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Cours d’agriculture (Rozier)/RABOUGRI

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Hôtel Serpente (Tome huitièmep. 465-468).


RABOUGRI. Mot qui désigne des arbres souffrans, mal venans, qui languissent & ne profitent pas. Plusieurs causes concourent au rabougrissement de l’arbre, & on peut dire en général, que toutes viennent de l’extérieur.

Les racines des fruits à noyaux sont sujettes à être attaquées par des insectes. La blessure qu’ils leur sont occasionne des loupes, (consultez ce mot ainsi que celui Amandier) ces loupes grossissent, se multiplient en raison des blessures, & leur accroissement absorbe une grande partie de la séve à mesure qu’elle descend des branches aux racines, & vicie l’autre partie qui rentre dans le torrent de la circulation. Aussi tout amandier, abricotier, prunier & pêcher, dont les racines sont infestées de loupes, rabougrissent plus ou moins vite en raison de la multiplicité & du volume de ces loupes.

Je crois avoir observé plusieurs fois que la terre qui environne ces loupes, ces excroissances spongieuses, est beaucoup plus fraîche, plus mouillée que celle qui environne les racines.

Dans ce cas, il ne seroit pas surprenant que ces excroissances fussent autant de canaux par lesquels la séve s’échapperoit au dehors. Au surplus, je ne présente cette assertion que comme une conjecture qu’il est bon de vérifier de nouveau. Le seul remède consiste à supprimer les racines attaquées, & à donner un bouillon à l’arbre, c’est-à-dire un bon arrosement d’eau de fumier.

La larve ou ver du hanneton, (consultez ce mot) ainsi que celle du moine ou rhinocéros, attaquent souvent les racines & s’insinuent dans leur intérieur, où elles rongent la partie ligneuse & tendre ; un arbre ainsi attaqué devient rabougri. Creuser au pied de l’arbre, découvrir les racines avec précaution, tuer l’insecte, boucher son logement avec de l’argile bien pétrie, reboucher la fosse & arroser comme ci-dessus, voilà le remède.

Un coup de soleil qui survient après une pluie, dessèche souvent une partie du tronc qui est exposé à son activité ; dès-lors le cours ordinaire de la séve est ralenti & suspendu dans cette partie par l’oblitération des canaux. La séve montoit auparavant, par exemple, avec une force comme 10, mais la moitié de ses canaux est obstruée, elle ne peut dent plus monter qu’avec une force comme cinq, & par conséquent diminuer de moitié la nourriture de la partie supérieure ; mais la séve qui étoit dans cette partie supérieure, ne pouvant toute redescendre aux racines, abstraction faite de celle qui s’échappoit par la transpiration, cette séve stagnante vicie celle qui monte, & dès-lors celle qui descend pendant la nuit est également viciée, jusqu’à ce que l’équilibre soit rétabli entre la séve ascendante & la séve descendante ; enfin, jusqu’à ce qu’il monte une égale quantité de séve & de bonne qualité, l’arbre souffre & se rabougrit. Enlever jusqu’au vif avec le tranchant de la serpette toute la partie de l’écorce racornie & attaquée par le coup de soleil, est le seul moyen de remédier à cet inconvénient. L’onguent de S. Fiacre mis sur la plaie y entretient de la fraîcheur, ainsi que le linge dont on enveloppe le tronc pour maintenir l’onguent : peu à peu l’écorce se régénère, & l’arbre reprend sa première vigueur.

La mouche meunière, ainsi que plusieurs autres insectes, déposent souvent leurs œufs sous l’écorce des arbres ; ces œufs éclosent, produisent une larve ou ver. Ceux de certaines espèces ne travaillent qu’entre l’écorce & l’aubier, & y creusent des galeries en mâchant la substance de tous deux ; quelques-uns pénètrent dans la substance même du bois, & y travaillent avec ardeur & sécurité. Cependant ces mineurs laissent toujours des traces de leurs dégâts, telles sont les sciures que l’on voit aux pieds des arbres directement sous le débouché par où l’animal les a expulsées de sa retraite. Avec un fil de fer bien recuit & souple, on sonde la profondeur de la galerie, & en l’enfonçant on perce l’animal. Si la galerie est simplement entre l’écorce & ; l’aubier, on le connoît à la couleur rousse & différente de celle que l’écorce avoit auparavant ; alors on ouvre cette écorce avec la serpette, on en détache toute la partie morte, & on remplit la cavité avec l’onguent de S. Fiacre, qui sert encore à recouvrir les bords de l’écorce saine qu’on vient de séparer de l’écorce morte.

Il est facile de comprendre que si ces galeries sont multipliées, proportion gardée avec la force de l’arbre, le cours de la séve doit être altéré, & par conséquent les principes de vie diminués dans l’arbre ; de là le rabougrissement ou la mort si le mal est considérable.

La manière de planter les arbres & la nature du sol contribuent singulièrement à les faire rabougrir, 1°. lorsque la greffe est enterrée ; 2°. lorsque la greffe fait bourrelet ; 3°. lorsque le sujet est trop foible & le sol trop fort, trop tenace ; 4°. lorsque les racines ont été, suivant la marotte générale, mutilées & raccourcies sous prétexte de les rafraîchir.

La greffe enterrée fait éponge, & ne ressemble pas mal, quant à l’effet, aux loupes dont il a été question ci-dessus. Par la greffe, les filières ou canaux directs de la séve sont interrompus, & leur oblitération, en partie, ne laisse monter qu’une séve plus épurée ; mais lorsque la greffe est enterrée, elle absorbe une portion de l’humidité de la terre, & cette portion n’étant pas assimilée à la nature de la séve, élaborée & travaillée par le levain contenu dans les racines, introduit dans le torrent de la circulation une substance étrangère dont l’arbre ne peut se débarrasser que très à la longue par la transpiration ; mais comme cette substance étrangère se renouvelle sans cesse, le mal augmente insensiblement, & l’arbre rabougrit. J’ai dit que la greffe enterrée ressembloit aux loupes ; la comparaison n’est pas absolument exacte, puisque celles-ci repoussent l’humidité en dehors, & que celle-là absorbe l’humidité de dehors en dedans ; mais dans l’un & l’autre cas, toutes deux nuisent à la végétation.

Jamais un arbre dont la greffe fait bourrelet ne prospérera. Le pépiniériste, au lieu d’attendre que le sujet soit en état, par sa grosseur, de recevoir la greffe, (consultez ce mot) au lieu de le receper & d’attendre à greffer sur la nouvelle pousse de l’année suivante, se hâte mal à propos, pour gagner du temps & pour promptement vendre son arbre. La greffe seule travaille, la séve s’y porte avec impétuosité, mais ne pouvant redescendre aux racines avec la même facilité, par le peu de diamètre du pied, la base de la greffe grossit & forme un bourrelet au dessus du pied. S’il ne redescendoit que la même quantité de fluide qui est montée pendant le jour, ce bourrelet n’auroit pas lieu ; mais on sait que pendant la nuit les feuilles aspirent une certaine quantité d’humidité de l’atmosphère, qui se mêle avec la séve descendante pendant la nuit, & augmente d’autant son volume. Il en est de ces greffes comme des ligatures faites trop fortement du tuteur contre le tronc du jeune arbre. L’écorce pressée & serrée ne permet pas le libre cours de la séve, & au dessus de la ligature il se forme un bourrelet ; les cerisiers y sont fort sujets. Il est rare qu’un abricotier, greffé sur un prunier trop jeune, ne fasse pas bourrelet ; qu’une greffe levée sur un franc, & placée sur un coignassier, ne produise le même effet, ainsi que sur un paradis, &c. Quoi qu’il en soit, un propriétaire ne doit, dans aucun cas admettre un arbre dont la greffe fait ou menace de faire bourrelet. Sans cette précaution, il est sûr d’avoir bientôt des arbres rabougris.

Si on plante des arbres greffés sur coignassier ou sur paradis, si ces arbres sont sans pivot, si leurs racines sont écourtées, enfin si un tel arbre est planté dans un sol tenace & compact, comment veut-on qu’il y réussisse ? Pendant la première année, il travaillera à réparer la sottise du jardinier ; il poussera quelques chevelus dans une terre qu’il trouvera ameublie par la fouille ; l’année d’après, cette terre, serrée par son propre poids & par les pluies, aura repris sa première ténacité, & les chevelus n’auront plus la force de la pénétrer & de s’étendre. De tels arbres végéteront avec langueur pendant quelques années ; leur tronc, leurs branches se chargeront de mousse si l’atmosphère est naturellement humide, & voilà des arbres rabougris. Les arbres sur franc conviennent seuls à un semblable terrain, & encore faut-il qu’ils aient leur pivot & toutes leurs racines. Les arbres rabougrissent également dans les terrains trop humides, les racines chancissent, la séve est trop aqueuse, & ses principes trop délayés ; dès-lors la végétation est perpétuellement contrariée, & l’arbre rabougrit plus ou moins vite suivant le plus ou moins de qualité qu’a la séve.

Par la raison contraire, les arbres rabougrissent également dans les terrains trop secs, trop graveleux, trop maigres, leurs branches sont en raison de leurs racines, & les racines sont plutôt nourries & entretenues par les feuilles que celles-ci par les racines. L’équilibre de la séve montante & descendante ne s’y trouve plus, il faut donc que l’arbre souffre & rabougrisse.

C’est à tort que l’on voudra contrarier la nature, imitons-la ; ne plaçons dans chaque terrain que l’arbre qui lui convient, nous serons sûrs alors de voir nos travaux couronnés par le succès, & de n’avoir pas en pure perte dépensé beaucoup d’argent.