sons rauques de son cornet à bouquin. Cet instrument n’est qu’une grande corne de bœuf, percée à sa pointe, & par laquelle le bouvier souffle. Cette espèce de cor peut être encore faite avec une corne de bélier. Aussitôt que les bœufs en entendent le son, ils se rendent aux bords de la rivière, la traversent & viennent paisiblement se remettre sous la conduite du bouvier. On a souvent vu le bœuf ancien, celui qui s’est constitué le chef, presser les pas tardifs de ceux qui ne reviennent pas avec les autres, & les forcer à coups de cornes à traverser la rivière.

Dans les pays élevés, comme les montagnes de l’Auvergne, du Lyonnois, de la Bourgogne, de la Comté, des Cévènes, des grandes chaînes des Alpes, des Pyrénées, &c. on sacrifie les hauteurs au pâturage du bétail ; mais il faut observer qu’elles sont destinées, ou à celui qu’on élève, ou à celui qu’on se propose d’engraisser. Est-il plus avantageux de mettre en pâture les vaches à lait, & les bœufs à l’engrais, ou de les nourrir dans l’étable ? cette question très-importante, a été discutée avec l’étendue qu’elle exige à l’article bétail, ainsi consultez ce mot. Je pense que celui qu’on élève ne sauroit avoir trop de liberté, afin d’assouplir davantage ses membres, & d’augmenter sa force par l’exercice ; car il ne s’agit pas ici d’obtenir plus de lait, ou un engrais plus ferme & plus prompt.

Les bœufs destinés & déjà soumis au labourage, ont le plus grand besoin de pâturage, non pour faire de l’exercice, puisqu’ils en font un assez pénible en labourant chaque jour, mais pour trouver une herbe fraîche, & sur-tout pour sortir de leurs étables sales, infectes, & où l’air est étouffé, & de plus de moitié putride lorsqu’elles sont tenues ou resserrées suivant la coutume ordinaire. On pourroit cependant, à l’exemple de quelques cultivateurs, intelligens, tenir le bétail pendant le jour en été, dans un lieu ombragé, & exposé au courant d’air, y pratiquer des râteliers que l’on rempliroit à plusieurs reprises d’herbes fraiches. L’économie du fourrage seroit très-grande, & l’animal s’en trouveroit mieux. On objectera sans doute la peine de faucher ou de ramasser chaque jour l’herbe nécessaire, tandis qu’en pâturant l’animal la consomme sur les lieux ; mais on ne compte pas 1°. la meilleure santé de l’animal ; 2°. le dégât très-considérable qu’il fait de cette herbe en la piétinant ; encore une fois consultez l’article Bétail.

Le cultivateur prévoyant pense de bonne heure à se procurer des pâturages d’hiver ; à cet effet, après que les blés ont été coupés & leurs champs labourés, il sème des navets ; des turneps, des carottes, &c. enfin de toute espèce de grains, rebut de l’aire, pour les faire manger au bétail pendant les jours que la rigueur de la saison lui permet de sortir de l’étable ; mais une fois que la douce haleine du printemps ranime la végétation, que chaque tige commence à s’élever, qu’elle se dispose à monter en graine, l’entrée du champ est interdite ; & lorsqu’elle commence à fleurir, un fort coup de charrue l’enfouit, & ces plantes rendent avec usure à la terre les sucs qu’elles ont reçus (Consultez le mot Amendement) & deviennent par leur décomposition, un engrais excellent. (Consultz le mot alterner) C’est ainsi que l’on est parvenu insensiblement à enrichir des champs, & qu’on est étonné aujourd’hui des récoltes qu’ils fournissent,