Cours d’agriculture (Rozier)/PRÉSURE

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PRÉSURE. La liqueur contenue dans l’estomac, et l’estomac lui-même de la plupart des animaux ruminans ou non ruminans ont, comme l’on sait, la propriété de faire cailler le lait, soit que ces animaux se nourrissent exclusivement de végétaux, soit qu’ils ne vivent que de substances animales : cette matière est connue sous le nom générique de présure, sa préparation est indiquée à l’article Fromage, qui n’est pas un des moins intéréssans du Cours complet.

Chaque département, chaque canton, et pour ainsi dire chaque commune a sa méthode particulière de préparer et d’employer la présure : les uns ne s’en servent que dans l’état sec, et après l’avoir délayée dans un peu de lait ; les autres y ajoutent des liqueurs vineuses, des acides ; quelques uns font digérer, dans la présure étendue d’une centaine quantité d’eau, des membranes d’estomac et des vessies d’animaux de toutes classes, et ne l’emploient que dans l’état liquide, souvent même il suffit d’en frotter la coquille, ou la petite écrêmette de bois, et de plonger ensuite cet instrument dans le lait pour déterminer la coagulation ; enfin il y en a qui trempent dans une eau bouillante la mulette ou poche qui contient la présure, et, quatre ou cinq minutes après, cette eau est suffisamment chargée pour opérer l’état désiré : cette préparation est ce qu’on nomme vulgairement infusion de présure.

Quelle que soit la composition de la présure, et la forme sous laquelle on emploie ce ferment du lait, il est bien important d’en ménager la dose, sur-tout en été ; sans cette précaution, la pâte du fromage ne réunit pas les conditions essentielles ; si on en met par excès, elle se présente en grumeaux désunis, sans consistance, et ne retient pas assez la crême qui se sépare de la sérosité ; en moindre quantité, au contraire, le séreux est plus adhérent au caillé, et n’est pas suffisamment dépouillé de matière caseuse : une présure à odeur forte produit encore un mauvais effet.

Pour fixer, à la vérité d’une manière positive, la quantité de présure à employer, il faudroit que la température fût constamment la même, et que le lait eût une égale aptitude à se cailler. Or, cette uniformité ne sauroit exister ici ; les variations perpétuelles de l’atmosphère et de la qualité du lait, apporteront toujours de puissans obstacles à cette précision : tout ce qu’on peut avancer de plus conforme à l’expérience, c’est qu’il faut d’autant plus de présure que le lait est plus gras et plus épais ; car celui auquel on a enlevé la crème, pour en faire du beurre, est plus facile à coaguler, et c’est la température qu’on lui donne qui en fait singulièrement varier les effets. Au reste, c’est l’expérience particulière de la fermière, intelligente sur ce point, qui seule est capable de la guider et de l’instruire.

On a cru que la vertu coagulante de la présure dépendoit de l’acide qui se trouve dans l’estomac des jeunes animaux ; mais des expériences modernes prouvent évidemment que cette vertu appartient également à une foule de substances fort éloignées de tout soupçon d’acidité. Mais toutes ne sont pas propres à opérer convenablement cet effet ; car il ne suffit pas de séparer la matière caseuse de sa sérosité, il faut encore lui conserver cette souplesse, cette continuité lamelleuse, ce moelleux, qui constituent la qualité de la plupart des fromages, de ceux surtout qu’on réduit en petites masses, qu’il faut vendre et consommer dans l’année.

Des agens propres à suppléer la présure. Il existe une multitude de corps dans les trois règnes de la nature, propres à coaguler le lait et à mettre sur-le-champ en évidence une substance blanche, connue sous le nom de matière caseuse ou fromageuse : nous avons cru qu’il étoit utile de faire connoître les particularités qu’offrent la plupart.

Les acides minéraux concentrés exercent leur action sur le lait avec une telle violence, que la matière caseuse de la portion touchée est racornie, colorée, affoiblie par l’eau ; le coagulum est d’abord très-mou, mais il acquiert insensiblement plus de consistance ; le vinaigre, ainsi que les autres acides végétaux, les sels à excès d’acide, et les sels neutres, ont aussi leur manière de coaguler le lait.

Le corps muqueux insipide et le corps muqueux sucré coagulent constamment le lait, lorsqu’ils sont dans un grand état de pureté : pour en avoir la preuve, il suffit de faire bouillir du lait, soit avec de la gomme arabique en poudre, soit avec de l’amidon bien lavé, soit enfin avec du sucre ; après quelques minutes d’ébullition, on voit le caillé se former et prendre une consistance assez serrée, sur-tout si on a soin de forcer la dose de sucre, d’amidon et de gomme.

La coagulation du lait par l’alcool, et par les végétaux évidemment acides, est bien connue ; mais il faut en ajouter une certaine quantité, sans quoi le coagulum n’a jamais une forte consistance : la grande oseille semble produire l’effet le plus marqué.

Parmi les plantes non acides soumises à l’expérience, plusieurs, de la famille des rubiacées, ont été mises à bouillir dans le lait, mais il n’a jamais été possible d’en trouver une qui opérât la coagulation ; nous n’en exceptons pas même le caille-lait, vert ou sec, ancien et nouveau, à diverses époques de sa végétation, en infusion, en décoction ou en substance, auquel tous les auteurs cependant ont attribué la propriété qui lui a donné son nom : elle a été essayée, comme les auteurs le recommandent, sans avoir pu jamais obtenir un effet perceptible.

On sait que le lait qui commence à devenir ancien a une grande disposition à se cailler ; il suffit pour cela de lui faire éprouver un léger degré de chaleur : dans l’été, il acquiert souvent la propriété de se cailler spontanément, en moins de six heures, lorsqu’on le met sur le feu. On conçoit d’après cela que, si on opéroit sur du lait de cette espèce, il ne faudroit plus attribuer sa coagulation à l’influence du caille-lait qu’on y auroit mêlé.

Une chose bien étonnante, c’est que, depuis Dioscoride jusqu’à nous, il ne se soit pas trouvé un seul auteur qui ait même osé élever quelques doutes sur la propriété du caille-lait ; aussi est-on en droit d’en conclure que tous les auteurs se sont copiés servilement, et que c’est ainsi qu’ils ont transmis une erreur qu’une seule expérience auroit pu si facilement détruire. Que d’exemples, en physique et en chimie, ne pourroit-on pas citer de pareilles fautes qui tiennent à la même cause !

Mais ce que ne produit pas le caille-lait, les fleurs d’artichauts et de chardons le font d’une manière très-marquée : il suffit de mêler une infusion assez forte de ces fleurs, ou même de les mettre en substance avec du lait, pour déterminer la coagulation.

Une circonstance singulière, c’est que, si on fait infuser ces fleurs à l’eau bouillante, au lieu de les laisser macérer à l’eau froide, elles perdent entièrement la propriété coagulante, et la possèdent au plus grand degré, si le lait employé est très-chaud. Cette observation suffit pour faire voir qu’une simple infusion peut changer la vertu d’une plante.

Les jeunes animaux de la classe des ruminans ne sont pas les seuls qui puissent fournir une substance douée de la vertu coagulante : la liqueur contenue dans l’estomac, l’estomac lui-même d’une foule d’êtres qui vivent de chair, de poissons, d’insectes, de grains et d’herbes, possèdent également cette vertu à un degré assez intense, pour qu’on puisse quelquefois en tirer parti.

On a prétendu que la propriété coagulante de la présure, et d’une foule d’autres matières qui peuvent la suppléer, dépendoit d’un acide à nu qu’elles contenoient : mais il est facile de prouver la fausseté de cette assertion ; car un mélange de présure et de potasse, dans lequel cette dernière étoit en excès, ajouté à du lait, a produit un coagulum absolument semblable à celui résultant des mêmes quantités et espèces de lait, auquel on avoit ajouté une portion égale de présure pure.

D’ailleurs, le sucre, l’amidon et la gomme, ne font pas, dans ce cas, les fonctions d’acide, puisqu’il est démontré qu’ils n’en contiennent pas de développé, et que celui qu’on parvient à obtenir avec eux est toujours le produit d’une nouvelle combinaison qu’on leur a fait éprouver. Or, assurément, les gommes et le sucre ne contiennent pas d’acide à nu : on est donc forcé de convenir que le principe coagulant n’appartient pas exclusivement aux acides.

Quels que soient, au reste, les intermèdes employés à la coagulation du lait, on voit que leur action s’exerce d’une manière plus ou moins marquée sur la substance caseuse ; les uns agissent fortement sur elle, et s’expriment, pour ainsi dire, en un instant ; d’autres, au contraire, lui conservent une sorte de mollesse, qu’elle ne perd qu’après beaucoup de temps : dans l’un et l’autre cas, la saveur du sérum, ainsi que celle de la matière caseuse, présentent des différences bien sensibles. Cette seule observation sert à prouver qu’il ne faut pas employer indifféremment tous les agens, lorsqu’on veut coaguler du lait dont on a l’intention d’examiner les produits, car on ne pourroit acquérir les connoissances qu’on désire se procurer.

Il existe donc une multitude de substances propres à opérer la coagulation du lait : mais la véritable cause de ce phénomène, pour l’explication de laquelle on a tant hasardé de conjectures, est encore à découvrir. (Parm.)