Création de Introduction à la vie dévote (Boulenger)/Troisième partie/11

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Texte établi par Fernand Boulenger,  (p. 163-166).


CHAPITRE XI

DE L’OBÉISSANCE


La seule charité nous met en la perfection ; mais l’obéissance, la chasteté et la pauvreté sont les trois grands moyens pour l’acquérir. L’obéissance consacre notre cœur, la chasteté notre corps et la pauvreté nos moyens, à l’amour et service de Dieu : ce sont les trois branches de la croix spirituelle, toutes trois néanmoins fondées sur la quatrième qui est l’humilité. Je ne dirai rien de ces trois vertus en tant qu’elles sont vouées solennellement, parce que cela ne regarde que les religieux ; ni même en tant qu’elles sont vouées simplement, d’autant qu’encore que le vœu donne toujours beaucoup de grâces et de mérite à toutes les vertus, si est-ce que pour nous rendre parfaits il n’est pas nécessaire qu’elles soient vouées, pourvu qu’elles soient observées. Car bien qu’étant vouées, et surtout solennellement, elles mettent l’homme en état de perfection, si est-ce que pour le mettre en la perfection il suffit qu’elles soient observées, y ayant bien de la différence entre l’état de perfection et la perfection, puisque tous les évêques et religieux sont en l’état de perfection, et tous néanmoins ne sont pas en la perfection, comme il ne se voit que trop. Tâchons donc, Philothée, de bien pratiquer ces trois vertus, un chacun selon sa vocation ; car encore qu’elles ne nous mettent pas en l’état de perfection, elles nous donneront néanmoins la perfection même ; aussi nous sommes tous obligés à la pratique de ces trois vertus, quoique non pas tous à les pratiquer de même façon.

Il y a deux sortes d’obéissance : l’une nécessaire, et l’autre volontaire. Par la nécessaire, vous devez humblement obéir à vos supérieurs ecclésiastiques, comme au pape et à l’évêque, au curé et à ceux qui sont commis de leur part ; vous devez obéir à vos supérieurs politiques, c’est-à-dire à votre prince et aux magistrats qu’il a établis sur votre pays ; vous devez enfin obéir à vos supérieurs domestiques, c’est-à-dire à votre père, mère, maître, maîtresse. Or cette obéissance s’appelle nécessaire, parce que nul ne se peut exempter du devoir d’obéir à ces supérieurs-là, Dieu les ayant mis en autorité de commander et gouverner, chacun en ce qu’ils ont en charge sur nous. Faites donc leurs commandements, et cela est de nécessité ; mais pour être parfaite, suivez il encore leurs conseils et même leurs désirs et inclinations, en tant que la charité et prudence vous le permettra. Obéissez quand ils vous ordonneront chose agréable, comme de manger, prendre de la récréation, car encore qu’il semble que ce n’est pas grande vertu d’obéir en ce cas, ce serait néanmoins un grand vice de désobéir ; obéissez ès choses indifférentes, comme à porter tel ou tel habit, aller par un chemin ou par un autre, chanter ou se taire, et ce sera une obéissance déjà fort recommandable ; obéissez en choses malaisées, âpres et dures, et ce sera une obéissance parfaite. Obéissez enfin doucement, sans réplique ; promptement, sans retardation ; gaîment, sans chagrin ; et surtout obéissez amoureusement pour l’amour de Celui qui pour l’amour de nous « s’est fait obéissant jusques à la mort de la croix », et lequel, comme dit saint Bernard, aima mieux perdre la vie que l’obéissance.

Pour apprendre aisément à obéir à vos supérieurs, condescendez aisément à la volonté de vos semblables, cédant à leurs opinions en ce qui n’est pas mauvais, sans être contentieuse ni revêche ; accommodez-vous volontiers aux désirs de vos inférieurs autant que la raison le permettra, sans exercer aucune autorité impérieuse sur eux tandis qu’ils sont bons.

C’est un abus de croire que si on était religieux ou religieuse on obéirait aisément, si l’on se trouve difficile et revêche à rendre obéissance à ceux que Dieu a mis sur nous.

Nous appelons obéissance volontaire celle à laquelle nous nous obligeons par notre propre élection, et laquelle ne nous est point imposée par autrui. On ne choisit pas pour l’ordinaire son prince et son évêque, son père et sa mère, ni même souventefois son mari, mais on choisit bien son confesseur, son directeur. Or, soit qu’en le choisissant on fasse vœu d’obéir (comme il est dit que la mère Thérèse, outre l’obéissance solennellement vouée au supérieur de son ordre, s’obligea par un vœu simple d’obéir au père Gracian), ou que sans vœu on se dédie à l’obéissance de quelqu’un, toujours cette obéissance s’appelle volontaire, à raison de son fondement qui dépend de notre volonté et élection.

Il faut obéir à tous les supérieurs, à chacun néanmoins en ce de quoi il a charge sur nous : comme, en ce qui regarde la police et les choses publiques, il faut obéir aux princes ; aux prélats, en ce qui regarde la police ecclésiastique ; ès choses domestiques, au père, au maître, au mari ; quant à la conduite particulière de l’âme, au directeur et confesseur particulier.

Faites-vous ordonner les actions de piété que vous devez observer par votre père spirituel, parce qu’elles en seront meilleures et auront double grâce et bonté : l’une, d’elles-mêmes, puisqu’elles sont pieuses, et l’autre, de l’obéissance qui les aura ordonnées et en vertu de laquelle elles seront faites. Bienheureux sont les obéissants, car Dieu ne permettra jamais qu’ils s’égarent.