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Curiositez inoüyes/Édition 1629/5

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Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅴ.
Preuve de la puissance des Images artificielles par les naturelles, empreintes aux pierres & aux plantes, appellées vulgairement Gamahé ou Camaieu, & Signatures.


SOMMAIRE.
  1. Division des Figures ou Images Naturelles. Gamahé ou Camaieu, tiré paradventure du mot Hébreu כמייה chemaia.
  2. Plusieurs rares Gamahes, ou pierres naturellement peintes; & pourquoy plus frequentes és païs chauds, qu’aux froids. Cardan refuté.
  3. Autres curieux Gamahes non peints, rapportez par Pline, Nider, Gesner, Gorropius, Thevet, & M. de Breves. Nouvelle observation sur les os des Geants.
  4. Gamahez gravez, & à sçavoir si les lieux qui portent des coquilles ont esté autresfois couvert d’eaux.
  5. Figures, ou Signatures merveilleuses qui se trouvent en toutes les parties des plantes.
      Plusieurs recherches mises en avant sur ce subjet.
  6. Puissance de ces figures prouvee ; & responce aux Objections qu’on fait contre.
  7. Secret descouvert pourquoy le scorpion appliqué sur la playe, ne nuit plustost qu’il ne profite.
  8. Figures des plantes qui représentent toutes les parties du corps, qui les guérissent.
  9. Forme admirable de toutes les choses conservees aux cendres.
  10. Ombres des Trespassez qui paroissent aux cimetières, & apres la desfaite des armées, d’où proviennent elles? Questions curieuses advancees sur ce subjet.
  11. Raison nouvelle pourquoy il pleut quelquefois des Grenoüilles.
  12. Figures qui se trouvent és Animaux, & la puissance qu’elles ont.


Quand je considere les effects merveilleux qui se trouvent non pas seulement aux plantes & aux animaux plus stupides, mais jusques mesme aux pierres & cailloux plus rudes, & moins polis, je n’ay aucune peine à croire ce que les demy-sçavans estiment ridicule & fabuleux. Car qui eust jamais pensé qu’en l’Aymant, outre mille prodiges que nos ayeuls y ont remarqué, on void encore cestui-cy de nos jours en une espece de couleur blanche & noire, & ressemblante aucunement au fer; que si on en frotte une aiguille ou un cousteau, on en pourra penetrer & coupper nostre corps, sans qu’on en sente la moindre douleur ? ce qui a fait dire à un sçavant homme qui en avoit fait l’experience, que les Charlatans s’en servent, lors que sans changer de couleur ils se cicatrisent sur les theatres. Mais nostre intention n’est pas icy de monstrer indifferemment tout ce qui se trouve de merveilleux aux pierres & aux plantes, leur diverses figures pour la puissance desquelles nous plaidons, sera le seul dessein que nous nous proposons. Il faut donc pour bannir l’equivoque de ce discours que nous facions division des figures, le nom en general estant desja cogneu.

1. Les unes sont naturelles, les autres fortuites, & les troisiesmes artificielles : celles-cy seront deduites au chapitre suivant, & les deux premieres en cestui-cy. Les naturelles aussi bien que les fortuites, comme elles sont de trois sortes, en bosses ou eslevées, creuses, ou naturellement gravées, & simplement depeintes ; aussi se trouvent-elles en trois diverses choses, és pierres principalement, és plantes, & animaux, ce que n’a pas observé Albert, ny Camille. Or il y a ceste difference entre les naturelles & les fortuites, que celles-cy sont faites, dit-on, sans aucune fin proposée; & celles-là au contraire, ne sont jamais produictes sans quelque raison. Les fortuites sont figurées en l’action de ce peintre, qui ne pouvant representer à son gré l’escume d’un cheval, jetta l’esponge contre son ouvrage en intention de l’effacer; mais il arriva que l’esponge figura si bien ce qu’il ne pouvoit faire, qu’il estoit impossible de le faire mieux : l’escume fut donc faicte, sans que le peintre se fust proposé de la faire. Mais si je dis qu’il n’en est pas de mesme en la Nature, qui pourra me blasmer ? Car si la Theologie nous apprend, & la raison nous confirme, qu’il y a une providence certaine qui conduit toutes choses à leur fin, & qui ne fait rien sans dessein: pourquoy veut-on donc attribuer au cas fortuit ce qui nous fait admirer la puissance de Dieu, & donner à l’adventure les choses plus merveilleuses? puis que de tant de fueilles qu’on voit dans une forest il n’en choit pas une sans la volonté de celuy qui les a creées. Mais soit qu’on vueille admettre des figures fortuites, nous ne laisserons pas de monstrer la puissance d’un bon nombre, qu’on ne peut appeller que naturelles, voyons par ordre & les unes & les autres.

Nous avions dit qu’on en void en trois choses és pierres, plantes & animaux: celles qui se trouvent aux pierres nommées Gamahé, mot tiré, à mon jugement, de Camaïeu, ainsi appelle-on en France les Agathes figurées, de façon que d’un mot particulier on en fait un general, adapté à toute sorte de pierres figurées. De dire maintenant d’où est venu ce mot, je ne trouve pas un Autheur qui l’ait definy ny mesme proposé: une chose sçay-je asseurément, qu’il est nullement François, mais estranger. J’ay autresfois pensé, que comme les Juifs qui ont long-temps habité en France, nous ont laissé plusieurs de leurs mots, comme je prouve ailleurs, ils nous pourront paraventure avoir laissé cestui-cy, & ceste conjecture seroit d’autant plus veritable, que ce peuple trafique volontiers en pierreries. Or le mot de Chamaiuh כמייהChamaieu pourroit estre abâtardi de Chemaija, qui signifie comme l’eau de Dieu,Chemaijab כ מי יה à cause qu’on void des Achates ondées representant parfaitement de l’eau, & le mot de Dieu y est adjousté, à cause que la langue Hebraïque a cela de propre, que lors qu’elle veut nommer quelque chose par excellence, adjouste apres ce sainct Nom. Ainsi pour dire un beau Jardin, elle dit, Paradisus Domini; une grande armee, Exercitus Domini; des grands Cedres, Cedri Dei; des hautes Montagnes, Montes Dei, ainsi des autres. Les figures donc qui sont representées aux pierres, sont encore de trois façons, comme nous avons dit, des peintes, de relief, & gravées.

2. Les peintes, ou bien sont colorées ou non : les colorées sont toutes celles qui viennent aux Achates, comme celles du Roy Pyrrhus representant les neuf Muses qui dançoient, richement habillées, avec Apollon au milieu qui joüoyt de la Harpe. Cardan ne peut croire que ceste figure ait esté si parfaictement representée par cas fortuit; mais elle a esté faicte, dit-il, en ceste façon: qu’un Peintre long-temps auparavant qu’elle fust trouvée, avoit despeint sur un Marbre ces Muses avec Apollon : apres par hazard, ou par industrie, ceste peinture avoit esté enfouie au lieu où les pierres Achates sont engendrées ; ce qui fut cause que le marbre se convertit en Achate, retenant tous les mesmes lineaments qui y estoient tracez. Plaisante invention! Mais qu’eut-il dit, s’il eut veu ce que M. de Breves a observé en ses voyages du Levant, d’un Crucifix representé naturellement à un marbre? J’ay veu (dit ce Seigneur curieux) une autre merveille à Sainct Georges de Venise, la figure d’un Crucifix dans une pierre de marbre, mais si naïfvement representé, qu’on y recognoist les cloux, les playes, les gouttes de sang, bref toutes les particularitez que les plus curieux Peintres y pouvoient figurer. Il falloit donc qu’on eust depeint ce Crucifix à quelque autre pierre, & qu’elle fust par apres convertie en marbre; ce qui est ridicule: & quand elle n’eust pas esté convertie en marbre, & qu’elle eust pris seulement & retenu par quelque effect extraordinaire la figure de quelque Crucifix qu’on y auroit appliqué, il faudroit dire pareillement qu’on a appliqué des figures à toutes les pierres sur lesquelles on en void de parfaictement bien representées, ce qui est plus esloigné du sens commun que le premier. Monsieur de Breves n’avoit pas pris garde, ou il avoit oublié de rapporter cét autre Gamahé ou figure merveilleuse & purement naturelle qu’on void dans la mesme Eglise contre un Autel de marbre jaspé. Ceste figure est une teste de mort si parfaitement representée, qu’il n’y a rien à souhaitter ; prodigieux effects de la Nature qui se monstre admirable par tout. Et icy il faut sçavoir que ces figures sont plus frequentes vers les païs Orientaux & Meridionnaux qu’en tous les autres, à cause de la chaleur dont elles sont engendrées, & de la puissance des Astres. In lndia, dit Albert, plures quàm hîc Gamahe, quia potentiora Astra. En Italie il s’en voit aussi davantage qu’icy par ceste raison : & à Limans village de Provence, distant à une lieuë de Forcalquier, ville assez renommée, on a autresfois trouvé, dans une mine d’une certaine pierre comme rougeastre assez molle, quantité de ces Gamahes ou figures peintes d’oiseaux, des rats d’arbres, des serpens, & des lettres si parfaitement representées, que les petits enfans les recognoissent ; & bien qu’à mon retour d’Italie j’eusse fait dessein d’en aller chercher, la fievre qui m’empescha de gouster la douceur de mon pays, m’osta pareillement le souvenir de ceste curiosité. J’ay desja escrit pour en recouvrer, afin de faire voir à mes amis la rareté de ceste merveille. A trois lieuës de Lyon, pays plus Chaud que cestuy-cy, on trouve du costé d’Iseron grande quantité de pierres, lesquelles fendues on y trouve plusieurs de ces Gamahés parfaictement figurez. Adjoustez à ces figures peintes celle que Albert le Grand veit à Coloigne au tombeau des trois Roys, qui estoit les chefs de deux jouvenceaux fort blancs que la nature avoit depeints sur une Cornaline, mais avec cét ajencement, que l’un estoit sur l’autre, celuy de dessous ne monstrant que le nez, & un peu des autres parties du visage; presque semblables à ces medailles d’or & d’argent qui furent faictes au mariage du Roy où son visage estoit representé au dessus de celuy de la Reyne: On voyoit encore sur ceste pierre un serpent noir, qui environnoit les deux chefs à la façon d’une guirlande, avec tant de perfection, qu’Albert ne pouvoit croire que ce fust un effet de la Nature: Probavi autem, dit il, quod non est vitrum, sed lapis; propter quod præsumpsi picturam illam esse à natura & non ab arte. Le mesme vid encore à Venise un de ces Gamahés sur un marbre qu’on avoit fendu à la scie, & c’estoit la figure de la teste d’un Roy, couronnée & depeinte naturellement avec tant de perfection, que le plus sçavant peintre du monde eust eu de la peine à l’imiter : sa majesté, ses yeus, sa bouche & tout son maintien remplissoient d’estonnement tous ceux qui la regardoient: en un mot, elle n’avoit rien de defectueux, sinon que le front estoit un petit trop grand que le naturel : & la cause en estoit, dit-il, que la vapeur chaude dont la pierre avoit esté formée, estant trop vehemente, monta plus haut qu’elle ne devoit en la formation de ceste figure. Cardan en avoit une autre sur une Achate, representant l’hemisphere du Ciel, & la terre au milieu, comme au dessus des eaux, & plusieurs autres merveilles qu’on pourra voir dans son livre cy-dessus cotté.

3. Les figures qui ne sont point peintes, ne peuvent estre cogneuës que par la terminaison des lignes & ne laissent pas toutesfois d’exprimer parfaictement ce qu’elles representent. De ceste sorte est, à mon opinion, celle que le mesme Seigneur de Breves veit en Bethleem En ses relat. fol.476 sur une des tables de marbre qui ornent le lieu de la Cresche, sur laquelle on void un vieillard representé avec barbe & robbe longue, coiffé d’un capuchon, & le tout par l’assemblage & rapport casuel des lineaments de la pierre. Nider rapporte Infornic. lib.4 cap.6 qu’en Mauritanie proche de la ville Septa, on a veu une fontaine où il y avoit des pierres qui portoient naturellement les noms de nostre croyance comme aux uns on voyoit Ave Maria, aux autres, gratia plena, & aux autres, Dominus tecum. Ceste histoire n’est point si incroyable, si on considere, qu’on a autresfois presenté au Roy, des petits cailloux qui formoient son nom tout entier par des lettres naturelles. Que si la nature produit de ces petits cailloux qui portent une lettre, & souvent deux & trois comme on a veu, pourquoy ne peut-elle pas produire une plus grande pierre ou le mot de Maria, se pourra rencontrer tout au long? Que si on veut recourir à quelque effet extraordinaire de Dieu, je n’empesche point, comme on dit du vieillard susdit, que c’est le portraict de Sainct Hierosme merveilleusement representé sur le marbre, à cause de la devotion qu’il portoit à la Cresche: & en ce sens je pourrois plus facilement prouver la puissance que j’establis aux figures; quoy que nous ne laisserons pas de la tirer cy-apres des raisons que la seule Nature enseigne. Le mesme Nider, dit que le Marquis de Bade avoit une pierre precieuse, laquelle de quelque costé qu’on la regardast, monstroit tousjours un Crucifix naturel. Pour l’effect qu’on y remarquoit, il estoit plustost externe que particulier à la pierre ou à la figure : car on dit que si une femme qui avoit ses mois venoit à la regarder, à mesme temps elle se couvroit d’une petite nuë noire, qui s’en alloit par apres insensiblement. Par advanture qu’elle estoit polie comme la glace d’un miroüer, qu’on void assez souvent ternir par les regards de semblables femmes. Davantage Gorropius Becanus asseure d’avoir veu In Niloscopio lib.3 en Angleterre une perche poisson si parfaictement figuré sur une pierre, qu’il n’y avoit pas une escaille ny aucune proportion qui ne fust observée. Elle avoit esté apportée des plus hautes montagnes de ce Royaume : ce qui apprend à Cardan, que ceste pierre ne pouvoit pas avoir esté figurée par l’atouchement de quelque poisson de la mer, ny ceste perche changée en pierre: car, qui l’auroit (dit-il) porté au sommet d’une montagne inhabitable ? Pline dit Plin. lib.36 cap.5 qu’on trouva dans un marbre scié l’image d’un Silene, & Gesner tres-sçavant Suisse rapporte Lib. de rerum foßil. lapid. & Gemmar. figuris. un autre Gamahé, qui representoit des roles, & un autre tout estoilé. Voyez le livre qu’il en a faict divisé en treize Chapitres, dans lesquels il monstre plusieurs Gamahez, qui representent des Cometes, des plantes, des fruicts, des poissons, des animaux de la terre, & mesmes des choses artificielles. Je m’estonne toutefois qu’il ait oublié de parler des Gamahés en bosse ronde, que la terre produit: comme ceste image de la Vierge tenant son fils entre les bras, qu’on voit naturellement representée en un morceau de rocher haut eslevé, en une des Isles de l’Archipel, suivant le tesmoignage de Thevet In Cosmograph. au lieu desja cotté. ; Et dans les Grotes d’un desert de nostre Provence, appellé l’Hermitage Sainct Maurin, distant à deux lieuës de Riez & de Moustiers, desert veritablement affreux, pour estre au milieu des rochers, mais beaucoup plus admirable que celuy de la grand’ Chartreuse, soit pour son air presque tousjours serein & doux, ou pour le cristal de ses fontaines, dont la source est prodigieuse ; ou pour la beauté de ses Grottes, dignes palais de la Nature; ou pour les flots de son Verdon, lequel, contraint dans un lit trop petit, fait un bruict qui cause une agreable horreur parmy ces sainctes solitudes ; dans ces Grottes, dis-je, on void quantité de ces Gamahés en bosse ronde, qui representent presque toutes les figures que l’imagination peut fournir: on en void qui pendent par en haut, d’autres qui sont à costé ainsi que des statuës dans leurs niches, comme si la Nature n’avoit rien oublié de tout ce qui peut rendre un lieu recommandable. A sept lieuës d’Auxerre, dans les Grottes qu’on appelle Antounoirs, on void presque les mesmes Gamahez ou figures, & tant les unes que les autres sont percées d’un petit trou depuis le haut jusques au bas, & à mon jugement ces figures ne sont que de l’eau apierrie : car elles pendent (au moins la plus part) comme si elles estoient attachées à un lambris. Sur ceste sorte de Gamahé Gorropius asseure qu’il a veu des os produits naturellement dans la terre, d’une prodigieuse grandeur, bien qu’engendrez d’autre matiere; & de ce genre sont par advanture ces os dont la grosseur desmesurée a fait conclurre vainement qu’il y avoit eu autresfois des Geants parmy les hommes ; tant il est vray que sans la cognoissance des secrets de la nature nous errons lourdement. Or de ces figures eslevées aux pierres, on en void de deux façons. La premiere qui est tout à fait en bosse ronde, comme ce rocher en forme de Vierge, & ces os de la terre naturellement produits, & l’autre seulement en relief, ou en demy bosse, comme ces rochers dont parle Ortelias, situez au commencement des parties Occidentales de la Tartarie, sur lesquels on void des figures de Chameaux, de juments, de brebis, & plusieurs autres, dont ce Geographe ne pouvant comprendre les merveilles, dit In Tabula Sciograph. Rußia. : Hæc saxa hominum, camelorum, pecorúmque, cæter arúmque rerum formas referentia, Horda populi gregis pascentis armentáque fuit ; quæ stupenda qiadam metamorguosi repentè in saxa riguit, priori parte nulla in parte diminuta. Et puis pour faire passer la fable pour une verité, adjouste, Evenic hoc prodigium annis circiter 300 retrò elapsis. Mais laissons-luy suivre la foule, qui ne pouvant donner raison de quelque chose, a recours incontinent aux miracles. Disons donc que les rochers de la Tartarie, (si le rapport en est fidele) sont des veritables Gamahez engendrez naturellement ; ou bien il faudroit forger des miracles par tous les lieux où l’on void des semblables effects: ce qui seroit ridicule, puis qu’un des saincts & doctes personnages des siecles passez, monstrera incontinent que ces mesmes effects sont de la main de la seule Nature, qui ne les produit pas autrement que les fleurs. De ceste sorte de Gamahez estoient encore ces trois serpens figurez dans le creux de l’escaille d’un oüistre, trouvée par les Cuisiniers du Roy de Castille dans le ventre d’un poisson. Ces serpents avoient la teste eslevée, mais avec une si bonne action qu’ils sembloient estre en vie. Le dessus de l’escaille en monstroit aussi quantité d’autres : & ce qui estoit de prodigieux, c’est qu’on n’en voyoit pas un qui ne fust percé depuis la gueule jusques à la queuë, d’un trou neantmoins fort petit. Par ainsi, constat, dit Albert, Albert. M.loco vs sup. per illud experimentum etiam figuras elevatas super lapides aliquando fieri à natura.

4. Les figures gravees naturellement aux pierres, ou elles sont gravees superficiellement, ou à jour; c’est à dire que la graveure passe à travers : de ce genre, on en trouve souvent parmy les tas des pierres percees qui sont à la campagne, esquelles on remarque la forme d’une teste par les trous qui representent les yeux, les narines, & la bouche : souvent on en rencontre aussi qui ont la figure d’une teste de mort, soit d’homme ou de cheval. Pour les autres qui sont simplement gravees : voyez en des exemples sur les cailloux des rivieres, & ceux qui se trouvent sur la rive de la mer, esquels on peut remarquer des coquilles si bien faites qu’on diroit qu’elles sont les naturelles de quelque poisson; & ceste sorte doit estre plustost mise au nombre des Gamahés en bosse rond, que simplement gravez. Mon frere a autresfois esté curieux de ramasser sur le bord de la mer Oceane, des coquilles & autres pierres assez rares : il en donna une à Monsieur de Frey, laquelle represente parfaitemet une corne de bouc, & c’est à mon jugement une de celles que les Anciens appelloient Cornu Ammonis, comme on peut voir dans Georg. Agricola dans livre, 5. De Natura Fossiliu. Je croyois avoir de ces autres pierres faites en coquille, qu’elles avoient esté de vrayes coquilles, & puis apierries ou petrifiees par la vertu de quelque eau, si bien & si parfaitement elles estaient formées; mais j’ay du depuis consideré que depuis qu’on en trouve à la croupe des plus hautes montagnes, qu’asseurément c’estoient des Gamahés & effets de la nature qui ne les produit pas sans quelque dessein, comme nous verrons. D’icy jugez si Gorrepius n’a a pas raison de reprendre In Nilosc. ceux qui asseurent qu’autrefois la mer avoit couvert toute l’Egypte & partie de l’Ethiopie, à cause qu’on y void de ces coquilles : car il faudroit par consequent conclurre qu’elle a pareillement passé par dessus l’Appennin, les Alpes & les Pyrenees; ce qui est absurde, ou bien on entendroit du deluge universel : mais ce n’est pas leur intention. Venons maintenant aux figures des Plantes.

5. Les plus sçavants Naturalistes les ont divisees en ceste façon. La plante, disent, ils, ou bien elle est Arbor ou Cremium, ou Frutex, ou Herba. L’arbre est la plante qui a un gros tronc & une grande tige, le Cremium qui l’a petite, le Frutex qui en a plusieurs, & l’herbe est lors que commençant à se monstrer sur terre, elle produit deux petites fueilles : je trouve donc aux unes & aux autres une infinité de figures admirables, que les Philosophes ont appellé Signaturæ rerum. Or une partie de la plante figurée, & non pas toute la plante, est appellée Signatura : ou bien Signature, est quelque chose en la partie. Je ne parle point des signatures internes, ceste doctrine appartient aux Chimistes, je n’avance icy que celles qui se rencontrent aux plantes, peu considerées aux siecles passez ; Je commence donc à monstrer par ordre des parties des plantes, les signatures ou figures merveilleuses que la nature y produit.

Premierement, la racine de plusieurs plantes represente plusieurs parties de nostre corps, ainsi celle de l’Hermodacte porte la figure de la main.

La tige est encore admirable: car soit en celle des grands arbres, ou des petites plantes, on trouve des figures qui representent celles des animaux: en celles-cy, la Serpentaria maior ressemble parfaictement à la peau d’un serpent, comme aussi le Dracunculus, & l’Ophiosiorodon. En celles là, il faut considerer ou le bois, ou l’escorce.

En l’escorce on y void parfois en celle des vieux arbres plusieurs figures representans diverses choses par la varieté des fentes & crevasses. Aux jeunes qui l’ont unie, elles sont marquees par des petites traces, comme peintes : & j’ay autrefois observé sur l’escorce d’un jeune cerisier, des petits arbres chargez de fruicts si naïfvement exprimez, qu’il sembloit que le pinceau y eust passé.

Le bois semble plus admirable, veu qu’en plusieurs on y void toute la mesme chose qu’aux Achates. Et depuis quelques jours on asseure, qu’on a trouvé en Holande un arbre, lequel mis en pieces par un bucheron, on a trouvé en un endroit la figure d’un calice, en l’autre celle d’une aube, en l’autre celle d’une estole, & bref presque tous les ornemerts d’un Prestre. Si l’histoire en est veritable, confessons que ces figures ne sont point fortuites. Mais voyons-en de plus communes aux tables d’erable En Latin Acer, & en Flament Masaros., bois cogneu presque de tous, sur lequel on a souvent recogneu la forme d’un serpent, d’un oyseau, d’une mouche, &c. parfaictement marquée par les traces de ce bois bigarré. On trouve aussi du bois qui porte de ces figures, non pas peintes, mais en bosse. Ainsi du temps que j’estudiois à Apt, ville fort celebre en Provence pour les sacrées Reliques que la seule tradition asseure estre de sainte Anne, mere de la B. Vierge; je vis une souche de vigne qui representoit si naïfvement la teste d’un homme, qu’on y voyoit mesme jusques aux cheveux; tout le reste, comme front, aureilles, yeux, nez, bouche & menton, estant d’une assez juste proportion. Elle fut apportée par un vigneron en la boutique de M. Roulet maistre Chirurgien.

Les branches de la plante sont moins considerables, en matiere de figures, que tout le reste, (ou ce seroit au bois) toutefois on y remarque souvient la disposition des doigts de la main, & l’espaisseur des cheveux: & c’est pour ceste raison à mon jugement que lors que les Poetes discourent en leurs Metamorphoses du changement des hommes en arbres, disent, que leurs doigts & cheveux estoient changez en branches. En celles du corail on a veu assez souvent plusieurs curiositez, & il n’est pas si rare qu’on n’en puisse voir l’experience.

Les fueilles semblent surpasser tout le reste, estant divisées en tant de figures, qu’il semble n’y avoir rien en la nature dont elles ne portent l’image: car, s’il est question de toutes les parties du corps, elles les representent : si on y veut voir les eaux, on en trouve d’ondées : si les animaux de la terre, on en void qui ont des pieds & cheminent comme eux, comme celles qui se trouvent prés la grande isle de Burner descrite par Antoine Pigafete : Si les oiseaux de l’air, & les poissons des eaux, on en trouve d’escaillez, & qui ont des nageoires, d’autres qui ont & un bec & des aisles, & qui volent d’effect. Voyez-en des veritez chez Baptiste Porta, Barthelemy Chassanée, Jean de Torquemade, Thevet, Cardan, Scaliger, & Guillaume Rouïlle.

Les fleurs ne sont pas moins merveilleuses, puis qu’elles portent pareillement la figure de plusieurs animaux, poissons, oyseaux, astres, arc en ciel, & de presque tous les autres meteores.

Les fruicts à cause de la forme & figure sont esgalement admirables: & bien qu’ils ne representent pas tant de choses comme les fueilles & les fleurs, si ne laissent-ils pas d’en représenter plusieurs & tres-considerables, comme on void en quelques courges, poires, pommes & autres fruicts. Les pois appellez Arietini, representent la teste d’un Belier; & d’autres, celle d’une colombe, appellez par mesme raison, Columbini, avec ceste qualité convenante à leur figure, qu’il sont tous deux esgalement chauds. Les fèves portent d’un costé la forme & la figure des parties honteuses de l’homme, & de l’autre celles de la femme; Et je ne sçay si pour ceste seule raison Pithagore auroit donné cét advis qu’on n’a jamais sceu bien entendre, Afabis abstineto.

La semence qui est la derniere partie accomplie des plantes, comme la plus importante, n’est pas encore dénuée de la beauté de ces figures: car celle de l’Echion, que nous appellons buglose sauvage, ressemble à la teste d’un serpent, avec sa gueule & ses yeux: c’est pourquoy elle est souveraine contre leur morsure, selon Dioscoride. Celle de Ruë est faicte comme une croix, & c’est paraventure la cause qu’elle a tant de vertu contre les possedez, & que l’Eglise s’en sert en les exorcisant. On peut aussi remarquer quelque forme des parties honteuses tant de l’homme que de la femme, aux grains de bled, & aux pepins de raisin, & à mon jugement suivant ceste remarque on peut philosopher par dessus le commun sur ce proverbe: Sine Cerere & Baccho friget Venus.

Que si apres toutes les parties on veut considerer la plante toute entiere, on y trouvera encore des figures, qui seroient incroyables, si tant d’excellens Historiens ne l’asseuroient : de ceste sorte est le Boramets qui croit en Scythie, ressemblant parfaitement à un agneau, ayant teste, yeux, oreilles, dents, & tout le reste du corps proportionné. Elle broute l’herbe qui croit tout à l’entour, & lors qu’il n’y en a plus elle vient à mourir de faim. Voyez-en l’histoire dans Sigismond, Cardan, Scaliger, Vigenere, & Guillaume Rouïlle, Duret, & un des plus sçavans Poëtes de nostre France, qui en chante ces vers.

Tels que les Boramets qui chez les Scythes naissent
D’une graine menuë, & de plantes se paissent:
Bien que du corps, des yeux, de la bouche, & du nez
Ils semblent des moutons qui sont n’agueres nez:

Or en toutes les parties des plantes les figures sont ou interieures ou exterieures seulement, ou exterieures & interieures tout ensemble : les interieures sont comme ce fruict de la Palestine qui porte forme de cendres au dedans, & toutes les figures qui se trouvent en sciant des marbres. Les exterieures, comme celles qui sont peintes & colorees, à la superficie des fruicts, & non pas au dedans, ainsi que les pommes de rambour tachées de rouge, comme gouttes de sang sur la peau seulement. Les exterieures & interieures tout ensemble, comme de l’Erable, & de plusieurs sortes de pierres. Les interieures sont encores manifestées par la coupeure indifferente ou particulière : l’indifferente, comme ceste sorte de pomme qu’on a veuë en Granate, au rapport de Nider, laquelle coupée en toutes les façons, tousjours on y voyoit un Crucifix : Particuliere, comme la racine de Fougere, qui coupée en une façon seulement, represente parfaitement l’Aigle. J’ay souvent observé que l’Orenge ainsi coupée, non de travers, mais en long, represente en ses grains & pellicules un Orenger chargé de ses Orenges. On a encore observé que les grains de pomme representent l’arbre. Les figures consistent encore ou à la couleur, ou à la division des parties; à la couleur, comme la fleur d’Euphraise, qui represente toutes celles de l’œil ; à la division des parties, comme celles que nous avons veu.

Voila la division des figures : reste maintenant à prouver qu’elles peuvent quelque chose, & que ce n’est pas en vain qu’elles sont parfaictement representées tant és plantes qu’aux pierres. Suivons par ordre la mesme division que nous en avons faicte, commençant par la premiere.

6. Je dis donc que les figures naturelles qui se trouvent aux pierres ont naturellement la puissance d’agir, si elles sont appliquées : je le prouve par deux raisons. La premiere, parce qu’elles sont appellées effectrices. La deuxiesme, parce que l’experience l’enseigne: car on void tous les jours que quelques unes de ces pierres figurées agissent aux mesmes choses qu’elles representent comme celle qu’on appelle Heliotropius tachetée de gouttes de sang, si on l’applique sur la partie sanglante, elle restreint le sang. D’autres agissent sur la playe qui a esté faicte par la beste dont elles portent l’image : ainsi Pline asseure qu’on trouve une espece de marbre appellé Ophites, à cause qu’il represente les mesmes serpens dont il porte le nom, lequel si on l’applique sur la morsure de ces bestes, il la guerit : voicy ses propres mots, genus marmoris ab Ophite dictum, quòd imaginem horum serpentum repræsentet, molle, candidum, nigránsque durum, dicuntur ambo serpentum ictus sedare. Et icy on pourroit faire ceste division des figures aux pierres : qu’il y en a de deux sortes. Les unes qui se trouvent tousjours en certaines pierres & sont tousjours les mesmes : celles-cy sont doüees de beaucoup de merveilles; les autres qui n’ont point des pierres certaines & asseurées, mais elles se rencontrent indifferemment à toutes, & elles ne sont pas de si grande vertu ; & c’est la division de Cardan. Verum, dit-il, mirè quispiam dubitet unde figuræ hæ in gemmis, & lapidibus proveniant ? neque enim credendum est omnem figuram casu contingere, cùm lapides multi ex eodem genere easdem retineant figuras. Itaque, meo iudicio, dicendum est, duo esse figurarum & imaginum genera : alterum quod semper in eisdem lapidibus apparet, & hoc à natura provenit, quæ non secus ac in plantis foliorum & fructuum numerum servat & rationem. Hoc figurarum genus vim habet & aliquid significat, &c. Et en suitte il faict mention d’une pierre qu’avoit Albert le Grand, marquee naturellement d’un serpent, avec ceste vertu admirable, que si elle estoit mise à un lieu où les autres serpens hantoient, elle les attiroit tous : il en fait recit de beaucoup d’autres, qui guerissent la morsure, & chassent le venim. Voyez de ces Gamahés admirables, chez Georgius Agricola, qui en rapporte qui ont la forme de toute les parties du corps, aussi bien que les plantes & les fruicts merveilleux que nous allons voir.

On objecte communément que ce n’est pas la figure qui faict cest effet, mais la qualité occulte dont la pierre est doüee, autrement, si la figure agissoit, une goutte de sang en retreindroit d’autres, & un scorpion vivant gueriroit la morsure d’un autre scorpion, pour y avoir plus de rapport & d’analogie d’une goutte de sang vraye à une autre vraye, & d’un scorpion vivant à un autre vivant, que non pas d’un depeint à un qui est en vie, &c. Et voila la plus forte objection que nos Philosophes modernes ont mis en avant, & par la laquelle ils croyent destruire entierement la puissance que les Anciens ont estably aux figures, mais peu raisonnablement, comme nous verrons.

Il est donc certain, pour respondre à ces objections, que la seule figure representee aux pierres n’a pas la puissance toute seule de faire & d’agir, quoy qu’appliquee, s’il n’y a quelque agent ou interieur, ou exterieur qui agisse & qui concoure avec la figure, ou bien si la matiere n’est propre ; comme jamais la figure poinctuë ne pourra penetrer, bien qu’on l’applique, si elle est en cire, ou en beurre, parce que le sujet n’est pas desja propre à penetrer, mais tres-bien en bois, fer & cuivre, & autre matiere dure. De mesme, si la pierre n’a desja eu des Astres, ou de sa nature, quelque qualité propre à tel ou tel effect, comme pour arrester le sang quelque qualité restringente, & ainsi du reste, en vain cherchera-on une parfaicte puissance aux figures. De dire maintenant que c’est (par exemple) ceste seule qualité restringente qui retient le sang ; & que la figure des gouttes, dont la pierre est naturellement tachee & depeinte, ne porte du tout rien, c’est retomber au premier erreur: car à quel dessein donc la nature a ainsi figuré ceste pierre ? Il en faut donner quelque raison : que si on dit qu’il n’y en a du tout point, c’est dementir ce Principe advoué generalement de tous: id non frustrà fit, quod Natura semper facit, vel plurimum.

Certainement on auroit raison de douter de ceste puissance, si le marbre Ophites, qui represente les serpents du mesme nom, comme nous avons dit, guarissoit seulement la morsure d’un chien ou d’un cheval : mais puis qu’il guarit celle des serpents seulement & non d’autres bestes, pourquoy ne donnerons-nous quelque chose à la figure ? mais pour prouver puissamment que ces figures peuvent quelque chose, contre l’opiniastreté de ceux qui raisonnent autrement, c’est que si celles qui representent des serpents, scorpions & crapaux trouvent la nature du lieu propre & disposee à donner à la pierre ou à la matiere, sur laquelle elles sont, une qualité & nourriture convenable à la beste, dont elles portent l’image ; asseurément ces figures seront changées en vrays serpens, scorpions & crapaux vivans & non pas en d’autres bestes : par ainsi on n’a plus de peine à concevoir ce qui a tant travaillé les Philosophes. En quelle façon un crapaut pouvoit estre engendré au milieu d’une grande pierre, comme celuy que descrit Georgius Agricola, trouvé dans une meule de moulin, que la violence ou du venim, ou du mouvement fit crever & rompre, & un autre veu par Gorropius en Anvers dans un marbre scié fort espais & sans aucune fente ou ouverture : car la figure d’un crapaut ayant esté premierement représentée au dedans de ces pierres, il arriva, que par quelque proprieté du lieu, elle fut changée en crapaut naturel : le mesme peut-il arriver des autres figures, si on excepte l’humaine, dont la forme est une œuvre de la seule main de Dieu. Elles ne sont pas pourtant representées en vain & sur les pierres & sur les autres choses, puisque si on les sçait appliquer elles ont asseurément quelque secrette puissance, suivant le principe avancé. J’oubliois à dire que sans chercher des exemples estrangers, on peut voir tous les jours aux plastrieres d’Argentueil semblables crapaux & autres bestes engendrez dans les pierres, & le cœur des plus durs rochers. J’estime donc en suitte de ceste generation admirable que les coquilles que on trouve sur les montagnes, ont esté engendrée en la mesme façon, non dans la mer, resveries, mais sur les lieux où elles sont trouvees; ce qui a faict tirer ceste conclusion au curieux Flamend : Ubicumque igitur humor sive liquor invenitur ad testaceorum vitam idoneus, viva testacea generantur. Il dit cecy en suitte de plusieurs figures, ou Gamahés, qu’il avoit veu en divers endroits, & poursuit par apres: Opifex enim progreditur eò, quoad eius materia patitur, ultrà progressurus, si loci & materiæ inopiâ, non excluderetur. Si donc la figure a ceste puissance que de se changer en la chose vivante qu’elle represente, pourveu qu’elle ne soit point empeschee, qui peut nier qu’elle n’agisse aussi par quelque secrette sympathie, si elle est appliquée sur la morsure faite par la beste qui la ressemble.

7. Or pourquoy la mesme figure ne nuit plustost à la playe que de la guarir ; puisque la beste estant venimeuse, sa figure par sympathie la devroit estre aussi plustost que salutaire, la cause en est bien secrette & cachee, toutefois nous tascherons de la descouvrir les premiers, aucun que je sçache ne l’ayant encore descouverte. Nous avons donc dit cy-devant que lors, par exemple, que la figure d’un scorpion, representee naturellement à la pierre, trouve dans ce lieu où elle est quelque nourriture ou quelque humeur convenable à celle d’un scorpion en vie, que petit à petit elle se perfectionne, & en fin ayant tiré tout ce qui est propre au scorpion elle devient un scorpion vivant. Nous presupposons encore que lors ceste beste, serpent, chien, ou autre beste ou animal vient à mordre, quelqu’un qu’il luy imprime quelque particuliere qualité, comme nous voyons à ceux qui sont mordus de la Tarente, qui sont en perpetuelle agitation, non pas qu’ils dansent, comme on dit, ceste beste ayant ceste qualité qui se remue fort souvent, mesme taillee en petits morceaux, on les void se mouvoir, sans qu’ils cessent que longtemps apres. De mesme Pompanace & Campanella asseurent que si un chien enragé mord une femme enceinte, si on n’y met promptement remede, son fruict vient à se former dans son ventre comme un chien, & qu’il sort par apres avec les mesmes lineamens d’un chien; tant il est vray que si nous cherchions les effects de la nature, & en sçavions donner les raisons, nous nous mocquerions de ce que nous sçavons. Or je dis que la figure d’un scorpion marquee naturellemet à la pierre cherche tousjours de se perfectionner, & par tout où elle trouve des qualitez qui luy sont propres, elle les tire & les prend. Si doncques elle est appliquée sur la playe faicte par un Scorpion, elle y trouve des qualitez imprimées par le Scorpion : & les recognoissant propres & convenables, elle les tire & les retient, de façon que la playe n’estant plus occupée de ces qualitez qui l’envenimoient, elle se consolide & se guarit. En un mot, en ceste affaire le fort emporte le foible pour se perfectioner davantage : ainsi en la figure du scorpion, que la nature a imprimé sur la pierre, se trouvant davantage des qualitez de celle beste, qu’en la playe qu’elle a faicte, celles qui s’y trouvent sont attirez par les autres qui sont à la pierre, comme plus fortes & de plus de vertu. Par ce principe, le scorpion escrasé & appliqué sur la morsure la guarit, comme aussi son huile: la morsure pareillement d’un serpent est guarie par sa teste escarbouïllee, ou bien par le serpent reduit en poudre: ainsi qu’asseurent Crollius & M. du Chesne sieur de la Violette: celle d’un crocodile, par sa graisse : celle d’un rat, par sa chair mise en poudre : celle d’un chien, par son poil ou sa peau : le venin d’un crapaut, par une pierre qui se trouve à sa teste; & si nous esprouvions la proprieté des autres animaux nous trouverions sans doute en tous la mesme chose. Par ce principe encore, un œuf gelé mis dans de l’eau froide, se degele peu de temps apres & les mains engourdies du froid viennent à se desengourdir, si on les met aussi dans de l’eau froide, ou bien dans celle freschement sortie de la neige : car la grande froideur qui se trouve en l’eau, sentant la moindre, qui est aux mains, elle la tire, & la prend ainsi qu’une petite chandelle mise au pres d’un grand feu, ou d’une fournaise ardante : que si le froid des mains estoit plus grand que celuy de l’eau, & le venin qui est à la morsure de ses bestes plus puissant que celuy de la partie qu’on applique, on verroit un effet tout contraire.

A la suite de l’objection cy-devant proposee, nous respondons en ceste façon : Nous ne nions pas qu’il n’y ait plus de rapport à une goutte de sang naturelle avec une autre naturelle, & à un scorpion vivant avec un vivant, que non pas avec un depeint, & une goutte de sang seulement figurée : au contraire nous disons que ceste grande analogie & ressemblance est cause que le sang broyé ou freschement remis sur la playe arreste celuy qui coule; ainsi que l’experience l’a monstre suivant le mesme Crollius : & l’huile des cheveux distillez empesche les autres de choir ; les vers de terre mis en poudre tuent ceux que nous avons dans le corps : le gravier que laisse l’urine est excellent contre la gravelle, & mille autres proprietez, qui proviennent de l’Analogie. Retournons à nos figures.

8. La puissance de celle qui se trouvent és plantes & leurs parties, peut estre en quelque façon semblable avec celle des figures des pierres: par ce qu’elles agissent en la mesme chose qu’elles representent, comme la citrouïlle ronde qui porte aucunement la figure de la teste, tres souveraine, dit Porta, contre les maux qui la travaillent : L’Argemon, le Seris, & le Belloculus, qui representent l’œil, le guarissent aussi s’il est malade, la dentaria, qui a forme des dents, en appaise la douleur, le Palma Christi, & l’Ischæmon, faites comme les mains, en guarissent les playes, & le Geranopodium celle des pieds, parce qu’il les ressemble. Crollius procede plus methodiquement en la deduction des merveilles de ceste ressemblance des simples avec les parties du corps humain; l’ordre qu’il tient est tel.

La teste, dit-il, est representée par la racine de squille qui en a la mesme figure, c’est pourquoy elle est propre à ses maux.

Les cheveux, par les barbes qui croissent sur les chesnes appellez Pili quercini, & par la fleur du chardon, dont le suc distillé les faict croistre.

Les aureilles par l’Asarum, dit Cabaret, excellent contre la surdité.

Les yeux par la fleur de Potentilla, mot incogneu aux anciens, dit Fusk, & tourné en tanaise sauvage, dont l’eau de sa fleur est singuliere pour la veuë,

Le nez, par la Mente aquatique, l’eau de laquelle fait revenir l’odorat perdu.

Les dents, par la Dentaria, qui en appaise la rage.

Les mains, par la racine d’Hermodate propre pour ses crevasses.

Le cœur, par le citron & l’herbe appellée Alleluia, qui luy est souveraine.

Le poulmon, par l’herbe ainsi nommée.

Le foye, par l’hepatique favorable à ses maux.

Voyez les autres simples chez le mesme Autheur, qui represente le reste des parties du corps, comme mamelles, ventricule, nombril, ratte, entrailles, vesscie, rheins, genitoires, matrice, espine du dos, chair, os, nerfs, pores, veines & mesme jusques lés parties honteuses, comme le Phallus Hollandica, descrit particulierement par Adrianus Junius.

9. On pourra objecter que la plus part de ces plantes réduites en cendre, ne laissent pas de faire le mesme effet, & avoir la mesme qualité qu’elles avoient auparavant, doncques il faut rapporter ceste puissance au naturel de la plante, & non pas en la figure, qu’elles n’ont plus, puis qu’elles sont en poudre.

Je responds que, bien qu’elles soient hachees, brisees, & mesme bruslees, elles ne laissent point de retenir au jus, ou aux cendres, par une secrette & admirable puissance de la nature, toute la mesme forme & figure qu’elles avoient auparavant : & bien qu’on ne la voye pas, on peut pourtant la voir, si par art on la sçait exciter. Cecy semblera paraventure encore ridicule à ceux qui ne lisent que le tiltre des livres; mais qu’on en voye la verité dans les œuvres de M. du Chesne sieur de la Violette, un des meilleurs Chimistes que nostre siecle ait produit, rapportant qu’il avoit veu un tres habile Polonois Medecin de Cracovie, qui conservoit dans des phioles la cendre de presque toutes les plantes dont on peut avoir cognoissance, de façon que lors que quelqu’un par curiosité vouloit voir, par exemple, une rose dans ces phioles, il prenoit celle dans laquelle la cendre du rosier estoit gardée, & la mettant sur une chandelle allumée, apres qu’elle avoit un peu senti la chaleur, on commerçait à voir remuer la cendre, puis estant montée & dispercee dans la phiole, on remarquoit comme une petite nuë obscure, qui se divisant en plusieurs parties, venoit en fin à representer une rose si belle, si fraiche, & si parfaite, qu’on l’eust jugée estre palpable & odorante comme celle qui vient du rosier. Ce sçavant homme dit qu’il avoit souvent tasché de faire le mesme, & n’ayant sceu par industrie, le hazard en fin luy fit voir ce prodige : car comme il s’amusoit avec M de Luynes, dit de Formentieres, Conseiller au Parlement, à voir la curiosité de plusieurs experiences, ayant tiré le sel de certaines orties bruslées, & mis la lescive au serein en hyuer, le matin il la trouva gelée, mais avec ceste merveille que les especes des orties, leur forme & leur figure estoient si naïvement & si parfaictement representées sur la glace, que les vivantes ne l’estoient pas mieux. Cet homme estant comme ravy, appela ledit sieur Conseiller pour estre tesmoin de ce secret, dont l’excellence le fit conclurre en ces termes:

Secret dont on comprend que, quoy que le corps meure,
Les formes font pourtant aux cendres leur demeure.

A present ce secret n’est plus si rare, car M. de Claves, un des excellents Chimistes de nostre temps, le fait voir tous les jours.

10. D’icy on peut tirer ceste consequence, que les ombres des Trespassez, qu’on void souvent paroistre aux Cimetieres, sont naturelles, estant la forme des corps enterrez en ces lieux, ou leur figure exterieure, non pas l’ame, ny phantosmes bastis par les demons, comme plusieurs ont creu. Les Anciens estimoient que ces ombres estoient les bons & les mauvais genies qui accompagnoient tous jours les armees : mais ils estoient excusables, puis qu’ils n’en sçavoient trouver autre raison : Estant tres certain qu’aux armées où plusieurs se meurent, pour estre à grand nombre, on voit allez souvent, principalement apres une bataille, des semblables ombres, qui ne sont (comme nous avons dit) que les figures des corps, excitées & eslevées, partie par une chaleur interne, ou du corps, ou de la terre, ou bien par quelque externe comme celle du Soleil, ou de la foule de ceux qui sont encore en vie, ou par le bruit & chaleur du canon qui eschauffe l’air. Ailleurs nous avons traicté l’histoire curieuse des esprits, dans lequel nous avons avancé ces questions touchant ces ombres. A sçavoir, si par elles on peut expliquer toutes les visions que les Autheurs ont rapporté : Si les effects merveilleux qu’on attribuë aux demons peuvent venir de ces figures ? Et en suitte, à sçavoir si elles ont quelque puissance, & d’où la peuvent avoir ? Posé qu’elles en ayent, elles en ont davantage que le corps mort d’où elles sortent, ou bien si le corps mort en a davantage que le vivant, contre Paracelse, qui dit que la Mumie contient toutes les vertus des plantes, pierres, &c. & qu’il a une force occulte magnetique, qui attire les hommes aupres des tombeaux de ceux qu’on estime saincts, ou par la vertu de la mesme Mumie on void les effects qu’on appelle miracles, estans plus frequents (dit-il) en Esté, qu’en tout autre saison, à cause de la chaleur du Soleil qui esveille & excite l’humeur qui est en la Mumie; resveries que nous refutons par des principes, que les Rabbins tirent des secrets de ceste Mumie si celebre & si renommee. Ces questions suivent apres les autres : A sçavoir si ces formes admirables sorties du sang, des os, ou de la cendre des corps, peuvent servir d’un argument infaillible de la Resurrection, ignoree de plusieurs Philosophes ? A sçavoir si elles nous pourroient par apres servir en quelque chose, & si par elles nous pourrions naturellement parvenir à la cognoissance de plusieurs secrets qui nous sont incogneus. Plusieurs autres sont proposees & debattuës pleinement & à fonds, ainsi qu’on pourra voir en peu de temps : cependant qu’on tienne pour vaine & nulle l’objection cy-devant proposee, puis qu’encore que le corps soit reduit en poudre, la figure pourtant ne se perd point.

11. Et c’est paraventure la raison qu’il peut souvent des grenouïlles, car le Soleil eslevant des vapeurs de quelque marescage, où les grenouïlles apres six mois, disent les Naturalistes, se changent en limon ; il se peut faire que ces vapeurs, qui en proviennent changees en nuées espaisses, peuvent exciter par la chaleur du Soleil les formes des grenouïlles, lesquelles rencontrans les qualitez propres à la generation, font vivifiees & renduës vivantes.

12. Apres les figures des pierres & des plantes, suivent celles (selon nostre division) qui se trouvent aux animaux, tant raisonnables qu’irraisonnables, jusques mesme aux poissons.

Celles donc qui se trouvent aux poissons sont comme characteres, chiffres & especes d’armes, telles qu’on figuroit fait quelques ans sur un poisson dont on vendit publiquement l’image, infiniment corrompuë du vray poisson qu’elle representait. D’autres marques ou figures moins corrompuës qu’on peut voir sur des poissons, sont celles qui sont rapportées dans le livre, dont le tiltre est Prophetia Halieutica, duquel Raphaël Englin Ministre de Zurich est l’Auteur. De trois poissons donc qu’il rapporte marquez de ces figures, les deux furent pêchez dans les mers de Norvegue, l’an 1587. le 21. de Novembre: & l’autre dans celles de Pomeranie, l’an 1596. le 21. May, & les figures & marques qu’il en rapporte sont veritablement considerables: mais de les vouloir adapter aux propheties de Daniel, & de S. Jean, comme Ananias Jeraucurius avoit desja faict, c’est se vouloir faire reconnoistre plus extravagant que ceux qui font travaillez de la fievre.

Les figures qui se rencontrent aux autres animaux irraisonnables sont plus cognuës que celles des poissons : car souvent a-on remarqué que le bois ou cornes des cerfs estoient marquees de certains characteres, voire mesme de certains animaux parfaitement representez. On a veu des chats & des chevaux qui portoient sur le poil des taches blanches, rouges ou noires, qui marquoient par des traicts du mesme poil bigarré, la figure de leur semblable : & si nous ne mesprisions pas ce que nous croyons ou ridicule, ou de peu de consideration, nous ne ferions point tant d’estat des recherches estrangeres souvent plus vaines que profitables.

Les figures en fin qui se trouvent aux animaux raisonnables sont toutes celles que l’imagination de la mere enceinte a imprimez sur l’enfant. Icy nous pourrions monstrer par un long discours, des secrets touchant ces figures qui ne sont pas communs : mais pour abreger, je ne fais que ceste remarque, qui prouve puissamment la vertu que nous donnons à toutes les figures. Une mienne sœur avoit un poisson à la jambe gauche, formé par le desir que ma mere avoit eu d’en manger, mais representé avec tant de perfection & de merveille qu’il sembloit qu’un sçavant Peintre y eut travaillé. Ce qui estoit d’admirable en cecy, c’estoit que la fille ne mangeoit jamais poisson que celuy de sa jambe ne luy fist ressentir une douleur tres-sensible : & un de mes amis qui avoit une meure relevée sur le front, provenuë aussi de l’appetit de sa mere, ne mangeoit jamais pareillement des meures, que la sienne ne le blessait par une émotion extraordinaire.

Ceste autre histoire que je m’en vay rapporter sur le mesme sujet a esté cogneuë de tous les curieux de Paris. L’hostesse de l’hostellerie du bois de Vincenne au faux-bourg S.Michel, morte depuis deux ans, avoit pareillement une meure à la levre inferieure, laquelle tout le long de l’an demeuroit plate & sans se relever jusques au temps que les meures commençoient à meurir, & pour lors la sienne venant à rougir, & à se relever petit à petit, suivoit parfaictement le temps & nature des autres, devenant en fin de mesme grosseur & rougeur que celles des arbres lors qu’elles sont meures. Mais puis que je ne m’arreste pas en la deduction de ceste sorte de figures, tirez vous-mesme une consequence de leur pouvoir par ces deux ou trois exemples que j’en rapporte.

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