Cours d’agriculture (Rozier)/POMME DE TERRE (supplément)

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Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 701-706).


POMME DE TERRE. (Supplément à cet article) Quoique cet article ait déja une certaine étendue, il m’a paru indispensable d’y ajouter un supplément par forme de résumé, afin de faire saisir du premier coup d’œil ce qui auroit pu échapper à la simple lecture, ou ce que j’aurois omis d’essentiel sur l’utilité d’une plante digne des plus grands éloges, comme nourriture & comme engrais.

La pomme de terre, la patate & le topinambour sont originaires de l’Amérique, absolument distincts entre eux, n’ayant d’autre ressemblance que la facilité de leur végétation & leur fécondité ; ces trois plantes se multiplient par bouture, par marcottes & par semis. Mais la première de ces opérations est la plus précieuse sous tous les rapports.

Le produit est d’autant plus abondant, que celui des blés l’est moins : l’espèce la moins féconde rapporte toujours plus que tous les grains connus ; elle se plante après toutes les semailles, & se récolte après toutes les moissons.

Les différentes variétés de pommes de terre peuvent servir aux mêmes usages, parce qu’elles contiennent toutes les mêmes principes ; ils ne diffèrent que par leur proportion ; il n’y a pas de terrains, de climats & d’aspects où elles ne se naturalisent les unes ou les autres avec leurs propriétés.

Les blanches sont en général plus hâtives & d’une végétation plus vigoureuse que les rouges ; celles-ci exigent un meilleur sol & rapportent un tiers moins que les blanches.

En les plantant toutes germées elles lèvent plutôt, & c’est un avantage pour les espèces tardives. & les cantons septentrionaux.

L’espèce grosse-blanche marquée de rouge à la surface & intérieurement, est celle à laquelle il faut s’attacher spécialement, lorsqu’on a en vue l’engrais du bétail, l’extraction de la farine & la fabrication du pain.

Dans les fonds légers & ingrats la grosse-blanche convient, elle est d’une excellente qualité pour la table ; c’est avec cette espèce qu’il faut commencer les défrichemens.

La pomme de terre brave les effets de la grêle ; quand son feuillage est haché par ce météore, il ne faut pas le faucher, il vaut mieux rechausser le pied avec sa houe ou la charrue ; elle nettoie pour plusieurs années les champs infectés de mauvaises herbes, détruit les chiendents, si abondants dans les vieilles luzernières, & donne dans les prairies artificielles retournées, de riches récoltes sans le concours d’aucun engrais.

Deux labours suffisent assez ordinairement pour disposer toutes sortes de terrains à cette culture ; le premier, aussi profond qu’il est possible, avant l’hiver ; le second, peu de temps avant la plantation.

Il est nécessaire que le sol ait quatre à cinq pouces de fond, que la pomme de terre soit plantée à un pied & demi de distance, & recouverte de quatre ou cinq pouces de terre.

Il faut dans les bons fonds planter plus clair que dans les terres maigres, & dans celles-ci plus profondément ; les espèces blanches demandent à être plus espacées que les rouges, qui poussent moins au dehors & au dedans.

Toutes les espèces de pommes de terre sont tendres, sèches & farineuses dans les endroits un peu élevés dont le sol est un sable gras ; pâteuses & humides au contraire dans un fond bas & argileux.

On doit mettre les blanches dans les terres à seigle, & les rouges dans les terres à froment ; mais la grosse-blanche, dans tous les sols, excepté dans ceux qui sont trop glaiseux, ou la culture des pommes de terre est difficile & en général désavantageuse.

Une seule pomme de terre suffit toujours pour la plantation ; quand elle a un certain volume, il y a du bénéfice à la diviser sur-tout en biseaux & non par tranches circulaires, & à laisser à chaque morceau deux à trois œilletons au moins.

La précaution d’exposer un ou deux jours à l’air les morceaux découpés, est fort sage ; ils sèchent du côté de la tranche, & quand il survient des pluies abondantes ils ne pourrissent pas en terre avant de germer ; une petite pomme de terre entière vaut mieux que le plus gros quartier détaché de la plus grosse racine.

Lorsque le sol est humide, il convient toujours de proportionner à sa nature la quantité de pommes de terre à planter ; plus il est propre à cette plante, moins il faudra en employer : chaque arpent exige depuis deux setiers de douze boisseaux jusqu’à trois & même plus.

Le plus haut produit qu’on puisse espérer de la grosse-blanche, qui est la plus féconde, monte à cent setiers pour chaque arpent de bon sol ; le terme moyen est de soixante à soixante-dix. Cette espèce vaut communément à Paris depuis un écu jusqu’à quatre francs ; les rouges longues coûtent environ le double.

On a tout le mois d’avril, & même le mois de mai, pour s’occuper de la plantation des pommes de terre ; se presser de les planter en mars, ne sert absolument à rien ; elles courent bien plus de risques au champ qu’au grenier.

Il seroit utile que les habitans des campagnes, pratiquassent toujours les deux méthodes de culture sur deux champs particuliers, l’une à bras, pour les besoins de la famille & l’autre à la charrue, pour l’engrais des bestiaux.

La première méthode produit davantage, mais elle est plus coûteuse que la seconde, qui cependant doit toujours être préférée, lorsqu’il s’agit d’en couvrir une certaine étendue ; elle offre d’ailleurs un moyen d’occuper les vieillards & les enfans.

Cette culture, loin de nuire à celle de grains, dispose favorablement le sol a les recevoir, devient un moyen de supprimer les jachères, & de faire rapporter aux fonds les plus stériles d’autres productions.

Lorsque la sécheresse du printemps a été excessive, & qu’il existe encore dans les marchés des pommes de terre grosse-blanche, on peut en couvrir le terrain où les mars auroient manqué, & obtenir par ce moyen un supplément pour la nourriture des bestiaux ; les rouges sont inutiles alors, elles n’arriveroient pas à maturité.

Avant que la pomme de terre ne lève, il faut herser, puis la sarcler à la main, dès qu’elle a acquis trois à quatre pouces ; & quand elle est sur le point de fleurir, on la butte avec une houe ou bien une petite charrue à deux oreilles qui renverse la terre de droite & de gauche, & rechausse le pied.

Au moment où l’on vient de butter, on peut semer dans les rangs vides, de gros navets ou turneps, quand on veut tirer deux récoltes du même champ, ce qui suppose à la vérité un bon sol.

Il est possible de planter des pommes de terre dans mille endroits vagues absolument inutiles ; dans les vignes, dans les revers des fossés, dans un bois après qu’il est coupé, dans les laisses de mer, &c. &c.

Le mois d’octobre arrivé, les pommes de terre ne végètent plus à leur avantage : il ne faut pas différer d’en débarrasser le sol pour les semailles d’hiver, pour remplacer, par un grand profit, l’année de jachère, & pour prévenir l’effet des gelées blanches, qui empêcheroient qu’on ne les laissât se ressuer sur le champ où elles ont été cultivées.

Une simple charrue suffit pour en déchausser par jour un arpent & demi, & six enfans bien d’accord peuvent la desservir, munis chacun d’un panier, pour porter à un tas commun les racines dépouillées de leurs filamens chevelus.

Pour la récolte à bras, il faut se servir, non pas d’une bêche ou d’une houe, mais d’une fourche à deux ou trois dents ; faire le triage des grosses d’avec les petites, & mettre de côté celles qui sont entamées, pour les consommer les premières, & rejeter les gâtées.

De tous les moyens proposés pour multiplier les bonnes espèces de pommes de terre, & prévenir leur dégénération dans la qualité & dans le produit, il n’y en a point de plus efficace que le semis ; il faut de temps en temps renouveler les espèces par cette voie.

En cueillant, la veille de la récolte, les baies de l’espèce qu’on a dessein de propager, en les semant au printemps sur des couches, en les transplantant & les cultivant comme la plante ordinaire, on obtient une nouvelle génération, qui, pendant une longue succession d’années, conserve sa fécondité & tous ses caractères.

Avant de porter les pommes de terre à la cave, au grenier ou dans les différens endroits destinés à les conserver pendant l’hiver, il faut les laisser se ressuer au soleil, ou à l’air quand il ne gèle point ; il convient de les mettre toujours sur des planches ou de la paille, éloignées des murs, de les remuer quelquefois quand il règne une humidité chaude, & sur-tout, de ne pas les amonceler en tas trop épais.

Pour faire sécher les pommes de terre, il faut préalablement leur faire subir quelques bouillons, les couper ensuite par tranches, & les exposer au-dessus d’un four de boulanger, les mettre ensuite dans un pot avec un peu d’eau sur le feu ; il en résulte un aliment comparable à celui de la racine fraîche.

Un autre moyen de perpétuer, d’étendre l’usage des pommes de terre, d’en tirer même parti lorsqu’elles valent peu de chose en substance, c’est d’extraire leur farine, amidon ou fécule, pourvu qu’elles ne soient ni cuites ni séchées, ni altérées à un certain point.

Une livre de pommes de terre donne depuis deux jusqu’à trois onces d’amidon ; les rouges en fournissent plus que les blanches, & celles-ci davantage que la même espèce récoltée dans des terres fortes & humides.

On prépare avec la farine ou amidon de pommes de terre au gras ou au maigre, une bouillie légère, substancielle, & infiniment préférable à celle de froment ; elle peut servir tout-à-la-fois de remède & d’aliment ; elle convient aux vieillards, aux convalescens, aux estomacs foibles ; elle augmente le lait des nourrices, & prévient les coliques dont elles sont quelquefois tourmentées.

Il n’y a pas dans les campagnes de ménage assez pauvre, pour ne pas pouvoir, avec une rape & un tamis, se procurer cet amidon pour les besoins de la famille.

L’amidon de pommes de terre qui ne sauroit être employé pour la coiffure, fait de la colle & un bon empois ; serré dans un endroit sec, à l’abri des animaux, il est inaltérable.

La cuisson des pommes de terre à grande eau, & dans un pot découvert, doit être proscrite, parce qu’elle nuit à leur qualité ; il vaut mieux les cuire à la vapeur de l’eau : elles sont alors plus sèches, plus fermes, plus farineuses, n’ont plus de goût.

Les pommes de terre augmentent de qualité en les exposait un moment, toutes pelées & dans un vase, à un feu doux ou sur un gril ; elles achèvent encore de perdre leur humidité surabondante, & acquièrent tous les avantages des pommes de terre cuites au four ou sous les cendres.

C’est particulièrement pour les habitans des campagnes que les pommes de terre paroissent destinées, parce qu’elles exigent peu d’assaisonnement pour devenir un comestible agréable & salutaire ; quelques grains de sel, un peu de beurre, de la graisse, du lard, du miel, de la crème, du lait suffisent.

Elles sont fades sans être insipides, & cette fadeur, contre laquelle on s’est tant récrié, constitue précisément cette qualité qui fait que les pommes de terre se prêtent à tous nos goûts, qu’on ne s’en lasse pas plus que du pain, & qu’elles ressemblent à beaucoup d’égards à cet aliment de première nécessité.

Les pommes de terre sous forme de pain, ne feront jamais tout à la fois un supplément & un objet d’économie, que pour les laboureurs environnés de terrains couverts de ces racines, vu que, tous frais de culture payés, le sac pesant deux-cent vingt livres, ne leur reviendra point à trente sous.

Le pain de pomme de terre, mélangé de partie égale de farine, consiste à employer celle-ci sous forme de levain, à tenir la pâte extrêmement ferme, & appliquer les racines cuites, chaudes & avec leur peau, au levain ou à l’amidon, sans employer d’eau pour pétrir, à faire en sorte de n’enfourner la pâte que quand elle sera bien levée, & à la laisser plus long-temps au four.

Il n’existe pas de plante alimentaire plus généralement utile que les pommes de terre ; elles prolongent les effets du vert toute l’année, conservent dans leur embonpoint les bestiaux qui s’en nourrissent, & ménagent les grains destinés plus particulièrement à la consommation de l’homme.

Les pommes de terre cuites, mêlées avec un quart d’avoine, donnent aux bœufs, pendant deux mois, ce que les bouchers appellent graisse fine ; il faut pour une paire deux cents quatre vingt-dix livres d’avoine, avec dix-huit cents livres de ces racines.

Les animaux qui font des crotins naturellement secs & brûlans, étant nourris de pommes de terre, rendent des excrémens visqueux & glutineux, de manière que le sol léger qui procure au bétail une excellente nourriture, recevra en échange l’espèce d’engrais qui lui convient le mieux pour rapporter des grains.

Avec cette denrée, les fermiers trouveront dans leurs plus mauvais fonds, l’avantage de faire des élèves pendant l’été, d’entretenir l’hiver des troupeaux considérables ; le petit cultivateur, à son tour, fera rapporter à son foible héritage de quoi nourrir sa famille, son cheval, sa vache, son cochon & sa volaille.

Jamais cette culture ne deviendra préjudiciable à celle des grains ; en supposant que l’une & l’autre soient également abondantes, on pourroit employer le superflu des pommes de terre à l’extraction de l’amidon, ou le faire manger par le bétail, dont il seroit possible d’établir un grand commerce, ou qu’on échangeroit avec d’autres productions. M. P.