Critique de la théologie dogmatique/4

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IV

chapitre ii. — De l’essence de Dieu.

De l’essence de Dieu ?

On a dit que Dieu est incompréhensible dans son essence ; puis on a dit qu’il est trinité. Je cherche l’explication de ce que cela signifie : Il est trinité. Mais au lieu de répondre à ma question, on me pose un nouveau problème : Dieu incompréhensible dans son essence me sera révélé par essence :

« Déjà dès les premiers siècles du christianisme cette question : qu’est-ce que Dieu dans son essence ou sa nature (οὐσία φύσις, essentia, substantia, natura) ? fut pour les docteurs de l’Église l’objet d’une attention particulière : d’un côté comme question fort importante par elle-même et tenant de fort près à la raison et au cœur de tout homme, et surtout comme question dont les hérétiques se préoccupaient beaucoup alors, appelant ainsi à la lutte les champions de l’orthodoxie (p. 114). »

De nouveau, pour me révéler la vérité, on m’introduit dans la discussion. On m’expose les opinions des uns et des autres, qui tous étaient dans l’erreur. Quant à l’Église orthodoxe :


« Évitant avec le plus grand soin toutes ces subtilités, elle s’en tint toujours et s’en tient encore exclusivement à ce que Dieu daigne lui faire connaître à son sujet dans sa révélation. Elle n’a point la prétention de définir l’essence de Dieu, qu’elle reconnaît incompréhensible, et par conséquent aussi indéfinissable dans le sens rigoureux de ce mot. Cependant comme elle désire donner à ses enfants une idée de Dieu aussi juste, aussi exacte et aussi intelligible que possible, voici ce qu’elle dit à son sujet : « Dieu est un esprit éternel, tout bon, omniscient, très juste, tout puissant, présent partout, immuable, souverainement heureux. » Ici, elle nous montre : 1o l’essence (ou la nature, la substance) incompréhensible de Dieu, autant du moins qu’elle peut être actuellement à la portée de notre raison, et 2o les qualités ou perfections essentielles, qui distinguent cette essence, ou plus exactement qui distinguent Dieu lui-même de tous les autres êtres » (p. 117, 118).


L’essence, la nature, la personnalité de Dieu nous sont désignées. De même les propriétés par lesquelles Dieu se distingue des autres êtres. Mais de quoi parlons-nous ? De Dieu, être limité quelconque, ou de Dieu ? Comment Dieu peut-il se distinguer des autres êtres ? Comment pouvons-nous distinguer en lui la nature et les propriétés ? Il est incompréhensible, supérieur, plus parfait que tout.

Je comprends de moins en moins ce qu’on veut me dire, et il devient de plus en plus clair à mes yeux, que pour un certain motif, pour des motifs cachés quelconques, il est nécessaire, dédaignant le bon sens, les lois de la logique, de la parole et de la conscience, de faire ce qu’on a fait jusqu’à ce jour : c’est-à-dire de ravaler ma conception de Dieu, celle de tout croyant, à une conception basse, à demi-païenne.

Voyons donc ce qu’il est dit de cette nature et des qualités de ce que l’auteur appelle Dieu :

« § 17. Idée de l’essence de Dieu. Dieu est esprit. Le mot Esprit désigne en effet de la manière la plus compréhensible l’essence, la substance ou la nature divine incompréhensible pour nous. Nous ne connaissons que deux espèces de substances : les substances matérielles, composées, dépourvues de connaissance et d’intelligence : les substances immatérielles, simples, spirituelles, plus au moins douées de la faculté de connaître et de comprendre. Il nous est impossible d’admettre que Dieu ait en lui une substance de la première espèce, lorsque dans toutes ses œuvres, tant de la création que de la Providence, partout nous voyons les traces de la plus haute raison » (p. 118).

Pour confirmer ces paroles incompréhensibles, ineptes et embrouillées, l’auteur cite, en renvoi, les paroles de Jean Damascène, tout aussi fausses et incompréhensibles.

« En apprenant, dit-il, ce qui est attribué à Dieu, et en remontant de là jusqu’à son essence, nous parvenons à concevoir, non l’essence elle-même, mais seulement ce qui s’y rapporte (τὰ περὶ τὴν οὐσίαν) de même que, pour savoir que l’âme est immatérielle, indivisible et invisible, nous n’en saisissons pas mieux l’essence. Ainsi, bien que nous sachions que tel corps est blanc ou noir, nous n’en pénétrons pas pour cela la substance ; nous apprenons seulement ce qui s’y rapporte ; mais la parole de vérité nous enseigne que la Divinité est simple n’ayant qu’une seule action (ἐνέργειαν) simple, salutaire, qui agit en tout et sur tout » (Exp. ex. de la Foi orthodoxe., liv. i, chap. xvi, p. 34.) (p. 119, note).

Quelque pénible et difficile qu’il soit d’analyser de pareilles expressions, où chaque mot est erreur ou mensonge, chaque union du sujet au verbe, tautologie ou contradiction, chaque rapport d’une proposition à l’autre, erreur inconsciente ou consciente, il est cependant nécessaire de le faire. On dit : « Le mot Esprit désigne la substance ». L’esprit ne signifie que le contraire de la substance. « Esprit », c’est avant tout le mot qu’on oppose à toute substance, à tout ce qu’on voit, entend, sent, connaît par les sens. La substance, la nature, l’essence, ce n’est que la qualification des objets reconnus par les sens. Par leur nature, leur essence, leur substance, se distinguent les pierres, les arbres, les animaux, les hommes ; tandis que l’esprit c’est quelque chose qui n’a pas la substance de la nature. Que peuvent donc signifier les paroles : « L’esprit désigne la substance ? »

Et plus loin : « Nous ne connaissons que deux espèces de substances : les substances matérielles, composées, dépourvues de connaissance et d’intelligence. » Nous ne connaissons et ne pouvons connaître aucune substance spirituelle, « la substance spirituelle », c’est donc une contradiction. Le pluriel employé par l’auteur : « les substances simples, spirituelles, » constitue une autre contradiction, intime, parce que ce qui est simple ne peut être deux ou plusieurs. Cela seul qui n’est pas simple peut présenter la différence et la pluralité. Le fait d’ajouter au mot « substances » les mots « simples, spirituelles, plus ou moins douées de la faculté de connaître et de comprendre », forme comme une nouvelle contradiction intime, en ajoutant tout à coup au mot « simple » la conception de l’intelligence et de la compréhension, par les degrés desquelles se divisent ce qu’on appelle les substances simples et spirituelles.

La phrase : « Admettre que Dieu ait en lui une substance de la première espèce, » logiquement exprimée, se résout en ceci : admettre que Dieu unique ait en lui « les substances composées et matérielles, » c’est la plus grande ineptie. C’est admettre pour ce Dieu unique une multitude de subdivisions des plus diverses, dont il ne peut pas même être question.

Les paroles : « La contemplation continuelle de cette race nous fait supposer en Dieu une substance de la seconde espèce », ne signifient pas du tout que Dieu est esprit, mais qu’il est la raison la plus haute. De l’analyse de ces paroles il résulte donc qu’au lieu de dire : Dieu est esprit, il est dit que Dieu est la raison la plus grande. Pour confirmer ces paroles on cite Jean Damascène qui dit encore une troisième chose, à savoir : que la divinité est simple.

Or, ce qui est étonnant, c’est que la conception de Dieu comme esprit, en tant qu’opposition à tout ce qui est matériel, est indiscutable pour moi et pour tout croyant, et ressort clairement des premiers chapitres sur la non compréhension de Dieu. Mais il est impossible de le prouver, et l’on ne sait pourquoi on veut le prouver. Des paroles sacrilèges sont dites au sujet de l’essence de Dieu, et ces preuves aboutissent à ceci, qu’au lieu de l’esprit, Dieu est raison, ou que la divinité est simple et n’a qu’une action.

Pourquoi donc prouver tout cela ? Pour introduire sous main la conception non de l’esprit, un, simple, mais des substances spirituelles, plus ou moins douées de la faculté de connaître et de comprendre (ce sont les hommes, les démons, les anges, dont on aura besoin plus tard) ; et, principalement, pour établir un lien avec ce mot « esprit », qui jouera un grand rôle dans l’exposé de la doctrine. Tout de suite on voit pourquoi :

« Et si la révélation même nous représente Dieu comme un Être spirituel, notre supposition doit se transformer en une véritable certitude. Eh bien ! c’est justement le cas : la révélation nous enseigne que Dieu est un Esprit pur, sans mélange ou revêtement d’aucune substance corporelle et que, par conséquent, sa nature est tout immatérielle, étrangère à toute espèce de composition, c’est-à-dire simple » (p. 118, 119).

D’après les paroles : « Esprit pur» sans mélange d’aucun « corps », on voit de suite que le mot esprit n’est pas compris là, comme il l’est dans toutes les langues, comme il est compris dans l’entretien évangélique avec Nicodème : « L’esprit souffle là où il veut » ; c’est-à-dire en opposition absolue avec tout ce qui est matériel, et, par conséquent, incompréhensible, mais comme quelque chose qui peut être défini, différencié du reste. On cite ensuite les preuves de la Sainte Écriture, que Dieu est Esprit. Mais comme toujours, les textes ne prouvent que le contraire.

« 1o « Celui qui se cache se dérobe-t-il à moi, et ne le vois-je point ? » dit le Seigneur. « N’est-ce pas moi qui remplis le ciel et la terre ? » (Jer., xxiii, 24 ; cxxxviii, 7-12). 2o Tout corps a une forme déterminée, et par conséquent peut être représenté : Dieu n’a aucune forme sensible ; aussi, dans l’Ancien Testament, était-il sévèrement défendu de le représenter : « À qui donc ferez-vous ressembler Dieu, et quelle image en tracerez-vous ? » (Is., xl, 18-25.) « Appliquez-vous avec grand soin à la garde de vos âmes. Souvenez-vous que vous n’avez vu aucune figure ni ressemblance au jour que le Seigneur vous parle à Horeb du milieu du feu, de peur qu’étant séduits, vous ne vous fassiez quelque image de sculpture, quelque figure d’homme ou de femme. » (Deut., iv, 15, 16.) 3o Son corps, par cela même, peut être visible : Dieu est nommé le Dieu invisible (Col., i, 15 ; i, Tim., i, 17 ; Rom., i, 20) que nul n’a jamais vu (Jean, i, 18 ; comp. vi, 46), et en particulier que nul des hommes n’a vu et ne peut voir (i Tim, vi, 16 ; comp. Ex., xxx…, 18, 22). 4o Son corps est sujet à des changements : «Le Père de la lumière ne peut recevoir ni de changement ni d’ombre par aucune révolution. » (Jacq., i, 17). 5o Tout corps étant composé de parties, est sujet à la décomposition et à la corruption : « Dieu est le roi des siècles, immortel. » (i. Tim., i, 47) » (p. 119, 120).

N’est-il pas clair que Dieu qui voit tout, que Dieu qui parlait au milieu du feu sur le mont Horeb, qui n’a pas de limite, c’est-à-dire d’image, qui est immortel, n’est pas un esprit ? Il est évidemment nécessaire qu’on puisse parler de Dieu comme d’un être défini, du genre de l’homme ; mais il est nécessaire aussi d’en pouvoir parler comme d’un esprit, simple, incompréhensible. C’est toujours le même système. Dans tous les chapitres de ce livre, deux conceptions différentes sont sciemment fondues en une, afin, en cas de besoin, de se remplacer l’une l’autre, et par là de pouvoir unir mécaniquement les textes de l’Écriture et les embrouiller de telle façon qu’on puisse confondre des choses toutes différentes.

Après cela vient l’exposition de la doctrine de l’Église, et comme toujours ce n’est ni l’exposé du dogme, ni son interprétation, mais la discussion. La discussion s’agite entre les anthropomorphistes et les panthéistes. On prouve qu’il n’est pas vrai que Dieu est entouré de chair et en tout semblable à l’homme. Si l’Écriture parle de son corps, voici comment il faut le comprendre : ses yeux, c’est son intelligence, son savoir ; son ouïe, son attention ; sa bouche, la manifestation de sa volonté ; sa nourriture, sa boisson notre accord avec la volonté de Dieu (sic) ; son odorat, l’acceptation de nos idées ; sa face, sa manifestation dans les actes ; ses mains, sa force active ; sa droite, son assistance dans les choses justes ; son tact, sa reconnaissance exacte des moindres choses ; ses pieds, sa marche ; l’aide, le secours ; son serment, l’infaillibilité de son conseil ; sa colère, le courroux, l’horreur du mal ; l’oubli, le sommeil, la lenteur à venger les offenses (pages 121, 222, 123, 124.)

Ces explications et ces contradictions des anthropomorphistes, sans même parler de l’arbitraire, de l’insanité des explications, — par exemple que, par nourriture et boisson, nous devons entendre notre accord avec la volonté de Dieu, ces explications tombent de plus en plus bas dans le domaine de la dialectique mesquine et souvent même tout simplement stupide ; et l’espoir d’obtenir l’explication de la vérité révélée par Dieu, s’éloigne de plus en plus.

Dans la section II, on cite encore les preuves des Pères de l’Église que Dieu est un être immatériel et incorporel. Et la même chose se reproduit. On cite les raisonnements non mensongers, mais étranges, des Pères de l’Église, qui indiquent qu’ils étaient loin de cette conception de la divinité qui appartient maintenant à chaque croyant. Par exemple, avec beaucoup de soin ils tâchent de prouver que Dieu n’est borné par rien, qu’il n’est pas sujet aux souffrances, ni à la destruction. Si méritoires que soient les efforts de ces Pères dans leur lutte contre les païens, leur affirmation que Dieu n’est pas sujet aux souffrances agit malgré nous et sur nous comme le ferait l’affirmation qu’on n’a pas besoin d’habitation et de nourriture, et malgré nous, encore, cette affirmation nous force à sentir que leur conception de la divinité n’est ni claire ni solide. Leurs arguments ne nous expliquent rien et ne font que blesser notre sentiment. Mais il est évident que l’auteur en a besoin. Il a besoin, précisément, de ce qui blesse notre sentiment, à savoir l’abaissement de la conception de Dieu.

Dans la troisième division, l’auteur cite même comme preuve, l’injure que disaient les Pères de l’Église pour défendre leur opinion :

« iii. Il est à remarquer ou outre qu’en réfutant l’erreur des anthropomorphistes, les anciens Pasteurs de l’Église la tenaient pour une hérésie, hérésie inepte et des plus absurdes ; et qu’ils rangèrent toujours parmi les hérétiques les anthropomorphistes obstinés. » (p. 125).

Comme ultime raison, l’Église ajoute :

« C’est pour cela que le cérémonial suivi par l’Église orthodoxe, dans la première semaine du grand carême, renferme entre autres, ces paroles : « À ceux qui affirment que Dieu n’est pas esprit, mais corps ou chair, anathème ! » (p. 126).

Avec cela se termine ce que nous connaissons de l’essence de Dieu, à savoir qu’il est esprit. Quelle conclusion en dégager ? Que Dieu n’est pas substance, mais esprit ; cela résulte de la conception de Dieu, et les croyants ne peuvent penser autrement. C’est en partie confirmé par ce paragraphe. Mais outre cela, il est affirmé que cet esprit est quelque chose de particulier, de spécial, de compréhensible (imparfaitement) ; et la confusion verbale de ces contradictions est tout le résumé du § 17. Que cela soit le but, on le voit clairement du paragraphe suivant.

« § 18 Idée des attributs essentiels de Dieu : nombre et division de ces attributs. On nomme attributs essentiels de Dieu (τὰ οὐσιώδη ἰδιώματα, proprietates essentiales, ou en un mot, ἀξιώματα, νοήματα, ἐπιτηδεύματα, attributa, perfectiones), les qualités appartenant à l’essence même de Dieu, et le distinguant de toute autre ; ce sont, par conséquent, des qualités qui conviennent également à toutes les personnes de la très sainte Trinité, formant unité au point de vue de l’essence ; ce qui les fait aussi nommer attributs généraux ou communs, de Dieu (ἰδιώματα κοινά, pour les distinguer des attributs personnels ou particuliers (τὰ προσωπικὰ ἰδιώματα, proprietates personales), qui appartiennent à chaque personne divine prise à part et servent à les distinguer les unes des autres » (p. 126, 127).

D’où il résulte que Dieu, esprit simple, possède des propriétés qui le distinguent de tous les autres êtres. C’est peu. Outre ces propriétés générales (divines), il y a encore des propriétés qui distinguent les diverses personnes du même Dieu, bien qu’on n’ait encore rien dit de ce qu’est la Trinité ni de ce qu’est la personne de Dieu.

« Il est impossible de déterminer le nombre des attributs essentiels ou généraux de Dieu ; et l’Église, bien qu’elle nous donne une idée saine de Dieu, n’en énumère que quelques-uns. (« Dieu, dit-elle, est un Esprit éternel, tout bon, omniscient, souverainement juste, tout-puissant, présent partout, immuable, parfaitement content, infiniment heureux ») ; mais elle remarque en même temps que les attributs généraux de Dieu sont innombrables, car tout ce qui peut se trouver dans la révélation, par rapport à Dieu unique par essence, tout cela aussi constitue dans un certain sens les attributs de l’Être divin. C’est pourquoi nous-même, suivant en cela l’exemple de l’Église, nous nous en tenons à l’examen de quelques-uns de ses attributs, des principaux, qui caractérisent le mieux l’essence divine, renferment ou expliquent ses autres attributs moins saillants, et sont plus clairement désignés dans la révélation. » (p. 127).

« Les attributs de Dieu sont innombrables, c’est pourquoi nous ne parlerons que de quelques-uns. » Mais s’ils sont innombrables « quelques-uns » seront une partie infiniment petite ; on n’en peut donc pas parler. Or, la théologie raisonne autrement : « Non seulement de quelques-uns, mais des principaux ! » S’ils sont innombrables, comment donc y en a-t-il de principaux ? Tous sont infiniment petits. « Nous parlerons de ceux qui caractérisent le mieux l’essence divine ». Comment cela ? Dieu a un caractère, c’est-à-dire une particularité qui le différencie d’un autre Dieu ? Non, il est clair que nous parlons de quelque chose, mais pas de Dieu. Poursuivons :

« Pour se former de ces attributs des idées distinctes, et les exposer sous une forme systématique, anciennement déjà les théologiens cherchèrent à les classer, et, au moyen-âge surtout, comme dans les temps modernes, on imagina une infinité de classifications semblables, qui toutes, quoique à un degré différent, ont leur mérite ou leurs défauts. La principale cause des derniers est bien facile à concevoir : les attributs de l’essence divine, comme cette essence même, nous sont tout à fait incompréhensibles. Au lieu donc de chercher inutilement à en trouver une classification parfaite, nous choisirons celle qui nous semble la plus juste et la plus simple» (p. 127, 128).

« Les attributs de l’essence divine, comme cette essence même, nous sont tout à fait incompréhensibles ». Alors quoi ? Ne commettons pas de sacrilège, n’en parlons pas. Non : « C’est pourquoi nous choisirons la classification qui nous semble la plus juste ».

« Dieu, par son essence, est un Esprit ; mais dans tout esprit, outre la nature spirituelle proprement dite (la substance), nous distinguons en particulier deux principales forces ou facultés : la raison et la volonté. »

Comment, dans l’esprit simple, la classification de la raison et de la volonté ! Mais où cela est-il dit ? On a parlé seulement, en général, de l’esprit, mais nulle part on n’a dit qu’il possède la raison et la volonté. La raison et la volonté, ce sont les mots par lesquels les hommes, — quelques-uns, — distinguent en eux deux activités. Mais pourquoi les attribuer à Dieu ?

« Sous ce rapport, les attributs essentiels de Dieu peuvent être divisés en trois classes :

« 1o Les attributs de l’essence de Dieu, en général, c’est-à-dire ceux qui appartiennent également et à la nature même (à la substance) divine, spirituelle, et à ses deux formes, l’intelligence et la volonté, et qui distinguent Dieu, comme esprit, de tous les autres êtres ;

« 2o Les attributs de l’intelligence de Dieu, savoir : ceux qui n’appartiennent qu’à l’intelligence divine ;

« 3o Enfin les attributs de la volonté de Dieu, ou ceux qui appartiennent exclusivement à la volonté divine » (p. 128).

Faut-il aller plus loin ?… C’est le delirium d’un fou. Mais non. J’ai résolu d’aller jusqu’au bout.

Ensuite, soixante pages durant, on parle des attributs de Dieu. Voici le résumé de ces soixante pages.

« § 19 Attributs de l’essence de Dieu, en général. Dieu, comme Esprit, se distingue de tous les autres êtres en général en ce qu’ils sont tous plus ou moins bornés et dans leur existence et dans leurs forces, et par conséquent, plus ou moins imparfaits, au lieu que Lui-même, Il est un Esprit sans bornes, ou infini sous tous les rapports : en d’autres termes accompli en perfection » (p. 128-129).

« Dieu se distingue de tous les autres êtres, en général » ! Elle est évidemment nécessaire cette représentation mensongère de Dieu qui se distingue des autres êtres, puisque avant et après, plusieurs fois il est dit que Dieu est infini, alors qu’on ne saurait dire que l’infini peut se distinguer de quelque chose.

« En particulier, tous les autres êtres sont bornés par le principe et la durée de leur existence ; ils ont tous reçu leur existence de Dieu et sont dans une dépendance constante de Lui et les uns des autres, tandis que Dieu ne tient l’existence de personne et ne dépend en rien de qui que soit : Il existe par Lui-même et Il est indépendant. Tous les autres êtres sont bornés pour le mode ou la forme de leur existence, car ils sont nécessairement soumis aux conditions de l’espace et du temps ; ils sont donc sujets au changement. Dieu est au-dessus de toutes les conditions de l’espace : Il est immense et omniprésent ; Dieu est au-dessus de toutes les conditions du temps : Il est éternel, immuable. Enfin, tous les autres êtres sont bornés quant aux forces soit pour la quantité, soit pour la qualité : il n’existe point de bornes pour Dieu même sous ce rapport : Il est fort et tout puissant. Ainsi les principaux attributs appartenant à Dieu par son essence en général sont : l’infinité ou la toute perfection, l’aséité ou l’existence par Lui-même, l’indépendance, l’immensité et l’omniprésence, l’éternité, l’immutabilité et la toute-puissance » (p. 129).

Ensuite Dieu se distingue des autres êtres en particulier ; « 1o par l’infinité ou la toute-perfeclion ». Pourquoi l’infinité égale-t-elle ici la toute-perfection, c’est incompréhensible aussi bien ici que par la suite ; « 2o par l’aséité ; 3o l’indépendance ». Quelle est la différence entre l’aséité et l’indépendance ? c’est également incompréhensible. L’aséité est ainsi définie :

« L’aséité ou l’existence par soi-même. Dieu est dit existant par lui-même parce qu’il n’est redevable de l’existence à nul autre être, mais que c’est de lui-même qu’il tient et l’existence et tout ce qu’il possède. » (p. 133, 134.)

Et l’indépendance :

« L’indépendance. Par cette expression appliquée à Dieu il faut entendre cet attribut en vertu duquel, dans son Être, ses forces et son action, Il ne se détermine que par Lui-même. Il est par lui-même bienheureux (αὐταρϰής, αὑενδεης), tout-puissant (αὐτεςούσιος), souverain (αὖτοϰρατὴς.)

« Cet attribut de Dieu découle déjà du précédent. Si Dieu est un être existant par Lui-même, qu’il ne tienne que de lui seul tout ce qu’il possède, il en résulte qu’il ne dépend de qui que ce soit, du moins en ce qui concerne son existence et ses forces » (p. 136).

De sorte qu’à la première propriété de l’infini, on a ajouté, on ne sait pourquoi, la conception de la toute-perfection, qui a cependant un sens tout autre que l’infini. Et l’aséité et l’indépendance, qui d’après les définitions de l’auteur lui-même sont une même conception, sont séparées.

« 4o L’immensité », qui n’est qu’un synonyme de l’infinité, est unie tout d’un coup à l’omniprésence, qui n’a rien de commun avec cette conception. Ensuite : « 5o l’éternité et 6o l’immutabilité » sont de nouveau séparées, bien qu’elles correspondent à la même conception, car le changement ne se passe que dans le temps, et le temps n’est que la conséquence du changement. « 7o La toute-puissance est définie comme conception de la force non bornée, tandis que jusqu’ici, rien n’a été dit de la force, et qu’on n’en dira rien dans la suite. Mais ce n’est pas tout, bien loin de là. Après la découverte de l’essence de Dieu en soi-même (§ 17), on nous découvre les attributs essentiels de Dieu (§ 18), et de ces attributs essentiels de Dieu, on découvre maintenant les attributs essentiels de Dieu en général (§ 19, p. 128).

Et nous aurons encore la découverte des attributs, d’abord de l’intelligence de Dieu (§ 20, p. 151), ensuite de la volonté de Dieu (§ 21, p. 160).

« On peut examiner l’intelligence de Dieu sous deux points de vue : sous le point de vue théorique et sous le point de vue pratique, c’est-à-dire en elle-même et par rapport à ses œuvres. Là, nous acquérons l’idée de l’un des attributs de cette intelligence, l’omniscience ; ici, celle du second, la souveraine sagesse » (p. 151).

En effet, Dieu sait tout, que sait-il encore quand il a la sagesse ? ? À la page 157, on trouve :

« La souveraine sagesse de Dieu, c’est la connaissance la plus parfaite des meilleurs buts et des meilleurs moyens, et en même temps l’intelligence la plus parfaite de la manière d’appliquer les derniers aux premiers. »

« La connaissance la plus parfaite des meilleurs buts et des meilleurs moyens ». Mais comment l’être infini peut-il avoir des buts ? Quelle conception du moyen peut-on appliquer à un être tout-puissant ? Mais c’est peu :

« L’Écriture expose dans le plus grand détail les objets de la science divine ; elle atteste, en général, que Dieu sait tout, et en particulier qu’il se connaît Lui-même, et qu’il connaît tout ce qui est en dehors de Lui ; qu’il connaît tout ce qui est possible et tout ce qui existe réellement, le passé, le présent et l’avenir » (p. 151).

Ensuite, par les citations de la Sainte Écriture, on prouve que Dieu connaît : a) tout ; b) soi-même ; c) tout ce qui est possible ; d) tout ce qui existe réellement ; e) tout le passé ; f) le présent ; g) l’avenir. Mais Dieu est en dehors du temps ? Comment le passé et l’avenir peuvent-ils exister pour lui ? Dieu est en dehors de l’espace ; c’est un être illimité, présent partout ; comment peut-il exister quelque chose en dehors de lui ? En dehors signifie au delà, au-dessus des limites. Je n’exagère pas ; au contraire, je m’efforce d’atténuer la stupidité des expressions. Qu’on lise les pages 152-154. Mais, que dis-je : ouvrez au hasard ces deux volumes et lisez. C’est toujours la même chose, et plus on avance, plus apparaît l’inanité de la pensée et du verbe.

« On peut considérer la volonté de Dieu sous deux points de vue différents : en elle-même et dans son rapport avec les créatures. Là, elle se présente à nous souverainement libre dans son essence et souverainement sainte dans sa libre activité ; ici nous la voyons d’abord souverainement bonne, la bonté étant la première et principale cause de toutes les actions de Dieu par rapport aux créatures, tant raisonnables que dépourvues de raison ; ensuite, par rapport aux créatures raisonnables en particulier, vraie et fidèle, en tant qu’elle se révèle à ces créatures comme loi morale pour leur volonté et comme promesses ou mobiles moraux, destinés à les porter à l’observation de cette loi ; enfin, juste, en tant qu’elle suit les actions morales de ces créatures et leur rend selon leurs mérites. Voici donc les principaux attributs de la volonté de Dieu, ou, plus exactement, les principaux attributs de Dieu en sa volonté souveraine : liberté illimitée, sainteté parfaite, bonté infinie, entière véracité et fidélité, et suprême justice » (p. 160-161).

Dieu est infini, illimité et libre, et cela se prouve par le texte. Et comme toujours les textes montrent que ceux qui ont écrit et prononcé ces paroles ne comprenaient pas Dieu, qu’ils s’approchaient seulement de sa compréhension et parlaient d’un Dieu puissant quelconque, païen, et non du Dieu auquel nous croyons :

« C’est moi qui ai créé la terre, les hommes et les bêtes qui sont sur la face de la terre, par ma grande puissance et par mon bras fort, et j’ai donné la terre à qui il m’a plu « (Jer., xxvii, 5).

« Je ferai miséricorde à qui il me plaira de faire miséricorde, et j’aurai pitié de qui il me plaira d’avoir pitié. » (Rom., ix, 15 ; comp. Ex., xxxiii, 19.) « Il fait tout ce qu’il lui plaît soit dans les armées célestes, soit parmi les habitants de la terre, et nul ne peut résister à sa main puissante, ni lui dire « Pourquoi avez-vous fait ainsi ? » (Dan., vi 32 ; comp, Job. xxiii, 13). « C’est le Très Haut qui a la domination sur les royaumes des hommes, et qui les donne à qui Il lui plaît » (Dan., iv. 14, 22, 29). « Le cœur du roi est dans la main du Seigneur ; Il le fait tourner de tel côté qu’Il veut. » (Prov., xxi, 1) (p. 161-162).

La sainteté parfaite, cela veut dire :

« … Qu’Il est parfaitement pur de tout péché et même qu’Il ne peut point pécher ; que, dans toutes ses actions, Il est entièrement fidèle à la loi morale ; que, par conséquent aussi, Il hait le mal et n’aime que le bien dans toutes ses créatures (p. 164). »

Alors la sainteté consiste en ceci, que Dieu ne « pèche pas », et encore qu’il hait le mal. Et de nouveau la confirmation de ce sacrilège est empruntée à la Sainte Écriture :

« Bonté infinie. La bonté de Dieu, c’est l’attribut en vertu duquel Il est toujours disposé à communiquer et communique réellement à ses créatures autant de biens que chacune d’elles peut en recevoir par sa nature et sa position (p. 167).

Et voici comment est confirmée cette bonté. La bonté est « la cause principale de la création et de la providence » :

« Depuis l’origine des siècles, Dieu exista seul, jouissant de la félicité suprême, n’ayant besoin de rien ni de personne ; mais, uniquement par son infinie bonté, Il résolut de faire participer d’autres créatures à sa félicité, et Il leur donna l’existence. Il les doua des perfections les plus variées, et ne cessa de leur accorder libéralement tous les biens qui leur sont indispensables pour jouir de l’existence et goûter le bonheur. » (p. 170-171).

Depuis l’origine des siècles, c’est-à-dire un nombre infini d’années, Dieu était seul dans la béatitude, et avec sa sagesse ne songeait pas à créer le monde. De sorte que la bonté est comprise de telle façon qu’on ne peut pas appliquer à la conception de Dieu la conception du mal, et cette conception est déformée, rapetissée à la représentation la plus basse et la plus sacrilège.

« La suprême vérité et fidélité. — Nous professons que Dieu est vrai et fidèle (ἀληθινός, πιστός, verax, fidelis), parce que tout ce qu’il révèle à ses créatures, Il le leur révèle en toute vérité et certitude, et qu’en particulier, tout ce qu’Il leur fait entendre, promesses ou menaces il l’exécute ou l’exécutera immanquablement. »

Fidèle à qui ? Et les conceptions de la menace, de la punition du mal, appliquées à Dieu ! Et les textes qui confirment que Dieu ne peut mentir !

« La souveraine justice. Sous le nom de justice (διϰαιοσύνη), on comprend ici en Dieu l’attribut en vertu duquel Il rétribue ses créatures morales chacune suivant ses mérites, c’est-à-dire récompense les bons et punit les méchants » (p. 172-174).

Dieu, toute bonté, punit par la souffrance éternelle des péchés commis par les hommes dans une vie provisoire ! Et cela est confirmé par les textes :

« … et où les impies entendront la redoutable sentence que prononcera contre eux le Juge inexorable : « Allez loin de moi, maudits, au feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges. » (Matth., xxv, 41). Elle atteste encore que « le Seigneur frappera d’indigence la maison de l’impie ». (Prov., iii, 33 ; Comp., xv, 25) ; « qu’Il fera retomber sur les méchants leur iniquité et les fera périr par leur propre malice. » (Ps., xciii, 23.) Elle appelle Dieu un feu dévorant : « Notre Dieu est un feu dévorant. » (Hébr., xii, 23 ; Deut., iv, 24.) Enfin elle lui attribue, par anthropologie, la colère et la vengeance : « On y découvre aussi la colère de Dieu, qui éclatera du ciel contre toute l’impiété et l’injustice des hommes qui retiennent la vérité de Dieu dans l’injustice. » (Rom., i, 18 ; comp. Ex., xxxii, 10 ; Nombres, xi, 10 ; Ps., ii, 5, 12 ; lxxxvii, 16 ; Ez., vii, 14). « C’est à Moi que la vengeance est réservée, c’est Moi qui la ferai, dit le Seigneur. » (Rom., xii, 19 ; Hebr., x, 30 ; Deut., xxxii, 35). « L’Éternel est le Dieu des vengeances » (Ps. xciii, 1, p. 175-176).

Cette contradiction évidente n’arrêterait pas davantage l’auteur que les précédentes, dans chacune des sections des attributs de Dieu. Mais dans ce cas il s’arrête, car cette contradiction a été remarquée depuis longtemps, a soulevé des objections, et les Saints Pères, sur l’autorité desquels s’appuie tout le livre, ont écrit sur ce sujet. Voici ce qu’ils en ont dit :

« Le vrai Dieu doit nécessairement réunir la bonté et la justice ; sa bonté est une bonté toute juste, et sa justice, une justice toute bonne ; il reste juste même lorsqu’il nous pardonne nos péchés et nous fait grâce, il reste bon même lorsqu’il nous châtie pour nos péchés, parce qu’il nous châtie comme fait un père, non point par colère ou par vengeance, mais pour nous corriger et dans notre intérêt moral ; et par conséquent ses châtiments mêmes sont bien moins des preuves de sa justice que de sa bonté paternelle et de son amour pour nous » (p. 176).

On se demande comment résoudre la contradiction entre la bonté et la justice ? Comment Dieu qui est bon peut-il punir les péchés par le feu éternel ? Ou il n’est pas juste, ou il n’est pas bon. Il me semble que la question est claire et légitime, et l’auteur a l’air d’y répondre en citant les autorités d’Irénée, de Tertullien, de Clément d’Alexandrie, de Chrysostôme, d’Hilaire, d’Augustin. Il y a beaucoup d’autorités, mais qu’ont-elles dit ? Elles ont dit : Vous demandez si la souffrance éternelle pour le péché provisoire existe. Dieu est-il bon et juste ? Nous répondons : Dieu est bon et juste. « La bonté de Dieu est la bonté juste, et sa justice, la justice bonne ». Mais c’est précisément ce que je demande : Comment cela peut-il être ? Dieu juste et bon punit, par la souffrance éternelle, le péché temporaire, et vous dites : Il punit comme un père, dans notre intérêt moral ; ses châtiments sont le témoignage de sa bonté, de son amour. Quelle correction, quel amour y a-t-il ici, quand pour un péché temporaire on brûle dans le feu éternel ?

Mais l’auteur estime que tout est expliqué, et il termine tranquillement le chapitre par ces mots :


« La saine raison doit également reconnaître que Dieu est souverainement juste. Tout acte d’injustice envers le prochain ne peut provenir en nous que de deux causes ; l’ignorance ou l’erreur de notre raison, et l’inconstance de notre volonté. Mais en Dieu aucune de ces deux raisons ne saurait exister ; Dieu est un Être omniscient et souverainement saint ; Il connaît toutes les actions, même les plus secrètes, des créatures intelligentes et peut les apprécier à leur valeur ; par sa nature il aime tout ce qui est bien et déteste tout ce qui est mal. Ajoutons enfin que Dieu est aussi un Être tout-puissant, qui, par conséquent, possède tous les moyens possibles de rendre à chacun suivant ses mérites » (p. 177, 178).

J’ai cité pour qu’on voie que je n’omets rien. C’est là tout ce qui résout la contradiction. La découverte de la substance de Dieu en lui-même et de ses attributs essentiels est terminée. Qu’est-ce donc ?

On a commencé par dire que Dieu est incompréhensible, puis on a ajouté qu’il est compréhensible imparfaitement. Cette connaissance imparfaite nous est révélée ainsi que l’unité de Dieu, qui est un, et non deux ou trois. C’est-à-dire qu’à la conception de Dieu est appliquée celle du nombre, impropre à lui, d’après la première définition. Puis, il est révélé qu’en ce qui concerne Dieu, compréhensible imparfaitement, nous connaissons cependant la différence entre son essence et ses attributs. La définition de l’essence de Dieu se borne à cela qu’il est esprit, c’est-à-dire un être immatériel, simple, qui rejette par là même toute division. Mais il est ensuite révélé que nous connaissons les attributs de cet être simple et que nous pouvons les classer.

Quant au nombre de ces attributs, il est, dit-on, incalculable ; toutefois, de ce nombre incalculable d’attributs, on nous en cite quatorze. Après quoi, tout à fait à l’improviste, on nous apprend que cet être simple, cet esprit, se distingue des autres êtres, et qu’il possède en plus l’intelligence et la volonté. (Que faut-il entendre par l’intelligence et la volonté d’un être simple, d’un esprit ?… On n’en dit rien.) Et, se basant sur ce que l’être, simple, possède l’intelligence et la volonté, les quatorze attributs sont répartis en trois sections :

i. « Attributs de l’essence de Dieu, en général », (je ne change rien, je n’ajoute rien), eux-mêmes divisés ainsi : a) les attributs de l’essence de Dieu, en général, qui le distinguent en général (sic) des autres êtres ; b) les attributs essentiels de l’être divin, en général, qui le distinguent en particulier des autres êtres.

Ce qui donne ensuite : a. a) « l’infinité », et, on ne sait pourquoi, jointe à l’infinité par le signe égal : la toute perfection ; b. b) l’aséité ; c. c) l’indépendance ; d. d) l’immensité et l’omniprésence (de nouveau, tout à fait inattendu) ; e. e) l’éternité ; f. f) l’immutabilité ; g. g) l’omnipotence.

ii « Attributs de l’intelligence de Dieu » ; a) l’omniscience ; b) la souveraine sagesse.

iii. « Attributs de la volonté de Dieu » ; a) souveraine liberté ; b) sainteté parfaite ; c) bonté infinie ; d) suprême fidélité ; e) souveraine justice.

Les procédés de l’exposition sont les mêmes que ceux employés précédemment : le vague des expressions ; les contradictions masquées par les mots qui n’expliquent rien ; le rapetissement du sujet, réduit aux proportions les plus mesquines ; le mépris des exigences de la raison ; la tendance perpétuelle à coordonner par un artifice extérieur, purement verbal, les raisonnements les plus divers sur Dieu, en commençant par Abraham jusqu’aux Pères de l’Église ; et le désir de fonder toutes les preuves sur cette seule tradition. Mais dans cette section, d’où le bon sens est banni si évidemment (dès les premières propositions se rapportant à Dieu, quand on commence à définir les attributs de Dieu), dans cette section il y a un nouveau trait caractéristique : le choix des mots, qui, sans nul doute, ne signifient plus rien pour l’auteur. Il est évident qu’ici, les paroles n’ont plus aucun rapport avec la pensée, et ne suggèrent aucune idée. Longtemps j’ai fait des efforts inouïs pour comprendre ce que l’auteur entendait, par exemple, sous les divers attributs spirituels, les différences des attributs, l’intelligence et la volonté de Dieu, et je n’ai pu y parvenir, et j’ai acquis la conviction que l’auteur se propose seulement d’unir d’une façon superficielle tous les textes, et que pour lui-même, il n’existe pas de lien raisonnable entre ses propres paroles.

Le § 22 parle de ce qui se présente involontairement à chacun, quand on lui énumère les attributs de Dieu incompréhensible. Quiconque croit en Dieu, ne peut manquer de sentir combien est sacrilège cette division. Et ici, on nous dit, avec les paroles des Pères de l’Église, ce que sent tout croyant, à savoir que Dieu est incompréhensible pour notre raison, et que tous les signes, paroles, épithètes, que nous appliquons à Dieu n’ont aucune signification claire, nette, que tous se confondent en un ; que la conception de Dieu, comme le commencement de tout, inaccessible à la raison, est simple, indivisible, et que diviser Dieu, par son essence ou par ses attributs, c’est détruire la conception de Dieu.

« L’essence de Dieu et ses attributs essentiels ne sont pas réellement distincts les uns des autres et n’ont point une existence à part. Au contraire, ils ne font qu’un tout en Dieu. »

« Dieu est simple et incomplexe », dit saint Jean Damascène ; au lieu que ce qui est composé de plusieurs éléments distincts est complexe. Si donc nous prenons pour des différences essentielles en Dieu (οὐσιωδεις διαφορὰς ἐπὶ θεοῦ) l’aséité, l’éternité, l’immatérialité, l’immortalité, la bonté, la puissance créatrice, etc., dans ce cas, la Divinité, se trouvant composée de tant d’attributs divers, ne sera plus simple, elle sera complexe ; or soutenir une pareille chose, c’est le comble de l’impiété » (p. 179, 180).

L’auteur cite encore d’autres passages des Saints Pères qui confirment la même pensée. De sorte qu’on se demande à quoi servent les anciennes définitions et subdivisions. Mais ces preuves claires, indiscutables, qui se reflètent dans le cœur de quiconque croit en Dieu, comme une vérité absolue, ces preuves sont précédées d’un raisonnement, aussi inattendu qu’à propos de la compréhension et de la non compréhension de Dieu, et qui précède l’explication de chaque dogme.

Dans le dogme de Dieu, il était prouvé que Dieu est incompréhensible, ensuite, il était censément prouvé qu’il est compréhensible. Pour résoudre cette contradiction, on a inventé la doctrine de la compréhension imparfaite. Ici, on dit que l’essence et les attributs de Dieu ne sont pas distincts et ne se divisent pas, et immédiatement après, page 182, nous trouvons :

« Quoique l’essence et les attributs essentiels de Dieu ne soient pas réellement distincts les uns des autres et n’aient point une existence à part, ils sont cependant distincts dans nos conceptions, et aussi (on est fondé à le croire) en Dieu même ; de sorte que l’idée de tel de ses attributs n’est point en même temps l’idée de son essence ou de tout autre de ses attributs. »

Selon l’auteur, cette proposition découle nécessairement de la sainte Écriture, et il cite les paroles de saint Basile :

« Nos distinctions des attributs divins ne sont pas purement subjectives ; non, leur principe est en Dieu même, dans ses différentes manifestations, dans ses œuvres et ses rapports avec nous, tels que la création et la providence, bien qu’en Lui-même, Dieu soit souverainement unique, simple et incomplexe » (p. 184).

Vous pensez peut être qu’une contradiction aussi évidente des Saints Pères se trouve là par hasard ? Vous pensez qu’elle est résolue d’une façon quelconque ? Nullement. C’est ce qu’il faut à l’auteur ; en cela est tout l’esprit du § 22. Il commence ainsi :

« C’est là une question qui a été souvent débattue dans l’antiquité, et surtout au Moyen âge, tant par l’Église d’Occident que par celle d’Orient, et à la solution de laquelle on est souvent tombé dans les extrêmes. Le premier de ces extrêmes admet qu’entre l’essence et les attributs essentiels de Dieu, comme entre ces attributs eux-mêmes, il existe une différence réelle (τῷ πράγματι, realis), de façon que chacun de ces attributs constitue en Dieu quelque chose de séparé de son essence et de ses autres attributs. L’autre extrême admet, au contraire, que l’essence de Dieu et tous ses attributs essentiels sont identiques entre eux ; qu’ils ne se distinguent point, ni en réalité, ni même dans la conception de notre esprit (ἐπινοία νόησει, cogitatione), et que toutes les différentes qualités qu’on attribue à Dieu, comme, par exemple, l’aséité, la sagesse, la bonté, la justice, désignent en Dieu une seule et même chose. En suivant strictement la doctrine que l’Église orthodoxe puise dans la Révélation et professe sur l’essence et les attributs essentiels de Dieu, nous devons convenir que ces deux extrêmes sont également éloignés de la vérité ; qu’il est inadmissible, d’un côté, que l’essence et les attributs essentiels de Dieu soient réellement distincts les uns des autres et aient une existence à part ; de l’autre, qu’il n’y ait entre eux aucune différence même dans nos conceptions » (p. 178, 179).

L’Église orthodoxe enseigne que les deux propositions sont également loin de la vérité. Laquelle est le plus près de la vérité ? On ne le dit pas. On a formulé deux opinions contradictoires et on n’a rien dit pour leur solution. J’ai relu très attentivement les cinq pages : pas un mot indiquant comment la comprendre. Il n’y a rien. La conclusion du paragraphe est la suivante :

« Sous ce rapport, les paroles du bienheureux Augustin ne sont pas moins remarquables : « Autre chose est d’être Dieu, autre chose est d’être père. Quoiqu’en Dieu la paternité et l’être soient une seule et même chose, on ne saurait dire néanmoins qu’en vertu de sa paternité le Père soit Dieu, qu’il soit souverainement sage. Ce fut là une idée bien arrêtée (fixa) chez nos pères, et ils repoussaient les Eunomiens comme coupables d’une grave erreur, en ce qu’ils supprimaient toute distinction entre l’essence de la Divinité et ses attributs » (p. 185).

Le chapitre est terminé. Mais de savoir si les Eunomiens ont raison, et en quoi sont remarquables les paroles de saint Augustin, de cela on n’a cure. Comment faut-il donc comprendre ? Les paroles de Jean Damascène sont justes ; l’auteur lui-même le reconnaît. Comment les mettre d’accord avec les paroles de saint Augustin ? Et celles-ci sont-elles justes ou non ? L’auteur ne croit pas nécessaire d’y répondre, et clôt le chapitre.

Dans le paragraphe précédent, sur l’essence et les quatorze attributs de Dieu, j’étais frappé de cette absence absolue de toute pensée et de cette gymnastique des mots contradictoires ou synonymes, dans les ténèbres complètes. Mais ici, il y a encore un nouveau trait : une négligence extraordinaire, qui blesse non seulement la raison mais le sentiment, négligence pour moi et tous les fidèles qui écoutons les enseignements de l’Église. Dans ce paragraphe, on pose tout simplement une contradiction et l’on dit : cela est blanc, et en même temps ceci est noir, et on ne peut pas dire que c’est blanc, et on ne peut pas dire que c’est noir. L’Église nous prescrit de reconnaître l’un et l’autre, c’est-à-dire que le blanc est noir et que le noir est blanc. De sorte qu’ici s’exprime déjà l’obligation de croire non seulement ce que dit l’Église, mais d’employer son langage.

Puis vient le § 23. Application morale du dogme. L’application morale du premier dogme, du dogme de l’unité de Dieu, m’a frappé seulement par son inconséquence. Ses règles morales enseignées en se basant sur l’unité de Dieu n’étaient évidemment pas tirées de là, mais tout simplement appliquées aux paroles : Dieu est unique, nous devons être unis… etc.

Mais ayant rencontré la deuxième application et parcouru dans l’œuvre entière toutes les règles morales inévitablement appliquées à chaque dogme, m’étant rappelé ce qui est dit dans l’introduction : que les dogmes de la religion et les lois de la morale sont révélés aux hommes par Dieu et sont indissolublement unis, j’ai compris que ces applications ne sont point accidentelles, mais qu’elles ont une bien grande importance, puisqu’elles montrent l’application des dogmes à la vie, et j’y ai prêté plus d’attention. Voici l’application du dogme sur l’essence et les attributs de Dieu :

« i. — Dieu, par son essence, est un Esprit, et, par le principal attribut de son essence, qui embrasse tous les autres, un Esprit infini, c’est-à-dire souverainement parfait, grand et glorieux.

« Apprenons donc, avant tout, à révérer et à aimer Dieu. En effet, qui doit-on révérer, qui doit-on aimer, sinon l’Être le plus parfait, lorsque toute perfection excite naturellement en nous ces deux sentiments ? Mais l’amour de Dieu réuni à sa vénération, c’est le fondement de tous nos devoirs envers lui (Matth., xxii, 37).

« Apprenons en même temps que notre amour pour Dieu, et notre culte doivent être sincères et spirituels : « Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité, » a dit le Sauveur (Jean, iv, 24) ; toute adoration extérieure au culte ne peut avoir de prix que lorsqu’elle est l’expression de l’adoration intérieure ; autrement elle n’est point agréable à Dieu (Is., i, 11, 15), et, suivant les paroles du Prophète, « le sacrifice qu’il agrée, c’est un esprit brisé de douleur » (Ps., i, 17). Sublime et sans partage, car Dieu surpasse infiniment en perfection tous les autres êtres pour lesquels nous pouvons avoir du respect et de l’amour, et par conséquent s’il est quelqu’un que nous devions aimer et respecter de préférence, c’est Lui ; nous devons l’aimer et le révérer de tout notre cœur, de toute notre âme, de tout notre esprit et de toutes nos forces (Marc, xii, 30). Enfin, profondément religieux. Si les Séraphins eux-mêmes, qui entourent dans le ciel le trône du Seigneur tout-puissant, incapables de soutenir la splendeur de sa gloire, se voilent la face de leurs ailes, en se disant les uns aux autres : « Saint, Saint, Saint, est le Seigneur, le Dieu des armées ! la terre est remplie de sa gloire… » (Is. vi, 2, 3) à combien plus forte raison, nous, les plus chétives et les plus faibles de ses créatures spirituelles, ne devons-nous pas nous sentir saisis d’un pieux tremblement lorsque nous lui offrons l’hommage de notre adoration ! (Ps., ii, 11).

« Apprenons encore à glorifier Dieu de cœur et de bouche, par nos pensées et par notre vie, nous rappelant ces paroles du Psalmiste : « Offrez au Seigneur l’honneur et la gloire. Venez offrir au Seigneur la place due à son nom, parce que le Seigneur est grand et infiniment louable, et que sa grandeur n’a point de bornes. » (Ps., xiv, 7, 8, 4 ; cxliv, 3).

« Et cette recommandation du Sauveur : « Qu’ainsi luise votre lumière devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils glorifient votre Père qui est dans le ciel. »(Matth., v. 16).

« Apprenons enfin à tendre vers Dieu comme vers notre souverain bien, et à ne chercher qu’en Lui seul notre pleine tranquillité en répétant avec David : « Qu’y a-t-il pour moi dans le ciel ? et que désiré-je sur la terre, sinon Vous ? Ma chair et mon cœur ont été dans la défaillance, ô Dieu qui êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour toute l’éternité. » (Ps., lxxii, 25, 26). Notre esprit, avide de connaissances, désire ardemment connaître la vérité, et Dieu est la plus haute vérité. Notre volonté se sent irrésistiblement entraînée vers le bien, et Dieu est le souverain bien. Notre cœur éprouve une soif insatiable de bonheur et de félicité, et Dieu est la félicité suprême, infinie. Où trouverions-nous, si ce n’est en Lui, de quoi satisfaire pleinement les besoins élevés de notre esprit, de notre volonté et de notre cœur ? »

ii. — En réfléchissant, en particulier, sur chacun des attributs de l’essence de Dieu, qui le distinguent de sa créature, nous pouvons en tirer pour nous de nouveaux enseignements.

Et d’abord, Dieu seul existe par Lui-même, c’est-à-dire s’il ne doit rien à personne, tandis que tous les autres êtres, et nous par conséquent, Lui sommes redevables de tout, nous devons nous humilier sans cesse devant Lui, d’après la parole de l’histoire : « Qu’avez-vous que vous n’ayez reçu ? Et si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous comme si vous ne l’aviez point reçu ? » (i, Cor., iv. 7). « C’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être. » (Act., xxii, 28).

Ensuite Il est seul indépendant et bienheureux, que, par conséquent, Il n’ait nul besoin de nos biens. » (Ps., xx, 2 ; qu’au contraire « Il donne à tous la vie, la respiration, et toutes choses » (Act., xvii, 25), nous devons entretenir en nous le sentiment de notre entière dépendance de Lui et d’une soumission profonde, et, quand nous lui présentons notre offrande ou nos sacrifices, ne point croire que nous obligeons par là l’Être souverainement heureux, tout ce que nous possédons étant à Lui.

D’ailleurs, la persuasion que partout et toujours nous sommes sous les yeux de l’Être omniprésent nous dispose naturellement à nous conduire devant Lui en toute circonspection et vénération ; — elle peut nous retenir de pécher, comme elle fit jadis pour Joseph (Gen., xxxix, 9) ; elle nous donne courage et consolations dans tous les dangers, comme à David qui disait de lui-même : « Je regardais le Seigneur et L’avais toujours devant mes yeux, parce qu’Il est à ma droite pour empêcher que je ne sois ébranlé. (Ps., xv, 8). Elle nous excite à invoquer, à glorifier, et à remercier en tous lieux le Seigneur (Jean, iv, 21-24).

En nous rappelant que Dieu seul est éternel, au lieu que tout ce qui nous entoure sur la terre n’est que pour un temps et passe vite, nous apprenons à ne pas nous attacher passionnément à des biens périssables, mais à rechercher en Dieu le seul bien qui ne passe jamais (Matth., vi. 19, 20) ; « à ne point mettre notre confiance dans les princes et les enfants des hommes », qui, à chaque instant, peuvent mourir et nous laisser sans appui (Ps., cxlvi, 3), mais à concentrer tout notre espoir sur Celui, « qui seul possède l’immutabilité » (i. Tim., iv, 16) et ne nous délaissera jamais. La pensée de la parfaite immortalité de Dieu peut nous porter davantage encore à espérer exclusivement en Dieu, car les hommes sont si inconstants ! La faveur des grands et des puissants de la terre est si passagère et si chancelante ! L’amour même de nos proches et de nos amis nous fait si fréquemment défaut ! Tandis que Dieu seul est constamment le même et ne peut changer. Cette pensée peut en même temps nous exciter à l’imitation de l’immutabilité de Dieu dans le sens moral, c’est-à-dire à demeurer fermes et persévérants dans toutes les pieuses tendances de notre esprit et à suivre sans jamais dévier les sentiers de la vertu et du salut.

Une foi vivante en Dieu, comme tout-puissant, nous apprend enfin à solliciter son secours et sa bénédiction dans toutes nos entreprises : « Si le Seigneur ne bâtit une maison, c’est en vain que travaillent ceux qui la bâtissent. » (Ps., cxxvi, 1) ; à ne rien craindre et à ne pas nous laisser abattre dans les plus grands dangers, pourvu seulement que nous fassions ce qui Lui est agréable et nous rendions ainsi dignes de sa bienveillance : « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous » (Rom., viii, 31) ? mais en revanche, à le redouter et à trembler devant Lui si nous faisons ce qui est déplaisant à ses yeux : Il a le pouvoir, non seulement de « perdre notre corps » mais encore de « précipiter notre âme dans les profondeurs de la géhenne. » (Matth., x, 28.)

iii. — Si nous tournons notre attention sur les attributs de l’intelligence divine, nous y puisons également d’abondantes et salutaires leçons.

Dieu est omniscient : quelle consolation et quel encouragement pour le juste ! Que des gens qui ne connaissent pas ses vues et sont incapables d’apprécier ses actions, le calomnient ou même le persécutent, il a toujours cette précieuse conviction que Dieu lui-même voit clair dans son âme, y démêle sans erreur ses pensées et ses désirs ; qu’Il connaît tous ses exploits dans la sanglante lutte contre les ennemis du salut ; qu’Il connaît ses privations volontaires et ses souffrances imméritées ; qu’Il connaît chacun de ses soupirs, chacune de ses larmes, au sein de ses plus lourdes épreuves. Quel redoutable avertissement aussi pour le pécheur ! En vain se couvre-t-il devant les hommes du masque de l’hypocrisie ; en vain fait-il tous ses efforts pour leur dérober ses coupables intentions ; en vain accomplit-il ses iniquités dans les ténèbres, il ne peut se dissimuler qu’il existe un Être au regard duquel rien n’échappe, devant lequel « tout est nu et découvert » (Hébr., iv, 13) ; qu’il est possible d’en imposer aux hommes, mais à Dieu, jamais.

Dieu est infiniment sage. Que notre esprit et notre cœur ne se troublent donc point si, dans la vie sociale ou dans la nature, nous sommes témoins de phénomènes qui semblent menacer d’une ruine et d’un bouleversement universels ; tout cela s’exécute ou se permet en vertu des décrets de la suprême Sagesse impénétrables pour nous. Gardons-nous aussi de nous laisser abattre ou de murmurer contre Dieu si nous venons à nous rencontrer dans des circonstances difficiles ; remettons-nous-en plutôt entièrement à sa sainte volonté ; persuadés qu’Il sait mieux que nous-mêmes ce qui peut nous être avantageux ou nuisible. Apprenons enfin, selon la mesure de nos forces, à imiter sa très haute sagesse, en tendant sans relâche vers le noble but qu’Il nous assigne, et en usant, à cet effet, des moyens infaillibles qu’Il nous présente Lui-même dans sa révélation.

iv. — Enfin, chacun des attributs de la volonté divine ou nous présente simplement un modèle à imiter, ou nous inculque en même temps quelques autres instructions morales.

Dieu est appelé souverainement libre parce qu’Il ne choisit Lui-même que le bien, et le choisit indépendamment de toute impulsion ou contrainte étrangère ; c’est précisément aussi en cela que doit consister notre véritable liberté : dans la possibilité et l’habitude librement contractée de ne faire que le bien, seulement parce qu’il est le bien, et non point dans la volonté de faire indifféremment le bien ou le mal, comme on pense communément ; moins encore dans la volonté de ne faire que le mal : « Car, quiconque commet le péché est esclave du péché », a dit le Sauveur (Jean., xiii, 34) ; même toutes les fois que nous faisons le mal, nous perdons une portion de notre liberté, en nous assujettissant de plus en plus à nos passions et aux séductions impures que nous devrions au contraire dominer.

Dieu est souverainement saint, et Il nous donne ce commandement : « Soyez saints, parce que Je suis saint ; car Je suis le Seigneur votre Dieu » (Lev., xi, 44). Sans cette condition, jamais nous ne pouvons mériter de jouir d’une union intime avec le Seigneur ; en effet, « Quel commerce peut-il y avoir entre la lumière et les ténèbres ? » (ii Cor., vi, 14.) Jamais non plus nous ne serons admis à le voir face à face ; car « ceux-là seulement qui ont le cœur pur verront Dieu. » (Matth., v, 8 ; comp. Hebr., xii, 14.)

Dieu est infiniment bon pour toutes ses créatures, et en particulier pour nous ; nous devons donc Lui rendre grâce pour tous ses bienfaits, et répondre à sa tendresse de père par un amour vraiment filial : « Aimons-le puisque c’est lui qui nous a aimés le premier. » (i, Jean, iv, 19.) Nous devons être nous-mêmes bons et miséricordieux à l’égard de notre prochain : « Soyez donc plein de miséricorde comme votre Père est plein de miséricorde. » (Luc, vi, 36.) Nous devons encore implorer hardiment son secours dans tous nos besoins, avec une ferme confiance d’être exaucés (Matth., vii, 11), pourvu seulement que nous ne demandions pas mal. (Jacq., iv, 3). Nous devons enfin ne jamais désespérer de notre salut, quelque graves que soient nos transgressions, nos iniquités, mais nous adresser avec un sincère repentir au Père céleste, qui « ne veut point la mort du pécheur qui meurt », mais lui dit : Revenez et vivez. (Eg., xviii, 32.)

Dieu est parfaitement sincère et fidèle. Voilà le fondement inébranlable de notre foi : tout ce que Dieu nous communique dans sa révélation, nous devons le recevoir et le garder avec une aveugle soumission, quoiqu’il s’y trouve bien des choses que nous ne comprenons pas. C’est aussi le fondement de notre espérance ; Il accomplira sans doute ce qu’il nous a promis ; Il l’accomplira, sinon ici-bas, du moins dans l’éternité. C’est là, en même temps, pour nous, une leçon vivante ; c’est une invitation à nous éloigner nous-mêmes de tout mensonge, à parler à notre prochain dans la vérité (Eph., iv, 25) et à tenir fidèlement notre parole lorsque nous avons fait quelque promesse au prochain ou contracté avec lui quelque engagement.

Dieu est infiniment juste. Quelle influence pourrait avoir sur notre moralité cette seule pensée, si nous la conservions vive et profonde dans notre esprit et dans notre cœur ! Elle nous préserverait du péché et nous porterait au repentir, en nous montrant sans cesse le glaive redoutable du Seigneur invisiblement suspendu sur la tête du coupable et le feu éternel qui attend les pécheurs endurcis au-delà de la tombe. Elle nous exciterait à la vertu et nous consolerait, nous fortifierait et nous encouragerait sur sa pénible voie, en nous rappelant ses biens sublimes et éternels qui attendent les justes dans la demeure du Père céleste. Enfin, en nous représentant sans cesse l’image du Juste et Rémunérateur qui ne fait point acception de personne, elle nous apprendrait à être nous-mêmes justes et impartiaux à l’égard du prochain, et à « rendre à chacun ce qui lui est dû. » (Rom., xiii, 7, p. 183-191.)

Tout cela n’a pas de sens, et n’offre pas même ce caractère superficiel que les Français appellent « l’à propos ». En effet, quelle peut être l’application morale du fait que Dieu est seul, incommensurable, esprit et trinité ? Le plus remarquable, ce n’est donc pas que l’exposition de cette application morale du dogme soit embrouillée, mal écrite, c’est de l’avoir acculée à ce dogme qui ne saurait trouver aucune application. Et malgré nous, il nous vient en tête : Pourquoi dois-je connaître ce dogme incompréhensible, plein de contradictions, puisque, de cette connaissance, il ne peut rien résulter pour personne ?