Cours d’agriculture (Rozier)/PLUVIERS

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PLUVIERS, (Charadrii Lin.) Les pluviers sont passagers en France ; ils arrivent avec les pluies d’automne, d’où l’on pense que leur nom est venu : ils nous quittent au retour du printemps, pour gagner des contrées plus septentrionales. Ces oiseaux volent toujours en bandes, et forment une espèce de société. Lorsqu’ils volent, ils sont rangés en lignes droites, qui forment dans l’air des bandes ou zônes très-étendues, mais de peu de profondeur. Ils font leur principale nourriture de vers et d’insectes ; c’est pourquoi ils fréquentent les terres limoneuses, où ils trouvent plus aisément à satisfaire leurs besoins. Ils frappent la terre avec leurs pieds pour en faire sortir les vers, et, comme les bécasses, ils vont à l’eau le matin pour laver leur bec et leurs pattes, après avoir véroté. Les fortes gelées les chassent vers le Midi : ils gagnent aussi dans ce temps les bords de la mer, et le dégel les ramène dans les plaines et les pays élevés. Les pluviers restent peu de temps dans le même canton ; ils changent de quartier presque toutes les vingt-quatre heures, parce qu’ils ont bientôt épuisé un endroit de l’espèce d’aliment qui leur convient le plus. Quand ils mangent, ils ont toujours quelque sentinelle qui veille sur la troupe : de même un seul pluvier rassemble, le matin, toute une bande, qui s’est dispersée pour dormir. C’est ce cri de rappel que les chasseurs imitent avec un appeau, pour faire donner dans des pièges une troupe de pluviers, à l’instant de son rassemblement.

Le pluvier est de la taille d’une tourterelle ; lorsqu’il est gras sur-tout, on fait grand cas de ce gibier, bien que sa chair ait un fumet qui n’est pas du goût de tout le monde. Il est bien préférable aux vanneaux, dont il aime la compagnie ; aussi se sert-on de ce dernier oiseau pour appelant, lorsqu’on chasse aux pluviers. Les époques du passage de ces oiseaux sont très-favorables à cette chasse : elle réussit aussi lors des dégels, et par une petite pluie douce. C’est dans cette circonstance sur-tout qu’on leur tend avec avantage les filets ou nappes.

Ces nappes sont les mêmes rets saillans dont le mécanisme et le jeu ont déjà été décrits aux articles Alouette et Canard. On les tend, pour les pluviers, sur une seule ligne, comme lorsqu’on veut prendre les alouettes à la ridée. Dans ce cas, on met deux nappes bout à bout, ainsi que cela a été dit en traitant de cette chasse. Les nappes dont on se sert pour pluviers sont de la force de celles qui sont destinées aux, canards. Elles doivent avoir neuf à dix pieds de hauteur sur soixante au moins de longueur ; et comme cette dimension n’est pas commode à prendre sur un seul morceau de filet, j’ai indiqué tout à l’heure qu’il falloit en avoir eux, qu’on plaçoit bout à bout. On voit, dans les Ruses innocentes, une description détaillée d’une foule de préparatifs pour tendre ces filets ; mais ce seroit se donner un embarras gratuit, que de vouloir les exécuter à la lettre. Les procédés que j’ai indiqués aux articles cités, suffisent pour tendre toutes sortes de rets saillans : j’ajouterai seulement ici que les lieux propres à cette chasse sont les prairies, le voisinage de l’eau, ou des champs de blés verts. Il faut de plus observer de ne pas tendre par les vents de nord, ni de nord-est ; et, lorsque tout autre vent règne, il faut disposer ses filets de manière qu’ils versent dans le sens du vent, et non contre sa direction. Ceci une fois entendu, il faudra encore se précautionner de vanneaux vivans pour servir d’appelans, et de pluviers empaillés, ou de figures de pluviers, que l’on appelle des entes. On place les appelans et les moquettes vers le bas de la forme, c’est-à-dire de l’espace que doit couvrir le filet, et un peu en avant. Le bas de la forme est le bout le plus voisin de celui qui fait jouer le filet. On éloigne un peu les appelans des entes ; les vanneaux vivans s’attachent par les pattes à une verge de bois qui joue sur un pivot, et que l’on agite au moyen d’une ficelle, qui correspond à la loge du nappiste. On a de plus un huau ; c’est une verge de bois longue de cinq pieds, armée à une extrémité de deux ailes de buse ou de milan, et de deux grelots d’oiseau de proie. On place cette verge à quatre toises environ derrière la forme ; son extrémité inférieure est attachée, par une corde, entre deux petits piquets plantés en terre : du milieu de la verge parlent deux petites cordes, longues de trois pieds au plus, terminées aussi par deux petits piquets, lesquels, enfoncés en terre de côté et d’autre de la verge de huau, à une distance telle, que les cordes auxquelles ils tiennent ayant encore du jeu, empêchent néanmoins la verge de se renverser tout à fait vers la loge, lorsque le nappiste tire la longue corde attachée près des ailes du huau, et qui va de la jusqu’à sa loge. C’est cette corde qui sert, comme on le voit, à agiter le huau, en l’élevant presque verticalement, autant que le permet l’étendue des petites cordes attachées de chaque côté. Le moment de faire jouer cette machine est lorsque les oiseaux arrivent un peu écartés vers la forme, et volant trop haut. Lorsque les premiers de la bande n’en sont plus qu’à une toise, on élève le huau ; il paroît aux arrivans un oiseau de proie, et ils se précipitent tous vers la terre. Lorsque ce mouvement est fait à propos, on enveloppe toute une bande sous les filets.

Le moment de tendre est le matin avant le jour, pour être prêt à l’heure du rassemblement des pluviers. Le nappiste, caché dans sa loge, qui est une enceinte de branchages piqués en terre, garnie de paille, et placée à quinze ou seize toises de la forme, écoute et regarde, et met toute son attention à découvrir les mouvemens des oiseaux. Lorsqu’il entend quelque chose, il fait jouer soit l’appeau des vanneaux, soit celui des pluviers. Ce dernier est fait du gros os de la cuisse d’une chèvre ou d’un mouton, coupé à la longueur de trois pouces. On l’emplit de cire par un bout à cinq ou six lignes de profondeur, où l’on pratique une ouverture en travers ; on en fait une autre dans la cire qui correspond à celle-ci. Au milieu de l’os, on pratique un trou rond, où l’on puisse ficher à l’aise une petite plume à écrire ; et sur le côté, par rapport à ce trou, on en perce un dernier à peu près double en diamètre, et que l’on ferme et ouvre avec le doigt pour modifier à propos le son du sifflet. Lorsque les oiseaux approchent, il faut en diminuer les sons : plus ils sont voisins de la forme, moins aussi il faut agiter les moquettes, de peur de faire appercevoir le piège. Si les pluviers passoient trop haut par-dessus le filet, il faudroit ne pas risquer de l’abattre inutilement, mais attendre que les vanneaux les aient appelés. Enfin, s’ils s’abattaient trop loin de la forme et qu’on ne pût les faire lever en poussant la voix avec force, il faudroit que le second chasseur, car il est bon d’être deux à cette chasse, sortît doucement de la loge, et, contournant de loin les oiseaux, s’approchât courbé, et comme une vache qui paît, pour les pousser doucement vers le filet, où il les forceroit à propos de se précipiter, en leur jetant son chapeau. On brise la tête des pluviers pris ; on nettoie la place des plumes qui peuvent y être restées, et l’on retend.

Au lieu de filets tendus en rets saillans, d’autres chasseurs se servent de nappes tendues en pantaine ou rideau, au bord d’un champ où l’on a eu soin de s’assurer, la veille, que couchoient les pluviers. Alors, au moment de leur rassemblement, un grand nombre de chasseurs entourent le champ et se couchent à plate terre ; lorsque les cris d’appel se font entendre, ils laissent les oiseaux se réunir, puis se levant tous à la fois, et les poussant à grands cris et en jetant des bâtons vers le filet, ils y font une bonne capture. Si l’on n’est pas assez de monde pour exécuter cette chasse de cette manière, on se sert de l’appeau à pluvier, et l’on imite le cri d’appel de derrière le filet, vers lequel ce cri les attire.

Si on veut les tirer au fusil, on se sert d’appeaux, d’entes et d’appelans, comme dans les chasses précédentes. On dispose ses machines dans un pré ou lieu jugé convenable ; on fait jouer l’appeau et l’on attire les pluviers. Les chasseurs ont soin de se munir de huttes ambulantes, ou du moins de se couvrir de feuillages. Lorsqu’ils voient les pluviers abattus, deux des chasseurs les mieux placés les contournent et les approchent, et lorsqu’ils ont fait feu sur la bande, les autres les secondent en tirant sur ceux qui s’échappent et qui passent à leur portée. Il est une autre manière de les chasser, qui convient aux pays de vastes plaines. Il faut, pour cela, se réunir en très-grand nombre et cerner les pluviers de loin. Cette première fois, il est presque certain qu’on ne les approchera pas ; mais on remarque l’endroit où ils s’abattent, qu’on cerne encore, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on les ait lassés. Cette espèce de battue dure quelquefois deux heures ; mais, au bout de ce temps, et souvent dans un plus court délai, on parvient à les joindre à bonne portée.

On les approche aussi avec la Vache Artificiele. (Voyez ce mot.) Enfin, on les prend la nuit au traîneau, ou même on les tire à coups de fusil, en se servant de feu. (Voyez Perdrix.) La vue de la lumière force les pluviers à se rassembler et à se blottir ; mais il faut observer un grand silence. De quelque manière qu’on les chasse, les époques de leur arrivée et de leur départ sont toujours les plus favorables.

Les guignards sont une sorte de petits pluviers de la grosseur d’un merle ; ils ont la tête bigarrée de noir, de gris et de blanc, le dos d’un gris brun lustré de vert, la poitrine d’un gris ondé, le ventre noirâtre, blanc vers la queue, le bec et les pieds noirs. Ils sont très-communs sur plusieurs points de la France, notamment vers Chartres, aux environs d’Amiens, de Falaise, etc. En avril et mai, ils paroissent voyager vers le nord, et en revenir au midi après les chaleurs. Ils fréquentent les guérets, les pelouses et les friches, se retirent dans les marais, volent par bandes de quinze, vingt et trente, plus ou moins, et se laissent assez approcher. Lorsqu’on en tue un, on le laisse sur la place, et les autres volent long-temps autour de lui, sur-tout si on contrefait leur cri avec un petit sifflet de terre cuite ; cette habitude donne la facilité de les tuer. Le guignard est un très-bon gibier. Il mange, comme le pluvier, les scarabées, les vers de terre, les limaçons, etc. ; mais il paroît plutôt un habitant du nord que du midi, à partir même de la France. (S.)