Cours d’agriculture (Rozier)/POMMELIÈRE

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POMMELIÈRE, (Médecine vétérinaire, ) nom vulgaire donné à une espèce de phthisie pulmonaire, à laquelle les vaches laitières sont sujettes. Elle est assez fréquente et assez destructive. On lui observe des caractères particuliers qu’on trouve rarement dans les autres animaux et même dans l’homme ; ce qui dépend des causes qui la produisent, et principalement de la grande quantité de lait que la domesticité force ces vaches de fournir.

M. Huzard a publié un Mémoire sur cette maladie[1].

M. Mayeur, vétérinaire à Nanci, département de la Meurthe, a aussi inséré dans les Instructions vétérinaires, année 1795, page 269, un mémoire sur cette maladie ; il rapporte qu’elle se manifestoit d’abord par le jet du veau ; que chaque veau ayant été ouvert, on trouva un ulcère à la bifurcation des lobes du poumon, et qu’un pareil ulcère existoit dans les mères.

Il ajoute qu’un guérisseur sauva vingt huit vaches qui avoient la maladie, et que les marcaires suisses, qui lui soutirèrent son secret, assurèrent qu’il consistoit dans du sang-dragon en poudre infusé dans du vinaigre de vin, qu’il avoit fait avaler par les naseaux ; la quantité varioit suivant la force de chaque animal malade.

Symptômes. Le premier symptôme qui se déclare est le hérissement du poil ; ce changement s’observe un ou deux mois après que la bête nouvellement achetée est soumise au régime dont nous allons parler.

Une légère toux sèche se manifeste d’abord de loin en loin, et devient par suite plus fréquente ; mais elle est toujours foible et bien rarement suivie d’expectoration ou de flux par les naseaux.

À mesure que la maladie fait des progrès, la respiration devient courte, l’inspiration est pénible et se ralentit, tandis que l’expiration s’accélère.

Au bout de deux ou trois ans, l’embonpoint de la bête diminue sensiblement ; ses mouvemens sont foibles et lents ; elle se lève avec difficulté : étant debout, elle ne s’allonge plus. Si l’on appuie avec la main sur la surface générale du corps, elle ne marque aucune sensibilité, si ce n’est à l’endroit des vertèbres lombaires, où la pression excite une douleur et des mouvemens très-marqués.

Tous ces signes augmentent d’année en année, et avec d’autant plus d’intensité que la bête est plus jeune, ainsi, des génisses périssent à l’âge de trois ans ; les vaches âgées de cinq à six ans résistent jusqu’à celui de neuf, dix, onze et même de douze ans.

Les veaux femelles, provenant de vaches attaquées de la pommelière, périssent ordinairement à l’époque où elles mettent bas leur premier veau, ou au plus tard au second.

Quel que soit l’état de maigreur, ou plutôt de marasme dans lequel tombent ces animaux, ils conservent toujours, et jusqu’à la fin, leur appétit ; mais ils ruminent et se meuvent avec beaucoup de lenteur.

Leurs urines coulent facilement, ainsi que les matières fécales ; l’excrétion de la peau est la seule qui soit, non pas simplement interceptée, mais entièrement abolie. Ces vaches deviennent en chaleur plus souvent que les autres ; plusieurs conçoivent ; mais, quoique pleines, elles recherchent le taureau : et cependant tout cela ne les empêche pas de fournir beaucoup de lait, et c’est précisément cette abondance qui trompe les cultivateurs sur l’état de leurs animaux. Toutes leurs plaintes sont relatives à l’avortement, auquel ces vaches sont extrêmement exposées, et à la difficulté qu’ils éprouvent pour faire prospérer les veaux femelles qu’ils voudroient élever pour remplacer les bêtes qui périssent.

La fin de l’animal s’annonce par la difficulté de marcher, par la pâleur extrême des naseaux, des lèvres et de l’intérieur de la bouche ; par le resserrement de la peau sur les os ; quelquefois par la crépitation du tégumentle long de l’épine ; par le dessèchement des ars, par des rides aux mamelles ; enfin, si on ne se hâte de sacrifier l’animal, son reste de vitalité l’abandonne en peu d’heures, et il succombe d’une manière assez paisible.

La mort le saisit souvent un instant après qu’il a mangé, car l’appétit subsiste autant que la vie : il est cependant vrai de dire que la bête ne peut prendre que les alimens qui sont dans l’auge et tout à fait à sa portée, ne pouvant ni lever ni baisser la tête pour les atteindre. Telles sont les successions par lesquelles cette maladie passe, avant d’amener la destruction de l’animal.

Les vaches atteintes de cette maladie ne peuvent s’engraisser ; ce qui a trompé quelquefois les acheteurs qui croyoient avoir fait une bonne spéculation, parce qu’ils avoient ces vaches à bon marché.

Ouverture. La poitrine renferme toutes les altérations essentielles de la maladie.

Le poumon est garni de tubercules, c’est-à dire de concrétions plâtreuses, grosses comme des noisettes, comme des œufs de pigeon, ou comme des pommes ; et c’est sans doute ce qui a fait donner à la maladie le nom sous lequel nous la décrivons. Ces corps résistent au tranchant du scalpel, et sont quelquefois si tassés et si près les uns des autres, que le poumon en est entièrement enveloppé et farci, les glandes bronchiques sont tuméfiées, dures, squirrheuses ; le médiastin, les plèvres sont épaissis, ont des adhérences de toutes parts, des ramifications très-dures, et pour ainsi dire cartilagineuses ; les poumons participent à cet état et présentent un amas de concrétions, d’où il résulte un tissu changé de nature, et une masse blafarde, dont le poids s’est trouvé d’une cinquantaine de livres, étant détachée du thorax ; ce qui fait à peu près le quadruple ou le quintuple de son poids ordinaire. Le péricarde, le cœur, quoique sains, se trouvent renfermés sous une espèce de voûte résultante de ce mode d’induration : et ainsi le cœur éprouve une diminution dans l’étendue de ses mouvemens.

Il en est de même de l’artère pulmonaire et de l’aorte ; l’épaisseur du médiastin gêne aussi quelquefois l’œsophage, suivant la longueur de son trajet dans la poitrine, et s’oppose au passage des alimens.

La plèvre pulmonaire est infiltrée d’air ; toutes les parties sont dépourvues de graisse, ou le peu qui en existe est jaunâtre ; les muscles, frais, sont blafards ; la chair cuite n’a pas cette couleur brune qui s’observe dans le bon bœuf ; elle est coriace et n’a point de saveur ; cependant elle n’est pas nuisible à la santé des hommes, elle est seulement moins nourrissante.

Enfin, un caractère particulier à cette maladie, c’est de rendre friables les côtes et même les os des omoplates, au point qu’ils ont de la disposition à tomber en poussière.

Telles sont les véritables lésions que la pommelière entraîne à sa suite. Tous les viscères du bas-ventre Sont sains, et si l’on observe quelquefois des lésions dans la matrice ou dans les ovaires, elles sont consécutives et dépendent des fureurs utérines ou des avortemens que les animaux ont éprouvés, et que l’artiste instruit ne confond pas avec les phénomènes propres à la pommelière.

Cependant, l’intensité de ces altérations est relative au degré de la maladie.

Les vaches qu’on tueroit dans les premiers périodes n’en présenteroient pas d’aussi avancés. Au surplus, lorsque cette maladie se trouve compliquée par quelque épizootie régnante, elle est extrêmement meurtrière.

Les vaches les plus exposées à cette maladie sont celles que l’on entasse dans des étables basses, dans lesquelles le fumier séjourne pendant cinq à six mois ; pendant que le fumier se façonne de la sorte, il fournit une masse énorme de vapeurs nuisibles.

D’ailleurs, plus l’étable est privée de lumière et hermétiquement fermée, plus les animaux souffrent de la chaleur du lieu et du défaut d’air. En général, ces étables n’ont guères que six pieds, à compter du sol au plancher, et pour peu que la couche de fumier s’épaississe, on doit sentir combien on diminue la masse d’air respirable. Aussi les vaches qui habitent ces lieux ont-elles constamment la respiration courte, et la poitrine toujours dans un état de contrainte et d’oppression.

Les vaches qui sont placées plus près des portes ou des fenêtres se défendent plus long-temps contre la pommelière ; celles qui sont dans le fond de l’étable, dans les coins sur-tout, où l’air ne se renouvelle que très-imparfaitement, sont celles qui y résistent le moins.

Ces deux causes, la chaleur animale et le défaut d’air, relâchent la texture pulmonaire, et diminuent les forces vitales ; ainsi la transpiration est suspendue et la sécrétion du lait se trouve augmentée. L’abondance de ce fluide, plus considérable lorsque les animaux sont tenus plus chaudement, plus à l’abri d’un nouvel air et de la lumière, a engagé les nourrisseurs et les cultivateurs à entretenir soigneusement leurs animaux dans cette température. Ils ont remarqué que toutes les fois qu’ils curoient les étables et qu’ils renouveloient l’air de ces réduits, il y avoit une diminution considérable dans la traite qui suivoit cette opération, et qu’elle ne redevenoit abondante que lorsque l’étable avoit repris sa température chaude : cette augmentation de la quantité de lait est réellement aux dépens de sa qualité. Si l’on compare le ait de vaches ainsi entretenues, avec le lait de celles qui vivent en plein air, et qui paissent en liberté, on verra qu’il n’a point l’odeur aussi agréable ; qu’il a moins de consistance ; qu’une mesure donnée de lait des premières fournit beaucoup moins de beurre que la même mesure du lait des secondes ; le peu de beurre et de fromage qu’il fournit est de mauvaise qualité. Le lait se livrant dans des mesures de capacité, sans qu’on pense à s’assurer de sa qualité, il est naturel que les nourrisseurs prennent ce parti, qui est tout à leur avantage, et dont les consommateurs ne pensent pas à se plaindre[2].

Les nourrisseurs savent bien aussi que cette méthode est destructive des animaux ; mais, que leur importe, pourvu que, dans les profits que donne chaque bête, il se trouve une part qui serve à en acheter une autre pour la remplacer !

D’un autre côté, la méthode de culture qui ne fournit aux animaux que des fourrages de prairies artificielles, que de la paille, peu de foin, point de pâturages, l’intempérie des saisons qui amène la disette d’alimens, toutes ces causes sont souvent bien funestes.

On voit des cultivateurs chez qui toutes les vaches avortent, ou même qui éprouvent une ruine complète par la mortalité de leurs animaux ; (Voyez Avortement) et ces désastres ont souvent eu pour causes primitives celles qui amènent la pommelière.

Ces pertes ont souvent mis des cultivateurs de la Brie, de la Beauce, dans la nécessité de solliciter les secours du gouvernement ; les accidens se répétant, les plaintes se renouvellent de même. On croit beaucoup mieux de prévenir tous ces désordres, que la cupidité inventa et que l’ignorance entretient.

La pommelière est très-fréquente aux environs de Paris ; les résidus de la bière et de l’amidon qu’on fait manger aux vaches chez quelques nourrisseurs, en aggravent encore les causes.

Les bouchers qui achètent cette basse viande, sont appelés marcandiers.

Les vaches que les malheureux mènent à la corde pour pâturer le long des chemins, fournissent de bon lait, et sont exemptes de cette maladie. C’est un des motifs qui portèrent Louis XVI, en 1784, au bienfait que nous allons rapporter. Au lieu de donner des secours pécuniaires, comme il étoit d’usage, aux indigens des environs de Paris, il fit acheter un nombre considérable de vaches, que M. Berthier, intendant de police, distribua aux familles pauvres de sa généralité.

On avoit en vue de multiplier les bêtes à cornes, que différentes circonstances avoient rendues trop peu communes. Les particuliers à qui l’on en donna furent obligés de les soigner en bons pères de famille, sans pouvoir les vendre ; ils devoient les faire couvrir par un taureau dans les temps convenables, et remettre en remplacement deux génisses de leurs élèves.

Les bons effets de cette mesure ont été sensibles pendant quelques années ; mais il n’en reste pas de traces aujourd’hui.

Il ne paroît pas que cette maladie soit contagieuse.

Les causes agissent d’une manière très lente ; quand le nourrisseur juge ses bêtes malades, elles sont près de succomber, et il est loin de soupçonner qu’elles soient affectées dans un temps où elles fournissent beaucoup de lait.

Il périt toujours quelques vaches, à divers intervalles, dans le courant de l’année ; mais on les remplace, et l’on oublie cette perte. Il y a même des particuliers à qui l’expérience fait prévoir l’époque des mortalités ; ils comptent ordinairement sur la mort d’un huitième ou même d’un sixième par an, eu égard à l’âge, à la force de leurs bêtes, et au régime qu’ils leur font suivre. En général, on prévient l’accident en livrant au boucher les bêtes affectées, lorsqu’il leur reste encore une certaine apparence de santé ; mais il survient quelquefois des saisons fâcheuses qui accélèrent les mortalités et qui dérangent les calculs.

Toutes les fois qu’il y a ainsi des causes qui déconcertent les nourrisseurs, on voit les marcandiers augmenter la terreur qu’inspirent ces événemens, pour obtenir à vil prix cette basse viande que, pour leur compte, ils savent bien vendre aussi cher que de coutume.

Cette maladie paroît commune à tous les pays où l’on sollicite dans les vaches une sécrétion extrême de lait. On la voit en Suisse, dans les départemens de la Meurthe, du Jura, du Doubs, des Vosges, etc. Le séjour que les vaches vont faire dans les montagnes pendant la belle saison, ne suffit pas sans doute pour détruire le mauvais effet de la chaleur des étables et de la sécrétion forcée du lait auquel elles sont soumises pendant l’hiver.

La pommelière est mise au rang des cas rédhibitoires à Paris, suivant l’arrêt de règlement du 14 juin 1721.

Traitement. En considérant les causes et les altérations qui existent dans cette maladie, on sent bien que l’art n’a aucun pouvoir pour la guérir. Nos conseils seroient plus efficaces pour l’empêcher de naître ; mais se trouvera-t-il beaucoup de personnes qui prennent la peine de les suivre ? Quant aux étables, au lieu d’entasser les animaux dans des réduits clos et obscurs, il faudroit leur donner de l’air et de la lumière, et tenir ces logemens dans la plus grande propreté.

Il faudroit que les vaches laitières fussent nourries dehors, dans des enclos en liberté, en un mot dans des pâturages ; là, elles s’exercent à leur aise, la transpiration s’exécute naturellement ; le lait est mieux travaillé ; il a les meilleures qualités. Il seroit nécessaire en outre de renouveler le lait des vaches, c’est-à-dire de leur faire faire un veau tous les ans. Ainsi ces bêtes seroient exemptes des fureurs utérines, et ne seroient pas atteintes non plus de l’espèce de phthisie pulmonaire qui nous occupe.

Ainsi la vitalité de ces animaux seroit bien supérieure à celle dont ils jouissent dans les étables des nourrisseurs qui les tiennent le mieux. Il est de fait qu’elles donneroient moins de lait, mais il seroit beaucoup plus riche en crème et beaucoup plus profitable à l’homme.

Cependant, nous n’osons rien reprocher au lait que la capitale consomme ; c’est aux médecins instruits et amis de l’humanité, à faire des recherches à cet égard ; nous nous estimerons très-heureux si nos observations peuvent leur être de quelque utilité ; mais nous pensions que le lait des vaches affectées de la maladie est loin d’avoir, sur-tout pour la nourriture des enfans, les qualités qu’on désireroit qu’il eût ; nous ne pouvons mieux faire à cet égard que d’invoquer les lumières des personnes qui s’occupent de l’hygiène publique, et nous pensons qu’il est digne de la police de chercher à diminuer ces causes, qui ne sont que trop nuisibles, et même de tâcher de les faire cesser entièrement, tant pour l’avantage de l’espèce humaine, que pour la conservation des animaux utiles que cette maladie fait périr en grand nombre. (Ch. et Fr.)

  1. Voyez le Mémoire sur la Péripneumonie chronique des Vaches laitières de Paris ; par M. Huzard.
  2. Le galactomètre ou pèse liqueur appliqué au lait, est le moyen de s’assurer de la qualité de ce liquide.