Cours d’agriculture (Rozier)/TAUPE. TAUPIÈRE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 375-380).


TAUPE. TAUPIÈRE. La taupe est un quadrupède trop connu pour le décrire. La taupière est un morceau de bois creusé avec une soupape, & qui sert à prendre cet animal. La taupe se nourrit de vers, d’insectes, de racines de certaines plantes, & en particulier des oignons de colchique. Il est très-facile de détruire les taupes, si on les poursuit avec persévérance. Elles aiment les terreins forts & sans pierre ; leurs galeries s’y conservent pendant plusieurs années ; les cailloux, les pierres s’opposent aux fouilles de l’animal & dérangent leurs directions. C’est toujours la faute d’un propriétaire ou d’un jardinier, si ses prairies, ses champs ou son jardin sont infectés de taupes. L’animal a beau être fin, avoir le sens de l’ouie très-délicat, il est facile de le détruire, même sans se servir de taupière. Le premier soin est d’affaisser toutes les monticules qui s’élèvent au-dessus du niveau du sol. Ces monticules sont autant de soupireaux qui laissent introduire l’air atmosphérique dans les galeries. Incommodé par la privation de l’air, il rétablira ces soupireaux à trois époques bien marquées, au soleil levant, au coup du midi, & vers le soleil couchant. On examine de quel côté il pousse la terre en dehors, & avec une bêche, (consultez ce mot) ou avec une large pèle ferrée, on l’enfonce profondément & avec prestesse du côté opposé à celui où est jetée la terre ; enfin avec la même prestesse on enlève toute la terre, la taupe s’y trouve prise, & on la tue. Il ne faut qu’un peu d’habitude. J’ai vu des jardiniers si experts, qu’ils parioient d’en prendre douze de suite sans en manquer une. Le fait confirmoit leur dire. Lorsqu’on a manqué l’animal, on abat de nouveau tous les monticules, on en piétine la terre, & la taupe est forcée de recommencer son travail. C’est sur-tout dans les premiers jours du printemps qu’il est essentiel de commencer la chasse, parce que la taupe met bas de bonne heure, & elle renouvelle souvent ses pontes. Pendant les belles nuits de l’été elle sort quelquefois de ses souterrains. Elle est accompagnée de ses petits, & elle joue avec eux ; mais au moindre bruit toute la famille rentre sous terre. Plusieurs papiers publics ont annoncé dans le temps un moyen de détruire les taupes. On l’annonçoit, suivant la coutume, comme excellent. Faites bouillir des noix dans de la lessive ; mettez ces noix dans les trous. L’animal les mangera, & périra. On en met quatre ou cinq dans chaque trou. J’ai éprouvé cette recette à plusieurs reprises différentes, & dans différentes saisons, toujours sans succès.

La taupière simple est un morceau de bois de douze à dix-huit pouces de longueur, d’un diamètre un peu plus large que l’est communément celui de la galerie par où passe la taupe ; ce morceau de bois est creusé sur presque toute sa longueur ; la partie qui ne l’est pas, empêche la taupe de sortir. L’autre extrémité est garnie d’une petite proéminence en bois qui règne tout autour. Derrière cette proéminence ou bourrelet d’une à deux lignes de hauteur, on cloue par la partie supérieure une soupape en cuir, juste, de la largeur du creux du bois, de manière qu’elle peut être soulevée de dehors endedans, & non pas de dedans en dehors. Cette espèce d’étui une fois préparé, on enlève, suivant sa longueur, la terre qui recouvre la galerie formée par la taupe ; on le place dans cette galerie, & on le recouvre de terre. L’animal vient, soulève la soupape, entre, la soupape se baisse, & il est pris ; mais s’il se présente contre le bout formé en bois, il ouvre une nouvelle galerie & il évite le piège. On remédie à cet inconvénient, en plaçant dans le milieu de la longueur de la taupière, un bouchon, soit en bois, soit en liège ; alors, la garnissant d’une soupape à chacune de ses extrémités qu’on a laissée ouverte, l’animal se prend de quelque côté qu’il se présente ; une fois renfermé, il ne peut plus sortir, parce que plus il pousse la soupape, plus elle se cole contre le bourrelet & mieux elle ferme. Voici une autre machine, un peu plus compliquée, à la vérité, mais bien plus sûre, & la seule employée dans le Hainaut. Consultez la gravure qui accompagne l’article traquenard, fig. 1, ABCD, petite planche ayant la forme de quarré long, de cinq pouces & quelques lignes de longueur, sur deux pouces & demi de largeur ; l’épaisseur de la planche peut être de trois à quatre lignes, cette planche est percée de sept trous, un au milieu E, d’environ trois lignes de diamètre ; quatre FGHI aux quatre coins, & à quatre lignes des bords de la planche, & les deux autres KK, chacun à cinq ou six lignes près des deux autres HI.

Les quatre ouvertures FGHI sont destinées à recevoir les extrémités de deux petites baguettes de bois pliant, auxquelles on fait prendre la forme de demi-cercle, d’environ deux pouces de rayon ; ensorte que chaque baguette forme une petite arcade.

Les deux trous FG reçoivent aussi avec l’extrémité des baguettes, les bouts des deux ficelles AA, figure 3, qu’on y introduit, & que les nœuds qui sont au bout de chacune, conjointement avec l’extrémité des baguettes, servent à y maintenir fermes & inébranlables : quand ces ficelles sont arrêtées dans ces deux trous par leur extrémité, on les passe ensuite par chacun de leurs autres bouts à travers des deux autres trous KK, & on les réunit ensemble au point D, comme on le voit à la figure 5 ou au point B de la figure 3.

Fig. 2. Elle représente deux petites planches aussi longues, & à-peu-près aussi larges que la première. On met ces deux petites planches dans une situation verticale, chacune à côté & tout le long de la première planche ; elles servent à empêcher la terre des côtés de retomber dans la taupière tendue, & sur-tout entre les deux petites arcades.

Fig. 3. Deux ficelles de dix à douze pouces de longueur chacune ; elles se réunissent au point B où on les attache à l’autre ficelle DE ; cette dernière doit être de cinq à six pouces de longueur, non compris la patte qui sert à l’attacher au bout de la perche FF, fig. 6 ; cette ficelle s’allonge, comme on le voit par la figure, de deux à trois pouces au-delà de la jonction B des deux autres ficelles AAB ; elle a un nœud à son bout D, & un autre, environ à son milieu B, qui sert à retenir les deux autres ficelles, & à les empêcher de glisser, comme il arriveroit lorsque la taupe se prend, si ce nœud n’y étoit pas.

Fig. 4. HHHH. Quatre crochets de bois qui servent à tenir la première planche ferme, & l’arrêter quand la taupière est tendue. On enfonce ces quatre crochets dans la terre aux deux côtés latéraux de la planche, deux à chacun de ses côtés ; ils empêchent que l’effort de la petite perche, qui par son ressort, tend continuellement a l’enlever, ne l’emporte. On enfonce ces crochets plus ou moins, c’est-à dire, qu’on les fait plus ou moins longs à proportion de la solidité du terrein. Il faut avoir attention que le bout des crochets pose sur la planche, comme on le voit à la figure 6, pour la maintenir ferme & solide, dans la situation où elle doit être quand la taupière est tendue.

Fig. 5. La machine, renversée sur le côté & vue par-dessous, on y voit les deux petites arcades AA, qu’on ne sauroit voir quand la taupière est tendue : on y voit aussi les deux ficelles auxquelles on a fait prendre la forme des arcades, avec chacune desquelles elles n’en forment plus qu’une seule de chaque côté… On y voit encore la figure à-peu-près & la situation de la cheville de bois B dont on fait entrer l’un des bouts d’environ d’une ligne dans l’ouverture du milieu. C’est le nœud qui est a l’extrémité de la ficelle DE de la figure troisième. On passe le bout de cette ficelle par son bout C, dans l’ouverture E du milieu de la planche. Comme cette ficelle est terminée par un nœud, lorsque ce nœud commence à déborder de l’autre côté de la planche, on l’arrête, en y introduisant le petit bout de la cheville de bois dont il vient d’être parlé ; ce qui empêche cette ficelle de s’échapper du trou quand la perche la tient tendue… Cette cheville doit être un peu moins longue que les arcades ne sont grandes c’est-à-dire, que si les arcades sont de deux pouces un quart de rayon, la cheville ne doit être que de deux pouces de longueur. Quand la machine est tendue, cette cheville doit être perpendiculaire à la planche, c’est-à-dire, qu’elle doit occuper dans toute sa longueur, le milieu de la planche. Il faut aussi avoir attention de ne l’enfoncer dans la planche, qu’autant qu’il le faut pour empêcher le nœud qui est à l’extrémité de cette ficelle, de passer au travers du trou quand la perche la tiendra tendue. Comme il seroit à craindre que, si cette cheville n’étoit pas assez grosse, la taupe ne vînt à passer à côte sans la renverser, il faut la faire d’un pouce d’épaisseur à son plus gros bout ; au lieu de cheville, on peut y employer une petite planche, dont un des bouts sera assez mince pour entrer un peu dans l’ouverture du milieu, & l’autre aura un pouce de largeur : on opposera cette largeur aux deux arcades. Une petite fourche fait le même effet.

Fig. 6 représente la taupinière tendue, & dans la situation où elle doit être dans la terre. On y voit entrer la taupe par l’un des bouts.

Usage de la taupière.

Lorsque quelque taupe a fait une motte ou taupinière dans un jardin ou dans une prairie, on découvre cette motte pour voir la direction du passage souterrain ; on cherche ensuite avec une bêche, à une distance de trois ou quatre pieds de la motte, l’ouverture par où passe la taupe. Ce passage n’est ordinairement qu’à deux ou trois pouces de profondeur… On coupe avec la bèche le terrein à côté, de la longueur & de la largeur de la taupière, c’est-à-dire, de cinq pouces & quelques lignes de longueur, sur environ trois pouces de largeur ; on tend la machine en la plaçant dans cette petite tranchée, en observant que ses deux extrémités, les deux bouts où se trouvent les arcades, répondent exactement aux deux passages, ou plutôt aux deux extrémités du passage de la taupe. Il est entendu que les deux petites arcades sont dessous la planche, & posent sur le fond de la tranchée. On tire avec le doigt l’une après l’autre entre chaque arcade, les deux ficelles AA… B Fig. 3. ou AD… AD Fig. 5. & on les arrange le long & en-dedans des baguettes, de façon que, conjointement avec elles, elles ne forment plus que chacune une seule & même arcade, comme on le voit à la fig. 5 ; c’est ce qui a fait donner à ces ficelles assez de longueur pour pouvoir se prêter à cette forme. Au lieu d’attendre à arranger ces ficelles que la taupière soit posée, on peut le faire avant de la placer dans la tranchée. Au lieu de ficelle, on peut aussi se servir de fil d’archal ou de laiton adouci au feu.

Quant à la cheville, elle doit toujours être placée avant que la taupière ne soit dans la tranchée, sans quoi on ne pourroit plus l’y mettre. Les ficelles & la cheville étant arrangées, on place la taupière dans la tranchée, comme il a été dit ; on prend ensuite les deux petites planches de la figure 2, qu’on place chacune dans toute leur longueur, & verticalement le long & à côté de la planche du milieu ; elles servent, comme on l’a déjà dit, à empêcher la terre des côtés de retomber dans l’intérieur de la taupière où rien ne doit se trouver.

Ces deux planches posées, on enfonce les quatre crochets dont les bouts posent sur la planche du milieu, comme on le voit à la fig. 6 ; on rapproche ensuite la terre, & on laisse le moins de jour possible. Comme il pourroit s’en trouver aux deux bouts de la taupière, on les bouche avec un peu de terre ou avec des gazons ; il n’est pas absolument nécessaire qu’il n’y en ait point du tout.

Alors l’on prend la petite perche FF, fig. 6, qu’on enfonce par son plus gros bout d’environ un bon demi-pied dans terre, plus ou moins, & cela à une distance de deux à trois pieds de la taupière, à proportion que la perche est plus ou moins longue. On plie ensuite cette perche en la baissant jusqu’à ce qu’elle puisse passer dans la patte ou boucle E de la ficelle DE, fig. 3. ainsi qu’on le voit à la figure 6.

Cela fait, la machine est tendue.

Quand la taupe vient, soit d’un côté, soit de l’autre, elle entre dans une arcade, & trouve dans son chemin, la petite cheville qui est au milieu. La taupe pousse, fait tomber cette cheville ; & le bout D de la ficelle DE, fig. 3, n’étant plus retenu par cette cheville, s’échappe par le moyen de la perche qui tire continuellement cette ficelle, & laisse à cette perche tout le jeu de son ressort qui la fait redresser, & tirer violemment les deux autres ficelles qui sont dans les deux arcades ; au moyen de quoi l’animal se trouve pris au travers du corps par la ficelle de l’une ou de l’autre arcade. Au surplus, tout ceci est beaucoup plus long à décrire qu’à exécuter…

Quand on arrive dans le jardin, on voit si la perche est détendue, ce qui annonce la prise de l’animal.

Je finirai par une observation essentielle, qui est de ne jamais placer la taupière à l’endroit même où l’animal a bouté, & où il a poussé la terre en-dehors, parce qu’alors il pousse la terre devant lui, & en remplit la taupière, ce qui l’empêche de le prendre. Quelquefois la taupe passe à côté de la taupière, ce qui est pourtant rare ; alors on déplace le piège, & on le met dans un autre endroit.