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Critique de la raison pure (trad. Barni) - 1869/TC de l'Esthétique transcendentale

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I

Théorie élémentaire transcendentale



Première partie

Esthétique transcendentale


§ 1er

De quelque manière et par quelque moyen qu’une connaissance puisse se rapporter à des objets, le mode par lequel la connaissance se rapporte immédiatement à des objets et que toute pensée se propose comme moyen, est l’intuition[ndt 1]. Mais l’intuition n’a lieu qu’autant qu’un objet nous est donné, et, à son tour, un objet ne peut nous être donné qu’à la condition d’affecter l’esprit d’une certaine manière. La capacité de recevoir (la réceptivité) des représentations[ndt 2] des objets par la manière dont ils nous affectent, s’appelle sensibilité. C’est donc au moyen de la sensibilité que les objets nous sont donnés, et elle seule nous fournit des intuitions ; mais c’est par l’entendement qu’ils sont pensés, et c’est de lui que sortent les concepts[ndt 3]. Toute pensée doit aboutir, en dernière analyse, soit directement (directe), soit indirectement (indirecte), à des intuitions, et par conséquent à la sensibilité qui est en nous, puisqu’aucun objet ne peut nous être donné autrement.

L’effet d’un objet sur la capacité de représentation[ndt 4], en tant que nous sommes affectés par lui, est la sensation. On nomme empirique toute intuition qui se rapporte à l’objet par le moyen de la sensation. L’objet indéterminé d’une intuition empirique s’appelle phénomène[ndt 5].

Ce qui, dans le phénomène, correspond à la sensation, je l’appelle la matière de ce phénomène ; mais ce qui fait que ce qu’il y a en lui de divers[ndt 6] peut être ordonné suivant certains rapports, je le nomme la forme du phénomène. Comme ce en quoi les sensations se coordonnent nécessairement, ou ce qui seul permet de les ramener à une certaine forme, ne saurait être lui-même sensation, il suit que, si la matière de tout phénomène ne peut nous être donnée qu’à posteriori, la forme en doit être à priori dans l’esprit, toute prête à s’appliquer à tous, et que, par conséquent, on doit pouvoir la considérer indépendamment de toute sensation.

J’appelle pures (dans le sens transcendental) toutes les représentations où l’on ne trouve rien qui se rapporte à la sensation. La forme pure des intuitions, dans laquelle tous les éléments divers des phénomènes sont perçus[ndt 7] sous certains rapports, doit donc être en général à priori dans l’esprit. Cette forme pure de la sensibilité peut être désignée elle-même sous le nom d’intuition pure. Ainsi, lorsque, dans la représentation d’un corps, je fais abstraction de ce que l’entendement en conçoit, comme la substance, la force, la divisibilité, etc., ainsi que de ce qui revient à la sensation, comme l’impénétrabilité, la dureté, la couleur, etc., il me reste encore quelque chose de cette intuition empirique, à savoir l’étendue et la figure. Or c’est là précisément ce qui appartient à l’intuition pure, laquelle se trouve à priori dans l’esprit, comme une simple forme de la sensibilité, indépendamment même de tout objet réel des sens ou de toute sensation.

J’appelle esthétique transcendentale[1] la science de tous les principes à priori de la sensibilité. Cette science doit donc former la première partie de la théorie élémentaire transcendentale, par opposition à celle qui contient les principes de la pensée pure et qui se nomme logique transcendentale.

Dans l’esthétique transcendentale, nous commencerons par isoler la sensibilité, en faisant abstraction de tout ce que l’entendement y ajoute par ses concepts, de telle sorte qu’il ne reste rien que l’intuition empirique. Nous en écarterons ensuite tout ce qui appartient à la sensation, afin de n’avoir plus que l’intuition pure et la simple forme des phénomènes, seule chose que la sensibilité puisse fournir à priori. Il résultera de cette recherche qu’il y a deux formes pures de l’intuition sensible, comme principes de la connaissance à priori, savoir l’espace et le temps. Nous allons les examiner.



Première section

De l’espace


§ 2

Exposition métaphysique du concept de l’espace.

Au moyen de cette propriété de notre esprit qui est le sens extérieur, nous nous représentons certains objets comme étant hors de nous et placés tous dans l’espace. C’est là que leur figure, leur grandeur et leurs rapports réciproques sont déterminés ou peuvent l’être. Le sens interne, au moyen duquel l’esprit s’aperçoit lui-même, ou aperçoit son état intérieur, ne nous donne sans doute aucune intuition de l’âme elle-même comme objet ; mais il faut admettre ici une forme déterminée qui seule rend possible l’intuition de son état interne et d’après laquelle tout ce qui appartient à ses déterminations intérieures est représenté suivant des rapports de temps. Le temps ne peut pas être perçu extérieurement, pas plus que l’espace ne peut l’être comme quelque chose en nous. Qu’est-ce donc que l’espace et le temps ? sont-ce des êtres réels ? Sont-ce seulement des déterminations ou même de simples rapports des choses ? Et ces rapports sont-ils de telle nature qu’ils ne cesseraient pas de subsister entre les choses, alors même qu’ils ne seraient pas perçus ? Ou bien dépendent-ils uniquement de la forme de l’intuition, et par conséquent de la constitution subjective de notre esprit, sans laquelle ces prédicats ne pourraient être attribués à aucune chose ? Pour répondre à ces questions, examinons d’abord le concept de l’espace[ndt 8]. J’entends par exposition[ndt 9] (expositio) la représentation claire (quoique non détaillée) de ce qui appartient à un concept ; cette exposition est métaphysique lorsqu’elle contient ce qui montre le concept comme donné à priori[ndt 10].

1. L’espace n’est pas un concept empirique, dérivé d’expériences extérieures. En effet, pour que je puisse rapporter certaines sensations à quelque chose d’extérieur à moi (c’est-à-dire à quelque chose placé dans un autre lieu de l’espace que celui où je me trouve), et, de même, pour que je puisse me représenter les choses comme en dehors et à côté les unes des autres, et par conséquent comme n’étant pas seulement différentes, mais placées en des lieux différents, il faut que la représentation de l’espace existe déjà en moi. Cette représentation ne peut donc être tirée par l’expérience des rapports des phénomènes extérieurs ; mais cette expérience extérieure n’est elle-même possible qu’au moyen de cette représentation.

2. L’espace est une représentation nécessaire, à priori, qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. Il est impossible de se représenter qu’il n’y ait point d’espace, quoiqu’on puisse bien concevoir qu’il ne s’y trouve pas d’objets. Il est donc considéré comme la condition de la possibilité des phénomènes, et non pas comme une détermination qui en dépende, et il n’est autre chose qu’une représentation à priori, servant nécessairement de fondement aux phénomènes extérieurs.

3[ndt 11]. L’espace n’est donc pas un concept discursif, ou, comme on dit, un concept universel de rapports de choses en général, mais une intuition pure. En effet, d’abord on ne peut se représenter qu’un seul espace ; et, quand on parle de plusieurs espaces, on n’entend par là que les parties d’un seul et même espace. Ces parties ne sauraient non plus être antérieures à cet espace unique qui comprend tout, comme si elles en étaient les éléments (et qu’elles le constituassent par leur assemblage) ; elles ne peuvent, au contraire, être conçues qu’en lui. Il est essentiellement un ; la diversité que nous y reconnaissons, et par conséquent le concept universel d’espaces en général ne reposent que sur des limitations. Il suit de là qu’une intuition à priori (non empirique) sert de fondement à tous les concepts que nous en formons. C’est ainsi que tous les principes géométriques, comme celui-ci, par exemple, que, dans un triangle, deux côtés pris ensemble sont plus grands que le troisième, ne sortent pas avec leur certitude apodictique des concepts généraux de ligne et de triangle, mais de l’intuition, et d’une intuition à priori.

4. L’espace est représenté comme une grandeur infinie donnée. Il faut regarder tout concept comme une représentation contenue elle-même dans une multitude infinie de représentations diverses possibles (dont elle est le signe commun) ; mais nul concept ne peut, comme tel, être considéré comme contenant une multitude infinie de représentations. Or c’est pourtant ainsi que nous concevons l’espace (car toutes les parties de l’espace coexistent à l’infini). La représentation originaire de l’espace est donc une intuition à priori, et non pas un concept[ndt 12].


§ 3

Exposition transcendentale du concept de l’espace[ndt 13].

Montrer comment un certain concept est un principe qui explique la possibilité d’autres connaissances synthétiques à priori, voilà ce que j’appelle en faire une exposition transcendentale. Or cela suppose deux choses : 1o que des connaissances de cette nature dérivent réellement du concept donné ; 2o que ces connaissances ne sont possibles que suivant le mode d’explication tiré de ce concept.

La géométrie est une science qui détermine synthétiquement, et pourtant à priori, les propriétés de l’espace. Que doit donc être la représentation de l’espace pour qu’une telle connaissance en soit possible ? Il faut qu’elle soit originairement une intuition ; car il est impossible de tirer d’un simple concept des propositions qui le dépassent, comme cela arrive pourtant en géométrie (Introduction, V). Mais cette intuition doit se trouver en nous à priori, c’est-à-dire antérieurement à toute perception d’un objet, et, par conséquent, être pure et non empirique. En effet, les propositions géométriques, comme celle-ci, par exemple : l’espace n’a que trois dimensions, sont toutes apodictiques, c’est-à-dire qu’elles impliquent la conscience de leur nécessité ; elles ne peuvent donc être des jugements empiriques ou d’expérience, ni en dériver (Introduction, II).

Mais comment peut-il y avoir dans l’esprit une intuition extérieure qui précède les objets mêmes, et qui en détermine à priori le concept. Cela ne peut évidemment arriver qu’autant qu’elle ait son siège dans le sujet comme la propriété formelle de la capacité qu’il a d’être affecté par des objets et d’en recevoir ainsi une représentation immédiate, c’est-à-dire une intuition, par conséquent comme forme du sens extérieur en général.

Notre explication fait donc comprendre la possibilité de la géométrie comme connaissance synthétique à priori. Tout mode d’explication qui n’offre pas cet avantage peut être à ce signe très-sûrement distingué du nôtre, quelque ressemblance qu’il puisse avoir avec lui en apparence.



Conséquences tirées de ce qui précède

A. L’espace ne représente aucune propriété des choses, soit qu’on les considère en elles-mêmes ou dans leurs rapports entre elles. En d’autres termes, il ne représente aucune détermination qui soit inhérente aux objets mêmes et qui subsiste abstraction faite de toutes les conditions subjectives de l’intuition. En effet, il n’y a point de déterminations, soit absolues, soit relatives, qui puissent être aperçues antérieurement à l’existence des choses auxquelles elles appartiennent, et, par conséquent, à priori.

B. L’espace n’est autre chose que la forme de tous les phénomènes des sens extérieurs, c’est-à-dire la seule condition subjective de la sensibilité sous laquelle soit possible pour nous une intuition extérieure. Or, comme la réceptivité en vertu de laquelle le sujet peut être affecté par des objets[ndt 14]précède nécessairement toutes les intuitions de ces objets, on comprend aisément comment la forme de tous ces phénomènes peut être donnée dans l’esprit antérieurement à toutes les perceptions réelles, par conséquent à priori, et comment, étant une intuition pure où tous les objets doivent être déterminés, elle peut contenir antérieurement à toute expérience les principes de leurs rapports.

Nous ne pouvons donc parler d’espace, d’êtres étendus, etc., qu’au point de vue de l’homme. Que si nous sortons de la condition subjective sans laquelle nous ne saurions recevoir d’intuitions extérieures, c’est-à-dire être affectés par les objets, la représentation de l’espace ne signifie plus absolument rien. Les choses ne reçoivent ce prédicat qu’autant qu’elles nous apparaissent, c’est-à-dire comme objets de la sensibilité. La forme constante de cette réceptivité que nous nommons sensibilité, est la condition nécessaire de tous les rapports où nous percevons les objets comme extérieurs à nous ; et, si l’on fait abstraction de ces objets, elle est une intuition pure, qui prend le nom d’espace. Comme nous ne saurions voir dans les conditions particulières de la sensibilité les conditions de la possibilité des choses mêmes, mais celles seulement de leurs manifestations[ndt 15], nous pouvons bien dire que l’espace contient toutes les choses qui peuvent nous apparaître extérieurement, mais non pas toutes ces choses en elles-mêmes, qu’elles soient ou non perçues et quel que soit le sujet qui les perçoive. En effet, nous ne saurions juger des intuitions que peuvent avoir d’autres êtres pensants, et savoir si elles sont soumises aux conditions qui limitent les nôtres et qui ont pour nous une valeur universelle. Que si au concept qu’a le sujet, nous joignons un jugement restrictif, alors notre jugement a une valeur absolue. Cette proposition : toutes les choses sont juxtaposées dans l’espace, n’a de valeur qu’avec cette restriction, que ces choses soient prises comme objets de notre intuition sensible. Si donc j’ajoute ici la condition au concept, et que je dise : toutes les choses, en tant que phénomènes extérieurs, sont juxtaposées dans l’espace, cette règle a une valeur universelle et sans restriction. Notre examen de l’espace nous en montre donc la réalité (c’est-à-dire la valeur objective) au point de vue de la perception des choses comme objets extérieurs ; mais il nous en révèle aussi l’idéalité au point de vue de la raison considérant les choses en elles-mêmes, c’est-à-dire abstraction faite de la constitution de notre sensibilité. Nous affirmons donc la réalité empirique de l’espace (relativement à toute expérience extérieure possible) ; mais nous en affirmons aussi l’idéalité transcendentale, c’est-à-dire la non-existence, dès que nous laissons de côté les conditions de la possibilité de toute expérience, et que nous nous demandons s’il peut servir de fondement aux choses en soi.

D’un autre côté, outre l’espace, il n’y a pas d’autre représentation subjective et se rapportant à quelque chose d’extérieur, qui puisse être appelée objective à priori[ndt 16]. Il n’est, en effet, aucune de ces représentations d’où l’on puisse tirer des propositions synthétiques à priori, comme celles qui dérivent de l’intuition de l’espace, § 3. Aussi, à parler exactement, n’ont-elles aucune espèce d’idéalité, encore qu’elles aient ceci de commun avec la représentation de l’espace, de dépendre uniquement de la constitution subjective de la sensibilité, par exemple de la vue, de l’ouïe, du tact ; mais les sensations des couleurs, des sons, de la chaleur, étant de pures sensations et non des intuitions, ne nous font connaître par elles-mêmes aucun objet, du moins à priori.

Le but de cette remarque est d’empêcher qu’on ne s’avise de vouloir expliquer l’idéalité attribuée à l’espace par des exemples entièrement insuffisants, comme les couleurs, les saveurs, etc., que l’on regarde avec raison,


non comme des propriétés des choses, mais comme de pures modifications du sujet, et qui peuvent être fort différentes suivant les différents individus. En effet, dans ce dernier cas, ce qui n’est originairement qu’un phénomène, par exemple une rose, a, dans le sens empirique, la valeur d’une chose en soi, bien que, quant à la couleur, elle puisse paraître différente aux différents yeux. Au contraire, le concept transcendental des phénomènes dans l’espace nous suggère cette observation critique que rien en général de ce qui est perçu dans l’espace n’est une chose en soi, et que l’espace n’est pas une forme des choses considérées en elles-mêmes, mais que les objets ne nous sont pas connus en eux-mêmes, et que ce que nous nommons objets extérieurs consiste dans de simples représentations de notre sensibilité, dont l’espace est la forme, mais dont le véritable corrélatif, c’est-à-dire la chose en soi, n’est pas et ne peut pas être connu par là. Aussi bien ne s’en enquiert-on jamais dans l’expérience.


Deuxième section

Du temps

§ 4

Exposition métaphysique du concept du temps

1. Le temps n’est pas un concept empirique ou qui dérive de quelque expérience. En effet, la simultanéité ou la succession ne tomberaient pas elles-mêmes sous notre perception, si la représentation du temps ne lui servait à priori de fondement. Ce n’est qu’à cette condition que nous pouvons nous représenter une chose comme existant dans le même temps qu’une autre (comme simultanée avec elle) ou dans un autre temps (comme la précédant ou lui succédant).

2. Le temps est une représentation nécessaire qui sert de fondement à toutes les intuitions. On ne saurait supprimer le temps lui-même par rapport aux phénomènes en général, quoique l’on puisse bien les retrancher du temps par la pensée. Le temps est donc donné à priori. Sans lui, toute réalité des phénomènes est impossible. On peut les supprimer tous, mais lui-même (comme condition générale de leur possibilité) ne peut être supprimé.

3. Sur cette nécessité se fonde aussi à priori la possibilité de principes apodictiques concernant les rapports du temps, ou d’axiomes du temps en général, comme ceux-ci : le temps n’a qu’une dimension ; des temps différents ne sont pas simultanés, mais successifs (tandis que des espaces différents ne sont pas successifs, mais simultanés). Ces principes ne peuvent pas être tirés de l’expérience, car celle-ci ne saurait donner ni absolue généralité, ni certitude apodictique. Il faudrait se borner à dire : voilà ce qu’enseigne l’observation générale, et non voilà ce qui doit être. Ils ont donc la valeur de règles servant en général à rendre possible l’expérience ; bien loin que celle-ci nous les enseigne, ce sont eux qui nous instruisent à son sujet.

4. Le temps n’est pas un concept discursif, ou, comme on dit, général, mais une forme pure de l’intuition sensible. Les temps différents ne sont que des parties d’un même temps. Une représentation qui ne peut être donnée que par un seul objet est une intuition. Aussi cette proposition, que des temps différents ne peuvent exister simultanément, ne saurait-elle dériver d’un concept général. Elle est synthétique, et ne peut être uniquement tirée de concepts. Elle est donc immédiatement contenue dans l’intuition et dans la représentation du temps.

5. L’infinité du temps ne signifie rien autre chose, sinon que toute quantité déterminée du temps n’est possible que comme circonscription d’un temps unique qui lui sert de fondement. Il faut donc que la représentation originaire du temps soit donnée comme illimitée. Or, quand les parties mêmes d’une chose, quand toutes les quantités d’un objet ne peuvent être représentées et déterminées qu’au moyen d’une limitation de cet objet, alors la représentation entière ne peut être donnée par des concepts (car ceux-ci ne contiennent que des représentations partielles), mais il y a une intuition immédiate qui leur sert de fondement.

§ 5

Exposition transcendentale du concept du temps[ndt 17]

Je me borne à renvoyer le lecteur au no 3, où, pour plus de brièveté, j’ai placé sous le titre d’exposition métaphysique ce qui est proprement transcendental. J’ajouterai seulement ici que le concept du changement, ainsi que celui du mouvement (comme changement de lieu) ne sont possibles que par et dans la représentation du temps, et que, si cette représentation n’était pas une intuition (interne) à priori, nul concept, quel qu’il fût, ne pourrait nous faire comprendre la possibilité d’un changement, c’est-à-dire d’une liaison de prédicats contradictoirement opposés dans un seul et même objet (par exemple, l’existence d’une chose dans un lieu et la non-existence de cette même chose dans le même lieu). Ce n’est que dans le temps, c’est-à-dire successivement, que deux modes contradictoirement opposés peuvent convenir à une même chose. Notre concept du temps explique donc la possibilité de toutes les connaissances synthétiques à priori que contient la théorie générale du mouvement, qui n’est pas peu féconde.

§ 6

Conséquences tirées de ce qui précède

A. Le temps n’est pas quelque chose qui existe par soi-même ou qui soit inhérent aux choses comme une propriété objective, et qui, par conséquent, subsiste quand on fait abstraction de toutes les conditions subjectives de leur intuition. Dans le premier cas, il faudrait qu’il fût quelque chose qui existât réellement sans objet réel ; dans le second, étant un mode ou un ordre inhérent aux choses mêmes, il ne pourrait être la condition préalable de la perception des objets, et nous être donné ou connu à priori par des propositions synthétiques. Rien n’est plus facile, au contraire, si le temps n’est que la condition subjective de toutes les intuitions que nous pouvons avoir. Alors, en effet, cette forme de l’intuition interne peut être représentée antérieurement aux objets, et par conséquent à priori.

B. Le temps n’est autre chose que la forme du sens interne, c’est-à-dire de l’intuition de nous-mêmes et de notre état intérieur. En effet, il ne peut être une détermination des phénomènes extérieurs : il n’appartient ni à la figure, ni à la position, etc. ; mais il détermine lui-même le rapport des représentations dans notre état intérieur. Et précisément parce que cette intuition intérieure n’offre aucune figure, nous cherchons à réparer ce défaut par l’analogie : nous représentons la suite du temps par une ligne qui s’étend à l’infini et dont les diverses parties constituent une série qui n’a qu’une dimension, et nous concluons des propriétés de cette ligne à celle du temps, avec cette seule exception que les parties de la première sont simultanées, tandis que celles du second sont toujours successives. On voit aussi par là que la représentation du temps est une intuition, puisque toutes ses relations peuvent être exprimées par une intuition extérieure.

C. Le temps est la condition formelle à priori de tous les phénomènes en général. L’espace, comme forme pure de toute intuition externe, ne sert de condition à priori qu’aux phénomènes extérieurs. Au contraire, comme toutes les représentations, qu’elles aient ou non pour objets des choses extérieures, appartiennent toujours par elles-mêmes, en tant que déterminations de l’esprit, à un état intérieur, et que cet état intérieur, toujours soumis à la condition formelle de l’intuition interne, rentre ainsi dans le temps, le temps est la condition à priori de tout phénomène en général, la condition immédiate des phénomènes intérieurs (de notre âme), et, par là même, la condition médiate de tous les phénomènes extérieurs. Si je puis dire à priori que tous les phénomènes extérieurs sont dans l’espace et qu’ils sont déterminés à priori suivant les relations de l’espace, je puis dire d’une manière tout à fait générale du principe du sens interne, que tous les phénomènes en général, c’est-à-dire tous les objets des sens, sont dans le temps et qu’ils sont nécessairement soumis aux relations du temps.

Si nous faisons abstraction de notre mode d’intuition interne et de la manière dont (au moyen de cette intuition) nous embrassons aussi toutes les intuitions externes dans notre faculté de représentation, et si, par conséquent, nous prenons les objets comme ils peuvent être en eux-mêmes, alors le temps n’est rien. Il n’a de valeur objective que relativement aux phénomènes, parce que les phénomènes sont des choses que nous regardons comme des objets de nos sens ; mais cette valeur objective disparaît dès qu’on fait abstraction de la sensibilité de notre intuition, ou de ce mode de représentation qui nous est propre, et que l’on parle des choses en général. Le temps n’est donc autre chose qu’une condition subjective de notre (humaine) intuition (laquelle est toujours sensible, c’est-à-dire ne se produit qu’autant que nous sommes affectés par des objets) ; en lui-même, en dehors du sujet, il n’est rien. Il n’en est pas moins nécessairement objectif par rapport à tous les phénomènes, par conséquent aussi à toutes les choses que peut nous offrir l’expérience. On ne peut pas dire que toutes les choses sont dans le temps, puisque dans le concept des choses en général, on fait abstraction de toute espèce d’intuition de ces choses, et que l’intuition est la condition particulière qui fait rentrer le temps dans la représentation des objets ; mais, si l’on ajoute la condition au concept et que l’on dise : toutes les choses, en tant que phénomènes (en tant qu’objets de l’intuition sensible) sont dans le temps, ce principe a dans ce sens une véritable valeur objective, et il est universel à priori.

Toutes ces considérations établissent donc la réalité empirique du temps, c’est-à-dire sa valeur objective relativement à tous les objets qui peuvent jamais s’offrir à nos sens. Et comme notre intuition est toujours sensible, il ne peut jamais y avoir d’objet donné dans l’expérience, qui ne rentre sous la condition du temps. Nous n’admettons donc pas que le temps puisse prétendre à une réalité absolue, comme si, même abstraction faite de la forme de notre intuition sensible, il appartenait absolument aux choses à titre de condition ou de propriété. Ces sortes de propriétés qui appartiennent aux choses en soi ne sauraient jamais d’ailleurs nous être données par les sens. Il faut donc admettre l’idéalité transcendentale du temps, en ce sens que, si l’on fait abstraction des conditions subjectives de l’intuition sensible, il n’est plus rien, et qu’il ne peut être attribué aux choses en soi (indépendamment de leur rapport avec notre intuition), soit à titre de substance, soit à titre de qualité. Mais cette idéalité, de même que celle de l’espace, n’a rien de commun avec les subreptions de la sensation : dans ce cas, on suppose que le phénomène même auquel appartiennent tels ou tels attributs a une réalité objective, tandis que cette réalité disparaît entièrement ici, à moins qu’on ne veuille parler d’une réalité empirique, c’est-à-dire d’une réalité qui, dans l’objet, ne s’applique qu’au phénomène. Voyez plus haut, sur ce point, la remarque de la première section.

§ 7

Explication

Cette théorie qui attribue au temps une réalité empirique, mais qui lui refuse la réalité absolue et transcendentale, a soulevé chez des esprits pénétrants une objection si uniforme que j’en conclus que la même objection doit naturellement venir à la pensée de tout lecteur à qui ces considérations ne sont pas familières. Voici comment elle se formule : il y a des changements réels (c’est ce que prouve la succession de nos propres représentations, dût-on nier tous les phénomènes extérieurs ainsi que leurs changements) ; or les changements ne sont possibles que dans le temps ; donc le temps est quelque chose de réel. La réponse ne présente aucune difficulté. J’accorde l’argument tout entier. Oui, le temps est quelque chose de réel ; c’est en effet la forme réelle de l’intuition interne. Il a donc une réalité objective par rapport à l’expérience intérieure, c’est-à-dire que j’ai réellement la représentation du temps et de mes représentations dans le temps. Il ne doit donc pas être réellement considéré comme un objet, mais comme un mode de représentation de moi-même en tant qu’objet. Que si je pouvais avoir l’intuition de moi-même ou d’un autre être indépendamment de cette condition de la sensibilité, ces mêmes déterminations que nous nous représentons actuellement comme des changements nous donneraient une connaissance où ne se trouverait plus la représentation du temps, et par conséquent aussi du changement. Il a donc bien une réalité empirique, comme condition de toutes nos expériences ; mais, d’après ce que nous venons de dire, on ne saurait lui accorder une réalité absolue. Il n’est autre chose que la forme de notre intuition interne[2]. Si l’on retranche de cette intuition la condition particulière de notre sensibilité, alors le concept du temps disparaît aussi, car il n’est point inhérent aux choses mêmes, mais seulement au sujet qui les perçoit.

Quelle est donc la cause, pourquoi cette objection a été faite si unanimement, et par des hommes qui n’ont rien d’évident à opposer à la doctrine de l’idéalité de l’espace ? C’est qu’ils n’espéraient pas pouvoir démontrer apodictiquement la réalité absolue de l’espace, arrêtés qu’ils étaient par l’idéalisme, suivant lequel la réalité des objets extérieurs n’est susceptible d’aucune démonstration rigoureuse, tandis que celle de l’objet de nos sens intérieurs (de moi-même et de mon état) leur paraissait immédiatement révélée par la conscience. Les objets extérieurs, pensaient-ils, pourraient bien n’être qu’une apparence, mais le dernier est incontestablement quelque chose de réel. Ils ne songeaient pas que ces deux sortes d’objets, quelque réels qu’ils soient à titre de représentations, ne sont cependant que des phénomènes, et que le phénomène doit toujours être envisagé sous deux points de vue : l’un, où l’objet est considéré en lui-même (indépendamment de la manière dont nous l’apercevons, mais où par cela même sa nature reste toujours pour nous problématique) ; l’autre, où l’on a égard à la forme de l’intuition de cet objet, laquelle doit être cherchée dans le sujet auquel l’objet apparaît, non dans l’objet lui-même, mais n’en appartient pas moins réellement et nécessairement au phénomène qui manifeste cet objet[ndt 18].

Le temps et l’espace sont donc deux sources où peuvent être puisées à priori diverses connaissances synthétiques, comme les mathématiques pures en donnent un exemple éclatant relativement à la connaissance de l’espace et de ses rapports. C’est qu’ils sont tous deux ensemble des formes pures de toute intuition sensible, et rendent ainsi possibles certaines propositions synthétiques à priori. Mais ces sources de connaissances à priori se déterminent leurs limites par là même (par cela seul qu’elles ne sont que des conditions de la sensibilité), c’est-à-dire qu’elles ne se rapportent aux objets qu’autant qu’ils sont considérés comme phénomènes et non comme des choses en soi. Les phénomènes forment le seul champ où elles aient de la valeur ; en dehors de là, il n’y a aucun usage objectif à en faire. Cette espèce de réalité que j’attribue à l’espace et au temps laisse d’ailleurs intacte la certitude de la connaissance expérimentale ; car cette connaissance reste toujours également certaine, que ces formes soient nécessairement inhérentes aux choses mêmes ou seulement à notre intuition des choses. Au contraire, ceux qui soutiennent la réalité absolue de l’espace et du temps, qu’ils les regardent comme des substances ou comme des qualités, ceux-là se mettent en contradiction avec les principes de l’expérience. En effet, s’ils se décident pour le premier parti (comme le

font ordinairement les physiciens mathématiciens), il leur faut admettre comme éternels et infinis et comme existants par eux-mêmes deux non-êtres[ndt 19] (l’espace et le temps), qui (sans être eux-mêmes quelque chose de réel) n’existent que pour renfermer en eux tout ce qui est réel. Que s’ils suivent le second parti (comme font quelques physiciens métaphysiciens), c’est-à-dire si l’espace et le temps sont pour eux certains rapports des phénomènes (des rapports de juxtaposition ou de succession) abstraits de l’expérience, mais confusément représentés dans cette abstraction, il faut qu’ils contestent aux doctrines à priori des mathématiques touchant les choses réelles (par exemple dans l’espace), leur valeur ou au moins leur certitude apodictique, puisqu’une pareille certitude ne saurait être à posteriori, et que, dans leur opinion, les concepts à priori d’espace et de temps sont de pures créations de l’imagination, dont la source doit être réellement cherchée dans l’expérience. C’est en effet, selon eux, avec des rapports abstraits de l’expérience que l’imagination a formé quelque chose qui représente bien ce qu’il y a en elle de général, mais qui ne saurait exister sans les restrictions qu’y attache la nature. Ceux qui adoptent la première opinion ont l’avantage de laisser le champ des phénomènes ouvert aux propositions mathématiques ; mais ils sont singulièrement embarrassés par ces mêmes conditions, dès que l’entendement veut sortir de ce champ. Les seconds ont, sur ce dernier point, l’avantage de n’être point arrêtés par les représentations de l’espace et du temps, lorsqu’ils veulent juger des objets dans leur rapport avec l’entendement et non comme phénomènes ; mais ils ne peuvent ni rendre compte de la possibilité des connaissances mathématiques à priori (puisqu’il leur manque une véritable intuition objective à priori), ni établir un accord nécessaire entre les lois de l’expérience et ces assertions. Or ces deux difficultés disparaissent dans notre théorie, qui explique la véritable nature de ces deux formes originaires de la sensibilité.

Il est clair que l’esthétique transcendentale ne peut rien contenir de plus que ces deux éléments, à savoir l’espace et le temps, puisque tous les autres concepts appartenant à la sensibilité supposent quelque chose d’empirique. Le concept même du mouvement, qui réunit les deux éléments, ne fait pas exception à cette règle. En effet il présuppose la perception de quelque chose de mobile. Or, dans l’espace considéré en soi, il n’y a rien de mobile ; il faut donc que le mobile soit quelque chose que l’expérience seule peut trouver dans l’espace, par conséquent une donnée empirique[ndt 20]. L’esthétique transcendentale ne saurait non plus compter parmi des données à priori le concept du changement, car ce n’est pas le temps lui-même qui change, mais quelque chose qui est dans le temps. Ce concept suppose donc la perception d’une certaine chose et de la succession de ses déterminations, par conséquent l’expérience.


§ 8

Remarques générales sur l’esthétique transcendentale

I. Il est d’abord nécessaire d’expliquer aussi clairement que possible notre opinion sur la constitution de la connaissance sensible en général, afin de prévenir tout malentendu à ce sujet.

Ce que nous avons voulu dire, c’est donc que toutes nos intuitions ne sont autre chose que des représentations de phénomènes ; c’est que les choses que nous percevons ne sont pas en elles-mêmes telles que nous les percevons, et que leurs rapports ne sont pas non plus réellement ce qu’ils nous apparaissent ; c’est que, si nous faisons abstraction de notre sujet ou seulement de la constitution subjective de nos sens en général, toutes les propriétés, tous les rapports des objets dans l’espace et dans le temps, l’espace et le temps eux-mêmes s’évanouissent, parce que rien de tout cela, comme phénomène, ne peut exister en soi, mais seulement en nous. Quant à la nature des objets considérés en eux-mêmes et indépendamment de toute cette réceptivité de notre sensibilité, elle nous demeure entièrement inconnue. Nous ne connaissons rien de ces objets que la manière dont nous les percevons ; et cette manière, qui nous est propre, peut fort bien n’être pas nécessaire à tous les êtres, bien qu’elle le soit à tous les hommes. Nous n’avons affaire qu’à elle. L’espace et le temps en sont les formes pures ; la sensation en est la matière générale. Nous ne pouvons connaître ces formes qu’à priori, c’est-à-dire avant toute perception réelle, et c’est pourquoi on les appelle des intuitions pures ; la sensation au contraire est l’élément d’où notre connaissance tire son nom de connaissance à posteriori, c’est-à-dire d’intuition empirique. Celles-là sont nécessairement et absolument inhérentes à notre sensibilité, quelle que puisse être la nature de nos sensations ; celles-ci peuvent être très-différentes. Quand même nous pourrions porter notre intuition à son plus haut degré de clarté, nous n’en ferions point un pas de plus vers la connaissance de la nature même des objets. Car en tous cas nous ne connaîtrions parfaitement que notre mode d’intuition, c’est-à-dire notre sensibilité, toujours soumise aux conditions d’espace et de temps originairement inhérentes au sujet ; quant à savoir ce que sont les objets en soi, c’est ce qui nous est impossible même avec la connaissance la plus claire de leurs phénomènes, seule chose qui nous soit donnée.

Prétendre que toute notre sensibilité n’est qu’une représentation confuse des choses, qui contient absolument tout ce qu’il y a dans ces choses mêmes, mais sous la forme d’un assemblage de signes et de représentations partielles que nous ne distinguons pas nettement les unes des autres, c’est dénaturer les concepts de sensibilité et de phénomène, et en rendre toute la théorie inutile et vide. La différence entre une représentation obscure et une représentation claire est purement logique et ne porte pas sur le contenu. Le concept du droit, par exemple, dont se sert toute saine intelligence, contient, sans doute, tout ce que peut en tirer la plus subtile spéculation ; seulement, dans l’usage vulgaire et pratique qu’on en fait, on n’a pas conscience des diverses idées renfermées dans ce concept. Mais on ne peut pas dire pour cela que le concept vulgaire soit sensible et ne désigne qu’un simple phénomène ; car le droit ne saurait être un objet de perception[ndt 21], mais le concept en réside dans l’entendement et représente une qualité (la qualité morale) des actions, qu’elles doivent posséder en elles-mêmes. Au contraire, la représentation d’un corps dans l’intuition ne contient rien qui puisse appartenir à un objet considéré en lui-même, mais seulement la manifestation de quelque chose[ndt 22] et la manière dont nous en sommes affectés. Or cette réceptivité de notre capacité de connaître, que l’on nomme sensibilité, demeurerait toujours profondément distincte de la connaissance de l’objet en soi, quand même on parviendrait à pénétrer le phénomène jusqu’au fond.

La philosophie de Leibnitz et de Wolf[ndt 23] a donc assigné à toutes les recherches sur la nature et l’origine de nos connaissances un point de vue tout à fait faux, en considérant la différence entre la sensibilité et l’entendement[ndt 24] comme purement logique, tandis qu’elle est évidemment transcendentale et qu’elle ne porte pas seulement sur la clarté ou l’obscurité de la forme, mais sur l’origine et le contenu du fond. Ainsi, on ne peut dire que la sensibilité nous fasse connaître obscurément la nature des choses en soi, puisqu’elle ne nous la fait pas connaître du tout ; et, dès que nous faisons abstraction de notre constitution subjective, l’objet représenté, avec les propriétés que lui attribuait l’intuition sensible, ne se trouve plus et ne peut plus se trouver nulle part, puisque c’est justement cette constitution subjective qui détermine la forme de cet objet comme phénomène.

Nous distinguons bien d’ailleurs dans les phénomènes ce qui est essentiellement inhérent à l’intuition de ces phénomènes et a une valeur générale pour tout sens humain, de ce qui ne s’y rencontre qu’accidentellement et ne dépend pas de la constitution générale de la sensibilité, mais de la disposition particulière ou de l’organisation de tel ou tel sens. On dit de la première espèce de connaissance qu’elle représente l’objet en soi, et, de la seconde, qu’elle n’en représente que le phénomène. Mais cette distinction est purement empirique. Si l’on s’en tient là (comme il arrive ordinairement), et que l’on ne considère pas à son tour (ainsi qu’il convient de le faire) cette intuition empirique comme un pur phénomène, où l’on ne trouve plus rien qui appartienne à l’objet en soi, alors notre distinction transcendentale s’évanouit, et nous croyons connaître les choses en elles-mêmes, bien que, même dans nos plus profondes recherches sur les objets du monde sensible, nous n’ayons jamais affaire qu’à des phénomènes. Ainsi, par exemple, si nous appelons l’arc-en-ciel, qui se montre dans une pluie mêlée de soleil, un pur phénomène, et cette pluie une chose en soi, cette manière de parler est exacte, pourvu que nous entendions la pluie dans un sens physique, c’est-à-dire comme une chose qui, dans l’expérience générale, est déterminée de telle manière et non autrement au regard de l’intuition, quelles que soient d’ailleurs les diverses dispositions des sens. Mais, si nous prenons ce phénomène empirique d’une manière générale, et que, sans nous occuper de son accord avec tout sens humain, nous demandions s’il représente aussi un objet en soi (je ne dis pas des gouttes de pluie, car elles sont déjà, comme phénomènes, des objets empiriques), la question qui porte sur le rapport de la représentation à l’objet devient alors transcendentale. Non-seulement ces gouttes de pluie sont de purs phénomènes, mais même leur forme ronde et jusqu’à l’espace où elles tombent ne sont rien en soi ; ce ne sont que des modifications ou des dispositions de notre intuition sensible. Quant à l’objet transcendental, il nous demeure inconnu.

Une seconde remarque importante à faire sur notre esthétique transcendentale, c’est qu’elle ne se recommande pas seulement à titre d’hypothèse vraisemblable, mais qu’elle est aussi certaine et aussi indubitable qu’on peut l’exiger d’une théorie qui doit servir d’organum. Pour mettre cette certitude dans tout son jour, prenons quelque cas qui en montre la valeur d’une manière éclatante et jette une nouvelle lumière sur ce qui a été exposé § 3[ndt 25].

Supposez que l’espace et le temps existent en soi objectivement et comme conditions de la possibilité des choses elles-mêmes, une première difficulté se présente. Nous formons à priori sur l’un et sur l’autre, mais particulièrement sur l’espace, un grand nombre de propositions apodictiques et synthétiques ; prenons-le donc ici principalement pour exemple. Puisque les propositions de la géométrie sont connues synthétiquement à priori et avec une certitude apodictique, je demande où vous prenez ces propositions et sur quoi s’appuie notre entendement pour s’élever à ces vérités absolument nécessaires et universellement valables. On ne saurait y arriver qu’au moyen des concepts ou des intuitions, et les uns et les autres nous sont donnés soit à priori, soit à posteriori. Or les concepts empiriques et l’intuition empirique sur laquelle ils se fondent ne peuvent nous fournir d’autres propositions synthétiques que celles qui sont purement empiriques, et qui, à titre de propositions expérimentales[ndt 26], ne peuvent avoir cette nécessité et cette universalité qui caractérisent toutes les propositions de la géométrie. Reste le premier moyen, celui qui consiste à s’élever à ces connaissances au moyen de simples concepts ou d’intuitions à priori ; mais il est clair que de simples concepts on ne peut tirer aucune connaissance synthétique, mais seulement des connaissances analytiques. Prenez, par exemple, cette proposition : deux lignes droites ne peuvent renfermer aucun espace, et, par conséquent, former aucune figure, et cherchez à la dériver du concept de la ligne droite et de celui du nombre deux. Prenez encore, si vous voulez, cette autre proposition, qu’avec trois lignes droites on peut former une figure, et essayez de la tirer de ces mêmes concepts. Tous vos efforts seront vains, et vous vous verrez forcés de recourir à l’intuition, comme le fait toujours la géométrie. Vous vous donnez donc un objet dans l’intuition ; mais de quelle espèce est cette intuition ? Est-ce une intuition pure à priori, ou une intuition empirique ? Si c’était une intuition empirique, nulle proposition universelle, et à plus forte raison nulle proposition apodictique n’en pourrait sortir ; car l’expérience n’en saurait jamais fournir de ce genre. C’est donc à priori que vous devez vous donner votre objet dans l’intuition, pour y fonder votre proposition synthétique. S’il n’y avait point en vous une faculté d’intuition à priori[ndt 27] ; si cette condition subjective relative à la forme n’était pas en même temps la condition universelle à priori qui seule rend possible l’objet de cette intuition (extérieure) même ; si l’objet (le triangle) était quelque chose en soi indépendamment de son rapport avec nous ; comment pourriez-vous dire que ce qui est nécessaire dans vos conditions subjectives pour construire un triangle doit aussi nécessairement se trouver dans le triangle en soi ? En effet, vous ne pouvez ajouter à vos concepts (de trois lignes) aucun élément nouveau (la figure) qui doive nécessairement se trouver dans l’objet, puisque cet objet est donné antérieurement à votre connaissance et non par cette connaissance. Si donc l’espace (et cela s’applique aussi au temps) n’était pas une pure forme de votre intuition contenant les conditions à priori qui seules font que les choses peuvent être pour vous des objets extérieurs, lesquels, sans ces conditions subjectives, ne sont rien en soi, vous ne pourriez absolument porter aucun jugement synthétique à priori sur les objets extérieurs. Il est donc indubitablement certain, et non pas seulement possible ou vraisemblable, que l’espace et le temps, comme conditions nécessaires de toute expérience (externe et interne) ne sont que des conditions purement subjectives de toutes nos intuitions ; qu’à ce point de vue tous les objets sont de purs phénomènes et non des choses données de cette façon telles qu’elles sont en soi ; enfin que nous pouvons dire à priori beaucoup de choses touchant la forme de ces objets, mais pas la moindre sur les objets en soi qui peuvent servir de fondement à ces phénomènes.

II[ndt 28]. À l’appui de cette théorie de l’idéalité du sens extérieur aussi bien qu’intérieur, et par conséquent de tous les objets des sens, comme purs phénomènes, on peut faire encore une importante remarque : c’est que tout ce qui dans notre connaissance appartient à l’intuition (je ne parle pas par conséquent du sentiment du plaisir ou de la peine et de la volonté, qui ne sont pas des connaissances), ne contient que de simples rapports, des rapports de lieux dans une intuition (étendue), des rapports de changement de lieu (mouvement), et des lois qui déterminent ce changement (forces motrices). Mais ce qui est présent dans le lieu ou ce qui agit dans les choses mêmes en dehors du changement de lieu n’est point donné par là. Or de simples rapports ne font point connaître une chose en soi ; par conséquent il est bien permis de penser que, comme le sens extérieur ne nous donne autre chose que de simples représentations de rapports, il ne peut lui-même renfermer dans sa représentation que le rapport d’un objet au sujet, et non ce qui appartient véritablement à l’objet en soi. Il en est de même de l’intuition interne. Outre que les représentations des sens extérieurs constituent la matière propre dont nous remplissons notre esprit, le temps où nous plaçons ces représentations, et qui lui-même précède la conscience que nous en avons dans l’expérience et leur sert de fondement comme condition formelle de notre manière de les disposer dans l’esprit, le temps, dis-je, renferme déjà des rapports de succession ou de simultanéité et celui du simultané avec le successif (du permanent). Or ce qui peut être, comme représentation, antérieur à tout acte de penser quelque chose, est l’intuition ; et, comme elle ne contient rien que des rapports, la forme de l’intuition, qui ne représente rien qu’autant que quelque chose est déjà posé dans l’esprit, ne peut être autre chose que la manière dont l’esprit est affecté par sa propre activité, ou par cette position de sa représentation[ndt 29], par conséquent par lui-même, c’est-à-dire un sens intérieur considéré dans sa forme. Tout ce qui est représenté par un sens est toujours à ce titre un phénomène ; et, par conséquent, ou il ne faut point admettre de sens intérieur, ou le sujet qui en est l’objet ne peut être représenté par lui que comme un phénomène, et non comme il se jugerait lui-même, si son intuition était purement spontanée[ndt 30], c’est-à-dire intellectuelle. Toute la difficulté ici est de savoir comment un sujet peut s’apercevoir lui-même intérieurement ; mais cette difficulté est commune à toute théorie. La conscience de soi-même (l’aperception) est la simple représentation du moi, et, si tout ce qu’il y a de divers dans le sujet nous était donné spontanément dans cette représentation, l’intuition intérieure serait alors intellectuelle. Mais, dans l’homme, cette conscience exige une perception intérieure du divers, lequel est préalablement donné dans le sujet, et le mode suivant lequel il est donné dans l’esprit sans aucune spontanéité doit à cette circonstance même son nom de sensibilité. Pour que la faculté d’avoir conscience de soi-même puisse découvrir (appréhender) ce qui est dans l’esprit, il faut que celui-ci en soit affecté : c’est à cette seule condition que nous pouvons avoir l’intuition de nous-mêmes ; mais la forme de cette intuition, existant préalablement dans l’esprit, détermine par la représentation du temps la manière dont le divers est réuni dans l’esprit. En effet, celui-ci s’aperçoit, non comme il se représenterait lui-même immédiatement en vertu de sa spontanéité, mais suivant la manière dont il est intérieurement affecté, et par conséquent tel qu’il s’apparaît à lui-même, non tel qu’il est.

III. Lorsque je dis que l’intuition des choses extérieures et celles que l’esprit a de lui-même représentent, dans l’espace et dans le temps, chacune son objet, comme il affecte nos sens, c’est-à-dire comme il nous apparaît, je ne veux pas dire que ces objets soient une pure apparence[ndt 31]. En effet, dans le phénomène, les objets et même les qualités que nous leur attribuons sont toujours regardés comme quelque chose de réellement donné ; seulement, comme ces qualités dépendent du mode d’intuition du sujet dans son rapport à l’objet donné, cet objet n’est pas comme manifestation de lui-même[ndt 32] ce qu’il est comme objet en soi. Ainsi je ne dis pas que les corps ne font que paraître exister hors de moi, ou que mon âme semble simplement être donnée dans la conscience de moi-même, lorsque j’affirme que la qualité de l’espace et du temps, d’après laquelle je me les représente et où je place ainsi la condition de leur existence, ne réside que dans mon mode d’intuition et non dans ces objets mêmes. Ce serait ma faute si je ne voyais qu’une pure apparence dans ce que je devrais regarder comme un phénomène[3]. Mais cela n’arrive pas avec notre principe de l’idéalité de toutes nos intuitions sensibles ; c’est au contraire en attribuant à ces formes de représentation une réalité objective qu’on ne peut échapper à l’inconvénient de tout voir converti en pure apparence. Que ceux qui regardent l’espace et le temps comme des qualités qu’il faut chercher dans les choses en soi pour en expliquer la possibilité, songent à toutes les absurdités où ils s’engagent en admettant deux choses infinies, qui ne sont ni des substances ni des qualités réellement inhérentes à des substances, mais qui doivent être pourtant quelque chose d’existant et même la condition nécessaire de l’existence de toutes choses, et qui subsisteraient alors même que toutes les choses existantes auraient disparu. Ont-ils bien le droit de reprocher à l’excellent Berkeley d’avoir réduit les corps à une pure apparence ? Dans leur système en effet, notre existence même, qui deviendrait dépendante de la réalité subsistante en soi d’un non-être tel que le temps ne serait, comme celui-ci, qu’une vaine apparence. Or c’est là une absurdité que personne jusqu’ici n’a osé se charger de soutenir.

IV. Dans la théologie naturelle, où l’on conçoit un objet qui non-seulement ne peut être pour nous un objet d’intuition, mais qui ne saurait être pour lui-même l’objet d’aucune intuition sensible, on a bien soin d’écarter absolument de l’intuition qui lui est propre les conditions de l’espace et du temps (je dis de son intuition, car toute sa connaissance doit avoir ce caractère, et non celui de la pensée[ndt 33], qui suppose toujours des limites). Mais de quel droit peut-on procéder ainsi quand on a commencé par faire du temps et de l’espace des formes des choses en soi, et des formes telles qu’elles subsisteraient comme conditions à priori de l’existence des choses, quand même on supprimerait les choses elles-mêmes ? En effet, puisqu’elles sont les conditions de toute chose en général, elles devraient être les conditions de l’existence de Dieu. Que si l’on ne fait pas de l’espace et du temps des formes objectives de toutes choses, il ne reste plus qu’à en faire des formes subjectives de notre mode d’intuition, soit externe, soit interne. Ce mode est appelé sensible parce qu’il n’est pas originaire[ndt 34], c’est-à-dire tel que l’existence même de l’objet de l’intuition soit donnée par lui (un pareil mode de connaissance, autant que nous pouvons en juger, ne saurait convenir qu’à l’Être suprême), mais qu’il dépend de l’existence de l’objet, et que par conséquent il n’est possible qu’autant que la capacité représentative du sujet en est affectée.

Il est nécessaire aussi de limiter à la sensibilité de l’homme ce mode d’intuition qui consiste à se représenter les choses dans l’espace et dans le temps. Il se peut que tous les êtres finis qui pensent aient nécessairement cela de commun avec l’homme (bien que nous ne soyons pas en état de décider ce point) ; malgré cette universalité, cette sorte d’intuition ne laisserait pas d’appartenir à la sensibilité, parce qu’elle est dérivée (intuitus derivatus) et non originaire (intuitus originarius), et que par conséquent elle n’est pas intellectuelle, comme celle qui, d’après la raison indiquée tout à l’heure, semble n’appartenir qu’à l’Être suprême, et non à un être dépendant quant à son existence aussi bien que quant à son intuition (laquelle détermine son existence par rapport à des objets donnés). Cette dernière remarque n’a d’ailleurs pour but que de servir d’éclaircissement et non de preuve à notre théorie esthétique.

Conclusion de l’esthétique transcendentale

Nous avons maintenant une des données requises pour la solution de ce problème général de la philosophie transcendentale : comment des proportions synthétiques à priori sont-elles possibles? Je veux parler de ces intuitions pures à priori, l’espace et le temps. Lorsque dans nos jugements à priori, nous voulons sortir du concept donné, nous y trouvons quelque chose qui peut être découvert à priori, non dans le concept, mais dans l’intuition correspondante, et qui peut être lié synthétiquement à ce concept ; mais par la même raison, les jugements que nous formons ainsi ne sauraient s’appliquer qu’aux objets des sens et n’ont de valeur que relativement aux choses d’expérience possible.

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Notes de Kant

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  1. Les Allemands sont les seuls qui se soient servis jusqu’ici du mot esthétique pour désigner ce que d’autres appellent la critique du goût. Cette expression cache une espérance, malheureusement déçue, celle qu’avait conçue l’excellent analyste Baumgarten, de ramener l’appréciation critique du beau à des principes rationnels et d’en élever les règles à la hauteur d’une science. Mais c’est là une vaine entreprise. En effet, ces règles ou criteria sont empiriques dans leurs principales sources, et par conséquent ne sauraient jamais servir de lois à priori propres à diriger le goût dans ses jugements ; c’est bien plutôt le goût qui est la véritable pierre de touche de l’exactitude des règles. Il faut donc, ou bien abandonner de nouveau cette dénomination et la réserver pour cette partie de la philosophie qui est une véritable science (par où l’on se rapprocherait du langage et de la pensée des anciens dans leur célèbre division de la connaissance en αἰσθετα (aistheta) et en νοητα (noêta)), ou bien l’employer en commun avec la philosophie spéculative, et entendre le mot esthétique partie dans un sens transcendental et partie dans un sens psychologique (a).

    (a) Cette fin de note est une addition de la seconde édition.

  2. Je puis bien dire que mes représentations sont successives, mais cela signifie simplement que j’ai conscience de ces représentations comme dans une suite de temps, c’est-à-dire d’après la forme du sens intérieur. Le temps n’est pas pour cela quelque chose en soi ni même une détermination objectivement inhérente aux choses.
  3. Les prédicats du phénomène peuvent être attribués à l’objet même dans son rapport avec notre sens, par exemple, la couleur rouge ou l’odeur à la rose ; mais l’apparence ne peut jamais être attribuée comme prédicat à l’objet, précisément parce qu’elle rapporte à l’objet en soi ce qui ne lui convient que dans son rapport avec les sens ou en général avec le sujet, comme par exemple les deux anses que l’on attribuait primitivement à Saturne. Le phénomène est quelque chose qu’il ne faut pas chercher dans l’objet en lui-même, mais toujours dans le rapport de cet objet au sujet, et qui est inséparable de la représentation que nous en avons ; ainsi c’est avec raison que les prédicats de l’espace et du temps sont attribués aux objets des sens comme tels, et il n’y a point en cela d’apparence, c’est-à-dire d’illusion. Au contraire, quand j’attribue à la rose en soi la rougeur, à Saturne des anses, ou à tous les objets extérieurs l’étendue en soi, sans avoir égard au rapport déterminé de ces objets avec le sujet et sans restreindre mon jugement en conséquence, c’est alors seulement que naît l’illusion.


Notes du traducteur

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  1. Anschauung.
  2. Vorstellung.
  3. Begriff.
  4. Vorstellungsfähigkeit.
  5. Erscheinung.
  6. Das Mannigfaltige.
  7. Angeschaut.
  8. Il y avait dans la première édition : « Éxaminons d’abord l’espace. » Le reste de l’alinéa est une addition de la seconde édition.
  9. Erörterung.
  10. Wenn sie dasjenige enthalt, was den Begriff, als a priori gegeben, darstellt.
  11. Ici se plaçait, dans la première édition, un paragraphe qui a disparu dans les éditions suivantes. Le voici :

    « C’est sur cette nécessité à priori que se fonde la certitude apodictique de tous les principes géométriques, et la possibilité de leurs constructions à priori. En effet si cette représentation de l’espace était un concept acquis à posteriori, et puisé dans une expérience extérieure universelle, les premiers principes de la science mathématique ne seraient plus que des perceptions. Ils auraient donc toute la contingence de la perception, et il n’y aurait plus rien de nécessaire dans cette vérité, qu’entre deux points il ne peut y avoir qu’une ligne droite ; seulement l’expérience nous montrerait qu’il en est toujours ainsi. Ce qui est dérivé de l’expérience n’a aussi qu’une universalité comparative, celle qui vient de l’induction. Il faudrait donc se borner à dire que, d’après les observations faites jusqu’ici, on n’a point trouvé d’espace qui eût plus de trois dimensions. »

  12. Ce paragraphe était ainsi rédigé dans la première édition, où il portait le no 5 : « L’espace est représenté donné comme une grandeur infinie. Un concept général de l’espace (qui est commun au pied aussi bien qu’à l’aune) ne peut rien déterminer quant à la grandeur. Si le progrès de l’intuition n’était pas sans limites, nul concept de rapports ne contiendrait le principe de son infinité. »
  13. Cette exposition ne figurait pas dans la première édition.
  14. Die Receptivitat des Subjects, von Gegendstanden afficirt zu werden.
  15. Ihrer Erscheinungen.
  16. La suite de cet alinéa était rédigée de la manière suivante dans la première édition :

    « Aussi cette condition subjective de tous les phénomènes extérieurs ne peut-elle être comparée à aucune autre. Le goût agréable d’un vin n’appartient pas aux propriétés objectives de ce vin, c’est-à-dire aux propriétés d’un objet considéré comme tel, même comme phénomène, mais à la nature particulière du sens du sujet qui en jouit. Les couleurs ne sont pas des qualités des corps à l’intuition desquels elles se rapportent, mais seulement des modifications du sens de la vue, affecté par la lumière d’une certaine façon. Au contraire, l’espace, comme condition de phénomènes extérieurs, appartient nécessairement au phénomène ou à l’intuition du phénomène. La saveur et la couleur ne sont point du tout des conditions tellement nécessaires que sans elles les choses ne pourraient devenir pour nous des objets des sens. Ce ne sont que des effets de l’organisation particulière de nos sens, liés accidentellement au phénomène. Elles ne sont donc pas non plus des représentations à priori, mais elles se fondent sur la sensation, ou même, comme une saveur agréable, sur le sentiment du plaisir (ou de la peine), c’est-à-dire sur un effet de la sensation. Aussi personne ne saurait-il avoir à priori l’idée d’une couleur ou celle d’une saveur, tandis que l’espace ne concernant que la forme pure de l’intuition et ne renfermant par conséquent aucune sensation (rien d’empirique), tous ses modes et toutes ses propriétés peuvent et doivent même être représentés à priori, pour donner lieu aux concepts des figures et de leurs rapports. Lui seul peut donc faire que les choses soient pour nous des objets extérieurs.

  17. Cette nouvelle exposition a été ajoutée dans la seconde édition.
  18. Der Erscheinung dieses Gegenstandes.
  19. Undinge.
  20. Ein empirisches Datum.
  21. Das Recht kann gar nicht erscheinen.
  22. Die Erscheinung von etwas. — Le mot phénomène pris dans son sens grec (φαινομενον (phainomenon)), répond bien à l’Erscheinung de Kant. Aussi l’employé-je ordinairement pour traduire cette expression ; mais ici, comme dans quelques autres cas, je lui substitue le mot manifestation, parce que je n’ose écrire : le phénomène de quelque chose, ce qui ne serait ni français ni clair. J.B.
  23. Die Leibnitz-Wolfische Philosophie.
  24. Il y a dans le texte : Unterschied der Sinnlichkeit vom Intellectuellen.
  25. « Et jette… » addition de la seconde édition.
  26. Erfahrungssatz.
  27. Ein Vermögen a priori anzuschauen.
  28. Tout ce qui suit jusqu’à la fin de l’esthétique est une addition de la seconde édition.
  29. Dieses Setzen ihrer Vorstellung.
  30. Blosse Selbsthätigkeit.
  31. Ein blosser Schein.
  32. Als Erscheinung von ihm selber.
  33. Denken.
  34. Ursprünglich.