Critique de la théologie dogmatique/13

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XIII

Section ii. — Dieu sauveur dans son rapport particulier avec le genre humain.

Toute cette section, sauf le dernier chapitre, est remplie par l’exposition de la doctrine de l’Église et des sacrements.

Chapitre ier. — De Dieu comme sanctificateur.

§ 165. — Idée de la sanctification ; participation de toutes les Personnes de la sainte Trinité à cette œuvre ; ses moyens ou ses conditions.

Dans ce paragraphe, après la doctrine et les preuves que les trois personnes prennent part à notre sanctification (le Père est la source ; le Fils, l’auteur, le saint-Esprit l’exécuteur de la sanctification), il est dit :

Pour nous mettre en état de nous approprier ses mérites et de nous sanctifier réellement : 1o Notre Sauveur fonda sur la terre son royaume de grâce, l’Église, comme l’instrument vivant par lequel s’opère notre sanctification ; 2o il nous communique dans l’Église et par l’Église la grâce du Saint-Esprit, comme la force qui nous sanctifie ; et 3o il institua dans son Église les sacrements, comme les moyens par lesquels nous est communiquée la grâce du Saint-Esprit (p. 218).

Christ a fondé l’Église pour notre sanctification. Je me suis trouvé en présence de la conception de l’Église dès le commencement de la théologie. Là, il était dit que le dogme est un décret de l’Église, et par la suite, dans l’exposition des dogmes, leur vérité était prouvée par le fait que l’Église les enseigne. Mais jusqu’alors on n’avait pas défini l’Église ; ce qu’il faut précisément entendre sous ce nom. D’après tout ce que je savais jusqu’ici, d’après tout ce qui a été exposé, je supposais que l’Église est la réunion des croyants, établie de telle façon qu’elle peut exprimer et définir ses règles. Mais voilà que la doctrine de l’Église débute par cela que l’Église est l’instrument de la sanctification des hommes.

On dit que l’Église c’est le royaume béni du Christ ; qu’elle nous communique la grâce du Saint-Esprit ; qu’en elle sont les sacrements. Mais on ne dit rien de cette Église sur laquelle s’appuyaient tous les dogmes exposés jusqu’ici. Au contraire, on attribue ici à l’Église une importance toute autre que celle que je lui attribuais, comme base de toute la doctrine sur la foi.

Plus loin dans le § 166 : Divers sens du mot Église ; sens dans lequel sera exposée ici la doctrine sur l’Église, et point de vue du sujet, on expose les divers sens du mot Église. Les trois sens attribués au mot Église sont tels qu’il rendent impossible la représentation de cette Église dont je cherche la définition, de cette Église qui décrète les dogmes.

Selon la théologie, le premier sens du mot Église c’est :

La société de tous les êtres raisonnables et libres, c’est-à-dire des anges et des hommes, croyant en Christ sauveur et unis en Lui, comme en leur unique chef, (p. 219).

Non seulement cette définition n’explique pas la conception de l’Église qui établit les dogmes, mais d’avance elle attribue à la future définition de l’Église tel caractère avec lequel il est encore plus difficile de comprendre comment une Église pareille a pu, ou peut établir les dogmes. Les explications qui suivent cette définition du premier sens ne l’expliquent pas. Il est dit seulement :

Que Dieu, « les temps ordonnés par lui étant accomplis, réunirait tout en Jésus-Christ, tant ce qui est dans le ciel que ce qui est sur la terre, le faisant asseoir à sa droite dans le ciel, au-dessus de toutes les Principautés et de toutes les Puissances, de toutes les Vertus, de toutes les Dominations, et de tous les titres qui peuvent être nommés, non seulement dans le siècle présent, mais encore dans celui qui est à venir. Il a mis toutes choses sous ses pieds, et il l’a donné pour chef à toute l’Église qui est son corps, et dans laquelle celui qui accomplit tout en tous trouve l’accomplissement. » (Eph.. i, 10, 20-23 : voy. aussi : Hebr., xii, 22-23 ; Col., i. 18, 20) (p. 219).

Voici le deuxième sens du mot Église :

Dans un second, moins étendu mais plus usité, l’Église du Christ embrasse proprement les hommes qui ont professé et qui professent la foi chrétienne, tous sans exception, n’importe le temps où ils ont vécu et le lieu où ils se trouvent, qu’ils soient sur la terre ou recueillis dans la région des morts (p. 220).

Selon cet autre sens, l’Église ne peut pas être ce que je supposais ; elle ne peut pas établir les dogmes, car la réunion de tous les hommes vivants et morts ne peut établir les dogmes. Plus loin on analyse, qui, parmi les morts, appartient à cette Église, et qui ne lui appartient pas ; et après la définition de l’Église, « militante et triomphante », on définit le troisième sens du mot Église.

Enfin dans un sens encore plus restreint, mais plus généralement usité et plus ordinaire, on entend proprement par Église de Christ la seule Église du Nouveau Testament et militante, ou le royaume de la grâce de Jésus-Christ. « Nous croyons, comme on nous l’a enseigné, disent les grands prélats de l’Orient dans leur « Lettre sur la foi orthodoxe », nous croyons en l’Église nommée, comme elle l’est en vérité : une, sainte, œcuménique (universelle) et apostolique, embrassant tous les croyants en Jésus-Christ, qui se trouvent aujourd’hui sur cette terre de passage et ne sont point encore domiciliés dans la patrie céleste » (Art. 10). C’est dans ce même sens que nous l’entendons dans notre exposition de la doctrine à l’endroit de l’Église (pp. 223, 224).

D’après ce qui précède, on entend par le mot Église l’ensemble de tous ceux qui vivent et croient en Christ. Ce sens est compréhensible, en général. Mais l’Église, dans ce sens, ne répond pas à cette activité de l’Église : la sanctification des hommes, et encore moins à celle-ci : l’établissement des dogmes, dont il a été question dans tous les chapitres précédents. Une telle Église ne peut être l’instrument de la sanctification, car si l’on comprend par l’Église tous les croyants en Christ, alors tous les croyants sanctifient tous les croyants. Pour que l’Église puisse sanctifier les croyants, nécessairement elle doit être une institution particulière parmi tous les croyants. Une telle Église peut encore moins établir des dogmes quelconques, car si tous les chrétiens croyaient également, il n’y aurait ni dogme, ni doctrine de l’Église, pour réfuter les doctrines hérétiques. Le fait qu’il y a des croyants en l’Église, hérétiques, qui répudient certains dogmes et acceptent d’autres, vrais selon leur opinion, ce fait montre que l’Église doit être nécessairement comprise non comme « tous les croyants en l’Église », mais comme une certaine institution qui non seulement n’embrasse pas tous les chrétiens mais qui est encore une institution particulière parmi les chrétiens non hérétiques.

S’il existe des dogmes exprimés par des paroles définies, immuables, ces paroles devraient être exprimées et fixées par la réunion des personnes qui ont décidé d’accepter telle expression plutôt que telle autre. S’il y a un article de loi, nécessairement il y a donc des législateurs ou une assemblée législative, et bien que je puisse dire que l’article de loi est l’expression véritable de la volonté de tout le peuple, pour expliquer cette affirmation je dois démontrer que l’assemblée législative qui a donné cette loi est le véritable organe de la volonté du peuple. Pour cela, je dois définir l’assemblée législative comme une institution.

De même la théologie ayant exposé tant de dogmes, les reconnaissant seuls vrais et affirmant leur vérité par cela qu’ils sont reconnus tels par l’Église, doit nous dire ce que c’est que l’Église qui a établi ces dogmes. Mais la théologie ne le fait point. Au contraire, elle lui attribue le sens d’union des anges et des hommes, des vivants et des morts, de tous les croyants en Christ, d’où ne peut sortir ni la sanctilication ni l’établissement des dogmes. Dans ce cas la théologie agit comme agirait un homme qui, cherchant des droits d’héritage, au lieu de déclarer d’abord les raisons qu’il a de chercher ces droits, parlerait de la légalité, en général, et du droit d’héritage, et prouverait la fausseté des prétentions de tous les autres, et même expliquerait ses dispositions sur l’héritage, mais ne dirait pas un mot des preuves qui établissent ses droits. C’est ce que fait la théologie dans toute cette section sur la doctrine de l’Église. On parle de l’institution de l’Église par Christ, des doctrines mensongères qui sont en désaccord avec l’Église, de l’activité de l’Église, mais ce qu’on entend par la véritable Église, on ne le dit point. Et une définition de l’Église qui corresponde à son activité : la sanctification des hommes et l’établissement des dogmes, on la donne tout à la fin, et non comme une définition mais comme une description, une subdivision.

Ainsi, sans donner encore la définition de l’Église répondant à son activité, la théologie dit :

Pour donner à cette exposition toute la précision possible, nous examinerons l’Église : 1o de son côté plutôt extérieur, et nommément du côté de son origine, de son étendue et de son but ; 2o de son côté plutôt intérieur (plutôt, disons-nous, car on ne peut séparer entièrement ces deux côtés de l’Église), et nous parlerons de sa composition et de son organisation. Enfin, comme conséquence, nous présenterons une idée exacte de la nature même de l’Église et de ses caractères essentiels (p. 224).

Le § 167 parle de la Fondation de l’Église par Notre-Seigneur Jésus-Christ. On prouve que l’Église, — d’après la définition de la théologie : les hommes qui croient en Christ, — est fondée par Jésus-Christ. Dans ce paragraphe on prouve que Jésus-Christ désirait que les hommes qui acceptaient la nouvelle religion, ne se tinssent pas isolés mais qu’ils formassent une société particulière, religieuse.

i. — La volonté de former de ses disciples une seule société, notre Sauveur l’a plus d’une fois exprimée, par exemple : 1o après que l’Apôtre Pierre, au nom de tous les Apôtres, l’eût confessé Fils de Dieu, il dit : « Sur cette pierre » (c’est-à-dire sur cette confession) « je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Matth., xvi, 18) ; 2o Dans la parabole du Bon Pasteur, par ces paroles : « Moi, je suis le Bon Pasteur ; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent… J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cette bergerie ; il faut aussi que je les amène. Elles écouteront ma voix, et il n’y aura qu’un troupeau et qu’un pasteur » (Jean, x, 14, 16) ; 3o Dans cette prière au Père céleste : « Que tous ne soient qu’un, comme vous, mon Père, êtes en moi, et moi en vous ; qu’ils soient de même un en nous » (Jean, xvii, 21). C’est avec l’idée de fonder son royaume de grâce sur la terre qu’il commença l’œuvre de sa prédication aux hommes, comme le raconte le saint Évangéliste Matthieu : « Depuis ce temps-là, Jésus commença à prêcher en disant : Faites pénitence, parce que le royaume des cieux est proche. » (Matth., iv, 17). C’est aussi avec cette prédication qu’il envoya ses disciples par la Judée en leur disant : « Allez aux brebis perdues de la maison d’Israël, et, où vous irez, prêchez en disant que le royaume des cieux est proche. » (Matthieu, x, 6, 8). Et, en général, comme il lui arriva souvent d’entretenir les hommes de ce royaume de Dieu, soit en paraboles, soit autrement ( Matth., xiii, 24, 44-47 ; xxii, 2 ; xxv, 1 ; Luc ix, 11 ; x, 11 ; xvii, 21 ; xxi, 31 et autres), (pp.  224, 225).

Jusqu’ici on ne voit pas que Christ ait désiré la propagation de sa doctrine sur le royaume de Dieu. Et jusqu’ici rien ne contredit le sens que la théologie attribue à l’Église. Tous les croyants en Christ, devaient naturellement s’unir par la foi en Christ. Mais ensuite la théologie dit : ii. — Mais ce que voulait le Sauveur, Il a su l’accomplir. Il a posé lui-même le fondement et le principe de son Église lorsqu’il se choisit les douze premiers disciples, qui, croyant en Lui et respectant son-autorité, ne formaient qu’une société sous un seul chef (Jean, xvii, 13), et composaient sa première Église ; lorsque, d’un autre côté, il fixa lui-même tout ce qu’il fallait pour faire de ses disciples une société déterminée. Nommément : Il établit l’ordre des docteurs, chargés de répandre la doctrine parmi les peuples (Eph., iv, 11, 12) ; Il institua le sacrement du Baptême, pour introduire dans cette société tous ceux qui croiraient en Lui (Matth., xxviii, 19 ; Jean, iii, 3 ; iv, 1 ; Marc, xvi, 15) ; le sacrement de l’Eucharistie, pour unir plus intimement les membres de cette société, soit entre eux, soit avec Lui comme chef (Matth., xxvi, 26, 28 ; Marc, xiv, 22-24 ; Luc, xxii, 19, 20 ; i Cor., xii, 23-26) ; le sacrement de la Pénitence pour réconcilier et réunir de nouveau avec Lui et avec l’Église ceux de ses membres qui enfreignent ses lois et ses institutions (Matth., xxviii, 15, 18) ainsi que tous les autres sacrements (Matth., xviii, 18 ; xxviii, 19 ; xix, 4-6 ; Marc, vi, 13 et autres). C’est pourquoi, déjà du temps de son ministère public, le Seigneur parlait de son Église comme d’une institution réellement existante (Matth., xviii, 17) (pp. 223, 226).

À partir des mots « une société déterminée » commence l’écart évident du sens attribué à l’Église, et l’auteur introduit une conception de l’Église tout autre que l’union de tous les croyants. Ici on parle évidemment de l’Église apostolique, dont il n’a pas encore été question. On dit que Christ a établi des maîtres pour répandre sa doctrine parmi les peuples, malgré que la conception de l’Église apostolique ne rentre pas dans la définition de l’Église comme union des croyants. Encore moins peut-on dire que cette définition comprend les sacrements, c’est l’Église qui y introduit l’un et l’autre. Supposons que la théologie ne s’en tienne pas strictement à sa définition et qu’elle expose la doctrine sur cette Église exclusive qui a le pouvoir d’enseigner et d’administrer les sacrements. Sur quoi est-ce basé ? On dit que Christ a fondé lui-même l’Église avec les prêtres, les sacrements du baptême, de l’eucharistie, de la pénitence ; on cite les chiffres des textes mais on ne cite pas les textes eux-mêmes. Voici ces textes :

Jean, xvii, 13 « Et maintenant je vais à toi, et je dis ces choses étant encore dans le monde, afin qu’ils aient ma joie accomplie en eux. » C’est la preuve que le Christ a établi l’unique société l’Église. Évidemment ce texte n’a rien de commun avec l’institution de l’Église.

Éph. iv, 11, 12 « Lui-même donc a donné les uns pour être apôtres, les autres pour être prophètes, les autres pour être évangélistes, et les autres pour être pasteurs et docteurs ; pour l’assemblage des saints, pour l’œuvre du ministère, pour l’édification du corps de Christ. » Ces paroles de Paul, qui ne connut même pas Christ, sont attribuées à Christ.

Les autres textes ont été déjà cités. Mais il faut faire attention au texte qui prouve que Christ a institué le sacrement de la pénitence.

Matthieu, xviii, 15-18. « Si ton frère a péché contre toi, va, et reprends-le entre toi et lui seul ; s’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. Mais s’il ne t’écoute pas, prends avec toi encore une ou deux personnes, afin que tout soit confirmé sur la parole de deux ou trois témoins. Que s’il ne daigne pas les écouter, dis-le à l’Église ; et s’il ne daigne pas écouter l’Église, regarde-le comme un païen et un péager. Je vous dis en vérité que tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel ; et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel.

Il est évident qu’il n’est question ici d’aucun sacrement, c’est un conseil sur la manière d’aplanir les difficultés qui naissent entre les hommes. La mention de l’Église, qui n’existait pas au temps de Christ, permet de penser que ce texte a été ajouté postérieurement.

Par ces raisonnements la théologie prépare le lecteur au remplacement de la conception de l’Église, union de tous les croyants, par la conception de l’Église doctorale et sacerdotale.

Dans les pages qui suivent on parle déjà franchement de l’Église, non dans le sens d’union de tous les croyants, mais d’une Église particulière par son organisation et ses droits, excluant tous les autres croyants :

iii. — « Revêtus de la force d’en haut » (Luc, xxiv, 49) les saints Apôtres, suivant leur divine mission ; étant partis prêchèrent partout, le Seigneur coopérant avec eux et confirmant sa parole par les miracles qui l’accompagnaient ». (Marc, xvi, 20) ; et ils s’appliquèrent à former des croyants en divers lieux des sociétés, qu’ils nommèrent Églises (i Cor., i, 2 ; xvi, 19). Ils recommandèrent à ces croyants d’avoir des assemblées, pour entendre la parole divine et élever de concert des prières au ciel (Act. ii, 42-46 ; xx, 7) ; ils les exhortèrent à « conserver l’unité d’esprit par le lien de la paix », en leur représentant qu’ils ne formaient tous « qu’un corps » du Seigneur Jésus, dont ils ne sont que des membres différents ; qu’ils n’ont « qu’un Seigneur, qu’une foi et qu’un baptême » (Eph., iv, 3, 4 ; i Cor., xii, 27), et que « tous participent à un même pain », c’est-à-dire ont tout pour être unis intérieurement et extérieurement. Enfin, ils leur ordonnèrent de ne pas abandonner leur société, sous peine d’excommunication et de perdition éternelle (Hebr., x, 24, 25). Ainsi, selon la volonté et avec la coopération du Sauveur, qui posa immédiatement lui-même le fondement de son Église, elle s’établit ensuite dans l’univers entier, (pp. 226, 227).

On dit que l’Église n’était pas une, qu’il y avait plusieurs Églises particulières, que toutes étaient le même corps de Christ ; mais, en même temps, qu’il n’y avait qu’une seule Église de laquelle étaient exclus, par quelqu’un, ceux qui abandonnaient la réunion. Quelle était cette Église, qui répudiait-elle ? On ne le dit pas. Il reste évident que la théologie ne parle déjà plus de cette Église qu’elle a définie, mais d’une autre Église quelconque dont, sciemment, elle ne donne pas la définition.

Comment la théologie écrit inexactement les textes des évangiles pour confirmer ses thèses sur l’Église, nous le montrerons ailleurs. Dans le paragraphe suivant, il devient clair qu’il ne s’agit pas de l’Église comme union de tous les croyants en Christ mais d’une Église tout autre.

§ 168. — Étendue de l’Église chrétienne ; qui lui appartient et qui ne lui appartient pas.

Il est prouvé qu’à cette Église, non encore définie, appartiennent tous les croyants orthodoxes. Mais qui appartient à l’orthodoxie et qui n’y appartient pas ? C’est une question qui n’est pas résolue. Cependant on indique avec détails, sur dix pages, quels sont les non orthodoxes. Les raisonnements sur les hérétiques et les schismatiques exclus de cette Église orthodoxe, (qui n’est pas encore définie), sont remarquables :

Pour avoir une idée plus juste des propositions que nous avons développées sur les hérétiques et les schismatiques, il faut savoir ce que c’est qu’une hérésie et un schisme, et quels hérétiques nous avons ici en vue. Par rapport à l’hérésie et au schisme, les anciens Docteurs de l’Église nous donnent les idées suivantes. Selon saint Basile le Grand, « les anciens établissaient une distinction entre l’hérésie, le schisme et la congrégation indépendante. Ils nommaient hérétiques ceux qui s’étaient détachés entièrement et séparés dans la foi même ; schismatiques, ceux qui étaient divisés d’opinion sur certains sujets et certaines questions ecclésiastiques, et pouvaient être ramenés à la vérité ; congrégations indépendantes, des réunions composées de prêtres ou d’évêques insoumis et de peuple ignorant ». Suivant le bienheureux Jérôme : « Entre l’hérésie et le schisme il y a cette différence que la première consiste dans l’altération du dogme, et que le second sépare aussi de l’Église, à raison du désaccord avec l’Évêque (propter episcopalem disensionem). Ces deux choses peuvent donc paraître différer dans leur principe sous certains rapports ; mais, dans le fond, il n’y a point de schisme qui n’ait quelque chose de commun avec l’hérésie par sa révolte contre l’Église » (pp. 236, 237).

Encore plus remarquables — ou pour dire plus exactement tout à fait repoussantes — sont les paroles suivantes :

Quand nous disons que les hérétiques et les schismatiques n’appartiennent point à l’Église, nous n’entendons pas ceux d’entre eux qui tiennent secrètement à une hérésie ou à un schisme, tout en cherchant à paraître faire partie de l’Église et en restant extérieurement fidèles à ses institutions, ou qui ont adopté des erreurs hérétiques et schismatiques par ignorance et sans mauvaise intention ni opiniâtreté ; car évidemment ils ne se sont point encore séparés eux-mêmes visiblement, de la société des fidèles, et ils n’en ont pas été séparés non plus par l’autorité ecclésiastique, bien qu’ils soient peut-être déjà excommuniés par le jugement de Dieu, qui est un mystère pour nous et pour eux. Ces gens-là, on ne peut mieux faire que de les abandonner au jugement de Celui qui connaît les pensées mêmes des hommes et scrute les cœurs et les reins. Mais nous entendons les hérétiques et les schismatiques déclarés, qui se sont déjà séparés de l’Église ou qu’elle a déjà excommuniés ; par conséquent des hérétiques et des schismatiques décidés, obstinés, et par là coupables au plus haut point. C’est contre ceux-là proprement qu’étaient dirigées les expressions des Saints-Pères et Docteurs de l’Église que nous avons citées plus haut (p. 237).

En d’autres termes : Mens devant Dieu, nous ne te répudierons pas, mais cherche la vérité, et ose ne pas être d’accord avec nous, et nous te maudirons. L’Église, d’après la théologie elle-même, consiste en l’union de tous les croyants en Christ, et cette Église détache d’elle les hérétiques et les excommunie.

§ 169. — But de l’Église du Christ et moyens qui lui ont été donnés dans ce but.

L’Église a la destination, et ainsi l’obligation : 1o de conserver le précieux gage de la doctrine de la foi salutaire (i. Tim., vi, 20 ; ii. Tim., i, 12-14) et de la répandre parmi les peuples ; 2o de conserver et de faire servir à l’avantage moral des hommes les saints sacrements et, en général, tous les offices divins ; 3o de conserver la direction divinement instituée dans son sein et d’en faire usage selon les vues du Seigneur (p. 241).

Ici, on entend par Église l’union de tous les croyants en Christ. On dit que cette Église doit sanctifier et diriger. Il est évident que tous les croyants ne peuvent pas se sanctifier ni se diriger eux-mêmes. C’est pourquoi la théologie désigne par Église quelque autre chose, qu’elle substitue à la première définition de l’Église. Plus loin il est dit :

§ 170. — Nécessité d’appartenir à l’Église de Christ pour parvenir au salut.

« Hors de l’Église, pas de salut », et on prouve la nécessité d’appartenir à l’Église :

i. — La foi en Jésus-Christ, qui nous a réconciliés avec Dieu, « car nul autre nom sous le ciel n’a été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés » (Act., iv, 12) ; et déjà précédemment le Sauveur lui-même disait : « Celui qui Croit au Fils a la vie éternelle ; et, au contraire, celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui » (Jean, iii, 36). Mais la véritable doctrine de Christ et sur Christ n’est conservée et prêchée que dans son Église et par son Église, sans quoi il ne peut pas même exister de vraie foi (Rom., x, 17) (p. 242).

De sorte que la foi en Christ devient non seulement la définition de l’Église, mais qu’au lieu de la foi en Christ on impose la foi en l’Église.

ii. — La participation aux saints sacrements, par lesquels « la puissance divine nous donne toutes les choses qui regardent la vie et la piété » (ii Pierre, i, 3).

Enfin en dernier lieu, c’est la bonne vie. Les preuves :

i. — Hors de l’Église il n’y a ni audition ni intelligence de la parole divine ; il n’y a pas de vrai culte divin ; Christ ne se trouve pas ; le Saint-Esprit ne se communique pas ; la mort du Sauveur ne procure point le salut ; il n’y a pas la table du corps de Christ ; il n’y a pas de prières fructueuses ; il ne peut y avoir ni œuvres salutaires, ni véritable martyre, ni parfaite virginité et pureté, ni jeûne utile à l’âme, ni bénédiction divine.

ii. — Mais, au contraire, dans l’Église on trouve la bienveillance et la grâce de Dieu ; dans l’Église habite Dieu en sa triple hypostase ; dans l’Église il y a connaissance de la vérité, connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, surabondance de dons spirituels ; dans l’Église sont les vrais dogmes, les dogmes du salut, la vraie foi venant des Apôtres, la véritable charité et la droite voie qui conduit à la vie éternelle (pp. 245, 246).

Tout ce qu’il fallait dire de l’Église, selon la théologie, est déjà dit. On a dit qu’elle était fondée par Christ, on a défini qui lui appartenait et qui ne lui appartenait pas. On a parlé de son but et de ses moyens. On a dit que pour atteindre le salut il est nécessaire d’appartenir à l’Église. Mais l’Église elle-même n’est pas encore définie. On sait seulement qu’il faut entendre par Église, les croyants en Christ, avec toutefois cette circonstance que l’Église est formée par ceux qui croient en Christ précisément comme l’Église enseigne de croire en Christ. En d’autres termes, la conception de l’Église se réduit à la proposition suivante : tous les croyants en l’Église forment l’Église. Mais qu’est cette Église elle-même qui sanctifie les hommes et établit les dogmes ? Cela jusqu’ici n’est pas encore résolu. Ce n’est que dans la section II, dans le § 171 que cette Église mystérieuse reçoit enfin non une définition, mais une description de laquelle enfin on peut tirer une définition correspondant à son rôle : la sanctification et l’établissement du dogme.

§ 171 — En déterminant l’étendue de son Église, en lui marquant son but et lui donnant les moyens nécessaires pour l’atteindre, Notre-Seigneur Jésus lui assigna en même temps une organisation déterminée, au moyen de laquelle ce but put être plus facilement et plus complètement atteint. Voici en quoi consiste cette organisation de l’Église : 1o elle est divisée par sa composition même en deux parties essentielles : le troupeau et la hiérarchie d’institution divine, qui sont entre elles dans un rapport déterminé ; 2o la hiérarchie se subdivise en ses trois degrés essentiels, distincts et liés entre eux ; 3o le troupeau et la hiérarchie sont sous la juridiction supérieure des conciles ; 4o enfin tout le corps de l’Église, bien proportionné, composé de membres si divers et si sagement distribués, a pour chef unique Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, qui la vivifie par son Esprit très saint (p. 246).

C’est maintenant seulement qu’on nous apporte enfin la définition de ce qu’est cette Église dont on a parlé sans cesse, cette même Église qui doit sanctifier les hommes, et celle qui a décrété tous les dogmes exposés jusqu’ici. Je ne discuterai pas encore que cette institution de l’Église, qui a établi tous les dogmes, soit une sainte, qu’elle ait à sa tête Christ, et qu’en dehors d’elle on ne puisse faire son salut. Je désirerais qu’avant tout l’on indiquât les sujets pour le verbe, qu’on définît d’abord exactement de quoi l’on parle, ce qui est saint, unique et a Christ à sa tête, après quoi il serait temps de dire que c’est sacré, etc. L’exposition de la théologie suit l’ordre inverse. On a parlé tout le temps de l’unité, de la sainteté, de l’infaillibilité de l’Église, on a exposé sa doctrine, et seulement maintenant on nous dit ce que c’est. Ce n’est que maintenant, au § 171, que l’on voit ce qu’est cette Église qui sanctifie les hommes par les sacrements, et, des dogmes mensongers, sait discerner les vrais. Il est dit que l’Église comprend deux parties essentielles : la hiérarchie et le troupeau. La hiérarchie sanctifie et enseigne. Le troupeau est sanctifié et dirigé par la hiérarchie. Il doit obéir ; et c’est la hiérarchie seule qui sanctifie et établit les dogmes. Par conséquent la hiérarchie seule correspond à cette définition de l’Église, de laquelle découle son activité : la sanctification et l’établissement des dogmes. La hiérarchie est donc sainte et infaillible ; et c’est elle seule qui correspond exactement à ce que l’on a désigné tout le temps par le mot Église. Dans le § 172, il est dit que la hiérarchie doit guider, instruire le troupeau, le sanctifier, le diriger ; et le troupeau doit obéir.

« Dans le corps il y a la partie qui gouverne et préside, et la partie qui est gouvernée et dirigée ; il en est de même dans les Églises… Dieu a établi que les uns, qui en ont le plus besoin, dirigés vers leur devoir par la parole et l’exemple, restent troupeaux et subordonnés, et que les autres, plus haut placés par leurs vertus et plus rapprochés de Dieu, soient Pasteurs et Docteurs pour la perfection de l’Église ; mais qu’ils soutiennent avec les premiers le rapport existant entre l’âme et le corps, l’esprit et l’âme, afin que cette dualité, l’insuffisant et le surabondant, étant, comme les membres du corps, réunie en un tout, jointe et contenue par le lien de l’Esprit, ne forme qu’un seul corps parfait et vraiment digne de Christ, notre chef. » C’est pourquoi les sociétés de chrétiens qui refusaient obéissance à l’évêque et aux prêtres, et célébraient sans eux le service divin, étaient envisagées par les anciens Docteurs comme indignes du nom d’Église et qualifiées d’hérétiques, de rassemblements de schismatiques, de malintentionnés, de pervers, etc, (p. 254).

L’Église, cette Église sur laquelle repose toute la doctrine, est une hiérarchie.

La théologie exposait auparavant la doctrine de l’Église unique, du royaume glorieux, du corps du Christ, de l’Église des vivants, des morts et des anges, de tous les croyants en Christ. Peu à peu, à cette première définition, elle en a ajouté une autre ; enfin, insensiblement, à cette Église elle a substitué une hiérarchie. La théologie le sait très bien. Elle sait que, selon sa conception, l’Église n’est qu’une hiérarchie, et parfois elle l’exprime, par exemple, dans l’introduction à la théologie dogmatique, ou comme cela est exprimé chez les Patriarches d’Orient, et comme l’exprime toujours le catholicisme. Mais en même temps, la théologie a besoin de confirmer sa définition que l’Église est la réunion de tous les croyants, c’est pourquoi elle n’aime pas à dire franchement que l’Église est une hiérarchie. La théologie sait que l’essentiel de l’affaire c’est l’infaillibilité et la sainteté de la hiérarchie, c’est pourquoi il lui faut avant tout prouver que la hiérarchie a été établie par Christ, et que la théologie est l’exposé des dogmes établis par cette même hiérarchie. Il suffit de prouver que la hiérarchie est établie par Christ et que les chefs de l’Église sont les héritiers de cette hiérarchie ; et alors, de quelque manière que l’on comprenne le sens de l’Église, les conservateurs de la vérité seront toujours ces chefs de l’Église. Aussi la théologie fait-elle tous ses efforts pour prouver l’impossible, à savoir que c’est Christ qui a établi la hiérarchie, une hiérarchie héréditaire, et encore que la nôtre seule est légitime, tandis que toute autre hiérarchie est illégitime.

Voici comment la théologie le prouve.

§ 172. — Le troupeau et la hiérarchie instituée de Dieu avec leurs rapports mutuels.

i. Il est facile de prouver, contre l’opinion de certains hétérodoxes[1], que cette division des membres de l’Église en deux classes vient du Sauveur même. Il est incontestable que le Seigneur lui-même a établi dans son Église la classe particulière composant la hiérarchie, et qu’il a investi les hommes qui en font partie, et seulement eux, du pouvoir de disposer des moyens donnés par Lui à l’Église pour remplir son but, c’est-à-dire qu’il les y a constitués Docteurs, Ministres et Directeurs spirituels, et n’a point abandonné ces charges à tous les fidèles indistinctement, ayant au contraire ordonné à ceux-ci de ne se soumettre qu’aux Pasteurs. (Prof, orth., p. 1, rép. 109 ; Lettre des Patr., etc, art. 10 ; Gr. Cat. chr., art. ix.)

Dans le passage cité, il est dit qu’une grande partie des chrétiens, — les protestants — ne reconnaît pas la hiérarchie. C’est une preuve très importante que toute la doctrine de l’Église est réduite à la doctrine de la hiérarchie. Il apparaît qu’il y a des chrétiens, ni pires ni plus sots que nous, qui nient ce que nous affirmons, c’est-à-dire la hiérarchie.

Voici comment la théologie prouve que la hiérarchie est une institution divine. Je citerai sans omission, non pour réfuter les textes, — le lecteur verra que cela est inutile, — mais afin de montrer toutes les raisons de l’Église en faveur de la hiérarchie.

1o En lisant le saint Évangile, qui renferme l’histoire de la vie et des actions de notre Sauveur, nous voyons ce qui suit : 1o Entre tous ses disciples Il en choisit Lui-même nommément douze, qu’il appela ses Apôtres. « Quand il fut jour, raconte Saint Luc, Il appela ses disciples et choisit douze d’entre eux qu’il nomma Apôtres » (Luc, vi, 13), et ensuite il leur dit : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis. » (Jean, xv, 16) (p. 247).

C’est la première preuve. Christ a choisi douze Apôtres. Apôtre, en grec, signifie l’envoyé. L’évangile fut écrit en grec ; par conséquent, il est dit que Christ choisit douze envoyés. S’il en eût choisi dix-sept, il l’eût dit. La théologie voit en cela la preuve de l’institution de la hiérarchie par Christ lui-même. Suivent les paroles : Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis. Ces paroles appartiennent à l’entretien d’adieu de Christ avec ses disciples, quand il parle de son affection pour eux, et il est évident qu’elles n’ont rien de commun avec le passage duquel on les a rapprochées et encore moins avec l’établissement de la hiérarchie.

La deuxième preuve :

2o À ceux-là seulement Il donna l’ordre et le pouvoir d’enseigner tous les peuples, de leur administrer les saints sacrements et de conduire les croyants au salut. (Matth., xxviii, 19 ; Luc, xxii, 19 ; Matth., xviii, 18) (p. 247).

Ces versets ne sont pas tous cités ; les voici :

« Allez donc, et instruisez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » (Matth., xxviii, 19). « Puis il prit du pain, et ayant rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. » (Luc, xxii, 19.) « Je vous dis en vérité que tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » (Matth., xviii, 18.)

La théologie ne cite que les chiffres des versets, non les versets eux-mêmes, sachant qu’ils ne confirment pas que Christ ait donné à quelqu’un le pouvoir exclusif d’enseigner les nations. De pouvoir il n’est pas question, pas plus que des sacrements. On y parle du baptême, mais sans dire que le baptême, ni la rupture du pain soit un sacrement et que ces actions appartiennent à la hiérarchie. C’est toute la seconde preuve. Il est impossible de ne pas remarquer ce phénomène étrange : dans l’exposition de la théologie, on choisit toujours parmi les évangiles, les mêmes textes vagues, qui sont donnés comme preuves de toutes les thèses possibles. Tels sont les textes : Matthieu, xxviii, 19 ; Luc, xxii, 19 ; Jean, xx, 23, et quelques autres. Ces textes reviennent des centaines de fois ; c’est sur eux que sont basés la trinité, la divinité du Christ, la rédemption, les sacrements et la hiérarchie.

La troisième preuve :

Il transmit ce même pouvoir aux saints Apôtres, comme Il l’avait reçu du Père : « Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre ; allez donc et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. » (Matth., xxviii, 18,19). « Comme mon père m’a envoyé, je vous envoie aussi de même. Ayant dit ces mots, il souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit ; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. » (Jean, xx, 21, 23) (p. 247, 248).

Pour confirmer le pouvoir soi-disant donné, dans ce passage, les textes sont altérés. Le texte est cité ainsi : « Toute puissance m’a été donnée… ; allez donc et instruisez tous les peuples, etc. » Le vrai texte est celui-ci : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez donc et instruisez tous les peuples. Avec le point, on ne peut pas dire qu’il a reçu la puissance, tandis qu’avec plusieurs points, et en supprimait les paroles « dans le ciel » qui ne peuvent pas se rapporter aux disciples, on peut à la rigueur admettre qu’il transmet son pouvoir à ses disciples. Le texte de Jean ne dit rien de la hiérarchie et du pouvoir, il dit seulement que Christ a transmis le Saint-Esprit aux disciples et leur a commandé d’enseigner les hommes, c’est-à-dire de les débarrasser du péché, si ce passage est traduit exactement. Si même on traduit : « Remettre les péchés », il n’en résulte nullement la hiérarchie.

La quatrième preuve :

« À ces douze, Il ajouta aussi immédiatement lui-même septante disciples, qu’il envoya également à la même grande œuvre (Luc x. 1 et suiv.) (p. 248).

Le fait que Christ choisit d’abord douze envoyés et ensuite soixante-dix, à qui il ordonna de parcourir en pèlerins, sans vêtements ni argent, la ville et les villages, est donné comme preuve que la hiérarchie aujourd’hui régnante tient son pouvoir de Christ. Ce sont là toutes les preuves que Christ a établi lui-même la hiérarchie. Nous avons cité tout ce qu’il y avait à citer selon la théologie ; les passages cités, avec leurs altérations, confirment l’établissement de la hiérarchie. Il n’y a pas d’autres preuves. Suivent ensuite les preuves que ce pouvoir fut transmis des Apôtres aux Pères de l’Église, puis à la hiérarchie qui leur succédait. Voici comment est prouvée cette transmission :

En transmettant à ses douze Apôtres sa mission céleste, Il voulut qu’elle passât immédiatement d’eux à leurs successeurs, et que de ces derniers, se transmettant de génération en génération, elle se conservât dans le monde jusqu’à la fin du monde. Car, après avoir dit aux Apôtres : « Allez par tout le monde, prêchez l’Évangile à toutes les créatures» (Marc, xvi, 15), Il ajouta immédiatement : « Je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles. » (Matth., xxviii, 20). Par conséquent, dans la personne des Apôtres, Il envoya à la même œuvre, et Il assura, de sa présence tous leurs futurs successeurs, et Il donna positivement lui-même à l’Église non seulement « les Apôtres, les Prophètes, les Évangélistes, mais aussi les Pasteurs et les Docteurs » (Eph., iv, 11) (p. 248).

Ici, de nouveau, pour faire la prétendue preuve, on fausse les textes. Nulle trace qu’après les paroles : « Prêchez l’Évangile à tous les peuples, » il soit dit et même immédiatement : « Je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles. » On ne peut même pas dire qu’un passage suive l’autre, car l’un est emprunté à l’évangile de Marc et l’autre à l’évangile de Matthieu. Dans le premier on trouve : « Allez par tout le monde prêcher l’évangile », ce qui n’a point le sens d’une transmission ; tandis que les paroles : Je serai toujours avec vous jusqu’à la fin des siècles, terminent l’Évangile de Matthieu. Par conséquent elles ne peuvent signifier qu’il leur a transmis le pouvoir.

Mais même si ces paroles avaient le sens que leur attribue la théologie, il n’en résulterait pas qu’il encouragerait par sa présence tous ses futurs successeurs. On ne trouve cela nulle part. C’est la première preuve de la transmission. Voici la deuxième preuve :

Enfin après avoir ainsi revêtu ses Apôtres du pouvoir divin, Il imposa, d’un autre côté, très clairement, et sous de terribles menaces, à tous les hommes et à tous les chrétiens à venir, l’obligation de recevoir des Apôtres la doctrine et les sacrements et d’être dociles à leur voix : « Celui qui vous écoute m’écoute ; celui qui vous méprise me méprise, et celui qui me méprise méprise Celui qui m’a envoyé » (Luc, x, 16). « Allez par tout le monde ; prêchez l’évangile à toutes les créatures. Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira point sera condamné » (Marc, xvi, 15, 16 ; comp., Matth., x, 14 ; xviii, 15, 19).

Je n’omets aucun mot. C’est ce que l’on présente comme preuve, non seulement de la fondation de la hiérarchie mais aussi de sa transmission, et l’on dit :

Aussi, même après, que Notre-Seigneur se fût élevé au ciel sur sa seule indication, « Matthias fut associé aux onze Apôtres, » à la place de Judas, déchu de son apostolat (Act, i. 24) et, à la voix-même du Saint-Esprit, Barnabé et Saul furent séparés «pour l’œuvre à laquelle les avait appelés notre Sauveur » (Act., xiii, 2 ; comp., ix, 15) (p. 248).

Cette dernière preuve dont je ne parviens pas à saisir le sens, clôt la première partie des raisons pour lesquelles il faut considérer la hiérarchie comme établie par Christ.

Viennent ensuite les preuves tirées des Actes et des Épîtres. On pourrait croire qu’ici, il sera plus facile de trouver les textes confirmant l’origine divine de la hiérarchie. Mais il n’en est rien. Il s’ensuit que de tous les textes, cités ou non cités, nulle part il n’est dit un mot de ces droits (comme s’il s’agissait d’une institution juridique quelconque) que la théologie dénonce de prime abord.

Cette intention de Notre-Seigneur paraît plus clairement encore par les actions des Apôtres, qui étaient dirigés par son Esprit. Ces actions, formant deux catégories, confirment également la vérité que nous examinons.

Voici les actions de la première catégorie. 1o Les saints Apôtres retinrent constamment pour eux ce même droit et remplirent constamment ces mêmes obligations que leur avait léguées le Seigneur Jésus (Act., v, 42 ; vi, 1-5 ; i Cor., iv, 1 ; v, 4-5 ; ix, 16), en dépit des efforts multipliés de leurs adversaires, qui cherchaient à leur enlever ce droit divin. (Act., iv, 19 ; v, 28, 29) (p. 248, 249).

Ces renvois aux Apôtres et surtout aux Actes, sont remarquables. L’auteur ne les cite pas ; il sait en effet que si l’on en pouvait tirer des conclusions, elles seraient contraires à ce qu’il veut prouver. Chaque passage où Christ propose sa doctrine est cité comme preuve de l’établissement de la hiérarchie. Par exemple, ce passage des Actes ; iv, 19 : « Mais Pierre et Jean leur répondirent : Jugez vous-mêmes s’il est juste devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu ». Les autres renvois sont du même acabit. Il y en a ainsi deux pages entières, où l’on voit clairement ce que sait quiconque a lu au moins l’histoire abrégée de l’Église qu’on enseigne dans les séminaires : à savoir que personne, dans les premiers siècles du christianisme, ne s’attribuait jamais aucun pouvoir. On nommait les supérieurs, prêtres, évêques ; l’un et l’autre titres signifiaient la même chose et étaient une institution humaine différente selon le lieu et selon les gens. Tout cela ressort clairement des textes cités par la théologie.

Dans la partie troisième des preuves, ce sont tout simplement les saints Pères qui certifient que ce pouvoir fut donné à la hiérarchie par Christ lui-même. Ici seulement paraît la preuve que les hommes qui se sont attribué le pouvoir, affirment tout à fait arbitrairement qu’il leur a été transmis par Dieu, c’est-à-dire ce qu’affirme maintenant notre hiérarchie ou toute autre. Voici ce passage :

… Que les Pasteurs qui formaient cette classe particulière firent toujours remonter leur pouvoir à Jésus-Christ lui-même, en s’appelant successeurs des Apôtres, représentants du Sauveur même dans l’Église. Voici, par exemple, les paroles de saint Clément de Rome : « Ayant reçu une connaissance parfaite de l’avenir, les Apôtres ordonnèrent ceux que nous avons nommés (c’est-à-dire les évêques et les diacres), et en même temps ils posèrent comme règle qu’à leur mort ils seraient remplacés dans les fonctions de leur ministère par d’autres hommes éprouvés » — Ignace le Théophore : « Les évêques sont ordonnés dans toutes les contrées de la terre, selon la volonté de Jésus-Christ » — Saint Irénée : « Nous pouvons nommer ceux que les Apôtres ordonnèrent comme évêques dans les Églises, et leurs successeurs mêmes jusqu’à nous, qui n’ont jamais rien enseigné ni même vu de ce qu’imaginent les hérétiques. Car, si les Apôtres connurent des mystères secrets, qu’ils ne révélèrent qu’aux parfaits, et non à tous les autres, à plus forte raison les communiquèrent-ils aux hommes à qui ils confiaient les Églises mêmes, en tant qu’ils désiraient que ceux qu’ils laissaient comme successeurs, en leur transmettant leur propre ministère d’enseignement, fussent sous tous les rapports parfaits et irréprochables ». Saint Cyprien : « Nous sommes successeurs des Apôtres, gouvernant l’Église de Dieu par le même pouvoir ». Saint Ambroise : « L’évêque représente la personne de Jésus-Christ et il est vicaire du Seigneur. » Jérôme : « Chez nous les évêques remplacent les apôtres » (p. 251, 252).

S’étant assurée par ces preuves — c’est-à-dire par les affirmations arbitraires des hommes qui s’attribuent le pouvoir divin — que ce pouvoir leur vient de Dieu, la théologie donne alors la définition de l’Église, que j’ai citée en partie auparavant (les paroles de Grégoire le théologien).

L’auteur dit ensuite qu’il y a trois degrés dans la hiérarchie : l’épiscopat, la prêtrise et le diaconat, et qu’il n’y en a pas d’autres. Les anciens Pères de l’Église le confirment :

Clément d’Alexandrie dit : « Les degrés ecclésiastiques de l’épiscopat, de la prêtrise et du diaconat sont, à mon avis, les images de la hiérarchie des anges ». Nous lisons dans Origène : « Paul parle aux chefs et directeurs des Églises, c’est-à-dire à ceux qui exercent le jugement sur l’Église, nommément aux évêques, aux prêtres et aux diacres ». Suivant Eusèbe de Césarée, « il y a trois ordres : le premier, celui des chefs ou supérieurs ; le second, celui des prêtres ; et le troisième celui des diacres » (p. 261, 262).

Dans le § 174, on décrit en détail la relation des degrés de la hiérarchie ecclésiastique entre eux et avec le troupeau.

Le diacre n’a pas le droit de consommer les saints sacrements et en général les saints offices. Ici encore, par conséquent, son ministère, selon l’expression de saint Denys l’Aréopagite, n’est qu’auxiliaire et nullement consommateur. Les diacres ne sont que les serviteurs des mystères de Christ, les serviteurs des évêques et en général les assistants et les codesservants des prêtres.

L’évêque est enfin le principal administrateur de son Église particulière (Act., xx, 27 ; comp. Lettres des Patriarches, art. 10). Avant tout il a autorité sur la hiérarchie qui lui est subordonnée et sur le clergé. Tous les prêtres, tous les diacres et serviteurs de l’Église doivent suivre ses dispositions et ne rien faire dans l’Église sans sa décision ; ils sont soumis à sa juridiction (i Tim., v, 19), en vertu de laquelle il peut leur infliger différentes punitions. Outre le clergé, tout le troupeau est sous l’autorité spirituelle de l’évêque. Il doit surveiller dans son diocèse l’exécution des lois divines et des commandements de l’Église. « C’est lui qui particuliérement et surtout, a le droit de lier et de délier » (Lettres des Patr., art. 10), suivant les règles des Apôtres, les décrets des Conciles et le témoignage unanime des anciens Docteurs de l’Église. C’est pourquoi les hommes apostoliques pressèrent avec tant de force les fidèles d’obéir à l’évêque.

Les prêtres ont aussi le droit de lier et de délier, et en général de paître le troupeau de Dieu qui leur est confié (i, Pierre, v, 1-2) ; mais ils le reçoivent de leur archipasteur par l’imposition des mains (Lettres des Patr., art. 10), et certains élus sont admis, selon la volonté de l’évêque, à porter avec lui le fardeau de l’administration écclésiastique ; ils forment sous lui dans ce but un comité permanent ; mais suivant une ancienne expression, ils ne servent ici que d’yeux à l’évêque et ne peuvent rien faire d’eux-mêmes sans son consentement.

Les diacres n’ont pas reçu du Seigneur le droit de lier et de délier, et par conséquent ils n’ont eux-mêmes aucune autorité spirituelle sur les croyants ; mais ils peuvent être « l’œil et l’oreille des évêques » ainsi que « les mains des chefs » de l’Église, pour en célébrer, avec leur assentiment, les divins offices.

Après tout ce qui vient d’être dit on comprend parfaitement les dénominations et les titres éminents qui se donnent ordinairement aux évêques, savoir : qu’eux seuls, dans le sens rigoureux, sont les successeurs des Apôtres ; que sur les évêques repose l’Église, comme sur ses soutiens : que « l’évêque est la vivante image de Dieu sur la terre et, par la vertu du saint-Esprit, l’abondante source de tous les sacrements de l’Église œcuménique, par lesquels s’acquiert le salut, et qu’il est, par conséquent, non moins nécessaire à l’Église que la respiration à l’homme et le soleil au monde ». (Lettr. des Patr. art. 10) ; que l’évêque est un centre pour les croyants dont se compose son diocèse ; qu’il est même le chef particulier de sa domination spirituelle (Prof. orth., p 1, rep 85) ; qu’enfin ; comme le dit saint Cyprien « l’évêque est dans l’Église (qui est sous sa dépendance) et l’Église dans l’Evêque et quiconque n’est pas en communion avec l’évêque n’est pas non plus dans l’Église » (p. 266-268).

Les pasteurs de ces divers degrés, unis entre eux, décident ; le peuple doit obéir. Ceux qu’on appelle, non pour la beauté de l’expression mais en vérité, l’Église — c’est à-dire cet organe qui exprime la foi que nous devons professer — ce sont les évêques.

Le § 175 confirme que l’Église est composée des évêques et que le pouvoir suprême sur eux est celui de la réunion de tous les évêques qui s’appelle Concile. Dans ce paragraphe, avec beaucoup de détails, comme dans les statuts des juges de paix, on parle des rapports qui existent entre tous ces personnages.

On voit par là, sans qu’il soit nécessaire d’en fournir de nouvelles preuves, que le droit de siéger aux conciles, soit œcuméniques soit provinciaux, et le droit d’y décider les affaires ecclésiastiques, n’appartiennent qu’aux évêques comme chefs des Églises particulières, et que les prêtres, qui dépendent en tout de leurs archipasteurs locaux, ne peuvent être admis aux conciles qu’avec leur assentiment, et cela seulement comme leurs conseillers, aides ou fondés de pouvoir, et n’y peuvent tenir que les secondes places. De la même manière peuvent y être admis aussi les diacres, qui doivent rester debout devant les évêques. C’est pourquoi les saints Pères nommèrent toujours les conciles assemblées d’évêques. Le suprême œcuménique nomme le Symbole de la foi composé dans le premier la foi des trois cent dix-huit saints Pères (c’était précisément le nombre des évêques présents à ce concile) ; le concile in Trullo nomme les décisions de foi de tous les précédents œcuméniques : décision de foi ou foi des saints Pères évêques, suivant le nombre des évêques qui siégèrent à ces conciles (p. 270, 271).

Suit le § 176, dans lequel on expose que Christ est le chef de l’Église. On voit cela : parce que Christ, avant l’Ascension, a dit, non à l’Église mais à ses disciples : « Et moi je serai avec vous jusqu’à la fin des siècles. Amen. » Dans la théologie, à ces mots on ajoute : « Et avec tous vos futurs successeurs. » C’est pourquoi ces paroles sont regardées comme la preuve que tous ceux qui s’intitulent leurs successeurs se reconnaissent comme successeurs du Christ.

ii. — C’est en particulier, que, en confiant aux Apôtres et à leurs successeurs le pouvoir d’enseigner, Il ordonna néanmoins qu’on le nommât lui seul le Docteur suprême, qui, par eux enseignait invisiblement les croyants, et dit en conséquence : « Celui qui vous écoute m’écoute, celui qui vous méprise me méprise. » (Luc, x, 16) (p. 211-272).

Ce passage avec ses renvois est extraordinaire. Je pensais que rien, dans la théologie, ne pouvait plus m’étonner, mais l’audace avec laquelle, en citant ce verset, on lui attribue une signification tout juste contraire à celle qu’il a, est stupéfiante.

Voici le verset, ou mieux vaut citer tout le passage. Matthieu, xxiii, 8, 9, 10 : « Mais vous, ne vous faites point appeler : Maître ; car vous n’avez qu’un Maître, qui est le Christ ; et pour vous, vous êtes tous frères. Et n’appelez personne sur la terre votre père, car vous n’avez qu’un seul Père : savoir celui qui est dans les cieux. Et ne vous faites point appeler docteurs : car vous n’avez qu’un seul docteur qui est le Christ. »

Ces mêmes versets — paroles prononcées contre ceux qui s’intitulent docteurs et pasteurs — sont unis à un autre (Luc, x, 16) qui n’a rien de commun avec eux ; et cela est donné comme preuve que ces mêmes docteurs qui se donnent ce titre, contrairement aux paroles du Christ, ont Christ pour chef.

Suivent les preuves que : § 178, l’Église est une ; § 179 : sainte ; § 180 : catholique et universelle ; § 181 : apostolique.

Dans la section iii de l’Église catholique, il est dit :

La prérogative particulière de l’Église catholique ou universelle consiste en ce qu’en matière de foi « elle ne peut jamais faillir ni tromper ni se tromper elle-même, mais que, comme la sainte Écriture, elle est infaillible et d’une importance perpétuelle (Lettres des Patr., art. ii, 12) (p, 286).

L’application morale de ce dogme pour la première fois découle directement du dogme. Elle consiste dans l’obéissance à l’Église.

1o Le seigneur Jésus a fondé son Église afin qu’elle régénère les hommes et les élève pour la vie éternelle. Ainsi notre relation avec elle doit être une relation d’enfants avec leur mère : nous devons aimer l’Église de Christ comme notre mère spirituelle ; nous devons lui obéir en tout comme à notre mère spirituelle. En particulier :

2o Le Seigneur Jésus a chargé l’Église de conserver et d’enseigner aux hommes sa doctrine céleste : il est de notre devoir de recevoir de la bouche de cette institutrice établie de Dieu cette doctrine du salut, et de l’entendre précisément comme elle, qui est constamment instruite par le Saint-Esprit.

3o Il a chargé l’Église d’accomplir pour la sanctification des hommes les sacrements et en général les divins offices ; notre devoir est de profiter avec vénération des sacrements salutaires qu’elle nous offre, ainsi que de tous ses autres offices.

4o Il a chargé l’Église de guider et d’affermir les hommes dans une vie pieuse : notre devoir est de suivre sans résistance les inspirations d’un tel guide et de garder fidèlement tous les commandements de l’Église. (Prof. ortho., rep. 1, rep. 87-98).

5o Il a institué lui-même dans l’Église la hiérarchie ou l’autorité ecclésiastique, établi une distinction entre les pasteurs et les troupeaux, marqué à chacun d’eux sa place déterminée et son ministère : le devoir de tous les membres de l’Église, des pasteurs et des troupeaux, c’est d’être ce à quoi chacun est appelé, et de se souveuir que « nous avons tous des dons différents selon la grâce qui nous a été donnée » (Rom., xii, 6), et que « la grâce a été donnée à chacun de nous selon la mesure du don de Jésus-Christ » (Eph., iv, 7) (p. 289, 290).

Voilà donc ce que c’est que l’Église.

En résumé, l’Église, comme institution qui conserve et proclame la vérité des dogmes, est précisément ce sur quoi est basée toute la théologie. C’est une hiérarchie qui s’est fondée elle-même et qui se considère — contrairement à toutes autres hiérarchies — seule sainte et infaillible, seule ayant le pouvoir de propager la révélation divine.

De sorte que toute la doctrine de l’Église, comme l’enseigne la théologie, est construite pour établir la conception de l’Église, seule véritable gardienne de la vérité divine, et substituer à cette conception celle d’une hiérarchie connue et définie, c’est-à-dire une institution humaine basée sur l’orgueil, la colère et la haine, qui décrète les dogmes et enseigne au troupeau la doctrine qu’elle regarde comme vraie, pour fondre cette conception avec celle de la réunion de tous les croyants qui ont invisiblement à leur tête Christ lui-même, le corps mystique de Christ. À cela se résume toute la doctrine de la théologie sur l’Église.

Cette doctrine affirme que la seule Église vraie — le corps de Christ — c’est elle-même. La marche du raisonnement est la suivante : Dieu révèle la vérité à ses disciples et promet d’être avec eux. Cette vérité est absolue, divine. La vérité que nous propageons est cette même vérité.

Mais sans insister sur ce qui est clair pour quiconque a lu l’Écriture sainte et les raisons que la théologie cite comme preuves, à savoir que Christ n’a jamais établi aucune hiérarchie, aucune Église, dans le sens où l’entend la théologie ; pour quiconque a lu l’histoire il est évident que plusieurs hommes ont imaginé de pareilles Églises, de véritables Églises, et se sont dit et fait du mal les uns aux autres. Alors une question se pose involontairement : Par quelles raisons notre hiérarchie se croit-elle vraie, et croit-elle mensongères les autres hiérarchies et unions de croyants ? Pourquoi le symbole du concile de Nicée est-il l’expression de l’Église vraie, sainte, et pourquoi le symbole d’Arius, que notre hiérarchie a discuté, ne l’est-il pas ? Les évêques, les partisans d’Arius, de même que les partisans du symbole de Nicée étaient sanctifiés successivement par les Apôtres. Si cette sanctification ne garantit pas les hommes de l’erreur, pourquoi notre Église est-elle la gardienne de la vérité, plutôt que du mensonge ? À cela la théologie ne cherche pas à répondre, parce que, selon sa doctrine, elle ne peut donner aucune réponse, car on ne peut prouver arbitrairement ce qu’on affirme.

C’est pourquoi la hiérarchie se contente de dire qu’elle est la vérité parce qu’elle est sainte et infaillible. Et elle est sainte et infaillible parce qu’elle succède à la hiérarchie qui a reconnu le symbole de Nicée. Mais pourquoi la hiérarchie qui a reconnu le symbole de Nicée est-elle vraie ? Il n’est pas et ne peut être de réponse. De sorte que la hiérarchie qui se nomme l’Église vraie, sainte, une, catholique et apostolique ne s’exprime ainsi que pour qu’on la croie. C’est une affirmation du genre de celle d’un homme qui dit : « Je jure que j’ai raison. » Cette affirmation repose particulièrement sur ce que toute affirmation de la hiérarchie qu’elle est sainte, provient toujours de ce qu’une autre hiérarchie, n’étant pas d’accord avec elle sur un point quelconque, a dit justement le contraire en affirmant avoir raison, et aux paroles suivantes : « Selon la volonté du Saint-Esprit et de la nôtre », répond en disant que le Saint-Esprit vit en elle. C’est comme deux personnes qui prêtent serment et se démentent mutuellement. Tous les théologiens, quelque soin qu’ils prennent à le cacher, ne disent et ne font que cela.

L’Église — l’union de tous les croyants, le corps de Christ — ce n’est qu’un subterfuge : attribuer une certaine importance à une institution humaine, à la hiérarchie et à sa succession imaginaire, sur laquelle tout est basé.

Sous ce rapport, étonnantes et instructives sont les tentatives des nouveaux théologiens : Vinet et ses successeurs, Khomiakov et ses disciples, pour trouver de nouveaux appuis à la doctrine de l’Église et baser la définition de l’Église non sur la hiérarchie mais sur l’union tout entière des croyants, sur le troupeau.

Ces nouveaux théologiens, sans le remarquer eux-mêmes, en tâchant de consolider cet arbre sans racines, le perdent déjà tout à fait. Ces théologiens nient la hiérarchie, ils s’efforcent de prouver la fausseté de cette base, et il leur semble la remplacer par une autre. Malheureusement cette nouvelle base n’est autre chose que ce même sophisme de la théologie par lequel elle tâche à cacher la grossièreté de sa doctrine : l’Église est la hiérarchie.

Ce sophisme, les nouveaux thélogiens le prennent comme base et détruisent définitivement la doctrine de l’Église. Et eux-mêmes restent avec le sophisme le plus évident au lieu d’une base solide. Leur erreur est celle-ci : l’Église a reçu pour les croyants deux significations principales : l’une, l’Église, institution provisoire, humaine ; l’autre, l’Église, l’union des hommes — vivants et morts — unis par la seule foi vraie. La première répond à un phénomène défini, historique : la réunion d’hommes soumis à certaines règles, à certains statuts, réunion pouvant formuler des décrets. Si je dis l’Église catholique de telle époque, ou l’Église romaine, ou l’Église grecque orthodoxe, je parle de certains hommes : papes, patriarches, évêques, prêtres, organisés d’une certaine façon, et dirigeant leurs troupeaux d’une certaine manière.

La seconde c’est une conception abstraite. Si je dis l’Église, dans ce sens, il est évident que les facteurs du temps et de l’espace ne lui peuvent être adaptés. La seule définition d’une telle Église, comme détentrice de la vérité divine, est en correspondance avec la vérité divine. La comparaison de ces deux conceptions, le remplacement de l’une par l’autre, furent toujours le problème de toutes les religions chrétiennes.

La réunion d’hommes qui désire convaincre les autres qu’elle possède la vérité absolue, qu’elle est sainte et infaillible, fait reposer sa sainteté et son infaillibilité sur deux bases, sur les manifestations de cet esprit qui s’exprime dans la sainteté des membres de cette union, et ensuite dans les miracles et la succession légitime de l’apostolat qui provient du Christ.

La première base ne supporte pas la critique. On ne peut pas mesurer la sainteté ni la prouver. Les miracles sont dénoncés, on en a établi la supercherie ; on ne peut donc les donner comme preuves. Il ne reste donc qu’une preuve : la succession légitime de la hiérarchie. Prouver cela est impossible. Mais on ne peut aussi le démentir. C’est pourquoi ce n’est que sur cette seule base que se tiennent et peuvent se tenir toutes les Églises. Un catholique, un orthodoxe, un vieux-croyant affirment-ils être dans le vrai, ils ne peuvent fonder leur affirmation que sur l’infaillibilité de la succession des gardiens de la tradition.

L’Église catholique reconnaît comme chef de la hiérarchie le pape, et son développement l’entraînait nécessairement à reconnaître l’infaillibilité du pape.

L’Église grecque pouvait ne pas reconnaître le pape, ce membre supérieur de la hiérarchie, mais alors elle devait reconnaître l’infaillibilité de la hiérarchie elle-même.

De même l’Église protestante, ne reconnaissant pas le catholicisme, à dater de sa rupture, doit reconnaître l’infaillibilité de cette hiérarchie dont elle admet les dogmes, car, sans l’infaillibilité de la succession des conservateurs de la tradition, elle n’aurait sur quoi affirmer sa vérité.

Toutes les Églises ne se maintiennent que par la reconnaissance de l’infaillibilité de leur hiérarchie.

Vous pouvez ne pas convenir que telle ou telle hiérarchie soit la seule vraie, mais si quelqu’un dit qu’il reconnaît vraie la hiérarchie dont il accepte les dogmes, vous ne pouvez pas lui prouver la fausseté de ces dogmes. C’est la seule base inattaquable. C’est pourquoi toutes les Églises s’en sont emparées. Et voici que les nouveaux théologiens, veulent détruire cette unique base, pensant la pouvoir remplacer par une meilleure.

Les nouveaux théologiens disent que la vérité divine n’est pas dans l’infaillibilité de la hiérarchie mais dans l’union de tous les croyants, unis par l’amour ; que la vérité divine n’est accessible qu’aux hommes unis par l’amour, et qu’une Église pareille ne se définit que par la foi et l’union dans l’amour et l’accord. Ce raisonnement est excellent en soi. Malheureusement on n’en peut déduire aucun de ces dogmes que professe la théologie.

Ces théologiens oublient que pour accepter un dogme quelconque, il est nécessaire de reconnaître que la tradition est sainte et expliquée nettement dans les décrets de la hiérarchie infaillible. Si l’on renonce à l’infaillibilité de la hiérarchie, on ne peut plus rien affirmer et il n’y a pas une seule proposition de l’Église qui unisse tous les croyants.

L’affirmation de ces théologiens qui prétendent reconnaître les décrets qui expriment la foi de tous les chrétiens non divisés et nient les décrets arbitraires des chrétiens dissidents, est tout à fait inexacte, car il n’y eut jamais union complète de tous les chrétiens. À côté du symbole de Nicée, il y avait le symbole d’Arius, et le symbole de Nicée n’est accepté que d’une partie de la hiérarchie. Les autres chrétiens ne reconnaissent ce symbole que parce qu’ils admettent l’infaillibilité de la hiérarchie, qu’ils expriment en disant : Selon la volonté du Saint Esprit et la nôtre. À aucune époque tous les chrétiens furent d’accord sur tous les points, et les conciles ne se réunissaient que pour sortir d’une façon quelconque des discussions sur les dogmes qui divisaient les chrétiens. Les nouveaux théologiens affirment que par « Église » ils entendent l’union de tous les croyants, le corps de Christ, et nullement une hiérarchie infaillible et une institution humaine. Mais aussitôt qu’ils se mêlent des affaires de l’Église, on s’aperçoit qu’ils entendent par Église — et il n’en peut être autrement — une institution humaine. Le souci de tous ces nouveaux théologiens, en commençant par Luther, sur les rapports de l’Église et de l’État, prouvent clairement qu’ils entendent par Église une institution humaine encore plus basse que ne le font les catholiques et les orthodoxes.

Les théologiens ecclésiastiques sont plus conséquents dans leurs raisonnements. L’Église, selon eux, ce sont les évêques, le pape. Ils le disent et cela est ainsi. Le pape et les évêques, selon leur doctrine, doivent être à la tête de toutes les institutions laïques, et il ne saurait être question des rapports entre l’Église et l’État. L’Église est toujours le chef de tout. Au contraire, chez les protestants et les nouveaux théologiens, malgré cette haute importance que soi-disant ils attribuent à l’Église, la question des rapports de l’Église et de l’État entre en ligne de compte. Tous sont maintenant très soucieux de la séparation, de la délivrance de l’Église du joug de l’État, et tous s’apitoient fort sur la situation misérable de la vérité divine, — le Christ en tête, — qui se trouve captive des Bismarck, des Gambetta, etc. Ils oublient que si l’État peut avoir une influence quelconque sur l’Église, c’est qu’en parlant de l’Église nous parlons non de la vérité divine qui a Christ à sa tête, mais d’une institution humaine. Les hommes qui croient en la doctrine de l’Église ne peuvent baser leur foi que sur la légitimité de la succession de la hiérarchie, légitimité que rien ne peut prouver. Aucune recherche historique ne la peut confirmer. Au contraire, les recherches historiques non seulement ne confirment pas la légitimité de n’importe quelle hiérarchie mais montrent clairement que Christ n’a jamais établi une hiérarchie infaillible, qu’elle n’existait pas dans les premiers temps et n’a paru qu’au moment de la décadence de la doctrine chrétienne, au temps de la haine et de la colère occasionnées par les interprétations des dogmes, et que toutes les doctrines chrétiennes les plus diverses ont déclaré et déclarent avec les mêmes droits la légitimité de la progression de leur Église, et nient celle des autres Églises. De sorte que toute la doctrine de la théologie sur l’Église, qui n’est justifiée par rien, se réduit pour moi au désir de quelques hommes d’opposer aux autres doctrines — qui ont les mêmes prétentions et le même droit d’affirmer qu’elles sont dans le vrai — leur doctrine comme la seule vraie et sainte.

Or, jusqu’ici, je n’ai vu dans cette doctrine non seulement rien de vrai et de saint, mais même rien de raisonnable et de bon.

Les tentatives de ces théologiens, surtout de Khomiakov, de détruire la base de l’Église : l’infaillibilité de la hiérarchie, pour mettre à sa place la conception mystique de tous les croyants unis par l’amour, sont les dernières convulsions de cette doctrine de l’Église ; c’est l’étai qui fait effondrer le bâtiment.

En effet, il se produit ici une confusion extraordinaire.

La théologie, pour masquer son affirmation grossière que l’Église est une hiérarchie infaillible, se couvre de la définition mensongère de l’Église comme union de tous les croyants. Les nouveaux théologiens s’emparent de cette définition extérieure et fausse et, s’imaginant baser sur elle l’Église, détruisent l’appui essentiel de l’Église : l’infaillibilité de la hiérarchie. En effet, celui qui ne veut pas prendre la peine d’examiner les raisons de l’Église sur l’infaillibilité de la hiérarchie, n’a qu’à lire tout ce que la littérature protestante a élaboré sur ce sujet. La base de l’infaillibilité de la hiérarchie est détruite au nom de la base de l’Église comme union des croyants unis par l’amour. Et l’union des croyants unis par l’amour ne peut évidemment définir aucun dogme, pas plus que le symbole de Nicée, comme le pensent Khomiakov et les autres.

L’union des croyants dans l’amour, c’est une conception générale sur laquelle ne peuvent être basés aucune croyance ou dogme communs à tous les chrétiens. De sorte que l’œuvre des nouveaux théologiens — s’ils sont seulement conséquents — se réduit à détruire l’assise unique et fondamentale de l’Église : l’infaillibilité de la hiérarchie. Et à sa place il ne reste guère qu’une conception mystique de laquelle ne découle aucune croyance, et d’autant moins une religion. La seule base, pour ceux qui croient en elle, c’est l’infaillibilité de la hiérarchie.

  1. « Nommément les protestants, qui, ne reconnaissant pas que Christ a établi dans l’Église une autorité particulière ou hiérarchique, affirment que tous les croyants, par la vertu du sacrement du baptême, sont également prêtres de Dieu très-haut, et que, comme tous ne peuvent pas remplir le ministère du prêtre, les croyants choisissent entre eux des hommes spéciaux, comme leurs représentants, qu’ils investissent de l’autorité ecclésiastique. »