Critique de la théologie dogmatique/15

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XV

Le dogme de la grâce est considéré par l’Église comme établi ; elle regarde même comme un fait acquis que sur lui est basée la doctrine de la sanctification :

En rejetant l’erreur des protestants, qui, sous les expressions de justification ou de sanctification par la grâce, ne voient que le pardon des péchés accordé à l’homme, quoique dans le fait ses péchés restent en lui, ainsi qu’une imputation toute extérieure qui lui est faite du sacrifice de Jésus-Christ, bien qu’en réalité il ne devienne pas juste, et ne reconnaissent du côté de l’homme que la foi seule comme condition de justification et de sanctification, l’Église orthodoxe enseigne : 1o que la sanctification de l’homme consiste en ce qu’il est véritablement purifié de ses péchés par la grâce divine, et qu’avec son recours il devient juste et saint (p. 346).

Ici, par « sanctification de l’homme », on comprend les sacrements. Ainsi, après la preuve de la sainte Écriture on cite les paroles de Jean Chrysostôme :

« Les prêtres juifs avaient le pouvoir de purifier de la lèpre du corps, ou plutôt non de purifier, mais seulement de certifier la purification… Mais ceux-ci (les ministres de Christ), ils ont reçu le pouvoir, non point de certifier la purification de la lèpre du corps, mais de purifier complètement (ἀπαλλάττειν παντελῶς) des souillures de l’âme » (p. 350).

De sorte que l’effet de la grâce, jusqu’ici incompréhensible tant qu’il s’agissait de la grâce abstraite, devient clair et compréhensible. La grâce c’est un certain état communiqué par les prêtres. Maintenant on peut comprendre ce que l’on entend en affirmant que la grâce est nécessaire pour le salut, et que l’homme ne peut se sauver par les bonnes actions, s’il n’a la sanctification des sacrements.

L’homme, sans la doctrine de la sanctification, aspire à devenir meilleur. Selon la doctrine de la hiérarchie cela n’est pas nécessaire. Il ne faut que chercher la grâce. Chercher la grâce cela signifie chercher la sanctification. Chercher la sanctification cela veut dire accepter des prêtres les sacrements. Les paroles qui concluent ce paragraphe sont importantes. Elles confirment admirablement mon affirmation : que le dogme de la rédemption est une des bases de l’établissement de la hiérarchie.

Voici ce que nous trouvons dans ce paragraphe :

Le rétablissement de l’homme n’est point autre chose que son retour à l’état primitif dans lequel il se trouvait avant sa chute. Or, avant sa chute l’homme était effectivement innocent, saint et juste. C’est à ce même état qu’il doit en conséquence être ramené. Autrement, si ceux qui sont restaurés, réhabilités et justifiés, demeurent comme auparavant dans le péché, sans sainteté ni justice ; s’ils ne reçoivent que la rémission des péchés et ne sont qu’extérieurement recouverts de la justice de Christ, alors il n’y a proprement point restauration, rétablissement de l’homme à son premier état ; il n’y a rien de plus qu’un simulacre de restauration ou quelque chose qui y ressemble (p. 352).

La restauration c’est le rétablissement de l’homme dans l’ancien état d’innocence. Selon l’affirmation de la hiérarchie la rédemption l’a fait. Mais la hiérarchie elle-même voit qu’il n’en est rien, que la rédemption n’a rien fait de semblable. En quoi donc reconnaître ce rétablissement ? On ne peut le reconnaître en ce fait que les braves gens qui ont appris la loi du Christ font plus de bien que de mal, car alors les bons seuls seront rachetés et les méchants périront. On ne peut non plus reconnaître que les méchants ne sont plus méchants et qu’ils sont tous revenus à l’état d’innocence parce que Christ les a rachetés.

On est donc forcé d’inventer cette innocence imaginaire, cette sainteté, cet instrument visible de la communication de cette sainteté à l’aide duquel on pourrait convaincre tous les hommes que, quelque mauvais qu’ils soient, ils sont des saints. C’est précisément ce que l’on a inventé. Mais pour édifier ce bâtiment artificiel de la rédemption imaginaire, la doctrine de la grâce n’est pas suffisante. Il faut encore un nouvel anneau à cette chaîne de tromperies.

Et dans le § 197, on expose ce moyen de tromperie de soi-même à l’aide duquel les hommes qui font de bons actes ne peuvent les tenir pour tels s’ils n’observent pas certaines conditions établies à cet effet ; tandis que les hommes injustes et méchants, s’ils se soumettent à ces conditions, peuvent se croire rachetés et saints. Cette tromperie de soi-même est basée sur la conception de la foi, qui paraît ici pour la première fois, dans l’ouvrage, et, comme exprès, de la façon la plus embrouillée. On dit que la foi est pour l’homme la première condition de sa sanctification et de son salut. On donne une définition de la foi des plus entortillées, mais qui tend à faire accepter sous forme de conception de la foi, un acte quelconque, dans le pouvoir de l’homme, et on en tire la conclusion que celui qui se croit sanctifié, rétabli en toute sainteté et innocence, que celui-là seul est en effet rétabli dans la sainteté absolue et l’innocence. Mais si quelqu’un se croit saint et n’a pas d’autres moyens d’affermir sa sainteté que sa croyance en sa sainteté, bien qu’il se considère comme indiscutablement saint, on ne peut affirmer qu’il le soit réellement. Si un fou croit avoir une tour sur le nez, il est évident qu’il se représente cette tour, mais personne ne peut affirmer qu’une tour soit réellement sur son nez.

Cependant c’est sur un raisonnement analogue qu’est basée toute la doctrine de la sanctification par la foi. Voici ce raisonnement :

§ 197. — Bien que la grâce divine qui opère notre sanctification s’étende sur tous les hommes, elle n’agit pourtant pas sur eux contre leur volonté. Elle sanctilie par le fait même l’homme pécheur ; mais après cela elle ne le sauve qu’à certaines conditions qu’il doit remplir. La première de ces conditions c’est la Foi. (p. 352).

Cette introduction inattendue dans l’exposé de la conception de la foi est particulièrement remarquable parce que tous les dogmes qui nous ont été expliqués jusqu’à présent commençaient par la conception de Dieu ; tous n’étaient que des vérités de la foi. Et jusqu’ici, il n’avait jamais été rien dit de la foi. On n’avait point défini ce qu’il fallait entendre par la foi. On supposait que la foi est cette même connaissance certaine de Dieu (comme disent les patriarches d’Orient) qui se trouve à la base de toute science, et que de la foi découle tout le reste. Mais nulle part ne se trouvait cette définition de la foi selon laquelle la foi est un acte de la volonté de l’homme. Or il suit quelle est un certain acte :

i. — Sous le nom de foi, en général, on entend ici l’acte par lequel l’homme accepte librement et s’approprie par toutes les facultés de son âme les vérités que Dieu daigna nous révéler en Jésus-Christ pour notre sanctification et notre salut. Cette acceptation et cette appropriation sont appelées foi parce que la plupart des vérités révélées, insaisissables à la raison en dehors du domaine de la science, ne peuvent nous être appropriées que par la foi (pp. 352, 353).

La grâce n’agit pas contre la volonté. Les hommes doivent faire un effort de volonté pour l’accepter. La foi c’est l’acceptation libre. C’est l’appropriation des vérités incompréhensibles. Involontairement on se pose la question : l’appropriation se donne par quoi ? Par la raison ou par la volonté ? Par la raison, c’est impossible, puisque les vérités sont incompréhensibles. Alors c’est par la volonté. Que signifie donc cela : appropriation par l’effort de la volonté ? En termes clairs, cela signifie : obéir. De sorte que la foi, selon cette définition, se résume en obéissance. C’est ainsi qu’est compris dans la théologie le mot foi, bien que plus loin, pour embrouiller la définition, on lui en donne une autre, bien vague, qui confond la foi avec l’amour et l’espérance.

Disons encore que la saine raison comprend déjà la nécessité absolue de la foi pour notre sanctification et notre salut. Sans la foi nous ne pouvons nous approprier les vérités de la Révélation divine ; par conséquent nous ne pouvons savoir ni ce que Dieu a fait pour notre salut, ni ce que nous sommes obligés de faire nous-mêmes, et, de cette manière, la Révélation, avec toute l’économie du salut, nous reste étrangère, et nous-mêmes nous sommes étrangers à la Révélation et au salut. En croyant en Jésus-Christ le Sauveur et en sa parole révélée, nous ouvrons pour ainsi dire notre âme à toutes les opérations salutaires de Dieu en nous ; mais en ne croyant pas, nous la fermons nous-mêmes à toutes ces opérations et nous repoussons le secours divin.

Ainsi, bien que la foi soit excitée en nous par la grâce prévenante et qu’elle soit par son commencement même un don de Dieu, à peine a-t-elle pris vie en nous qu’avec notre libre assentiment elle devient de notre fait l’instrument capital au moyen duquel nous recevons réellement dans notre âme la grâce salutaire, « et toutes choses qui regardent la vie et la piété » (ii Pierre, i, 3). C’est la première condition pour notre régénération, notre sanctification et notre salut par la grâce.

Ce qui peut déjà faire comprendre la valeur de la foi, et son imputabilité, c’est que, quoiqu’elle soit produite en nous dans le principe par une opération de la grâce prévenante, elle ne laisse pas cependant de dépendre aussi de nous, soit comme obéissance volontaire à la voix de la grâce qui nous appelle à Jésus-Christ, soit comme soumission volontaire de notre raison et de toutes les facultés de notre âme aux vérités révélées et à l’économie divine de notre sanctification, soit enfin comme abandon volontaire de nous-mêmes à la direction de Notre-Seigneur Jésus (pp. 359-360).

Qui provoqua cet accord libre ? Comment se fait la soumission de la raison ?

« La naissance dans la nature, dit Théodoret, n’exige pas la participation de celui qui naît, mais la naissance dans la foi exige l’agrément de Celui qui engendre et de celui qui est engendré. Car, le prédicateur crût-il même véritablement, si l’auditeur recevait sans foi sa prédication, il n’y aurait point harmonie entre les deux. » (p. 360)

Jusqu’ici je regardais la foi comme le fondement de toute l’activité de l’homme, et maintenant on me parle de la foi comme d’un acte. Involontairement on se pose la question : Sur quoi donc est basée cette activité qui cherche la foi, qui même choisit d’avance cette foi qu’elle cherche ? Ce qu’il y a de plus étrange c’est qu’on n’a rien dit de la foi jusqu’au moment où l’on a exposé les vérités fondamentales de la foi en Dieu, de la création de l’homme, de l’âme. (Il faut même croire à tout cela). On n’a rien dit de la foi et maintenant, quand il faut exposer la sanctification et la restauration qui n’existent pas, on a besoin de définir la foi, et on la définit non comme la connaissance de Dieu mais comme la confiance dans les paroles de la hiérarchie. Et en effet, par le mot « foi » la théologie n’entend pas ce que l’on entend d’ordinaire par ce mot. C’est ce qui ressort clairement du passage suivant du catéchisme de Philarète. On y discute ce qui est le plus nécessaire de la foi ou des bonnes œuvres. La réponse est : la foi, car dans l’Écriture il est dit : « Sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu. »

Mais aussitôt après se rencontre la question : Pourquoi les bonnes œuvres doivent-elles être inséparables de la foi ? Et on répond : Parce qu’il est dit : La foi sans les actes est lettre morte. Cette deuxième réponse, d’après laquelle les bonnes œuvres doivent être inséparables de la foi, car la foi sans les actes est lettre morte, détruit les limites de la foi et des bonnes œuvres. Si la foi ne peut exister sans les bonnes œuvres, pourquoi donc les séparer et dire : 1o la foi ; 2o les bonnes œuvres ? Cette erreur logique n’est pas fortuite. La même erreur consciente est répétée dans la théologie. Il est clair que par le mot « foi », pour les besoins de la théologie, il faut entendre non ce que comprenaient Paul et les Patriarches orientaux, et ce que nous tous entendons par ce mot.

Paul dit : « La foi c’est l’annonciation de ceux qui ont l’espoir, la dénonciation des choses invisibles, c’est-à-dire l’assurance de l’invisible comme visible ; le désiré et l’attendu comme présent. » Paul ne dit pas que cette annonciation et cet espoir se transmettent par quelqu’un. Les Patriarches orientaux disent : « Par le mot foi nous désignons notre conception juste de Dieu et des objets divins. » « Nul ne peut se sauver sans la foi », disent-ils plus loin.

La foi, c’est l’annonciation de ceux qui ont l’espoir, la dénonciation de l’invisible et la conception juste de Dieu. Tous les hommes comprennent la même chose. Nous périssons dans cette vie sans la connaissance de Dieu. La connaissance de Dieu, — la foi — nous donne le salut.

D’après cela, tous les actes du salut sont des actes bons ; et tous les actes bons ne sont bons que parce qu’ils sont des actes de salut qui découlent de notre connaissance de Dieu, c’est-à-dire de la foi. La foi n’est pas inséparable des bonnes œuvres, mais la foi est l’unique cause des bonnes œuvres, et les bonnes œuvres sont des conséquences inévitables de la foi. Il semblerait donc qu’on ne peut demander qu’est-ce qui est le plus important : la foi ou les bonnes œuvres ? En effet, c’est la même chose que de demander : qu’est-ce qui est le plus important : le soleil ou la lumière ? Cependant une pareille division est établie puisque l’on a donné à la foi la définition mensongère, étroite, non de la foi mais de la confiance et de l’obéissance.

La séparation entre la foi et les actes et leur comparaison indique clairement que par la « foi » on entend autre chose que ce que définissent Paul et les Patriarches orientaux et autre chose que ce que veut dire le mot lui-même. On entend ce que, dans un autre passage, les Patriarches orientaux expriment par ces paroles : « Nous croyons comme on nous a appris de croire. »

Il est évident que chez Philarète, ainsi que dans toutes les œuvres théologiques, par le mot « foi » on n’entend que l’accord extérieur avec ce que la théologie professe. C’est cet accord seul qui est estimé nécessaire pour la sanctification et le salut. C’est pourquoi ici est défini, non la foi seule, en général, mais ce en quoi, précisément, il faut croire, et on explique que celui qui croira en aura les plus grands avantages, tandis que l’incroyant devra s’en repentir.

Auparavant, en abordant l’exposition de chaque dogme on exposait le dogme même : de Dieu, de la Trinité, de la Rédemption, de l’Église, et on donnait les raisons qui avaient amené à la foi, mais jamais il n’était dit qu’il fallût croire et qu’il fût avantageux de croire. Or, ici, tout d’un coup, au lieu de raisons, au lieu de la découverte de la vérité, on dit nettement qu’il faut un effort libre : ne pas résister mais tâcher de croire, et celui qui croira sera sauvé ; celui qui ne croira pas périra. Auparavant on découvrait les vérités divines elles-mêmes et l’on supposait que cette découverte nous menait au but unique de la doctrine : à la foi, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu. Maintenant c’est un procédé inverse. On dit que pour que la vérité sur la sanctification soit révélée, il faut croire d’avance à cette sanctification. Crois et tout te sera révélé. Mais le but de la doctrine consiste à nous mener à la foi !

Si vous abandonnez cette voie de la découverte de la vérité qui amène à la foi ; si vous dites qu’il faut avoir confiance en vos paroles — ce que dit quiconque désire être cru — alors je n’ai déjà plus le droit de vous croire. Si c’est affaire de confiance, ma confiance ne dépendra que de mon respect plus ou moins grand pour celui qui me convainc et de la probabilité comparative de la vérité. Or, cette probabilité, dans la doctrine de la hiérarchie, comme nous l’avons vu jusqu’ici, n’existe pas. Il ne me reste donc qu’une ressource : redouter les menaces qu’on m’adresse si je ne crois pas, et, par crainte, soumettre ma raison à ce qu’on appelle la grâce, c’est-à-dire à ce que la hiérarchie enseigne. Ce soin de soumettre sa raison, cette non résistance à la grâce, nous en avons tous essayé. Mais dès que l’homme cherche sérieusement la vérité, non seulement elle devient irréelle, mais toutes les raisons invoquées en sa faveur se tournent contre elle. Vous dites que si je ne vous crois pas je perds mon âme pour toujours. Mais je ne vous crois pas, précisément parce que j’ai peur de perdre mon âme pour toujours. Et surtout maintenant, quand, ayant analysé ce paragraphe, il m’est évident que la théologie, en expliquant l’importance si grande pour elle des sacrements, renonçait elle-même à attribuer un sens quelconque à cette institution et ne pouvait la justifier que par l’affirmation naïve qu’il faut croire qu’il en est ainsi. En résumant la conception de la foi dans la confiance et l’obéissance, en séparant ainsi l’inséparable, la théologie, malgré elle, est arrivée à la question des rapports mutuels de ces deux conceptions imaginaires de la foi : la confiance en ce que l’on vous enseigne, et les bons actes indépendants de la foi.

Le paragraphe 198 analyse les rapports de ces deux conceptions imaginaires.

Pour comprendre ce paragraphe, il est nécessaire de ne pas perdre de vue que, aussitôt la conception mensongère de la confiance suscitée, à la place de la foi, une question s’est dressée : Qu’est-ce qui sauve : la foi ou les bonnes œuvres ? et que ceux qui professaient cette doctrine, dès le commencement, se sont divisés en deux camps hostiles.

Les uns disent que c’est la foi qui sauve, les autres, que ce sont les actes. Notre théologie, avec son procédé ordinaire consistant à braver toutes les lois de la logique, affirme que l’une et les autres sauvent. Et voici la signification du paragraphe 198 :

Au reste, quel que soit le prix de cette foi que nous venons de dépeindre, et qui embrasse, dans son sens le plus large, l’espérance et la charité ; quoique cette foi soit la première condition que l’homme ait à remplir pour s’approprier les mérites du Sauveur, cette foi cependant ne suffit point encore à elle seule pour le but. Par la foi seule l’homme peut trouver sa justification, la purification de ses péchés dans le sacrement du Baptême, qui l’introduit dans le royaume de la grâce de Jésus-Christ ; il peut ensuite recevoir les dons de cette grâce par les autres sacrements de l’Église ; mais, pour pouvoir conserver après son entrée dans ce royaume, la justice et la pureté qu’il a puisées dans le Baptême ; pour pouvoir profiter des dons du Saint-Esprit qu’il recevra par les autres sacrements ; pour pouvoir s’affermir dans la vie chrétienne et s’élever graduellement dans la sainteté chrétienne et pour pouvoir, à la fin de sa carrière terrestre, paraître justifié et sanctifié devant le redoutable tribunal du Christ ; pour tout cela il lui faut plus encore que la foi : il lui faut les bonnes œuvres, c’est-à-dire des œuvres qui soient l’expression extérieure et comme les fruits de la foi, de l’espérance et de la charité, qui habitent dans l’âme du chrétien et qui puissent être envisagées comme l’accomplissement exact de la volonté divine enseignée dans la loi évangélique (pp. 361-362).

On cite ensuite les confirmations de la sainte Écriture, qui nie nettement toute la précédente division de la foi et des actes :

« Ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux, mais celui-là y entrera qui fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux ». (Matth., vii, 21 ; comp. xxvii, 27.)

L’apôtre saint Jacques dit : « L’homme est justifié par les œuvres et non pas seulement par la foi. » (Jacq., ii, 24).

Selon saint Jean : « Celui qui dit qu’il le connaît et qui ne garde pas ses commandements est un menteur et la vérité n’est point en lui. » (i Jean, ii, 4).

Enfin l’apôtre saint Paul assure que : « Ce ne sont point ceux qui écoutent la loi qui sont justes devant Dieu, mais ceux qui gardent la loi qui seront justifiés. » (Rom., ii, 13.) 2o Que le chrétien doit manifester sa foi, son espérance et sa charité par des bonnes œuvres : « La foi qui n’a point les œuvres est morte en elle-même… Montrez-moi votre foi par vos œuvres… Comme le corps est mort sans âme, ainsi la foi est morte sans œuvres. » (Jacq., ii, 17, 18, 26). « Quiconque a cette espérance en lui (le Seigneur Jésus-Christ) se sanctifie comme il est saint Lui-même, » (i Jean, iii, 3).

« Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime. » (Jean, xiv, 21).

« Mes petits enfants, n’aimons pas de paroles, ni de langue, mais par œuvres et en vérité». (i, Jean, iii, 18).

3o Que les hommes sont appelés au royaume de la grâce du Seigneur Jésus pour faire de bonnes œuvres : « Nous sommes son ouvrage, étant créés en Jésus-Christ dans les bonnes œuvres, que Dieu a préparées afin que nous y marchions. » (Eph., ii, 10).

« La grâce de Dieu, salutaire à tous les hommes, a paru, et elle nous a appris que, renonçant à l’impiété et aux passions mondaines, nous devons vivre dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et avec piété, étant toujours dans l’attente de la béatitude que nous espérons et de l’avènement glorieux du grand Dieu et notre Sauveur Jésus-Christ, qui s’est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité et de nous purifier, pour se faire un peuple particulièrement consacré et fervent dans les bonnes œuvres. » (Tite, ii, 11-14).

4o Enfin que c’est non seulement selon leur foi, mais aussi selon leurs œuvres, que le Seigneur rémunérera les hommes dans la vie à venir :

« Le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses œuvres » (Matth., xvi, 27 ; comp., xxv, 34-36).

« Chacun recevra du Seigneur la récompense du bien qu’il aura fait ». (Eph., vi, 8,) « Il rendra à chacun selon ses œuvres ». (Rom., ii, 6.) « Nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites pendant qu’il était revêtu de son corps ». (ii Cor., v, 10 ; comp. ix, 6).

« Ne savez-vous pas que les injustes ne seront point héritiers du royaume de Dieu ? » (i Cor., vi, 9 ; comp., Gal., v, 19-20 ; Hebr., xii, 14) (p. 362, 363).

Tous les textes cités, surtout ceux de l’Évangile, montrent indiscutablement qu’on ne peut séparer la foi des actes, que les actes sont la conséquence de la foi. Il semble donc que ce paragraphe détruise tout le sens du paragraphe précédent sur l’importance capitale de la foi. Mais la théologie ne s’embarrasse pas pour cela. Dans le premier paragraphe elle discutait avec tous les chrétiens qui reconnaissent le salut dans les actes. Dans celui-ci elle discute avec ceux qui le placent dans la foi, et tranquillement, elle détruit elle-même ses propres propositions, ce qui ne l’empêche pas, à la fin, de dire solennellement que la véritable doctrine est d’accepter l’un et l’autre, bien que l’un exclut l’autre. En effet, si absurde qu’il soit de séparer la foi des actes, sitôt cette séparation faite dans la conception des croyances, on comprend que l’on puisse affirmer que c’est ou la foi qui sauve ou les actes. Si, par la foi, nous nous purifions entièrement et devenons saints, il est évident que les bonnes œuvres deviennent inutiles. Elles se supposent d’elles-mêmes mais ne peuvent devenir le but. Au contraire, si nous assurons notre salut par l’effort de notre volonté, comme il a été dit dans le paragraphe précédent, alors il est évident que ce qui subsiste avant tout, ce doit être cet effort de la volonté, c’est-à-dire l’acte, après quoi viendra la foi puis le salut.

Les deux affirmations sont logiques et conséquentes, mais notre hiérarchie, s’étant assurée de la foi, juge inutile toute conséquence logique. Elle affirme à la fois les deux propositions contradictoires. La conclusion du paragraphe, qui tend à prouver la nécessité des bonnes œuvres, prouve juste le contraire :

Nous ne pouvons faire de bonnes œuvres qu’avec la coopération de la grâce divine ; aussi les bonnes œuvres sont-elles appelées les fruits du Saint-Esprit (Gal., v, 22). Mais comme leur accomplissement requiert en même temps la participation de notre libre volonté ; comme, par cette participation volontaire, nous manifestons notre foi, notre charité et notre espérance en Dieu ; comme enfin cette participation nous coûte souvent de grands combats et de vigoureux efforts (Luc, xiii, 24 ; ii Cor., vi, 4-6 ; ii Tim., iii, 12) dans la lutte avec les ennemis de notre salut, le monde, la chair et Satan, le Seigneur veut bien nous imputer nos bonnes œuvres à mérite. Et d’abord, selon la mesure de nos progrès dans la piété sous la coopération de la grâce divine, il daigne augmenter en nous les dons spirituels (Matth., xxv, 21, 28, 29), afin que par ce secours nous puissions nous élever de puissance en puissance, de clarté en clarté (ii Cor., iii,. 18) (p. 368, 369).

Cette citation n’est que la répétition sous une autre forme de la même contradiction : Nous ne pouvons accomplir de bonnes œuvres que par la grâce ; mais la participation de notre volonté libre est également nécessaire.

L’application morale de ce dogme est encore plus ridicule qu’à l’ordinaire. En effet, il est difficile de trouver une application morale du dogme le plus immoral, et dont le but est de justifier les moyens et de fournir des revenus à la hiérarchie. Néanmoins, on trouve à propos : 1o de prier Dieu pour qu’il donne la grâce ; 2o de remercier Dieu ; 3o de prier encore ; 4o de suivre les inspirations de la grâce ; 5o l’homme, qui devient innocent comme Adam, doit tâcher de le demeurer ; 6o « Approchons-nous donc avec un cœur vraiment sincère et une pleine foi du trône de la grâce. » (p. 371) (§ 199).