Cours d’agriculture (Rozier)/TIGE

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Hôtel Serpente (Tome neuvièmep. 412-415).
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TIGE. Partie de l’herbe ou de l’arbre qui sort de terre & qui pousse des branches. Pourquoi les tiges des arbres sont-elles toujours perpendiculaires, quel que soit le plan incliné sur lequel elles s’élèvent ? c’est une question sur laquelle plusieurs écrivains se sont exercés, afin de donner la solution du problème. Quoi qu’il en soit, il est constant qu’un sol supposé de surface plane ne contient pas plus d’arbre qu’un sol quelle que soit son inclinaison, en supposant que la graine de tous les arbres ait été semée en même temps & de la même manière sur les deux champs.

Si on prend un grain de blé horizontal, & qu’en l’humectant un peu, il germe sur la superficie d’un vase, on verra la radicule se courber pour pénétrer en terre, & la plantule, au contraire, se tourner du côté du ciel. Il en est ainsi d’un gland, d’une noix, d’une amende, &c. que l’on plante en sens contraire ; la radicule décrit une courbe jusqu’à ce qu’elle ait touché le sol pour y pénétrer, & la plantule revient à la perpendiculaire. M. Dodart, de l’académie des sciences, est le premier qui, en 1700, ait tenté d’expliquer ce phénomène ; en 1708, M. de la Hire travailla sur le même sujet, M. Parent d’Astruc, &c.

M. Dodart suppose que les fibres des tiges sont de telle nature, qu’elles se raccourcissent par la chaleur du soleil, & s’allongent par l’humidité de la terre, & qu’au contraire, celles des racines se raccourcissent par l’humidité de la terre, & s’allongent par la chaleur du soleil.

Si cette explication est admissible dans quelques-unes de ses parties, elle ne l’est pas dans la totalité. L’expérience constante apprend qu’en donnant quelques soins à un jeune sujet, (le grenadier sur tout) & qu’en enterrant ses branches, elles prennent racine, tandis que ses racines exposées à l’air, deviennent branches & poussent des feuilles. Cette expérience paroît détruire la totalité de l’hypothèse de M. Dodart.

« M. de la Hire dit que dans les plantes, la racine tire un suc plus grossier, plus pesant, & la tige au contraire, un suc plus fin, plus volatil… que la plante, lorsqu’elle commence à se développer, soit entièrement renversée dans la graine, de sorte qu’elle ait sa racine en haut & sa tige en bas, les sucs qui entreront dans la racine, ne laisseront pas d’être toujours les plus grossiers, & quand ils l’auront développée, & auront élargi les pores, au point qu’il y entrera des sucs terrestres d’une certaine pesanteur, ces sucs, toujours plus pesans, appesantissant toujours la racine de plus en plus, la tireront en bas, & cela, d’autant plus facilement, qu’elle s’étend davantage, &c… Dans le même tems, les plus volatils qui auront pénétré la tige, tendront aussi à lui donner leur direction de bas en haut, & par la raison du levier, ils la lui donneront plus aisément de jour en jour, parce qu’elle s’alongera de plus en plus ; ainsi, la petite plante tournant sur le point de partage immobile, jusqu’à ce qu’elle soit entièrement redressée… La plante s’étant ainsi redressée, on voit que la tige doit se lever perpendiculairement pour avoir une assiette plus ferme, & pour pouvoir mieux résister aux efforts du vent & de l’eau. »

Il seroit trop long de rapporter toutes les hypothèses sur ce sujet ; toutes ont, s’il est permis de le dire, un goût de terroir, c’est-à-dire, que le géomètre en a donné la solution comme géomètre, le mathématicien comme mathématicien, &c. Qu’il me soit permis, comme naturaliste, de hazarder mes conjectures.

Dans les articles arbres, graines &c. on a dû voir que lorsque la graine germoit, la première pousse étoit la radicule ; que cette radicule est tendre, spongieuse, & par conséquent susceptible de recevoir les premières impressions de l’humidité qui s’élève de la terre. La graine n’ayant encore que cette première partie qui soit développée, il est donc naturel que cette partie qui tend à un beaucoup plus grand développement, se tourne du côté où elle pompe les sucs dont elle a besoin. Elle ne peut les trouver dans l’atmosphère qui est trop sec ; ce sont donc les émanations de la terre qu’elle recherche ; & pour mieux se les approprier, même en suivant les lois des affinités, elle dirige aussi sûrement ses suçoirs, que les tiges traînantes des pomme de terre, renfermées dans une cave, les dirigeoient du côté d’où la cave prenoit son jour, & que j’ai fait promener sur tous les côtés de cette cave, en dirigeant successivement la lumière sur les points principaux de cette circonférence. C’est donc en raison du premier développement de la graine, que la radicule cherche l’humidité provenant de la terre ; & en second lieu, elle la cherche en raison de sa propre contexture qui diffère intrinsèquement de cette de la plantule. L’expérience prouve que les racines des plantes sont bien plus criblées de pores, & d’une texture plus molle & plus souple que celle des tiges ; enfin que les racines jouissent à un plus haut degré, de la qualité absorbante de l’office de siphon, que les tiges. C’est en raison de cette propriété, & sur tout encore en raison de sa primauté d’organisation, que la radicule devient le réceptacle, l’éponge des émanations terrestres ; qu’elle a une tendance marquée, & un véritable besoin de s’enfoncer dans la terre. Jusqu’à ce que la radicule parvienne sa superficie, on la voit s’alonger beaucoup, & mais beaucoup pour toucher la terre, décrire souvent une courbure de sept à huit pouces de longueur, (j’en ai la preuve dans un maron d’Inde) tandis que cette courbure n’est que de quelques lignes, si la superficie du sol est immédiate. Jusqu’à ce que la graine ait poussé la plantule, tous les principes se portent vers la radicule, & cette radicule absorbe les émanations terrestres ; il est donc dans l’ordre naturel que la radicule s’allonge & prenne de l’augmentation par l’addition du principe nutritif terreux qui s’unit aux principes dejà contenus & développés dans la graine, puisque dans cette graine il n’y a encore que la radicule. Enfin, si on observe que le germe de chaque graine d’où doit sortir la radicule, est placé presqu’à l’extérieur de la graine, on verra que le but de la nature est que ce germe soit le premier mis dehors, soit pour recevoir les principes dejà développés dans la graine, soit pour absorber les émanations terrestres, & dès-lors acquérir un prolongement prompt, & qui s’étend, de toute nécessité, jusqu’à son point de contact avec la terre.

Actuellement, si on suit le développement de cette graine (l’amande par exemple) on verra que les deux lobes de la graine ne s’ouvriront, quand même la grains seroit enterrée d’un pouce ou deux, que lorsqu’ils seront près ou sur la superficie du sol ; enfin, lorsqu’ils seront ouverts, la plantule s’élèvera de leur centre. Dans le premier cas, (de la radicule) l’action a été simple & son effet d’un seul côté ; ici commence une double action. 1°. Des sucs qui affluent de la radicule enterrée dans la graine, & qui concourent au développement de la plantule. 2°. De l’action de l’air, des météores & sur-tout de la lumière. La plante s’élève droite parce qu’elle est actionnée par la lumière du soleil qu’elle recherche aussi visiblement que les tiges filamenteuses des pommes de terre, dans la cave, parcouroient sa superficie suivant que je dirigeois la lumière sur un des côtés. Le soleil & sa lumière sont la cause physique du mouvement ascendant de la sève pendant le jour ; (consultez ce mot) tout comme la privation de la lumière & la fraîcheur de l’atmosphère, déterminent le mouvement descendant de la sève pendant la nuit. Il est donc de nécessité absolue que les tiges s’élèvent perpendiculairement ; puisque les deux causes attractives agissent perpendiculairement. On pourroit encore expliquer ce phénomène par l’effort du mouvement de fluides dans les tubes qui ne s’écartent pas de la perpendiculaire, à moins qu’une cause moyenne & plus puissante qu’eux, ne s’oppose à leur libre cours. De plus grands détails sur ce phénomènes nous écarteroient de notre objet, & deviendroient inutiles au commun des cultivateurs. Ce qu’il est bon pour eux de savoir & de ne pas perdre de vue dans leurs plantations, est que, quelle que soit l’inclinaison d’un terrain, il ne doit pas contenir une plus grande quantité d’arbres que si la superficie étoit plane, unie & de niveau, parce que le diamètre de la tête des arbres sera toujours le même dans les deux cas… Soit un terrain élevé de quarante pieds, comme A & D ; que sa base DB soit de quarante pieds, & qu’il soit incliné sur l’angle de quarante-cinq degrés AEB ; si on tire la ligne horisontale AC, on aura une superficie de quarante pieds, & pour perpendiculaire CB ; mais la ligne transversale ou d’inclinaison sera de soixante pieds ; de manière qu’il sembleroit qu’ayant un tiers de longueur de plus & en superficie, on devroit pouvoir y planter un plus grand nombre d’arbres en raison du plus de superficie. Si les arbres n’avoient point de tête, on auroit raison, mais la perpendicularité des tiges, & l’espace occupé par leurs branches, rendent cette superficie de quarante-cinq degrés, nulle, puisqu’il ne se trouve, dans le vrai, de superficie aérienne, que l’espace compris entre A & C.