Cours d’agriculture (Rozier)/SPERGULE

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SPERGULE. Cette plante a déjà été décrite dans le neuvième volume du Cours, au mot Sporée ; mais une observation assez particulière, c’est qu’elle soit la seule espèce de la famille des morgelines qu’on ait essayé de rendre utile. Le Gentilhomme cultivateur parle cependant d’une autre espèce de spergule, qu’il nomme spergule de mer, à cause de son abondance dans les terres marécageuses voisines de la mer, et qu’il seroit également avantageux de cultiver : l’auteur observe, avec raison, qu’on devroit profiter de cette plante qui convient à tous les bestiaux d’une ferme, pour en couvrir une grande étendue de terrains vagues et inutiles sur le rivage de la mer. Des hommes dignes de foi assurent même, d’après l’expérience, qu’elle est plus nourrissante que la spergule commune, qu’elle croît aussi promptement et avec la même facilité.

Il paroît, d’après les incertitudes qui régnent dans les ouvrages des agronomes, relativement à la spergule, que l’opinion n’est pas encore fixée sur les véritables qualités de ce fourrage. Il y en a peu auxquels on ait prodigué plus d’éloges. Si on en croit les livres, cette plante offre à tous les animaux domestiques, sans exception, quadrupèdes, volatiles, insectes même, la nourriture la plus abondante, la plus appétissante, la plus salubre ; il n’en existe point qui donne autant de vigueur aux chevaux, de lait aux vaches, de graisse aux cochons, de miel aux abeilles, et qui favorise aussi promptement la ponte des oiseaux de basse-cour ; mais malgré tous ces avantages, la Hollande et la Flandre sont encore les seuls pays où cette plante soit cultivée en grand ; et quoiqu’on prétende que rien n’est plus commun en Allemagne que la spergule, Gilbert, dans son Traité des Prairies Artificielles, assure qu’elle y est maintenant fort rare ; il seroit donc essentiel, pour avoir des idées saines sur l’utilité réelle de cette plante, d’en suivre avec soin la culture dans les cantons où elle est adoptée, et d’observer, sans préventions, les circonstances qui précèdent ou accompagnent sa végétation.

La spergule étant une plante annuelle, et ne dérangeant en aucune manière l’ordre des cultures, on peut la semer sur les jachères et les chaumes, ou après une récolte hâtive, enfin à toutes les époques de l’année rurale, lorsqu’on ne la destine pas à grener, ou qu’on ne peut pas en faner l’herbe, mais en Flandre seulement, et dans les terrains qui ont quelque analogie avec ceux de ces cantons : dans les terres plus sèches ou exposées à une température plus humide, le printemps est la véritable saison de semer cette plante. Il faut huit à dix livres de graines par arpent, et quoiqu’elle ne talle point, on doit en semer peu dans beaucoup de terrain, parce qu’elle est extrêmement menue et qu’il n’y a point de sarclage à donner à la plante.

Dans les terres légères, on ne donne aucun labour pour l’ensemencement de cette plante ; il suffit, après la récolte du blé, de répandre sur le chaume six à sept livres de spergule par arpent ; on l’enterre au moyen d’un fagot d’épines, ou en passant sur le terrain le dos de la herse. Dans les terres fortes, on passe sur le chaume, avant de jeter la semence, une herse à dents de fer : il est indispensable que le terrain soit humide ; semée immédiatement après la pluie, la spergule lève dès le quatrième jour, et, au bout de cinq ou six semaines, elle fournit une pâture abondante. La première fois qu’on y mène les bestiaux, ils paroissent n’y toucher qu’avec une sorte de répugnance ; mais cela ne doit point inquiéter les cultivateurs ; ces animaux, dès le jour suivant, mangent avec plaisir ce fourrage ; ils le préfèrent même bientôt à tous les autres.

Comme fourrage, la spergule est d’une grande ressource pour l’arrière-saison, lorsque les pâturages finissent ; elle peut durer jusqu’aux gelées, et quoique d’une odeur et d’une couleur peu agréables, elle plaît cependant aux bestiaux, sur-tout aux vaches qui peuvent la manger sur pied. On les attache au piquet à une longue corde qu’on change tous les jours de place ; par ce moyen, elles parcourent toute l’étendue du champ, et l’herbe a le temps de croître avant qu’on recommence le tour ; il faut d’ailleurs borner leurs rations, autrement elles mangent à se faire périr.

Cette nourriture est très-salutaire aux vaches, et passe pour augmenter la qualité du lait, au point que les bons métayers préfèrent le beurre qui en provient pour leur provision d’hiver. Ce beurre, dont les Brabançons font un très-grand commerce, est même connu sous le nom de beurre de spergule.

Il est vrai que là spergule n’est réellement bonne qu’en vert, aussi ne la fane-t-on point ordinairement, à moins qu’il faille en récolter la graine, et alors on doit la semer au mois d’avril, et elle est mûre en août.

On peut cependant l’administrer aux animaux pendant l’hiver, lorsqu’il y a disette de fourrage et que toute autre nourriture leur est interdite ; il est bon de remarquer que la spergule ne s’élève pas au delà de douze à quinze pouces de hauteur.

La plante dont il s’agit sert encore d’engrais pour les terres légères, à cause de sa nature succulente et saline qui la dispose à fermenter et à se décomposer. On la laboure pour cet effet dans le champ avant les gelées, tandis qu’elle est encore verte, et, en cet état, elle peut procurer une partie de l’amendement pour y ensemencer du blé lorsque les terres y sont propres. On prétend que depuis quelque temps, un propriétaire a substitué la luzerne à la spergule, dans les cantons mêmes où cette dernière plante est en considération, et que son exemple a beaucoup d’imitateurs.

Sans adopter ce qui a été dit pour ou contre la spergule, j’observerai que les terrains les plus stériles lui conviennent tellement, que quand on a voulu essayer de la cultiver, même dans les meilleures terres à blé bien préparées, on n’a obtenu aucun succès, ce qui indique qu’il faut pour cette plante un sol frais, sans pourtant être trop humide, et qu’elle ne peut couvrir que les sols ingrats, qui se refusent à des cultures plus avantageuses, sur-tout à la luzerne, à la minette dorée, (medicago lupulina L.) plante annuelle, fourrage excellent dont la végétation est presque aussi rapide, mais qui ne prospéreroit pas dans les pays sablonneux où la spergule réussit.

Nous observerons encore que dans les fermes qui ont de mauvais terrains et peu de pâturages, on feroit mal de renoncer entièrement à la spergule, parce que semée en temps convenable, favorisée par les localités et la saison, elle pourroit fournir jusqu’à trois récoltes ; enfin, cette plante doit être comptée dans le petit nombre de celles qui ont l’heureux avantage de croître promptement dans les terrains sablonneux, où les fourrages sont assez ordinairement rares et de médiocre qualité. (Parm.)