Cousine Phillis/23

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XXIII


Bientôt il fut possible de la descendre et de l’installer sur le grand sofa du salon, tout exprès rapproché des fenêtres. Elle y passait de longues heures, toujours dans les mêmes dispositions, c’est-à-dire toujours paisible, toujours douce, toujours triste. Le retour de ses forces physiques ne lui rendait pas son ressort moral, son vouloir énergique, sa ferme ténacité.

Rien de pénible comme les vains efforts de ses pauvres parents pour lui redonner le goût de la vie. Le ministre, un jour, lui rapporta toute une garniture de rubans bleus, en lui remémorant avec un tendre sourire cet entretien d’autrefois où elle lui avait confessé une certaine faiblesse à l’endroit des frivolités féminines. Elle parut reconnaissante et le remercia très-expressément ; mais dès qu’il fut sorti, elle posa les rubans de côté, en fermant les yeux comme si cette vue l’obsédait.

Une autre fois sa mère crut ingénieux de placer à sa portée quelques-uns de ces ouvrages latins, ou italiens qu’elle aimait tant avant sa maladie, ou plutôt avant le départ de Holdsworth. Cette inspiration fut la plus désastreuse de toutes. Phillis se tourna du côté de la muraille et se prit à pleurer dès que sa mère se fut éloignée.

Betty, qui mettait justement le couvert, démêla bien vite ce qui se passait en elle.

« Çà, Phillis, lui dit-elle en se rapprochant du sofa, nous faisons pour vous tout ce que nous pouvons ; les médecins ont fait ce qu’ils pouvaient, et Dieu lui-même ne s’est pas épargné à vous guérir. Vous ne mériteriez pas tout cela, si de votre côté vous ne faisiez aussi quelque chose. À votre place, et plutôt que d’épuiser ainsi le dévouement de votre père et de votre mère, plutôt que de les laisser se désoler et se fatiguer en attendant l’heure où il vous plaira de redevenir gaie, je monterais là-haut (montrant le ciel) pour y prendre la lune avec les dents. Voilà ma façon de voir, et comme je n’ai jamais beaucoup aimé les longs sermons, je m’en tiens à ce que j’ai dit. »

Phillis, comme on pense, ne répondit rien à cette éloquente apostrophe ; mais un ou deux jours après, nous trouvant seuls, elle me demanda si je pensais que mes parents lui permissent d’aller passer auprès d’eux une couple de mois.

En me manifestant ainsi son désir de changer de lieux pour changer de pensées, elle avait rougi, elle balbutiait quelque peu.

« Vous savez, Paul, disait-elle, ce ne sera pas long. Un simple répit, une courte halte… Ensuite nous retournerons, je le sais, à la paix, à la sérénité d’autrefois. — Je le sais, dis-je, car je le puis et je le veux. »

Pendant qu’elle me tenait en hésitant ce langage résolu, son père, à qui j’avais raconté ma conversation avec Timothy, et qui s’était hâté de le rappeler à la ferme, donnait à ce pauvre diable, avec une patience exemplaire et vraiment touchante, les instructions les plus détaillées pour une besogne d’ailleurs très-simple qu’il venait de lui confier.

Chez Phillis et chez le ministre, dans des circonstances qui n’offraient aucune analogie, le même esprit se manifestait, — cet esprit chrétien qui facilite la résignation, triomphe de toute amertume et mêle une sainte douceur aux grands sacrifices, aux dégoûts mesquins, aux immenses et menues misères dont chaque existence est plus ou moins compliquée ici-bas.