Critique de la raison pure (trad. Barni)/Tome I/Théorie élémentaire/P2/PREM DIV./L1/Ch1/S3/§12

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Traduction par Jules Barni.
Édition Germer-Baillière (1p. 144-147).

§ 12

Il y a encore dans la philosophie transcendentale des anciens un chapitre contenant des concepts purs de l’entendement, qui, sans être rangés parmi les catégories, étaient regardés comme devant avoir la valeur de concepts à priori d’objets. Mais, s’il en était ainsi, ils augmenteraient le nombre des catégories, ce qui ne peut être. Ces concepts sont exprimés par cette proposition, si célèbre chez les scolastiques : quolibet ens est unum, verum, bonum. Quoique dans l’usage ce principe ait abouti à de très-singulières conséquences (c’est-à-dire à des proportions purement tautologiques), si bien que de notre temps on ne l’admet plus guère dans la métaphysique que par bienséance, une pensée qui s’est soutenue si longtemps, quelque vide qu’elle semble être, mérite toujours qu’on en recherche l’origine et donne lieu de supposer qu’elle a son principe dans quelque règle de l’entendement, qui, comme il arrive souvent, aura été mal interprétée. Ces prétendus prédicats transcendentaux des choses ne sont que des nécessités logiques[ndt 1] et des criteriums de toute connaissance des choses en général, à laquelle ils donnent pour fondement les catégories de la quantité, c’est-à-dire de l’unité, de la pluralité et de la totalité. Seulement les anciens, qui n’avaient dû proprement les admettre qu’au sens matériel[ndt 2], c’est-à-dire comme conditions de la possibilité des choses mêmes, ne les employaient en réalité qu’au sens formel[ndt 3], c’est-à-dire comme faisant partie des conditions logiques de toute connaissance[ndt 4], et pourtant ils convertissaient, sans y prendre garde, ces criteriums de la pensée en propriétés des choses elles-mêmes. Dans toute connaissance d’un objet, il y a d’abord une unité de concept, que l’on peut appeler unité qualitative en tant que l’on conçoit sous cette unité l’ensemble des éléments divers de la connaissance, comme par exemple l’unité du thème dans un drame, dans un discours, dans une fable. Vient ensuite la vérité relativement aux conséquences. Plus il y a de conséquences vraies qui découlent d’un concept donné, plus il y a de signes de sa réalité objective. C’est ce que l’on pourrait appeler la pluralité qualitative des signes qui appartiennent à un concept comme à un principe commun (qui n’y sont pas conçus comme des quantités). Vient enfin la perfection, qui consiste en ce que cette pluralité à son tour est ramenée tout entière à l’unité du concept et qu’elle s’accorde complètement et exclusivement avec lui ; ce que l’on peut appeler l’intégrité qualitative[ndt 5] (la totalité). Par où l’on voit que ces trois critériums logiques de la possibilité de la connaissance en général ne font que transformer ici, au moyen de la qualité d’une connaissance prise pour principe, les trois catégories de la quantité, où l’unité doit être prise d’une manière constamment homogène dans la production du quantum, et cela afin de relier en une conscience des éléments de connaissance hétérogènes. Ainsi le critérium de la possibilité d’un concept (je ne dis pas de l’objet de ce concept) est la définition, où l’unité du concept, la vérité de tout ce qui en peut être immédiatement dérivé, l’intégrité enfin de ce qui en a été tiré, constituent les conditions exigées pour l’établissement[ndt 6] de tout le concept. Ainsi encore le criterium d’une hypothèse consiste dans la clarté[ndt 7] du principe d’explication admis, c’est-à-dire dans son unité (par laquelle il repousse le secours de toute autre hypothèse) ; dans la vérité des conséquences qui en dérivent (l’accord de ces conséquences entre elles et avec l’expérience) ; enfin dans l’intégrité du principe d’explication par rapport à ces conséquences, lesquelles ne doivent rien rendre de plus ni de moins que ce qui a été admis dans l’hypothèse, mais reproduire analytiquement à posteriori ce qui a été conçu synthétiquement à priori, et s’y accorder. Les concepts d’unité, de vérité et de perfection ne complètent donc nullement la liste transcendentale des catégories, comme si elle était défectueuse ; mais le rapport de ces concepts à des objets étant tout à fait mis de côté, l’usage qu’en fait l’esprit rentre dans les règles logiques générales de l’accord de la connaissance avec elle-même.



Notes de Kant[modifier]


Notes du traducteur[modifier]

  1. Logische Erfordernisse.
  2. Eigentlich material.
  3. In formaler Bedeutung.
  4. Als zur logischen Forderung in Ansehung jeder Erkenntniss gehörig.
  5. Qualitative Vollständigkeit.
  6. Die Herstellung.
  7. Verständlichkeit.