Cours d’agriculture (Rozier)/TOPINAMBOUR (supplément)

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TOPINAMBOUR. Sa description se trouve au mot Tournesol, parce qu’en effet la plante appartient à cette classe ; mais Rozier ne paroît pas avoir pris des tubercules nombreux qu’elle produit, une opinion assez avantageuse. Cependant, si sa culture inspire moins d’intérêt que la pomme de terre, nous pensons que mieux connue, elle figurera un jour en plein champ, et sera inscrite au nombre des productions qui peuvent accroître la masse de la subsistance des hommes et des animaux.

Le topinambour, poire de terre, taratouf, est encore un présent de l’Amérique, qu’on a confondu mal à propos avec la pomme de terre. Olivier de Serres en a donné une description assez exacte, sous le nom de cartouf. Ce patriarche de l’agriculture, dont le mérite est rappelé dans le premier volume du Cours complet, dit que cette plante a le port d’un arbrisseau, qu’elle s’élève à cinq ou six pieds de hauteur, pousse une tige qu’on provigne avec toutes les branches, donne des tubercules qui ont l’apparence extérieure des truffes, et naissent à la fourchue des nœuds. Or, la pomme de terre n’a aucun de ces caractères ; cependant des écrivains célèbres, Haller, entr’autres, n’a fait aucune difficulté de croire qu’il s’agissoit dans cette description du solanum tuberosum ; mais il paroît bien constaté qu’à l’époque où le Théâtre d’Agriculture parut, la pomme de terre et la patate étoient inconnues en Europe, et que, des trois plantes qui couvrent aujourd’hui nos tables d’excellentes racines, le topinambour est la première qui a été introduite parmi nous.

On ne sait pas bien positivement si la plante est originaire du Brésil ou bien du Canada : les auteurs sont partagés d’opinion sur ce point ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’à en juger par quelques unes de ses propriétés, elle semble venir des pays situés au nord, car elle résiste bien plus long-temps au froid que la pomme de terre et la patate ; mais, ainsi que ces deux plantes, elle a une vigoureuse végétation, et produit beaucoup.

Le topinambour n’est pas encore assez cultivé pour avoir un grand nombre de variétés ; s’il en existe, je ne les connois point. Cette plante fleurit tard, et il est difficile d’obtenir par conséquent de la graine à maturité. M. Quesnay de Beauvois, qui a communiqué à l’ancienne Société royale d’Agriculture de Paris quelques observations sur cette plante, ne fait mention que d’une seule espèce.

La culture du topinambour est aisée ; il faut remarquer seulement que la plante vient mieux dans une terre forte, où le chanvre et le froment se plaisent, que dans un fonds sablonneux ; que même un sol trop léger ne lui convient pas du tout, tandis que la pomme de terre y réussit à merveille ; mais la végétation en est aussi vigoureuse ; et dès que la plante s’est emparée d’un champ, il est difficile de l’y détruire : les endroits bas, humides, et un peu ombragés, ne lui paroissent pas contraires.

La terre étant bien préparée, on divise les topinambours par morceaux, auxquels on laisse deux ou trois œilletons ; on met chacun d’eux à quatre pouces de profondeur, distans les uns des autres de neuf à dix pouces en tous sens, dans des rigoles ou des trous qu’on recouvre ; quand la plante a sept à huit pouces d’élévation, on la sarcle ; on la bute ensuite, dès qu’elle a atteint une certaine force. Sa maturité est annoncée par le feuillage qui se flétrit, et la récolte s’opère avec la fourche à deux dents. On peut planter aux pieds des haricots grimpans, et, dans leurs rangées, plusieurs espèces de choux. Cette double culture m’a très-bien réussi.

La plante a encore cela de commun avec la pomme de terre et la patate, que les branches couchées ou coupées, avec les précautions déjà indiquées, prennent racine, et fournissent ensuite des tubercules peu différens, pour la grosseur, de la principale racine. Cette plante a donc également la faculté de se propager par bouture et par marcotte. Je ne doute pas que, dans les endroits où il est possible d’amener la graine à maturité, elle ne puisse se reproduire aussi par semis, ce qui est bien contraire à l’assertion de quelques écrivains, qui ont prétendu que la plante n’étoit vivace que par ses racines, et non par ses tiges.

On parle souvent des graines de cette plante ; je n’en ai jamais vu : pour m’en procurer, j’ai cru devoir hâter sa floraison ; en conséquence, d’abord j’en ai mis quelques tubercules sur couches ; ils ont été transplantés ensuite sur un sol léger, bien fumé et exposé au soleil ; mais, quoique la fleur ait paru un peu plus tôt, elle n’a pas rapporté de graine ; peut-être aussi la continuité de la reproduction par bouture est-elle la première cause de ce que la plante ne produit pas de semence à maturité, et que la nature paroît se refuser à une opération qui devient inutile.

On est tout étonné de lire dans un ouvrage estimé, Bon Jardinier, qu’il est possible de cultiver le topinambour par la voie des semis, et qu’il faut prendre garde de laisser en terre ses tubercules pendant l’hiver, parce qu’ils périssent si les gelées sont fortes ; j’ignore si l’auteur a eu la faculté de faire la première tentative ; mais je dois assurer que l’un des avantages de cette plante, est de résister aux plus grands froids.

Dépourvu d’amidon, le topinambour n’est pas susceptible, comme la pomme de terre, de la fermentation panaire, ni de fournir une liqueur spiritueuse comme la patate, par conséquent il ne possède pas la faculté alimentaire au même degré. Ainsi, des trois plantes que nous venons de nommer, elle est la moins propre à remplir les vues économiques sous lesquelles on doit les considérer ; mais, en revanche, elle a l’avantage de ne pas craindre la gelée comme la plupart des autres racines potagères, de pouvoir rester en terre pendant l’hiver, et de n’avoir pas besoin d’être déterrée d’avance pour en nourrir les bestiaux. L’eau que les tubercules contiennent adhère si fortement à la matière fibreuse, que quoiqu’ils acquièrent par le froid la dureté d’une pierre, le dégel ne la désunit point, comme il arrive à la pomme de terre, par exemple, dont l’eau, dans cet état, se sépare par la simple pression des doigts. Cependant si, pour les conserver à la maison, on les laissoit en tas trop épais, ils contracteroient bientôt une disposition à germer ; alors ces tubercules, un peu filandreux, deviendroient encore mollasses et pâteux.

On peut les cuire dans l’eau ou à sa vapeur ; le goût de cul d’artichaut, qu’ils ont plus ou moins sensiblement, fait rechercher les topinambours par les amateurs de ce légume. Pendant l’hiver, on les mange à la sauce blanche ; on les fricasse au beurre avec des ognons ; on en relève la fadeur avec de la moutarde. Mais ils n’ont pu échapper à la manie, qui veut tout convertir en pain, et les tentatives infructueuses n’ont pas laissé la moindre espérance d’en venir jamais à bout ; c’est un aliment dont il faut faire usage en substance : il a plus de saveur que la pomme de terre, et, sous ce rapport, il convient mieux aux bestiaux.

Après avoir lavé et coupé par morceaux les topinambours, on les donne au bétail plusieurs fois le jour : six vaches en mangent jusqu’à six à sept boisseaux par semaine ; mais elles les préfèrent à moitié cuits. On pourroit faire parquer des cochons dans les champs où cette plante auroit été cultivée, comme le pratiquent, pour la pomme de terre, les Anglais et les Américains.

Surpris de ce que, dans la plupart des fermes, on sème des végétaux de toute espèce pour la nourriture des bœufs, des vaches, des chevaux, et des bêtes à cornes, tandis qu’on ne sème rien pour les cochons et qu’on ne leur donne que le rebut de tous les autres, les Anglais désireroient que pour ceux-ci, qui ne font pas moins de profit à la maison, on leur assignât, au moins pour la nourriture d’hiver, un champ soit de topinambours, soit de pommes de terre ; ce seroit alors le moyen d’en entretenir un plus grand nombre, et de profiter de leur fumier.

Le topinambour offre encore une nourriture aux animaux, par son feuillage. On coupe les tiges aux premières gelées blanches, et on les fait sécher comme les feuilles d’arbres dont on fait la feuillée ; alors on les fagotte, et on les arrange de manière qu’elles ne s’échauffent point. Dans cet état, elles servent, pendant tout l’hiver, à la nourriture des chèvres et des moutons.

Nous ne pensons point que la culture des topinambours prenne jamais une grande faveur dans les endroits où celle des pommes de terre est bien établie ; mais il faut convenir qu’elle a quelques avantages sur la dernière, qui ne sont pas à dédaigner. Par exemple, le topinambour est plus tardif que la pomme de terre ; il peut, par conséquent, profiter des pluies d’automne dont elle est nécessairement privée, par l’obligation où l’on est d’enlever aussitôt qu’ils sont mûrs les tubercules, parce qu’à cette époque ils pourroient commencer à germer ou à souffrir du froid : or, le topinambour n’est point exposé à ces deux inconvéniens.

Il paroît que cette culture, bornée à de simples essais, n’a été qu’un objet de curiosité, et que jusqu’à présent il n’y a que M. Yvart qui en ait couvert une certaine étendue de terrain. J’en ai vu plusieurs arpens des plus mauvaises terres de sa ferme, à Maisons, qui annonçoient la récolte la plus abondante ; et j’apprends que cet agriculteur distingué continue à cet égard ses essais, dont on doit attendre les plus heureux résultats. M. Bourgeois cultive aussi, tous les ans, cette plante avec succès, à la ferme impériale de Rambouillet.

Je dois ajouter ici que la plante dont il s’agit a prospéré dans des fonds où la pomme de terre n’a eu que peu de succès. M. Chancey a observé qu’un pied avoit donné quatorze livres, poids de marc, de tubercules, dans un endroit où une pomme de terre n’en a rendu que trois livres. Mustel dit même en avoir vu réussir dans un sol où les pommes de terre qu’il avoit plantées périrent toutes. Dans l’étendue de cinquante pieds de terrain formé de débris de carrière, situé à Conflans, près Paris, M. Quesnay de Beauvois assure avoir retiré trois boisseaux de ces racines, indépendamment des tiges qu’on pourroit, dans les pays privés de bois, employer avec profit au chauffage des fours pour lesquels on consomme tant de paille, cet engrais si nécessaire à l’agriculture. Les plus belles tiges pourroient servir aussi d’échalas dans les pays vignobles, et dans les jardins, à ramer les pois et haricots. Si l’on en croit quelques auteurs, il seroit possible que les vers à soie trouvassent une nourriture dans les feuilles du topinambour ; que son écorce, préparée comme celle du chanvre, pût remplir les mêmes usages, et sa moelle, celle du sureau : mais ces propriétés n’ont pas encore été bien justifiées par un assez grand nombre de faits, pour les invoquer en faveur du topinambour.

Dans les taillis qu’on vient de couper, et où il se trouve nécessairement beaucoup de terre végétale, le topinambour y réussiroit à merveille. À mesure que le taillis grandiroit, la plante végéteroit mal ; mais il resteroit toujours assez de tubercules pour servir de nourriture aux cochons qu’on y enverroit pâturer. Encore une fois, ne proscrivons aucune plante dont la racine est alimentaire, puisque, suivant le proverbe, ce qui ne vaut rien là, est bon ici. Nous avons en France une si grande quantité de terrains et d’aspects, que le topinambour, pour ne pas convenir à tous les sols, peut trouver des endroits où sa culture seroit exclusivement avantageuse. Un pays n’est riche que par la multiplicité de ses productions. Nous invitons donc M. Quesnay de Beauvois, qui l’a déjà introduite dans le Nivernois, de la répandre autant qu’il le pourra, sans cependant négliger les autres racines potagères, également utiles dans une grande exploitation. (Parm.)