Cours d’agriculture (Rozier)/SOMMEIL

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 259-261).


SOMMEIL. Médecine rurale. L’homme, après avoir fatigué & épuisé ses forces, devoit trouver dans une action involontaire, une ressource pour les réparer. La nature, attentive à ses besoins, lui a donné le sommeil, nuis aussi elle a voulu qu’il fût limité. Trop peu dormir, affoiblit les nerfs, épuise les esprits, & cause des maladies. Trop dormir, au contraire, rend l’esprit & le corps pesant, & dispose aux maladies soporeuses.

On n’est pas encore parvenu à découvrir les véritables causes du sommeil. On les attribue en général à la compression & à l’affaissement des fibres du cerveau. N’y a-t-il pas quel qu’autre cause qui puisse l’exciter ? Certains physiologistes ont assigné la dissipation des esprits animaux comme la plus sûre & la plus efficace.

Le sommeil, pour être salutaire, doit être doux, tranquille, & exempt de tout songe fatigant : sa durée doit varier selon l’âge, les tempéramens & les différens exercices auxquels on se livre dans le jour. Les enfans doivent dormir plus que les adultes. Les gens laborieux, plus que les gens oisifs, & ceux qui s’adonnent aux excès de la table & de la boisson, plus que ceux qui vivent sobrement. Pour l’ordinaire, sept heures de sommeil sont suffisantes à un homme bien constitué ; mais les enfans ont besoin d’un plus long repos : leur âge, la foiblesse de leurs organes, leur délicatesse, le besoin pressant d’une digestion presque continuelle, les obligent à passer la première année de leur naissance à téter & à dormir.

Rien n’est plus propre à détruire dans l’homme cette aptitude naturelle pour l’exécution de ses fonctions, qu’un sommeil trop long. On a observé que ceux qui suivent ce doux penchant, deviennent fort nonchalans & très-oisifs ; que leurs organes tombent dans un relâchement extrême, que leurs nerfs deviennent insensibles, & qu’ils finissent par perdre le mouvement & le sentiment dans toutes les parties du corps : réduits à ce triste état, ils ont beau vouloir se roidir contre le sommeil, & inviter la nature à faire pour eux quelques salutaires efforts, elle leur refuse son secours, parce qu’elle est épuisée, & la mort ne tarde pas longtemps à mettre fin à leurs souffrances.

Pour bien dormir la nuit, il faut faire de l’exercice pendant le jour. Il faut encore souper légèrement, s’abstenir de toutes sortes de liqueur fermentescible, qui puisse accélérer & augmenter le mouvement du sang, & le porter à la tête. On doit encore avoir l’attention de tenir la tête assez haute, sur un oreiller, & se tenir modérément couvert ; on sait que la surcharge des couvertures est un obstacle au sommeil.

Si, au contraire, on dort la tête basse, on s’expose à être attaqué du cochemar, ou à passer une nuit entremêlée de songes fâcheux dans lesquels on se représente les différens objets qui ont fixé notre attention pendant le jour, & ont été le sujet de notre conversation. Il y en a qui ont cru voir dans leurs rêveries, des serpens rouges voltiger autour du lit.

Quoique je recommande de souper légèrement, je n’entends point exclure de exclure l’usage de la viande ; celui des végétaux seroit préférable à tous égards ; mais tous les tempéramens ne s’en contentent point, & cette privation pourroit leur porter quelque préjudice & déranger leur sommeil.

Buchan regarde le chagrin comme la cause la plus propre à le troubler. Il nous apprend aussi que quand l’esprit n’est pas à son aise, on goutte rarement un sommeil tranquille, & que ce grand avantage de l’humanité s’éloigne souvent du malheureux qui en a le plus de besoin, tandis qu’il vient trouver celui qui est heureux & content. Cette vérité devroit engager tous les hommes à faire tous leurs efforts pour ne se coucher que lorsque leur esprit est le plus tranquille qu’il est possible. Il y a des personnes qui, à force de s’abymer dans des réflexions tristes & désagréables, ont tellement éloigné le sommeil, qu’elles n’ont jamais pu le goûter par la suite.

La nuit doit être consacrée au sommeil, & le jour au travail : rien n’est plus contraire à la santé que de faire de la nuit le jour : aussi voyons-nous les gens de lettres, qui sont quelquefois forcés de passer les nuits à travailler, être en butte aux affections nerveuses.

La nuit favorise le sommeil : c’est le temps prescrit & marqué par la nature ; & le sommeil pris en général dans le commencement de la nuit, délasse & défatigue le plus ; les organes de la volonté & des sens étant dans une parfaite inaction, le cours des esprits vitaux en devient beaucoup plus paisible, & par conséquent, la perte en est infiniment moindre : aussi un homme qui, après une longue marche, s’endort & passe la nuit dans les bras du sommeil, s’éveille le lendemain, frais & bien dispos.

On demande s’il est avantageux de dormir après dîner. Les uns en ont besoin pour la conservation de leur santé, & les autres croyent s’exposer à plus ou moins de maladies en dormant vers le milieu du jour, sur-tout après le repas.

Les vieillards, les gens de lettres, les vaporeux, les mélancoliques, ceux qui sont d’un tempérament phlegmatique & pituiteux, les convalescens, les valétudinaires, & surtout ceux qui tendent à l’étisie, sont plus ou moins disposés à faire la méridienne, & tous s’applaudissent d’y satisfaire ; la raison, c’est, dit M. Duplanil, que le repos & le sommeil, quelque courts & légers qu’ils soient, sont nécessaires à chacune de ces personnes pour bien digérer.

La méridienne peut nuire aux uns & aux autres, comme l’observe très-bien M. Maret, célèbre médecin de Dijon, sur-tout si elle dure trop long-temps. Il est donc nécessaire de la renfermer dans de justes bornes : un quart d’heure, une, demi-heure suffisent : on doit rarement dormir une heure ; d’ailleurs, c’est le tempérament, c’est la quantité & la qualité des alimens qui doivent servir de règle.

Plus on a de difficultés à digérer, continue cet illustre auteur, & plus les alimens résistent à leur décomposition, plus aussi la méridienne doit être longue ; au contraire, elle doit avoir d’autant moins de durée, que les alimens sont plus faciles à digérer, & que le tempérament favorise davantage la digestion.

On ne doit point faire la méridienne étendu sur un lit, parce que cette position horisontale forceroit la pâte alimentaire à sortir de l’estomac par l’orifice inférieure, avant que d’être parfaitement digérée : la position la plus favorable pour la méridienne, est donc celle dans laquelle le corps est un peu incliné à l’horizon, & pour cet effet on doit s’asseoir dans un fauteuil ou sur un sopha, la tête haute, le corps légèrement penché en arrière, & un peu tourné sur le côté gauche.

Il faut de plus avoir attention que la circulation du sang ne soit gênée dans aucune partie du corps. Conséquemment, avant de se livrer à ce sommeil, il faut se défaire de tous liens. Le col de la chemise doit être libre, de même que la ceinture de la culotte, les cordons des juppons, &c. il faut encore ôter les jarretières. Alors nulle pesanteur, nulle douleur de tête, nul engorgement à craindre ; accidens qu’on a souvent attribués a la méridienne, faute d’y avoir assez apporté d’attention.

Le sommeil excessif & morbifique produit différentes maladies qu’on connoît sous le nom d’affections soporeuses ou comateuses, ou de léthargie. Ces maladies comprennent les deux espèces de coma, la léthargie, la catalepsie, le carus, la cataphote & l’apoplexie. Voyez ces mots.

Les vomitifs, les purgatifs forts, les lavemens âcres & irritans, les vésicatoires sont les remèdes les plus efficaces contre le sommeil morbifique. La saignée est encore un secours qu’on ne doit pas négliger, sur-tout s’il dépend d’une pléthore bien décidée à la tête : on a encore vu réussir la fumée du tabac introduite dans les intestins par l’anus. Les sinapismes ont quelquefois mieux réussi que les vésicatoires. Lorsque tous ces remèdes n’opèrent point les effets salutaires qu’on est en droit d’en attendre, il faut alors tenter l’immersion subite des malades dans l’eau froide ; La frayeur qui peut en résulter, peut tout aussi bien changer en mieux la manière d’être du principe vital, que, procurer un plus grand désordre dans les organes. Ce dernier moyen, qui a eu du succès, doit être regardé comme un remède douteux, auquel il convient d’avoir plutôt recours dans un cas désespéré, que de ne tenter aucun remède. M, Ami.