Cours de philosophie/Leçon XXIV. L'association des idées

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- Leçon XXIII. De l'objectivité des principes rationnels Cours de philosophie - Leçon XXV. La mémoire



L'association des idées est la faculté qu'ont nos idées de s'enchaîner. Rien n'est isolé dans le monde, toutes ses parties s'attirent; il en est de même de nos idées. L'affinité qui rattache certaines d'entre elles est ce qu'on nomme l'association des idées.

Cette faculté n'agit jamais au hasard. Il y a toujours une raison pour que deux idées s'appellent. On cite souvent à ce propos l'anecdote citée par Hobbes, d'une personne demandant au milieu d'une conversation sur Charles 1er, la valeur du denier romain sous Tibère.

L'association des idées assure la continuité de notre vie intellectuelle. Par suite de cette espèce d'affinité qu'ont les idées, la vie de l'esprit ne s'arrête jamais. L'idée présente en appelle une seconde, et ainsi de suite indéfiniment. Il n'y a pas de solution de continuité. Même quand il y a une suspension apparente, l'esprit continue à enchaîner inconsciemment ses idées. Tel est par exemple le cas du sommeil, du rêve. La succession n'est plus alors aperçue ni réglée par le moi, mais elle n'en existe pas moins. D'ailleurs, pendant le sommeil, toute communication sensible n'est pas interrompue avec le dehors. Le système nerveux est au repos mais transmet cependant les communications du dehors. Ces communications apportent dans l'âme des idées plus ou moins conscientes qui se mélangent au cours des autres idées.

Il est certain que même dans le cas de la syncope les idées continuent à s'enchaîner. Même alors, il n'y a pas de vide dans la vie de l'esprit. Sans en avoir de preuves expérimentales, on voit bien qu'il est incompréhensible que l'activité puisse s'arrêter pour renaître un instant après.

Comme l'a dit Leibniz, l'âme exprime toujours le corps. La continuité des sensations et l'association des idées assurent la continuité des pensées.

Voyons maintenant les différentes espèces d'association d'idées. On les a souvent divisées en deux grandes classes, les associations d'idées rationnelles, et les associations d'idées accidentelles.

Les associations d'idées rationnelles sont celles qui sont dues à un rapport rationnel. Voici les types principaux:


 
1. L'idée de la cause appelle l'idée de l'effet, et vice versa;
2. L'idée des prémisses appelle l'idée de la conséquence et vice versa;
3. L'idée du moyen éveille l'idée de la fin, et réciproquement;
4. L'idée du genre appelle l'idée de l'espèce, et réciproquement.


Ces associations d'idées sont plutôt des sortes de raisonnements rapides, presque instantanés, plutôt que de véritables associations d'idées. On n'a pas eu conscience d'une troisième idée qui a servi de trait d'union entre les deux autres. Quand, à l'idée de la mortalité humaine je pense que Paul est mortel, je fais un syllogisme instantané. Ainsi, nous ne voyons pas ici l'affinité propre aux idées agir toute seule. Les associations d'idées proprement dites sont les associations que l'on nomme accidentelles.

Voici les principaux types:

 
1. L'idée de deux choses semblables s'appellent.
2. Il en est de même de l'idée de deux choses différentes ["différentes" is crossed out, and there is a note in right margin: "ou plutôt contraires"].
3. Deux états de conscience qui se sont produits en même temps tendent à se reproduire en même temps.
4. Les idées de deux objets qui sont contigus dans l'espace s'appellent.
5. Enfin le signe éveille dans notre esprit l'idée de la chose signifiée, et réciproquement.


On a essayé quelquefois de ramener toutes ces associations à un seul type: Deux états de conscience qui se sont produits en même temps tendent à se reproduire en même temps, s'attirent pour ainsi dire. Si l'idée du semblable attire l'idée du semblable, c'est que nous les avons comparées. Il en est de même des associations d'idées par contraste. C'est à la suite d'une comparaison que nous jugeons la différence. C'est encore la même chose pour le signe et la chose signifiée. S'il en était ainsi il n'y aurait qu'une seule loi de l'association des idées, celle que nous venons d'indiquer.

Mais, quoiqu'on fasse, l'association des idées par ressemblance est distincte de l'association par contiguïté. Quand nous associons deux objets à cause de leur ressemblance, nous sentons très bien que la ressemblance seule produit l'association. Il faut donc admettre au moins deux types: l'association par contiguïté et l'association par ressemblance. Telles sont les différentes espèces d'associations des idées.

Il nous reste à déterminer le rôle de cette faculté dans la vie de l'esprit.

Les idées s'associent soit par voie logique, soit par voie d'affinité. Cette affinité naturelle des idées pourra les enchaîner d'une manière très forte, sans l'intervention de la raison. La puissance de l'association des idées est telle qu'une théorie en fait la faculté maîtresse de l'esprit. Nous n'avons pas à revenir sur cette théorie que nous avons déjà réfutée. Mais il n'en est pas moins certain que l'association des idées arrive à produire parfois les mêmes effets que l'association logique et rationnelle.

C'est de là que viennent les superstitions et les préjugés de toute sorte. Ils consistent tous dans une association d'idées illogique. Il y a donc lieu de surveiller cette faculté avec soin, car elle contribue très fortement à former notre caractère; c'est par suite de l'habitude que nous avons d'associer telles ou telles idées que nous avons telles moeurs ou telles inclinations.

En un mot, si l'association des idées n'est pas comme le veut Stuart Mill, la source de toute la connaissance, elle n'en est pas moins un agent important qu'il importe de bien connaître.