Cours d’agriculture (Rozier)/PURGATION
PURGATION. Médecine Vétérinaire. Méthode purgative. Une malheureuse expérience nous a souvent convaincu qu’on expose la vie du cheval ou qu’on affoiblit son tempérament en lui administrant les médicamens cathartiques, lorsqu’on ne prend pas les précautions nécessaires pour en obtenir l’effet que l’on désire. La cause des désordres mortels que ces remèdes occasionnent, ne seroit elle pas dans ces mélanges bizarres & monstrueux que l’empirique apprête & dispense au hasard, & qui de plusieurs substances efficaces & salutaires en elles-mêmes, font éclore un nouveau genre de poison ? Ne résideroit-elle pas dans l’ignorance des doses convenables, eu égard à la nature & à la qualité de la matière employée, & eu égard à l’âge, à la force, & au tempérament trop souvent inconnu de l’animal auquel cette même matière a été administrée ? A-t-on toujours scrupuleusement observé les précautions indispensables que demande l’usage de ces médicamens ? A-t-il été soigneusement précédé de la saignée dans les cas où elle étoit nécessaire, des boissons humectantes & adoucissantes, ainsi que des lavemens émolliens, réitérés & propres a détremper, à évacuer d’avance une partie des excrémens grossiers, à détendre, à disposer les entrailles à l’action du remède & à ouvrir ainsi les voies sans douleur ? L’estomac qui a reçu la substance purgative n’étoit-il point farci d’alimens, & a-t-on eu l’attention de préparer l’animal trois ou quatre jours avant la médecine, en lui donnant moins de fourrage, en tenant devant lui de l’eau blanchie avec le son & le froment, en ne lui distribuant la veille du purgatif, que deux livres de foin pour son déjeûné & autant pour son dîné ? A-t-on eu soin de ne le pas laisser manquer d’eau blanche dans son après-dîné, de lui en remettre pour toute sa nuit, d’ôter toute la paille, tout le foin qui pourroit rester dans le râtelier, dans la mangeoire, de retirer sa litière de dessous ses pieds de devant, & de l’attacher de manière qu’il ne puisse la manger ? A-t-on attendu, après qu’il a eu pris sa médecine, 4 à 5 heures avant que de lui donner des alimens ? Ces remèdes étoient-ils sous une forme sèche ou liquide ? Ces différentes formes ont-elles été sagement adaptées aux tempéramens des sujets, & le choix en a-t-il été réglé d’après la considération des alimens secs ou humides dont ils étoient nourris ? Les effets des purgatifs délayés ont-ils été comparés dans les uns & dans les autres de ces sujets à celui des pilules, des poudres qui travaillent quelquefois fortement les intestins de certains animaux, & qui en incendient le ventricule par leur fixité & par leur séjour dans une partie quelconque de ses parois ? A-t-on eu égard aux climats, aux saisons, aux temps où l’âpreté & la rigueur du froid étant excessives, les vaisseaux se trouvent très-resserrés, & où d’ailleurs il est toujours à craindre, & dans l’obligation où l’on est communément d’exposer l’animal à l’air, pour l’induire d’heure en heure à l’exercice modéré qui facilite l’évacuation désirée, que ce même air dont il n’est souvent pas assez garanti, ne lui occasionne, en le frappant, des maux dont il eût été exempt si on eût eu soin de le tenir plus couvert ? A-t-on pensé que dans les chaleurs extrêmes où les déperditions étant plus considérables, il y a en quelque sorte, & pour l’ordinaire, sécheresse des entrailles & même de tout le corps, on devroit être très-réservé sur l’emploi de ces médicamens ? L’application qu’on en a faite a-t-elle été constamment juste & bien réfléchie ? N’a-t-on point troublé la nature, & N’a-t-on point mis obstacle à ses vues, en suspendant, par cette évacuation, d’autres évacuations qu’elle préparoit ? A-t-on considéré les dangers que l’on pouvoit courir lorsque l’estomac se trouve foible ou enflammé, & lorsqu’il s’agit de fièvres aiguës, de mouvemens violens du sang, de tranchées sanguines, & de ce feu caché dont les intestins de l’animal sont quelquefois embrasés sans aucun signe extérieur ? Les purgatifs violens n’ont-ils pas été préférés à des purgatifs moins actifs dans des affections de la poitrine, dans la toux, dans la fourbure, dans des maladies cutanées produites par une véritable acrimonie, & où ceux-ci, en dégageant les intestins, auroient adouci les liqueurs, ou du moins n’auroient pas augmenté les irritations ? Dans de certains cas de chaleur violente, d’ardeur & de fièvre, s’est-on déterminé pour ceux qui pouvoient matter le mouvement intestin du sang & l’effervescence de la bile, tels que ceux dans lesquels on fait entrer les sels d’epsom, de fedlitz, le sel végétal, la crème de tartre, & que l’on donne dans des décoctions de plantes acides ? A-t-on distingué ceux qu’il convenoit plutôt d’employer dans la circonstance de l’épaississement des humeurs & de l’engorgement des vaisseaux, dans celles où il importe de secouer le genre nerveux ? & lorsqu’il s’est agi d’animaux en qui le système des parties nerveuses étoit dispolé à des mouvemens irréguliers, a-t-on considéré la nécessité où l’on étoit de donner les purgatifs en grands lavages ? Enfin, toutes les fois qu’on a eu recours à ces remèdes, l’estomac & les intestins contenoient-ils des matières qu’il étoit essentiel d’expulser ? Au défaut de ces matières, celles qui étoient bonnes & utiles n’ont-elles pas été soumises à leur action ? ne s’est-elle point exercée immédiatement sur les fibres nerveuses ? Leurs particules en s’insinuant avec célérité dans le sang qu’elles ont pu dissoudre & dépouiller par des sécrétions forcées de ce qu’il renferme de plus fluide & de plus balsamique, n’ont-elles pas épuisé & mis à sec les humeurs ? En un mot, les foiblesses, le dégoût, l’agitation, la fièvre, l’inflammation générale, & tous les accidens quelconques qui ont été une suite des purgatifs mal administrés, & qui n’ont que trop souvent conduit les animaux à la mort, ont-ils du être généralement, & avec raison, imputés à ces médicamens plutôt qu’à l’incapacité des hommes dans les mains desquels ils ont été, ce que seroient des armes sans celles d’un enfant ou d’un furieux ?
De pareilles idées avoient séduit nombre de médecins de l’antiquité dont les noms ont été célèbres, mais qui, à la vérité, ne connoissoient que l’élaterium & l’ellébore. La découverte d’une infinité de substances moins puissantes & plus analogues à la force & au tempérament de l’homme, jointe à l’utilité réelle de ces médicamens, dans le traitement du plus grand nombre des maladies dont il peut être atteint, a rassuré les médecins qui les ont suivis, & ne leur a pas permis de regarder, à l’imitation de leurs devanciers, les purgatifs comme des instrumens mortels. Un jour non moins heureux éclairant la médecine vétérinaire, elle cessera sans doute de renoncer à des ressources qui doivent lui être d’autant plus chères, que dénuée de celle des vomitifs, elle ne pourroit suppléer en aucune manière au défaut des évacuans dont il s’agit. Elle ne rejettera donc point désormais des moyens si utiles de rétablir les premières voies, souvent & à raison des maladies, même languissantes & infirmées par le manque d’énergie des sucs destinés à la dissolution des alimens ; de détruire les effets & d’exposer aux changemens considérables qui résultent du mélange de ces mêmes sucs viciés avec le sang ; de solliciter des révulsions utiles ; de dégager le cerveau ; de délivrer de tout embarras les viscères de l’abdomen ; de rendre au sang sa fluidité ; de faciliter la circulation dans les vaisseaux capillaires ; de ramener dans le torrent circulaire les liqueurs qui s’en écartent ; de débarrasser la masse du volume des humeurs qui la surchargent, &c.
Les purgatifs qu’elle peut adopter sont le polypode de chêne, les tamarins, le sel d’epsom, celui de sedlitz, le sel végétal, le sel de glauber, le nitre, la crème de tartre, la magnésie, le tartre vitriolé, la manne grasse, le catholicon fin, la rhubarbe, le sénné, l’aquila-alba, l’aloès, l’agaric, le jalap, le méchoacan, le turbith végétal, le diagrède ou la scammonée, la gomme-gutte, l’ellébore noir, la gratiole, la pomme de coloquinte, l’élaterium, les trochaïques alhandal, les extraits de coloquinte, de tithymale, &c.
Les premières de ces substances sont moins actives que les autres, & doivent obtenir la préférence dans la circonstance où il seroit d’un danger évident de raréfier la masse du sang & d’y porter le feu ; d’agacer des fibres disposées à l’éréthisme ou déja tendues, d’ajouter, par l’irritation, à une acrimonie existante ; de priver les humeurs du reste de cette sérosité dont elles pouvoient n’être que déjà trop dépourvues ; d’augmenter les inflammations, &c.
Les autres purgatifs ont beaucoup plus d’activité, leurs effets sont aussi plus vifs & plus marqués ; mais ils ne conviennent qu’autant qu’on n’a pas à redouter l’agitation trop grande du sang ; qu’il s’agit de le diviser, d’en accroître le mouvement, de faire sur les canaux obstrués des efforts qui surmontent la résistance qu’ils opposent à la liberté de la circulation ; de provoquer la sortie des sérosités superflues ; d’entraîner au dehors une pourriture dont le transport dans la masse du sang la pervertit toujours de plus en plus, &c.
Enfin les derniers de ces médicamens, tels que le turbith végétal, le diagrède, la gomme-gutte, l’ellébore, la gratiole, &c, infiniment plus irritans encore que ceux-ci, évacuent plus copieusement ; ils agitent, ils atténuent plus puissamment le sang ; on n’y a recours que dans les cas où les purgatifs moins actifs seroient insuffisans ; où les fibres étant dans une sorte d’insensibilité & d’inertie, on ne doit point être arrêté par l’appréhension d’une irritation trop vive & de l’ébranlement violent du genre nerveux ; où l’on se voit dans l’obligation de vider considérablement, d’expulser les matières épaisses & gluantes qui corrompent le chyle, & qui donnent lieu au relâchement des fibres du ventricule & du canal intestinal, &c. : mais s’ils ne sont pas administrés à propos & avec prudence & ménagement, ce ne sont plus que des substances corrosives, incendiaires, capables de déchirer les membranes des intestins ; de dépouiller les humeurs de leurs parties les plus fluides ; de dissiper la matière des esprits animaux & des sécrétions ; de précipiter les vaisseaux dans l’inanition, & la mort la plus douloureuse en est la suite.
L’opération des uns & des autres de ces évacuans est ici bien plus lente que dans l’homme, du moins en ce qui concerne les animaux d’un certain volume & d’une certaine masse. Dans le cheval, par exemple, elle ne se manifeste que quinze, dix-huit, & même vingt-quatre heures après que ces remèdes lui ont été donnés ; parce que plus l’étendue de ses intestins & des vaisseaux que les particules purgatives ont à parcourir en lui, est considérable, plus il leur faut de temps pour agir. On peut donc regarder cette lenteur dans leurs effets comme une nouvelle preuve de l’introduction de ces particules dans le sang, introduction déja constatée & démontrée dans les jumens & dans les vaches nourrices, comme elle l’a été dans les femmes qui allaitent, leur lait imbu de ces substances purgeant également les petits allaités.
Leur action est encore plus ou moins tardive ; 1°. selon leur genre ; celle des purgatifs les plus puissans, tels que les résineux, est moins prompte à raison de la matière qui embarrasse les parties actives, & qui s’oppose à leur développement subit ; 2°. selon la qualité sèche ou humide du fourrage dont les animaux sont alimentés, ceux qui sont nourris au vert étant plutôt sensibles à l’impression des purgatifs, que ceux qui sont constamment nourris au sec ; 3°. selon la délicatesse de l’animal, selon le plus ou le moins de force de son tempérament ; car il est des chevaux en qui un régime miellé opère l’effet des purgatifs ; c’est ainsi qu’un mélange d’une livre de miel dans un picotin de son, ou une égale quantité de son & de miel cuits dans suffisante quantité d’eau commune, ont été souvent un laxatif doux & excellent dans certains cas d’altération de flanc, de toux, de dépérissement, de maigreur, occasionnés par la fatigue ; l’usage en ayant néanmoins été interdit à propos après l’espace de cinq ou six jours, & même plutôt, si l’évacuation provoquée a pris fin d’elle-même ; 4°. selon la forme sous laquelle ils sont administrés, les purgatifs délayés prenant toujours moins de temps pour produire ce qu’ils ont à effectuer, que ceux que l’on administre en substance solide ; 5°. selon les doses pour lesquelles il est important de consulter toujours la nature, & qui, trop fortes, rendent l’opération plus longue, & si elles ne la rendent pas plus prompte, peuvent causer des superpurgations pour lesquelles on ne prescrit souvent que trop vainement les adoucissans, les narcotiques, &c. soit en breuvages, soit en lavemens. Du reste, les doses étant trop foibles, ces médicamens cessent d’être évacuans ; la magnésie absorbe, la crème de tartre tempère, ainsi que le nitre, qui de plus est diurétique, la manne est béchique, l’aloès, la rhubarbe sont stomachiques, l’aquila-alba désobstrue, l’élaterium, la pomme de coloquinte, même en une certaine quantité, ne sont que des agens qui incisent & qui fondent puissamment, &c.
C’est d’après cette considération qu’on doit juger du peu de nécessité de se livrer aussi souvent qu’on le fait, dans des vues qui paroissent réfléchies, à de certaines combinaisons que j’estime qu’on peut très-aisément abandonner dans la pratique de la médecine vétérinaire, si d’ailleurs, dans le choix de ces substances qui peuvent se rencontrer, on fait attention aux propriétés altérantes, dont elles sont douées ; ainsi au lieu de leur associer des stomachiques, dans des cas de débilité d’estomac & de mauvaises digestions, on pourroit éviter ce mélange en se déterminant pour les purgatifs stomachiques en eux-mêmes. On en useroit de même en prescrivant la rhubarbe, les myrobolans, &c. lorsqu’on auroit quelque striction à solliciter ; en prescrivant la manne lorsqu’il s’agiroit d’adoucir & de relâcher ; &c. Je ne prétends pas néanmoins interdire toute associations s’il arrivoit que ces remèdes fussent insuffisans, ni prohiber celle des fébrifuges pour déraciner des fièvres qu’on ne peut vaincre autrement ; celle des sudorifiques, quand il s’agit d’atténuer & de diviser fortement des humeurs répandues çà & là, comme dans le farcin, &c.
Dans l’administration des purgatifs, ainsi que de tous breuvages quelconques administrés avec la corne, il faut user au surplus d’une prudence à laquelle on ne manque que trop communément, soit en maintenant trop long-temps & sans relâche, les animaux dans l’attitude forcée où l’on est obligé de les mettre pour leur faire avaler le breuvage, soit en vidant sur le champ & coup sur coup des cornes entières dans leur bouche, par la crainte de perdre une portion de la liqueur, & au risque de suffoquer l’animal, ce à quoi il seroït facile d’obvier en fermant supérieurement cette espèce de vase, & en le garnissant, à trois ou quatre doigts de son extrémité la plus mince, d’une soupape qui ouverte par la plus légère pression, & pouvant le refermer sur le champ & à volonté, ne laisseroit échapper de cette liqueur que la quantité que l’animal malade pourroit en recevoir sans danger.
Au reste, non-seulement nous donnons ces évacuans aux animaux en les leur faisant prendre par la bouche, mais nous les leur administrons en lavemens, avec d’autant plus de succès que les gros intestins offrant par leur étendue & par leur volume, sur-tout dans le cheval, beaucoup de prise à ces substances, leur effet en est nécessairement augmenté ; c’est ainsi que communément nous déterminons par ce moyen l’évacuation trop tardive qu’auroit dû occasionner un purgatif administré en substance ou en breuvage ; très-souvent aussi en employant des purgatifs plus actifs, vidons-nous par cette voie, de la manière la plus salutaire, des animaux en qui ces mêmes purgatifs donnés autrement auroient pu causer des ravages ; comme nous employons très-utilement de cette façon celles de ces substances qui sont plus puissantes encore, dans des cas où il s’agit de provoquer une irritation plus ou moins forte ; alors nous injectons la liqueur avec la seringue qui la pousse beaucoup plus loin qu’elle n’est portée quand les lavemens sont simplement vidés avec l’espèce de marmite à long bec, dont on se sert très-commodément dans les circonstances où l’animal voudroit repousser sans cesse la liqueur au dehors, & où cette même liqueur lancée & dardée avec force contre les parois des intestins, accroît l’irritation que des lavemens émolliens, rafraîchissans, anodins, & ordonnés à propos, doivent appaiser, &c M. BRA.