Curiositez inoüyes/Édition 1629/12

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Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅻ.
A sçavoir si on peut lire quelque chose dans les Nuës, & dans tout le reste des Metheores?


SOMMAIRE.
  1. Lecture és Metheores, en combien de façons.
  2. Batailles & prodiges espouventables veus en l’air.
    1. Raisons de ceux qui croyent ces prodiges supernaturels.
    2. Raisons contraires. Anges & Saincts qui paroissent quelquesfois és nuës, quels?
    3. Curieuse & nouvelle opinion sur la diverse figure des Nues: & conjecture sur le secret de Thriteme, pour faire entendre des nouvelles de loin.
    4. Resolution sur Les prodiges veus dans les Nües.
    5. Pluyes de sang en figure de Croix, non naturelle contre Cardan.
    6. Manne marquée d’un ו Vav, selon quelques Rabbins, & quelle consequence en pouvons nous tirer contre eux.
    7. Gresle en Languedoc figuree d’armes. Neige estoillee de Keppler.
    8. Arc en Ciel Hieroglyphe de la douleur.
    9. Diverses opinions sur la generation des Cometes ; & à scavoir si elles annoncent naturellement quelque malheur?
    10. Regles pour sçavoir ce que presagent les Colonnes, Espees, Boucliers, Trompettes & Fleches de feu. Lettres Hebraïques veües en clair.
    11. Caracteres imitez du vol des Gruës, & presage pris des Oyseaux.


    Je ne doute point que ceux qui font passer Averroes pour un Athee, Cardan pour un libertin, & Pomponace pour un impie; & qui charmez de la Doctrine de quelques superstitieux, ne veulent suivre que le train d’une Prophetie commune, ne trouvent estrange d’abord la proportion que je fais d’une lecture si peu cogneuë ; mais laissons les dans leur estonnement, & nous souciant fort peu de tout ce qu’ils pourront dire, puis que ce n’est pas à eux à qui nous escrivons, monstrons les secrets de ceste lecture.

    1. Premierement, Lecture presuppose quelque signe visible, soit lettres, characteres, marques, chiffres, bastons, flambeaux, dards, javelots, nœuds, filets, couleurs, trous, points, animaux & toute autre chose sensible. Or tous ces Signes, ou figures peuvent estre representees és Nuës, & la lecture que nous en pouvons faire peut estre en trois façons, par lettres & caracteres cogneus par Hierogliphes, & par marques ou Signes qui representent parfaitement, & non par Enigme ce que nous lisons ; & ces Signes sont differens des Hierogliphes, parce que les Hierogliphes representent obscurément, comme par exemple une bataille par une espee, & ceux-cy au contraire clairement, comme une bataille par une autre bataille. Toutes ces lettres, marques, & Hierogliphes ne sont pas seulement representez és Nuës, mais quelquefois en tout le reste des Metheores ; comme Commettes, Esclairs, pluye, gresle, neige, Manne, & gelee blanche, ainsi que nous verrons : commençons par les Nuës.

    2. Les marques, Signes, ou Caracteres plus intelligibles qui y sont formez sont les gens d’armes, assauts, armees, & batailles, lesquelles paroissant en ordre par plusieurs jours, font entendre aux hommes un evenement tout semblable. Or si ces prodiges ce font naturellement, ou bien par la seule puissance d’un Dieu qui nous advertit de nos crimes, nous le resoudrons cy apres, tant y a que nous ne manquons pas de voir l’effect apres le Signe, avec un estonnement à tous ceux qui reduisent toutes choses aux principes de la Philosophie. Quatre vingts ans avant que Jesus-Christ se fist homme, on vit en l’air deux armees s’entrechoquer, mais avec tant de violence, qu’on entendoit, si l’Histoire en est veritable, la course des chevaux, les voix, & le fracas des armes. Peu de temps apres on vid la verité de ceste ombre : car Marius & Sylla faisant par leurs factions une boucherie des Campagnes, furent cause de tant de sang espandu, que les Romains ne receurent jamais une plus grande perte. Lors que les Gots, les Huns, & les Lombards allerent fondre sur l’italie, les Europeans sur la Palestine, & les Turcs sur Constantinople, on veit pareillement en l’air des armees sanglantes, des hommes furieux, & des chiens si cruels, que la description en est espouventable : mais sans emprunter des Histoires d’ailleurs, l’an 1561. on observa, dit-on, des semblables prodiges en nostre France, & mesme dans Paris qui se veit tost apres plein de mille malheurs. Ces ans passez lors que le Roy tenoit Montauban assiegé, on veit à Caen sur l’entree de la nuict l’air horriblement figuré : une ville paroissoit assiegee, les Canons braquez, les Gens-d’armes rengez, & les Nuës advançant & reculant sembloient des esquadrons en ordre, monstrant de se vouloir choquer, & ce qu’il donnoit de la terreur estoit ces figures sanglantes & comme enflammees, & tout le Ciel d’une espouventable constitution.

    Les Hierogliphes & lettres dans les Nuës sont plus frequentes, mais non pas si certaines, & parce qu’on n’a pas pris la peine de les remarquer, si j’apportois ce que j’en ay observé, je serois estimé ridicule, bien que la consideration n’en doive pas estre rejettée des Curieux, comme nous verrons incontinent: car outre l’effect merveilleux que les Philosophes remarquent tous les jours és Nuës, c’est encore une chose admirable de voir

    ----Qu’elles mesmes se forment
    En cent divers portraicts dont les vents se transforment
    En centaures, Serpens, Hommes, Oyseaux, Poissons,
    Et d’une forme en autre errent en cent façons.[1]

    Descendons maintenant dans la consideration de ces prodiges, & descouvrons le secret s’il y en a.

    Ceux qui asseurent qui ne sont pas formez en vain ny par hazard dedans les Nuës se servent de ces trois raisons. La premiere, parce que leur generation est tout à fait par dessus la Nature, veu qu’on n’en peut assigner aucune cause naturelle. La deuxième, parce que leur duree n’a pareillement rien de tout ce que la Physique nous apprend: car si nous considerons la figure d’une Nuë, nous verrons qu’elle ne pourra se maintenir une heure en son entier, se dissipant incontinent & & changeant en une autre qui n’a rien de semblable; mais pour ces autres figures prodigieuses, on les a veuës par fois durer par l’espace de quarante jours, tesmoin l’Autheur de l’histoire des Machabees : qui rapporte ce qu’il s’ensuit non sans estonnement: Eodem tempore Anttiochus secundam profectionem paravit in Ægiptum. Contigit autem per universam Ierosolymam civitatem videri diebus quadraginta per aera equites discurrentes, auratas stolas habentes, & hastis, quasi cohortes, armatos, & cursus equorum per ordines digestos, & congressiones fieri cominus, & scutorum motus, & Galeatorum multitudinem gladiis districtis, & telorum iactus, & aureorum armorum splendorem, omnisque generis loricarum. Un presque semblable effect advint en la mesme ville un peu auparavant que Tite fils de Vespasian esgalast ses superbes tours aux mazures desertes, & punit ses habitans d’un crime le plus grand que le Soleil ait jamais veu : car en ce temps-là, furent veuës plus d’un jour des armees qui couroient par les Nuës; & des chariots, dont la veuë estonnoit ceux qui les contemploient. La troifiesme raison qui prouve que ces figures ne sont point par hazard, ny produites par la seule nature est, que souvent les prieres des gens de bien ont esté cause qu’on en a veu dans les Nuës qui representoient les Anges & les Saints desquels on avoit imploré l’assistance dans les malheurs qui affligent les hommes : ainsi veit on dans Aquilee S. Celestin & S. Petrone dans Bologne.

    4. Mais ceux qui soustiennent le contraire raisonnent autrement, asseurans qu’on ne voit rien dedans les Nuës qui ne puisse estre naturel: car pour la generation de ces merveilles , elle n’est pas plus incogneuë que celle des Comettes, lesquelles viennent à s’engendrer poinctuës, rondes, longues, larges, cheveluës, selon que la matiere est disposee ; de mesme la masse de la Nuë peut estre formee par le vent qui la porte, en dix mille figures estranges à nostre regard, mais toutes autres en elle mesmes ; par ainsi la premiere raison des susdits est destruite. La deuxieme a plus de force en apparence, mais en effect elle n’en a du tout point : car si l’histoire des Machabees dit qu’on veit ces espouventables armees dans les nuës durant quarante jours ; elle ne definit pas ce qu’elles estoient, mais seulement dit ce qu’elles apparoissoient à ceux qui les regardoient : Or leur veuë pouvoit estre trompee, par la forte imagination de les avoir veuës une fois, comme il arrive assez souvent en pareille matiere ; Que si on objecte qu’un seul peut estre trompé, mais non pas plusieurs, & que la mesme chose estant veuë de tous, elle ne peut estre par imagination, mais tres veritable : on respond que plusieurs aussi bien qu’un tout seul peuvent estre deceux, puis que l’imagination de plusieurs n’est pas moins forte que celle d’un seul, & que la Nuë sur laquelle on voit des Images estant espaisse & humide, les rayons de nos yeux preoccupez de l’imagination y pensent facilement voir ce que nous nous imaginons. Ceste raison est deduite plus au long par Pomponace, qui traittant un sujet difficile & hardi, pouvoit l’expedier se servir d’une autre raison que nous verrons plus facile & cogneuë sans se jetter dans des maximes d’un Philosophe qu’on a peine de concevoir. D’avantage, pour la duree excessive de ces prodiges en l’air, on peut respondre en un mot qu’elle estoit naturelle, puis que les histoires portent qu’on ne les voyoit pas continuellement, & par consequent il se pouvoit faire qu’à quelque heure du jour suivant, les vents disposassent encore en mesme façon les Nuës que le jour precedent. La troisiesme raison qui est qu’on voit souvent la figure des Anges & des Saincts dans les Nuës, n’a pareillement rien de supernaturel si elle est bien examinee : car souvent les Nuës espaisses & polies reçoivent les rayons & especes des choses d’icy bas, ce qui fait que nous les voyons comme dans une glace ; à raison dequoy Cardan dit qu’un jour à Milan on veit un Ange dans les mesmes Nuës qui causa un profond estonnement à tout le peuple, jusques à ce que Pelacanus Philosophe leur fit voir que cét Ange n’estoit que l’Image de celuy de pierre qui estoit sur le sommet du Temple de S. Godart, laquelle estoit representee dans les Nuës espaisses comme dans un miroir. De là Pompanace sans s’abandonner dans une dispute si longue & si fascheuse, pouvoit rendre raison de l’apparition en l’air de S. Celestin dans la ville d’Aquillee, & de saincte Petrone à Bologne

    5. De ceste emission des rayons & espece, quelques uns ont creu que toutes les figures que nous voyons és Nuës ne sont rien autre que l’Image d’icy bas, c’est pourquoy ils asseurent que ces armees qu’on a souvent veu en l’air estoyent les rayons des armees qui estoient en quelque endroit de la terre, & cét appareil des navires flottantes apperceuës dans les Nuës par les Romains lorsqu’ils alloient combattre contre les Genois & contre Persée dernier Roy des Macedoniens vaincu par Emile, n’estoit pareillement que l’Image de leur armee navalle qui se monstroit sur la pollissure de la Nuë: Et suivant ceste doctrine on pourroit paravanture cognoistre les armées des Roys estrangers, & faire entendre des nouvelles de loin, n’estant rien qui le peust empescher: car les difficultez qu’on a mis en avant sur la lecture d’Agrippa, qu’il disoit faire par le moyen de la Lune qui eust receu les especes des Characteres comme fait un miroir, ne s’y trouvent nullement, puis qu’icy les Nuës ne sont pas beaucoup reculees de nous, & les rayons des Characteres ou autres choses presentees, ne finiroient pas avant qu’ils y sussent parvenus, comme ils fairoient à la Lune à cause de la trop grande distance; & c’est encore paraventure le secret descouvert de Tritheme, lors qu’il promet faire entendre des nouvelles par les esprits nommez dedans son Livre, qui ne sont à mon jugement que les vents dont les uns sont plus propres à disposer les Nuës que les autres. Ailleurs nous pourrons discourir amplement de ses secrets qu’on a estimé jusques icy, ou tout à fait faux, ou diaboliques.

    6. Reste maintenant de resoudre ceste difficulté proposee: A sçavoir si ces figures veues en l’air, & dans les Nuës ne sont que les figures & Images des choses d’icy bas, & par consequent purement naturelles, & sans rien pronostiquer; ou bien basties & dressees par la providence de Dieu qui nous advertit tousjours des malheurs advenir par quelque signe visible, ainsi que nous avons dit.[2]

    La conclusion que je juge tres-veritable est celle-cy ; que certainement plusieurs de ces figures sont naturelles, engendrees ou par hazard dedans les Nües, ou par émission de l’image & especes des choses d’icy bas, comme nous venons de dire, mais qu’il y en a d’autres qu’on ne peut rapporter qu’aux merveilles de Dieu. De ceste sorte sont celles que decrit le mesme Autheur de l’Histoire des Machabees, en laquelle Judas, combattant pour la querelle du Ciel, on veit en l’air cinq Cavaliers qui poursuivirent ses ennemis avec tant de force, que plus de vingt mille demeurerent sur la place: Sed cùm vehemens pugna esset, apparuerunt adversariis de cœlo quinque in equis, frænis aureis decori, ducatum ludæis præstantes : ex quibus duo Macabæum medium habentes, armis suis circumseptum incolumen conservabant : in adversarios autem tela & fulmina iaciebant, ex quo & cæcitate confusi, & repleti perturbatione cadebant. Que si on dit que ces Cavaliers pouvoient estre l’Image & l’espece de quelques uns de l’armee, je responds que les circonstances monstrent que cela ne pouvoit estre, celle-ci estant hors de responce, que ces Cavaliers ne sembloient pas seulement combattre, mais ils combattoient veritablement contre les ennemis; que si ces foudres se fussent deschargez naturellement par la malice de quelque Nuë, les armees en eussent receu de la perte, mais puis que dans la meslee, les dards tomboient du Ciel sur les uns, & non pas sur les autres, ii faut conclurre necessairement que cét effect estoit divin, outre que ce prodige arriva paraventure le Ciel estant serain & clair, & non obscurci par quelques Nuages. Par ainsi nous sommes d’accord avec Cardan & Pomponace, que souvent on peut voir dans la rue comme dans un miroir, l’espece de la statüe de quelque Ange & de quelque saint posee au dessus quelque Eglise, ou ailleurs: ou bien que nostre veüe, peut estre deceüe & trahie par l’imagination, mais aussi que parfois ces visions peuvent estre divines, comme la Croix brillante dans les Nües veüe par Constantin, qui esprouva par apres l’effect de ces paroles qui descendoient du Ciel. In hocc signo vinces. Nos histoires Sainctes sont pleines de semblables visions qu’on ne peut donner aux puissances de la seule nature.

    7. Apres la consideration des Nues vient celle de la pluye en laquelle on ne peut rien lire que par la troisiesme espece de lecture qui est par Hiroglyphe : & de ce genre est la pluye de sang, ou de couleur rouge tombee en Suisse, l’an 1554. laquelle se formoit en Croix sur les habits. Jean François Pic a immortalisé ce prodige par une longue suite de vers, dont ceux-cy expriment nettement l’Histoire.

    Permixtamque crucem rubro spectavimus olim,
    Nec morum discrimen erat, sacer atque prophanus
    Iam conspecta sibi gestabant mysticæ, Patres
    Conscripri & pueri, conscriptus sexus uterque
    Et templa & vestes, à summa Cæsaris aula
    Ad tenuos vicos, ad dura mapalia ruris
    Cernere erat liquido deductum ex æthere signum.

    Cardan ne peut croire qu’il y eust rien d’extraordinaire en ceste pluye, parce que, dit-il, les goûtes rouges venant à tomber sur les habits se formoient en Croix, à cause que l’eau l’estendoit le long des filets, dont la tissure est faite en forme de Croix ; Mais il n’avoit pas pris garde que les Historiens de ces merveilles asseurent que les gouttes de la pluye ne se formoient pas seulement en Croix sur les habits, mais encore sur les pierres & sur la farine; consequence asseuree qu’il y avoit quelque chose de divin : & certainement ce mesme genre de pluye figuree en Croix qu’on veit au temps de Julien l’Apostat, que marquoit-elle que les souffrances de l’Eglise & l’ignominie de la Croix ? parcourez les ans 747. 783. 959. 1503. 1507. esquels on a veu des semblables prodiges, & vous verrez qu’ils n’ont esté que les figures des veritez qu’on a veu naistre : Je laisse la pluye de bled, de vin, d’huile, de miel, de rats, & des grenouilles: parce que la cause en est plus naturelle : je ne veux pas dire que parfois, ces choses ne soient des vrays Hierogliphes, comme on a veu autrefois en Allemagne, ou les Peuples qu’une disette insupportable avoit reduit au desespoir , furent consolez par la veue de quelques grains de bled qui tomberent des nues, presageant qu’il feroit grande abondance de grains, comme il arriva.

    8. Tous les autres Metheores, quoy que naturellement produits, ne laissent pas encore d’estre par fois les signes dont Dieu se sert pour nous apprendre quelque secret digne de ses grandeurs; à raison dequoy la Manne, qui cheut aux Enfans d’Israël, outre milles merveilles dont elle estoit doüee, elle portoit encore celle-ci, au rapport de quelques Rabbins, qu’on voyoit sur ses grains, le Charactere ו Vav, fort bien representé, & que ce fust la principale raison disent-ils , pourquoy les Hebreux estonnez de la nouveauté de ce Charactere, disent מן הוא Man Hou, comme voulant dire, que signifie ce ו Vav? En ce sens ils trouvent par apres mille mysteres qui ne sont point cognus, bastissant une doctrine qui est veritablement esloignee en apparence des maximes de la Theologie commune, mais en effect elle nous peut servir pour combatre l’opiniastreté de ceste nation, & en cette façon elle nous est utile: comme quand ils disent que ceste lettre qui marque six en nombre, donnoit à entendre que par six jours il falloit cueillir la Manne, & que le six leur figuroit encore la douleur & la peine dont Dieu les menaçoit s’ils murmuroient derechef contre luy.[3] Or que ce nombre disent-ils, soit le Hieroglyphe du servage & des peines, c’est que dans le Levitique[4] & ailleurs,[5] il marque le travail ; comme de travailler six jours, & pat six ans de cultiver la terre. Six ans encore le serviteur Hebreu estoit tenu de servir à son Maistre, & par six tribulations, Job fut persecuté. Mais si nous leur respondons, que tous ces mysteres sont mieux figurez à nostre Messie, seront-ils pas tenus de nous croire, puis que nos fondemens seront tirez de leur doctrine ? Et bien soit que la Manne fust marquee du Charactere ו Vav, par eux mesmes ce Charactere marque le fruict de vie, & est la marque du Messie, ainsi que le deduict un sçavant Venitien ; doncques ceste manducation qu’ils faisoient de la Manne leur pouvoit figurer la manducation qu’on feroit un jour du fruict de vie, telle que les Chrestiens la font. Davantage pour voir que le nombre de ce Charactere, qui est six, s’accorde parfaitement avec tout ce qu’on dit de Christ, c’est que par eux-mesme il y a desja long-temps que nous sommes dans le sixiesme aage du Monde, aage auquel Jesus-Christ est venu, & non pas dans les autres ; doncques il semble que ce nombre luy soit plus propre & plus sacré. Secondement, est-il question de faire entendre aux Samaritains les merveilles dignes de son amour, il s’assist aupres du puis de Jacob environ les six heures, non sans quelque mystere ; sur quoy S. Augustin dit: lam incipiunt mysteria: non enim frustra hora sexta sedet : quare hora sexta? quia ætate seculi sexta, &c. En troisiesme lieu, l’Histoire Evangelique porte[6] qu’au sixiesme mois ce divin Messie fut annoncé par l’Ange & conceu à mesme temps dans le ventre de la Vierge sa Mere. En quatriesme lieu, plusieurs tiennent qu’il nasquit la sixiesme ferie, & termina encore à la sixiesme son jeusne si austere. En cinquiesme lieu, qu’il vint six jours avant la Pasche en Bethanie, qu’on interprete, Maison d’obeïssance. En fin que la sixiesme Ferie, & sur les six heures voulut mourir pour nous sur une Croix. Voyez comme les Juifs sont sinon confondus au moins persuadez par leurs principes? Mais laissons ces mysteres, puis que ailleurs nous les examinerons à leur tour, & monstrerons plainement ce qui peut confondre les plus obstinez de ceste nation. Revenons aux Metheores.

    9. La neige, la gresle, & la gelee portent encore quelquefois des Characteres bien estranges, & dont la lecture n’est pas à mespriser. On a souvent veu de la gresle sur laquelle on a remarqué ou la figure d’une Croix, ou d’un bouclier, d’un cœur, ou d’une mort, & si nous ne mesprisions pas ces ces merveilles, nous lirions sans doute dans l’advenir la verité de ces figures hieroglyphiques. Faict quelques ans qu’en Languedoc un de mes amis se trouvant à la chasse fut estonné par le bruit extraordinaire du tonnerre & d’un vent fort violent ; il pensa de se mettre à l’abry, mais comme il estoit bien avant dans le bois, jugeant qu’avant la pluye qui suit ordinairement cét orage, il ne pourroit arriver à sa maison, il choisit la couverture d’un rocher, sous lequel apres qu’il eust demeuré l’espace d’un cart d’heure, croyant la malice du temps estoit passee avec une legere pluye, il sort pour s’en aller: mais il ne fut pas esloigné d’un jet de pierre qu’il veid tomber quelque gresle qui luy fit mediter son retour : toutesfois il pense par apres que ceste gresle n’est pas importune, veu qu’il en tomboit fort peu, & que mesme l’espoisseur & la touffe des arbres le défendoient de ses injures ; ceste consideration l’avoit porté à s’en aller tout à fait, mais comme il prit garde que ceste gresle estoit faicte à son advis autrement que la commune, il s’arreste pour la considerer: il en prend une, & veid à mesme temps, prodige espouventable ! qu’elle portoit la figure d’un casque, d’autres un escusson, & d’autres une espee. Ce nouveau prodige l’estonne, & l’apprehension de quelque malheur luy fit reprendre le chemin du rocher, où il ne fut pas plustost arrivé, qu’il tomba si grande quantité de gresle, & avec telle violence, qu’elle tua, non pas seulement les Oyseaux, mais quantité d’autres animaux. Il me souvient d’avoir veu le mesme autrefois en Provence. Cest homme donc s’en retourna apres que ceste gresle fut passee, sur laquelle il ne peut jamais remarquer les Figures qu’il avoit veu à la premiere, ce qu’il luy fit juger que ce prodige ne s’arrestoit pas à la mort de ces animaux: comme il fut tres-vray, puisque peu de temps apres, ceste Province desolee veid ses Campagnes couvertes de soldats, & ces places rebelles assiegees & assaillies avec tant de sang espandu, que le seul souvenir en sera à jamais funeste, l’Histoire de ceste gresle figuree confirme ce que Cornelius Gemma avoit remarque en ces termes. Inventa est sæpius grando qui futurarum retum manifestè, ut mortis, clypei aut pugnæ, aut crucis insculptæ imagines spectarentur. Kepler a remarqué que la neige portoit encores ses merveilles, car il en a observé en figure d’estoille, ayant parfaictement six angles d’une tres-juste proportion. On en a observé d’autres à son imitation, qui estoit ramagee, ou bien en fueillages ; d’autres dont les petits brins inesgaux avoient la figure de quelques vieilles ruynes, mais sans aucun dessein à mon opinion, la generation en estant naturelle & journaliere, ainsi qu’on peut voir chez le sus-nommé Kepler: que si ces figures n’estoient pas si frequentes paradventure marqueroient-elles quelque chose à venir aussi bien que tout le reste qui arrive extraordinairement, dont Dieu se sert pour nous advertir, comme nous verrons plus au long en la deduction des Comettes.

    10. J’avois oublié de faire cesse remarque sur l’Arc en Ciel un des plus nobles Metheores qui se forment és Nuës, que la figure dit Rabbi Kapol est toute semblable au כ Caph, des Hebreux escrit en ceste façon כ  à raison dequoy Dieu l’auroit paradventure mis pour un signe lugubre du deluge passé: car ce Charactere marque 20, qui est le nombre de douleur, ainsi lisons nous que Jacob travailla l’espace de vingt ans dans la maison de Laban : & Joseph fut vendu vingt pieces d’argent. Le volume volant dans lequel tous les pechez des hommes sont descrits, avoit en longueur vingt coudees ; & dés l’aage de vingt ans les Enfans d’Israël furent contez pour souffrir les travaux de la guerre. Chez Homere Helene deplorant son malheur se souvient de ce nombre.

    Quatuor hìciam lustra moror, quo tempore numquam
    Iratus miseræ mihi verba indigna dedisti.

    En un mot, les Poëtes aussi bien que les Prophetes, pour exprimer tout ce qui estoit triste ne se sont servis d’autre nombre ; ainsi dit-on qu’Ulisse trempa vingt ans de ses malheurs.

    Quosque tulit post tot terræ pelagique labores
    In Patriam veni iam nunc labentibus annis
    Vicenis.

    Mille exemples sur ce subjet sont advancez par Bungus, que je laisse pour passer aux Metheores Ignees.

    11. Les Comettes sont les premieres en ce genre qui nous peuvent fournir les secrets que nous descouvrons. Je sçay bien que plusieurs veulent que ces lumieres admirables ne soient point des veritables exalaisons, soit qu’il seroit impossible du costé de la Nature, veu que toute la Terre ensemble, disent-ils, convertie en exalaisons ne seroit pas suffisante de produire un corps si grand que la Comette, soit qu’on ait observé qu’elles ne sont point en l’air ains dans les Cieux. Mais soit qu’elles soient des veritables exhalaisons terrestre allumees, ainsi que veulent plusieurs des Anciens & des Modernes Picolomineus, Regiomontanus, Vogelinus & Fracastorius ; ou bien des rayons ramassez, ou des exhalaisons envoyees des Astres, comme asseure Snellius: ou bien de l’air espaissi par le froid, ainsi que le veut Fromond : ou bien de l’air espaissi & diafane, luysant & non bruslant, comme croit Puteanus : ou bien d’une matiere celeste aqueuse, ou oleagineuse, comme Kepler le prouve ; ou bien des parties espaissies de Galaxee, ainsi que soustient Ticho Brahe : ou bien, comme veut un certain Rabin ✝ Rabbi Panissahal de Animantibus æthereis. Interprete Petro cambæforte. que les Comettes soient les Animaux du Feu qui paroissent parfois à la superficie: tousjours sera-t’il veritable qu’elles nous paroissent en certaine figure, & c’est surquoy nous disputons: Or si le corps des Comettes, ou leur figure marquent naturellement les malheurs qu’on voit arriver apres qu’elles sont disparües, la cause n’en est pas encore bien cogueüe & certaine. Plusieurs veulent toutefois que le corps des Comettes allumé produit par sa chaleur une secheresse tres-grande, qui cause ordinairement la mort aux princes, & grands Seigneurs qui sont secs par soin, vieilles, puissant, vin, & viandes odoriferentes. C’est pourquoy Jules Cæsar mourut apres que semblables Comettes furent veuës. Non aliàs cœlo toties cecidere sereno Fulgura, nec diri toties arsere Cometæ Dit Virgile, par ainsi les Comettes peuvent estre des presages de la mort des grands, voire mesme la cause, non le signe tout seul, ainsi que veut Cardan. Voyez ce qu’en a dit Ericius Puteanus; Elles peuvent encore estre cause de la sterilité, & par consequent de la famine car la terre trop seche & alteree, soit pour les trop grandes exhalaisons qui en sont eslevees, ou pour l’air demesurément eschauffé, & mesme corrompu par les fumees puantes du Comette, ne peut donner aux grains une parfaite & suffisante nourriture. La Peste & toutes les autres maladies, dit Kepler, arrivent par apres, à cause de l’air corrompu, & mesme les tremblemens de terre, non pas par les vents causez par les fumees du Comette, & descendus dans les autres & lieux sousterrains, comme asseure le mesme Kepler, mais par les souffles causez naturellement dans la terre par une grande chaleur, lesquels cherchans une sortie, & ne la trouvant pas, par une estrange violence, causent ce mouvement, suivi presque tousjours de quelques maladies causees par les puantes vapeurs qui s’eslevent des antres. Dauantage l’air eschauffé, & la malice de la matiere esteinte, ou bien lors qu’elle commence à monter, eschauffant nostre sang, portent les Grands desja secs à des fureurs estranges, d’où s’ensuivent les guerres & batailles, heresies, & mille autres malheurs: Ainsi veid-on un peu auparavant les guerres du Peloponese une Comette horrible par septante cinq jours: Une autre encore devant que les Atheniens fissent tant de perte en Sicile : Une autre devant que les Lacedemoniens fussent vaincus par les Thebains; Une autre devant qu’Arius preschast son Heresie: Une autre devant le changement de l’Empire Romain, & de tout ce qu’il advint sous Claudius; on dit qu’elle dura six mois: Une autre qui predit la guerre d’Achaïe, & la destruction de Corinthe & de Thebes: Une autre devant la faillie des Gots en Italie: Une autre devant que les trouppes de Charles Quint missent Rome au pillage: Une autre qui annonça la faction des Guelphes & des Gibelins, la venuë des Bulgariens en Trace, & les guerres civiles de Cesar & de Pompee, sur quoy Lucanus escrivit,

    Ignota obscuræ viderunt fidera noctes
    Ardentémque polum ftammis, cœlóque volantes
    Obliquas per inane faces, crinemque tremendi
    Sideris, & terris minitantem bella Cometem.

    Tous ces effects peuvent veritablement provenir d’une telle cause, mais si les Cornettes ne bruslent point, & si elles ne sont point engendrees par des exhalaisons elementaires sous le Ciel, ains qu’elles soient par dessus, comme les plus sçavans Mathematiciens veulent, il nous faudra chercher d’autres causes; de façon que ceux qui asseurent que ces nouveaux feux sont des miracles ne sont pas tout a faict à rejetter : puis que du temps d’Auguste on observa une de ces Comettes, dans laquelle on voyant la figure d’un Enfant, surquoy les Devins interrogez, respondirent, que cét Enfant seroit plus Auguste & plus puissant qu’Auguste, & digne d’estre adoré par Auguste. Mais soit que les Comettes soient des effects de la seule main de Dieu, ou bien des veritables Metheores, ou bien des nouveaux Astres qui paroissent au Ciel; monstrons que leurs figures sont des mystiques Characteres, ou de certains Hieroglyphes, par lesquels nous pouvons lire en vertu de l’Analogie les biens & les malheurs qui nous arrivent. Les reigles generales sont celles-cy.

    12. La premiere, si elles sont figurees en colomne, marquent la constance de quelque Monarque, ou de quelque grand Sainct, ou bien de quelque Peuple. A ce sujet quelques Hebreux ont dit, que la Colomne de feu qui accompagnoit les Enfans d’Israël dans le desert, leur avoit esté donnee pour Hieroglype de la constance, & de la fermeté, & que ce n’estoit point une veritable Comette, quoy qu’Andreas Rosa asseure le contraire,De novo sidere. Lib. I. pag. 783 disant qu’elle estoit naturelle & nullement divine, estant l’ordre de la Nature, dit-il, de produire de deux mille en deux mille ans de semblables lumieres; ainsi deux mille ans ou environ apres la creation du monde, on vid ceste Colomne ; deux mille ans apres qui estoit le second aage, l’Estoille admirable apparust aux Mages en la naissance de Jesus-Christ; & deux mille ans apres, qui est le troisiesme aage, dans lequel nous vivons, l’Estoille nouvelle apparust en la constellation de Cassiopee. Seneque, Phavorinus, Alpetragius & Elias Thalmudiste semblent embrasser ceste creance; Mais elle n’a rien de veritable : car outre, que la Colomne de feu n’avoit pas son mouvement comme les autres Comettes, non plus que l’Estoile des Mages qui n’avoit rien de commun avec les autres Estoilles que la figure & la lumiere (estant apparuë, non dans le second aage, comme veut Rosa, mais dans le troisiesme, veu qu’on contoit en ce temps là cinq mille ans.) c’est qu’on a veu plus souvent de ces nouvelles Estoilles & Comettes, & par consequent il est tres-faux qu’elles ne paroissent que de deux mille en deux mille ans. Ainsi le docte Licetus a remarqué qu’en l’espace d’environ trente ans, c’est à dire depuis l’an 1572. jusques en l’an 1604. trois Estoilles sont apparuës de nouveau, l’une en Cassiopee, l’autre en Serpentarius, & la troisiesme au col de Cycnus.

    La deuxiesme Reigle est, que lors que la Comette, ou le Metheore ignee est rond, clair, gai, & nullement sombre, semblable à un Soleil, il peut signifier la naissance de quelque grand Prince; ainsi Justin l’Historien escrit que l’an que Mithridates nasquit, durant 70. jours, on veid une Commette (les autres disent que c’estoit une Estoille) si admirable que sa grandeur occupoit la quatriesme partie du Ciel, & de sa lumiere éclipsoit celle du Soleil : Nam, dit-il, & quo genitus est anno, & ex eo quo regnare primum cæpit, Stella Cometes per utrumque tempus septuaginta diebus ita luxit, ut cœlum omne conflagare videretur : nam & magnitudine sui quartam partem cœli occupaverat, & fulgorem sui nitorem solis vicerat, & quum orietur, occumberetque quatuor spatium horarum consumebat. Cy devant nous avons dit ce qu’on pouvoit presager par la couleur de ces Comettes.

    La troisiesme si les mesmes Comettes sont faictes en Pyramide, on verra les dommages du feu, & par Analogie ; les effects de quelque tyrannie: c’est le sentiment de Cornelius Gemma qui l’explique en ces mots. Fortaßis quæ in acuntam Pyramidem desinunt, ignis prædominia magis, & ex analogia in republica tyrannidem præsignificant.

    La quatriesme, si elles sont estendües, ondees & dissipees en forme d’eau, elles marqueront les séditions da peuple, puis que tous les Characteres Hieroglyphiques, qui representent le peuple, celuy de l’eau est le premier suivant la vision du Prophete: Aquæ multæ populi multi, & nous n’avons que trop souvent veu que mesme apres les inondations, ou de la mer ou des Rivieres, les peuples se sont souslevez.

    La cinquiesme, si elles sont en figure de Corne, Hieroglyphe de la puissance, comme on void mille fois dans l’Escriture sainte, elles predisent les grandes forces de quelque Monarque, & une puissance absolue. Les Histoires rapportant que du temps que Xerces envahit la Grece avec un million d’hommes, fut veuë un Comette de ce genre, avec une admirable splendeur.

    La sixiesme, si elles portent la forme d’une espee, presagent les desolations qu’on fera par l’espee. Ainsi vid-on durant un an entier sur la ville de Hierusalem un semblable prodige qui predit la mort de douze cens mille Juifs, au rapport de Josephe, dont la pluspart passerent par le glaive. Et l’an 1527. une Comette de pareille figure fut veuë plusieurs jours, avec cet estrange spectacle qu’on voyoit à l’entour des lances, des picques & des hallebardes, avec un si grand nombre de telles tranchees, que la seule peinture fait horreur ; les moins versez en l’Histoire sçavent les maux qui arriverent en ce temps. Que si la Comette est faite comme une trompette elle presagera tout de mesme des guerres; Mais si elle est faite ou en dard & flesche, ou bien en javelot, elle denoncera & la guerre, & la peste, dont les effets marchent viste comme une flesche. Telle fut celle de l’an 80.

    Or bien qu’en toutes les Comettes, ces diverses figures se puissent faire naturellement suivant que la matiere (posé qu’elle soit elementaire) se trouve disposee, soit en long, ou en large, en pointe, en carré, en ovalle, en triangle & en rond, d’où se font poutres ardentes, boucliers, & chevres bontissentes, ainsi appellees, non qu’elles ayent la figure de chèvre, mais ou à cause que ce Metheore a quelque chose de semblable à une barbe de chevre, ainsi qu’asseurent Philoponus, & Olimpiodorus, ou bien quel la matiere dispersee s’allume successivement, semblant imiter le saut des chevres : ou bien suivant le sentiment de Seneque que je ne puis comprendre, lors que parlant de ces Comettes, dit: Aristoles quoddam genus illorum Capram vocat, quasi ignis globum : Encore dis-je, que ces figures puissent estre naturelles, elle ne laissent pas de predire, soit par la force de la ressemblance dont nous avons parlé cy devant, ou par quelque autre moyen à nous incogneu, tout ce que nous venons de dire ; mais cela tres asseurément, puis que l’experience le monstre.

    Souvent en l’air on a veu aussi de ces Metheotes qui composoient des Characteres Hebraïques assez nettement exprimez; ainsi ce qu’on appelle Ara cœli, represente le ש Saim, le Chasma, represente le ם mem, ou bien le ס Samech, ainsi de plusieurs autres, sur lesquels toutefois je ne trouve point des secrets, au moins qui me contentent. Dans nostre Crible Cabalistique nous criblons ces mysteres, & descouvrons au long tout ce que les Cabalistes en ont escrit.

    13. Icy je pensois finir ce Chapitre : mais il vient de me souvenir que nous avons promis de traicter de toute la lecture qui se peut faire en l’air. Or une des plus naturelles, c’est celle qu’on peut tirer du vol des Gruës, desquelles S. Hierosme dit : Grues unam sequuntur ordine literato. Epist. 4. ad Rust. Monac. Elles changent donc d’ordre & de rang à mesme temps que le vent change, afin que par la diverse figure, elles puissent voler & plus aisément & plus viste: Ainsi lors que le vent leur vient par derriere, une ou deux à leur tour se rangent les dernieres, puis toutes les autres sont comme à leur abry, s’estendant en deux branches, que si le vent leur souffle par devant, elles changent incontinent tout l’ordre: car au lieu qu’elles s’estendoient en deux rangs par devant, elles s’estendent en deux rangs par derriere en la figure d’un V, une fendant l’air la premiere, & les autres la suivant s’escoulant doucement comme joinctes, faisant ainsi place au vent, qui ne trouvant presque point de resistance s’escoule à costé sans les incommoder; d’autresfois elles font un triangle parfait ou un demy cercle, comme un C, ou un rond tout entier O, comme lors que l’Aigle les attaque, se defendant parfaictement en ceste figure, en laquelle de quelque costé que l’Aigle vienne, elle ne rencontre que le bec, ainsi qu’une Cavalerie qui voulant fondre sur un bataillon ne rencontre que la pointe des picques. D’icy on void que Lucanus se trompe, d’asseurer que toutes les figures que ces Oyseaux imitent, sont par hazard & à l’adventure.

    Effingunt varias, casu monstrante, figuras 1. De bell. Pharsal.
    Mox ubi percußit tensas Notus altior alas,
    Confusos temerè immixtæ glomerantur in orbes,
    Et turbata perit dispersis littera pennis.

    Car outre qu’elles ne se rangent jamais en point d’autre figure lors qu’il leur faut combattre, on peut observer en leur vol, que lors qu’un vent cesse, & un autre vient à souffler, incontinent elles rompent leur ordre, & se rengent en une autre figure. 3. De animal. cap. 13. Ces veritez sont déduittes au long Chiliad. & alib. par Aelian, Tzetzes, Ciceron & Plutarque, 2. De Natur. Deor. Desolert. & particulierement par Aldrovandus, qui rapporte de plusieurs Anciens Animal. & in vita Thesei. Ornitol. In Xeniis que par la diversité du vol de ces Oyseaux, Palamede du temps de la guerre de Troye figura plusieurs lettres, qu’il adjousta aux premieres dont se servoient les Phœniciens, d’où Martial dit,

    Turbabis versus, & litera tota volabit
    Unam perdideris si Palamedis auem.

    Et de faict nous voyons souvent que les Gruës en volant forment avec admiration ces lettres Grecques, ν, γ, λ (n, g, l). Cassiodore dit bien davantage : car il asseure que Mercure n’inventa pas seulement par le vol de ces Oyseaux quelques unes de ces lettres, mais generalement toutes. Ses parolles sont assez considerables pour les coucher icy. Ut aliquid studiosum, & exquisitum dicere videamus, has (literas) primum, ut frequentior tradit opinio, Mercurius repertor artium multarum, volatu Strymoniarum avium collegisse memoratur: Nam hodie Grues qui classem consociant, alphabeti formas natura imbuente describunt, quas in ordinem decorum redigens, vocalibus, consonantibúsque convenienter admißis, viam sensualem reperit, per quam altèpetens ad penetralia prudentiæ mens poßit alta pervenire. On dit que les Oyes sauvages font tout de mesme que les Grues.

    Or les lettres que tous ces Oyseaux composent par leur vol ne nous monstrent que la diversité du vent, ou bien l’ordre de leur bataille, & & rien n’est autre chose. Mais les mesme batailles, leur chant & leur façon de vivre, & de se reposer n’en est pas de mesme: car souvent ce ne sont que les signes de ce qui nous doit arriver. Ainsi dit-on communément que le malade est proche de sa mort, lors qu’un Corbeau en coaçant vient se reposer ou passer sur sa chambre, aussi bien qu’un Chat-huant, & une Chouette ; Oyseaux, dit-on, qui pour ne paroistre que dans l’ombre de la nuict sont infortunez & de mal encontre. La bataille & assemblee de tout le reste des Oyseaux, & principalement des Carnaciers & qui vivent de proye, semble aussi bien souvent annoncer quelque prochain malheur : à raison dequoy Dion rapporte, que lors qu’une juste vengeance porta les armes du Triumvirat contre les complices de Pompee, on vid sur les trouppes seules de Brutus & de Cassius, un grand nombre de Corbeaux & Vaultours, qui par mille cris importuns presagerent la perte de ces deux meurtriers. Les temps qui ne sont pas si loing de nous nous fournissent une Histoire presque semblable, descrite par Æneas Silvius, qui fait Pape, fut par apres appellé Pie Ⅴ. De ce costé de la Gaule, dit-il, qui porte le nom de Belgique, & non loin de la ville de Liege, un Faucon couvant ses œufs dedans son nid, plusieurs Corbeaux qui l’apperceurent vindrent fondre sur luy, & non contents de le battre luy devorerent ses œufs, avec un bruit si inusité, que les bouviers & Bergers d’alentour qui avoient pris garde à ceste tyrannie en furent estonnez. Le faucon s’estant en fin eschappé, sans beaucoup de peine, ces Bergers pensoient que ceste querelle & ces cris cesseroient, puis que l’object en estoit esloigné, mais estrange merveille ! le lendemain on vid en ce mesme lieu si grand nombre de Faucons & Corbeaux, qu’il sembloit que tant qu’il y en avoit au monde fussent là venus pour vuider ce different, le lieu & le combat en estant comme assignez. Les Faucons estoient rangez du costé du midy, & les Corbeaux du Septentrion, & tant les uns que les autres tenoient un Ordre & une contenance si ravissante, qu’on eust dit voir des hommes armez. En fin apres qu’on eust veu quelque temps cét ordre, les uns estans comme aux gros de l’armee, & les autres aux aisles, la meslee se commença avec tant de furie qu’on veid en moins de rien les terres d’alentour couvertes des plumes & de sang, & des corps de tous les deux partis ; apres tout, les Faucons furent les maistres ; & il sembloit que puis qu’ils combattoient pour une cause si juste, la raison voulut qu’ils fussent les vainqueurs. Or que la bataille de ces Oyseaux fust un presage de la bataille des hommes qui se donna au mesme lieu, Edouuardus Scleikel le prouve par l’evenement, Rapportant de l’Histoire de l’an 1391. de Augur. que peu de temps apres deux Evesques pretendant à l’Evesché du Liege furent tellement animez, que couvrant les campages d’alentour des Soldats, ils firent voir une fin tres-funeste; Car Benoist Ⅻ. & Gregoire ⅩⅢ. dont les factions avoient pareillement introduit un Chisme dans le siege de Sainct Pierre, soustenant chacun un de ces Evesques, les porterent à de tres-grands excez. Les Liegeois en favorisent aussi un, & Jean Duc de Bourgongne l’autre ; en fin ce Duc plus puissant que son ennemy luy livre la bataille au mesme lieu où les Oyseaux l’avoient donnee, & en emporte la victoire avec la perte de trois mille Liegeois. Le mesme arriva en l’an 1484. lors que Louys d’Orleans combatit contre Charles Ⅷ. & sans m’arrester d’avantage, voyez un bon nombre de semblables presages dans le susdit Scleikel, & dans Belle-Forest, n’estant pas nostre dessein de les rapporter, mais d’en examiner la cause. Nous disons donc que les Oyseaux peuvent presager naturellement les malheurs qui doivent arriver, si on en excepte ceux qui dependent de la volonté des hommes, comme de livrer une bataille, ou ne la pas livrer : car en ce sens tous les presages ne servent de rien, & si les batailles susdites ont esté observees apres celles des Oyseaux, ce n’est pas que les Oyseaux les ayent peu predire, mais celà est arrivé par hazard que les Oyseaux se soient battus en l’air devant ou à mesme temps que les hommes se soient battus en terre : ou bien que Dieu se serve extraordinairement de ces Signes, comme nous avons touché cy devant, afin de nous preparer contre les maux qui nous doivent assaillir. Tenons nous dans les causes naturelles. Nous pouvons presager le beau temps, la pluye, ou le tonnerre, la Peste, le renversement des Villes & des Montagnes & la mort naturelle des hommes par le naturel des Oyseanx, & ce en trois façons ; La premiere par leur vol, la deuxiesme par leur chant ou leur cry, & la troisiesme par leur fuitte. Celle-cy nous marque la prochaine ruine des Villes & des Montagnes, la Peste & la famine; & les deux autres les changemens de l’air, & la mort naturelle des hommes. Je m’estonne toutesfois que la pluspart des Historiens qui ont descrit ces presages, n’en ayent pas donné la cause naturelle. Ils diront bien que lors qu’il doit pleuvoir, certains Oyseaux voleront sur le bord des Rivieres, mais non pas ce qu’il les porte plustost là qu’ailleurs, ainsi de tout le reste. Mais puis que toutes ces actions ne se font pas sans quelque subjet, monstrons-le icy en deux mots. Il est certain que les Oyseaux qui sont tousjours en l’air ont un plus grand sentiment de tout ce qu’il s’y fait que nous, à raison de quoy à tous ses changemens ils ont acoustumé de faire quelque signe, comme de chanter un certain ramage plaisant lors que l’air est serain & calme, au contraire de changer leur chant en un autre plus triste lors que le mesme air se doit troubler & espaissir, & voler sur le bord des Rivieres, lors qu’il doit se resoudre en pluye, principalement ceux qui se plaisent à manger des vers qui estant plus frequens sur le bord des eaux à cause de la corruption & de l’humidité sortent sur terre lors qu’il commence à faire un temps humide, & c’est la raison pourquoy les Corneilles suivent les rivages des fleuves lors qu’il doit pleuvoir. Secondement, si l’air commence à estre contagieux, ils se sentent incommodez, c’est pourquoy ils s’en vont, & quittent la contree, quoy que grasse & fertile, & qu’elle leur fournisse à manger plus qu’une autre. Tiercement ils s’envolent encore d’une Ville, ou d’une montagne qui doit bien tost se renverser & s’escrouler, parce que la Montagne ou la Ville se renversant, non subitement comme il nous semble, mais petit à petit, il se faict de certaines fentes & ouvertures en terre d’où sort un air si contagieux, que les Oyseaux qui ont un sentiment bien plus subtil que nous venant à le sentir, s’enfuyent & s’envolent ailleurs : ainsi ceux que nous avons rapporté dans le texte de Rabbi Elcha s’envollerent , mesmes jusques les Poulles, lors que la Ville dans laquelle elles estoient vint à estre ensevelie sous la ruyne de deux Montagnes. Nous avons encore dit qu’en un village de Suisse, nommé Plours, les Abeilles firent le mesme. La similitude d’un homme mourant exprime ceste verité : car en ses derniers abois, les pores venant à s’entrouvrir par un effort de la Nature, jettent au dehors une sueur ou un air si corrompu, que les poux le sentant s’enfuyent. On dit le mesme des Rats, fuyant les prochaines ruynes d’une maison. Et de fait il n’y a nulle doute que l’air enfermé dans les trous, ou d’une Montagne, ou des fondemens d’une Ville, ou des murailles d’une maison, ne soit corrompu, & gasté, & venant à estre exhalé, ne soit grandement dangereux à tous ceux qui le respirent. En ce sens on peut comprendre ce que Cardan asseure, qu’une Ville est proche de sa ruyne lors gue les Corbeaux vont croassant dessus plus que de l’ordinaire, puis que ces Oyseaux sentant l’air puant qui en sort, pensant que ce soit de la charongne, de laquelle ils sont si goulus, dit Ælian, que perchez sur un Arbre, ou bien volant en l’air, ils tournent à tout vent, afin qu’en ayant l’odeur ils y accourent pour s’en saouler. Par Ceste mesme raison s’ils viennent à passer par dessus une Maison où il y a des malades, & qu’ils se perchent au dessus, & crient plus que de coustume, ils sentent, par un air qui sort de la Chambre du malade, sa prochaine mortalité. Par ainsi l’Aruspicine des Anciens n’estoit point tout à fait ridicule ny digne de la mettre au rang de la folie, & de la superstition, ainsi que Delrio faict. Je ne puis que je ne me moque en suitte de ceux qui font passer Apollonius, Thyanæus, pour un Sorcier & Magicien, à cause qu’il sçavoit interpreter la voix des Oyseaux ; comme si l’experience ne nous pouvoit apprendre tous les jours ce secret, & que nous vissions que la Poule appellant ses petits, use tousjours d’un certain chant, & d’un autre ton different apres qu’elle a pondu, & d’un tout dissemblable lors qu’elle a quelque peur, de façon qu’oyant le chant de la Poule je puis dire, elle a trouvé quelque grain, & elle appelle ses petits, ou bien qu’elle a pondu, ou bien qu’elle est espouventee ; Qui peut empescher qu’on ne puisse par une longue experience observer le mesme en tout le reste des Oyseaux? Pour les autres presages qu’on peut tirer d’eux, & qui sont plus communs, on n’a qu’à consulter Ciceron, Virgile, Alchindus, Firminus, Hieronymus Tortus, Federicus Bonavantura, Augustinus Niphus, Aliacensis, Minerva, Guillaume Gratarolle, & Anthoine Mizaud.


    1. Ronsard, au premier livre des Hymnes.
    2. Chap.3.
    3. Exod.6.
    4. Lævit. 25
    5. Exod. 21
    6. Luc I. 26
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