Curiositez inoüyes/Édition 1629/6

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Jacques Gaffarel
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Chap. Ⅵ.
Qu’on peut dresser, selon les Orientaux, des Figures & Images soubs certaines constellations, qui pourront naturellement, & sans l’aide des Démons, chasser les bestes dommageables, destourner les vents, foudres, & tempestes, & guarir plusieurs maladies.


SOMMAIRE.
  1. Vanité intolerable de quelques demy-scavants.
  2. Figures Talismaniques comment appellees en Hebreu, Chaldee, Grec, & Arabe. Etymologie de Talisman incertaine, contre Saulmaise.
  3. Par quelles voyes on prouve la puissance des figures, & quels sont les Autheurs Arabes qui l’ont soustenüe?
  4. Talismans admirables trouvez à Paris & à Constantinople; & qu’arriva-t’il pour les avoir rompus?
  5. Dij Averrunci des Anciens quels? παταίκους d’où tiré; & d’où est venüe la coustume de
      mettre des Figures & Images aux navires?
  6. Fable descouverte de la pierre Bractan en Turquie, & conjecture sur le Palladium, & les statues de Philon.
  7. Faux que le veau d’or & le serpent d’Airain fussent des Talismans; & pourquoy ce serpent fut plustost dressé d’airain que d’autre metal?
  8. Effects merveilleux de trois Talismans, rapportez par Scaliger, M. de Breves, & les Annales de Turquie ; & quelle puissance ont eu ceux qui ont esté dressez par Paracelse , M. Laneau, & quelques sçavans hommes d’Italie?
  9. Preuve de la puissance de ces Figures, par la ressemblance tiree des Arts & Sciences, & premierement par la Théologie. Pourquoy les Anciens mirent des Images aux Temples?
  10. Par la Philosophie. Effects de l’imagination.
  11. Par la Medecine. Animaux, plantes & grains qui profitent & nuisent par la ressemblance.
  12. Par l’Astrologie. Façon aßeuree de predire les malheurs à venir par la couleur des Metheores.
  13. Par la Physionomie. Moyen de cognoistre le naturel de quelqu’un suivant Campanella.
  14. Par l’art de deviner les songes. Exemples sur ce subject, sacrez & prophanes.
  15. Par la peinture. Pourquoy on represente plus souvent Jesus Christ en croix, que seant à la dextre de son Pere?
  16. Par la Musique. Maladies qui en ont esté guéries.
  1. Moyens de fabriquer ces Talismans.
  2. Operations Talismaniques de Thebit Ben-Chorat, Triteme, Gocklen, Albin de Ville-neufve & Marcellus Empirique, condamnees.
  3. Puissance des Cieux sur les choses d’icy bas.
  4. Raisons des Images Celestes.
  5. Influence du Ciel sur les choses artificielles.


Il n’y a rien en toute la Philosophie qui ait donné plus de peine à nos nouveaux Philosophes que le subjet des figures ou images dressees soubs certaines constellations. La pluspart en ont rejetté la pratique comme vaine & superstitieuse, & quelques uns moins passionnez l’ont advoüee & soustenuë, mais ce n’a pas esté sans blasme; jusques là que Galentos, recogneu par Paul Jove un des plus sensez & sçavans de son siecle, l’ayant maintenuë pour tres-veritable, comme nous verrons, a esté traicté par quelques-uns comme un faquin; & Camille, comme un impie & Athée : c’est ainsi qu’on traite tous les habiles hommes; au moins devroit-on pertinemment respondre à leurs raisons, & monstrer la fausseté, s’il y en a : mais voyez le malheur. Est-il question de parler en compagnie des plus grands personnages, & mettre sur le tapis ce qui les rend hors du commun, quelque esventé osera bien dire sans rougir, qu’ils n’ont jamais rien fait qui vaille, & qu’ils n’entendirent jamais l’affaire qu’on a proposé. J’ay autrefois ouy d’un homme, que Marsile Ficin n’a rien compris à la doctrine de Platon, ny Avicenne à celle d’Aristote; & que les esprits de ce temps sont bien autrement esveillez que tous ceux du passé. Et puis jugez si leur vanité est supportable. Mais laissons dire à l’ignorance; & remettant ailleurs ces considerations, monstrons seulement en cet endroit contre tous ceux qui ont rejetté les Images dont nous parlons, que la fabrique en est licite, & la puissance naturelle, asseuree & certaine. Voyons premierement le nom.

2. Elles sont appellees des Hebreux מגן Maguen, c’est à dire, escusson ou bouclier : des Chaldeens, Egyptiens & Persans, צלמניא Tsilmenaia, qui vaut autant que Figure ou Image : des Arabes תלצמם Talisman ou צלמם Tsalimam : & des Grecs ϛοιχεῖα. Le mot Hebreu Maguen, encore qu’il signifie un escusson, ou autre chose marquée des characteres Hebreux, dont la force est semblable à celle d’un escusson ; & bien que les characteres suivant les plus mystiques Theologiens soient des Images imparfaites, si pourtant ce mot en cét endroit ne se prend point proprement pour image taillée, gravée ou bien depeinte, parce que c’estoit un crime aux Juifs d’en faire ou fabriquer à cause du Commandement:Tu ne feras aucune image taillee. Doncques מגן Maguen, signifie proprement un papier ou autre matiere tracée ou gravée de quelques caracteres tirez du grand nom Quadrilettré, ou de quelqu’autre, comme nous verrons : ce mot signifie aussi, quoy qu’improprement ces images & figures, à cause dit-on qu’elles servent, aussi bien que les caracteres du nom de Dieu, comme d’un bouclier contre les maladies, foudres & tempestes. Le mot Chaldeen Tselmenaija vient de l’Hebreu צלם Tselem, qui signifie Image ; & l’Arabe Talismā en pourroit estre pareillement descendu, en ceste façon, que Talisman fut corrompu de צלמם Tsalimam, une lettre seulement transposee ; mais la verité n’est pas encore certaine. Le tres-docte Saulmaise le tire d’ailleurs : car il tanse en passant Scaliger qui en a tant parlé, de n’avoir pas pris garde que Talisman estoit pris du mot Grec τέλεσμα, hoc est, dit-il, τετελεσμέον τί ut sunt τετελεσμέοι anuli. Mais comment pourra-t’on prouver ceste origine, & asseurer que Talisman vient de τέλεσμα, & non pas cestuy-ci de l’autre ? Pour le dernier dont on appelle ces Images, qui est στοιχεῖα, il n’y a nulle difficulté : de façon qu’il ne reste plus sur ces noms que de remarquer, que lorsque nous parlerons des figures, ce ne sera pas de celles qui sont proprement signifiees par Maguen, qui ne sont que ces escussons Characteriques, tel que plusieurs ont veu dans Paris au Prince de Portugal, & on en peut voir des exemples dans le Scudo di Çhristo de Carlo Fabri, & dans Agrippa. Ailleurs nous destruirons la puissance de ces caracteres, & nous nous mocquons de ces resveries enfantees, par la caprice de quelque ignorant Cabaliste. Nous ne parlerons pas encore de ces Images de cire que les Sorciers baptisent au nom de Beelzebub ; nous detestons ces abominations, bien que la plus grand’ partie de ce qu’en ont escrit les Demoaographes ne soit que pures fables, aussi ridicules que les songes de l’Alcoran. Nostre discours sera seulement tissu de la puissance naturelle que peuvent avoir les Images dressees sous certaines constellations, bannissant d’icy toute operation des demons, & toute vertu superstitieuse.

Je prouve donc ceste puissance des Figures & Images par trois voyes, par l’influence des Astres: par la vertu de la ressemblance; & par l’experience. Je commence par celle-cy:

3. Premierement, il est certain, & on ne sçauroit le nier sans dementir les plus veritables Historiens, qu’on a veu & de nos jours, & de ceux de nos peres, de ces Talismans ou Figures Talismaniques (ainsi les appellerons-nous maintenant) qui ont guari des morsures de serpens, scorpions, chiens enragez, & plusieurs autres malheurs qui n’arrivent que trop souvent. Les Anciens Arabes comme Almansor, Messahallah, Zahel, Albohazen, Haly Rhodoam , Albatecnius, Homar, Zachdir, Hahamed, & Serapion en apportent des exemples tres-veritables, à raison dequoy Haly asseure : Utilem serpentis imaginem esfici posse, quando luna serpentem cœlestem subit, aut fœliciter aspicit. Similiter scorpionis effigiem efficacem, quando scorpij signum luna ingreditur, &c. Il n’advance point ceste doctrine, sans en avoir veu les effects : car il asseure qu’estant en Egypte, il toucha un de ces images de scorpion, qui guarissoit ceux qui estoient mordus par ceste beste: elle estoit gravee sur une pierre de Bezahar, ou comme en l’appelle communément, Bezoar. On dira par adventure que ces Arabes sont des resveurs, & par consequent peu croyables ; ailleurs je les deffends de ceste calomnie : Pour maintenant il me suffit de ne les pas citer, afin de contenter tous les opiniastres : je cite donc les Grecs & les Latins, qui sont estimez plus veritables.

4. Gregoire de Tours, outre une infinité de curiositez qu’il rapporte de la France, dit, que comme on creusoit les ponts de Paris, on trouva une piece de cuivre en laquelle on voyoit la figure d’un rat, d’un serpent, & d’un feu : mais estant negligée, & paraventure rompuë ou gastée, on vid peu de temps apres un grand nombre de serpents & de rats, & on en voit encore quantité, & souspirons tous les tours les dommages que le feu a du depuis si souvent fait dans celle ville : & auparavant la descouverte de ceste lame merveilleuse, tous ces malheurs y estoient incogneus. On dit aussi qu’apres que Muhamed second se fut saisi de Constantinople, la rupture de la machoire inferieure d’un serpent de bronze fut la cause de la naissance des serpents en ce terroir, tant il est vray que ces Talismans ont la puissance de destourner beaucoup d’incommoditez qui affligent les hommes ; Et qui ne sçait que par leur moyen les sçavans des siecles prisez ont souvent chassé les insectes des villes & des campagnes, comme moucherons, locustes & chenilles. Si on est curieux d’en voir des exemples, il ne faut que lire les Chiliades de Joannes Tzetzez, où cét Autheur Grec, qui vivoit environ le temps de ceste excellente historienne Anna Comnena fille de l’Empereur Alexis, escrit qu’Apollonius environ l’an CIↃCLX. par un Talisman de Cicogne empescha ces oyseaux importuns d’entrer dans Constantinople, & par un autre destourna les moucherons d’Antioche. On peut voir aussi le Centiloque de Ptolomee, & le Commentaire d’Abre Gefar, faussement imputé à Haly, comme a remarqué Scaliger.

5. Davantage, je pense que les premiers Dieux des Latins , qu’on appelloit Averrunci ou Dij Tutelares : n’estoient autres que ces images Talismaniques : & je tire ceste conjecture de ce que quelques historiens asseurent qu’on en dressoit quelques uns sous certaines constellations, mais le malheur de l’Idolatrie ayant gasté le meilleur des sciences, fit que prenant ces images pour des Dieux, la legitime fabrique fut estouffee & perduë : on en mettoit aussi à la proue des navires pour les garder de naufrage, & le tout naturellement, puis qu’on peut dresser un Talisman sous le signe des poissons, qui pourra rendre pour quelque temps les eaux calmes & sans tempeste. Les Grecs,comme Hesychius, & Herodote appelloient ces figures mises aux navires παταίκους mot, sans doute, tiré de l’Hebreu פהזחים Pitochim, qui vaut autant que Cælaturæ, c’est pourquoy les Paraphrastes Chaldeens l’ont tourné par cét autre que nous avons veu צלמניא Tsilmenaija. Or il faut noter que ces figures n’estoient pas en forme d’homme, mais de quelque figure celeste ; ce qui me fait croire que c’estoient des veritables Talismans. Les Nautonniers ne laissoient pas pourtant de mettre aussi à la poupe, la statuë de quelque divinité, comme de Mars, d’Apollon, de Venus, de Mercure & des semblables, à raison dequoy Virgile dit:

Auruto fulgebat Apolline puppis.

Et Perse:

Iacet ipse in littore, & unà Ingentes de puppe Dei.

Ce qui auroit donné sujet à la Fable de dire que Jupiter avoit ravi Europe sous la figure d’un Taureau, puis que le Navire des Cretois qui la desroberent, avoit pour Talismans la figure de cét Animal celeste, & pour la divinité la statue de Jupiter. Le mesme peut-il estre arrivé de la Fable de Ganimede, ravi par l’Aigle de ce Dieu : voyez sur ce subjet Sextus Pompeius en son livre de l’Europe & Lactance au sien de falsa Religione. Ceste coustume de mettre un Talisman, ou image aux vaisseaux contre le naufrage estoit si ancienne, qu’on dit que ceux d’Aenee en avoient un de deux lyons, les Gardariens un autre d’un cheval, & un de ceux d’Alexandrie, sur lequel S. Paul navigea, en portoient un, où Castor & Polux estoient gravez, ou bien les Jumeaux, selon les Arabes, & celuy sur lequel Hypocrate feit voile pour aller guarir Democrite à Abdera portoit celuy d’un Soleil. Or tous ces Talismans n’estoient point tant contre le naufrage que pour eviter quelque autre malheur, ou posseder quelque bon-heur. Les Chrestiens ont pris d’eux, la coustume de mettre aux vaisseaux des images, mais Chrestiennement, y depeignant les saincts du nom duquel on appelle, par apres les vaisseaux & galeres.

6. Mais puis qu’insensiblement je suis tombe en ceste curieuse Antiquité, j’adjousteray que ces Talismans, ne se mettoient pas seulement dans les villes, & sur les vaisseaux, mais aussi en pleine campagne, & peut estre que la pierre tant celebre parmy les Turcs appellee Brachtan, posee en Maché, longue de quatre pieds, & large de deux, au rapport de Suidas, n’estoit qu’un Talismam : autrement n’est-ce pas à conter des Fables de dire qu’elle n’a esté si chere aux Turcs qu’à cause qu’elle avoit servi comme de lict, lors qu’Abraham eut cognoissance de sa chambriere Agar, car outre que cela est ridicule, les Turcs ne veulent point confesser qu’ils soient bastards sortis d’une chambriere, mais bien de Sarah ; c’est pourquoy ils se plaisent d’estre appellez Sarazins. Les autres disent que ceste pierre est tant honoree des Turcs, à cause qu’Abraham y attacha le chameau lors qu’il monta au plus haut de la montagne pour sacrifier son fils, comme le rapporte Euthymius Zigabenus; ou bien comme asseurent quelques resveurs Arabes, qu’elle ne servoit qu’à la mémoire d’une pieuse femme ravie au Ciel, & honoree en terre, comme une Deesse, pour avoir receu fort charitablement les Anges Arot & Marot. Ce qui a porté ces derniers à conter ces resveries, c’est la figure de Venus gravee sur ceste pierre avec un croissant : & c’est ce qui me fait croire, qu’elle est un Talisman de cet Astre pris anciennement en toute l’Asie, dit Selden, pour la Lune ; à raison dequoy, ce peuple a le Vendredy en honneur comme nous le Dimanche, & qu’en memoire de cét Astre que tous les Asiatiques adoroient, le feste & cime de leurs temples & pavillons, sont ornez de petits croissants, comme les nostres des Croix. On ne peut pas dire que ceste pierre fust une simple image à l’honneur de Venus: car outre qu’elle estoit aux champs & non dans quelque temple : par tout ailleurs où on voyoit des figures de ceste Deesse, ne faisoient pas les mesmes effets que celle-cy faisoit: car elle chassoit, dit Zachder, les bestes venimeuscs, rendant les campagnes des environs heureuses & fertiles, ce qu’on ne void pas aujourd’huy, au contraire tout y est sterile : ce qui convient tres-bien avec la nature des Talismans, qui n’ont la force qu’à un certain temps : comme asseure le Grand Albert: Non lateat nos, dit-il, quod sicut virtmts naturaìes perdurant in quodam tempore & non ultra ; ita etiam est de virtutibus imaginum : non enim influit aliqua virtus de cœlo, nisi in quodam tempore periodi, post ea cassa & inutilis remanet imago frigida & mortua. Et hæc est causa, quare quædam imagines non operantur hoc tempore quod fecerunt tempore antiquo. Des diverses opinions sur ceste pierre Talismanique on peut juger combien de Fables on a advancé touchant ces images artificielles, comme de celles qu’on appelloit stoechiodes, abbatues par les Latins lorsqu’ils se saisirent de Constantinople: du Palladium duquel on dit tant de merveilles, & qui paravanture n’estoit qu’un Talisman ; des figures des Amorehens, que Philon Juif dit qu’on apelloit Nimphes sacrees, monstrant aux esclaves d’heure en heure, tout ce qu’ils devoyent faire ; & qu’en fin ayant esté ruynees, un Ange du Seigneur voyant qu’on ne pouvoit les briser ny reduire en cendres, les jetta dedans un abysme: Resveries. Et notez que les Grecs ont esté les premiers qui ont tourné ces veritez en Fables: car ayant trouvé ces images desja dressees, & voyant qu’elles avoyent une puissance si merveilleuse, n’en pouvant comprendre la cause, en faisoyent des contes ridicules, comme de toutes les autres choses desquelles ils ne pouvoyent sçavoir la verité.

7. Icy on peut demander deux choses : La premiere, à sçavoir si dans l’Escriture saincte est faict quelque mention de ces images Talismaniques? & l’autre, à quel temps elles furent inventees & par qui ?

A la premiere, je responds que dans l’original Hebreu, non plus que dans les Traductions, ces figures ne sont point nommees ; ce n’est pas que ceux qui rapportent toutes choses aux puissances de la nature à la façon des Athees, n’ayent voulu dire que le serpent d’airain dressé par Moyse dans le desert, n’estoit simplement qu’un Talisman qui chassoit les serpens & guarissoit leur morsure ; mais ceste raison destruit leur creance, qu’il faut que la matiere du Talisman, ne soit pas desja contraire de sa nature au mal qu’on veut qu’il guarisse. Or les Rabbins qui ont traicté ceste histoire asseurent, au rapport de tous les Naturalistes, qu’il n’y a rien plus contraire à ceux qui sont mordus des viperes que de toucher ou regarder le cuivre, ce qui eust augmenté la douleur aux Hebreux affligez, & envenimé leur playe au lieu de la guarir : & ce fut la raison, paradvanture, que Dieu commanda à Moyse de dresser un serpent plustost d’airain que d’aucun autre metail, afin que ce peuple incredule cogneust, que puisque Dieu les guarissoit, par un remede contraire à leur mal, que sa Toute puissance les pouvoit bien conduire sans danger au lieu où ils ne croyoient jamais arriuer. Et en passant, je ne puis excuser Marsile Ficin, qui sans aucun fondement, impose aux Rabins d’avoir creu, que leurs peres ne dresserent en autre intention le veau d’or dans le desert, que pour estre un Talisman, qui destournast les influences de Mars, & de l’Escorpion à eux contraires. Hebræi quoque, dit il, in Ægypto nutriti, struere vitulum aurum didicerant, ut eorundem Astrologi putant, ad aucupandum Veneris lunæque favorem, contra Scorpionis, atque Martis influxum Iudæis infestum. Resveries.

A la deuxieme demande, je dis, que de vouloir assigner au vray l’Auteur de ces images Talismaniques, il faudroit deviner : toutesfois on ne peut pas nier que les Persans ne les ayent trouvees ou si vous voulez, les Babyloniens ou les Chaldeens, comme on peut voir dans le directeur de Rabbi Moses, qui dit que les Egyptiens & leurs voisins qu’il appelle Gens, Zaborium, Cazedim, & Aranim apprindrent d’eux ceste doctrine : & quand nous n’aurions que ce seul tesmoignage que par toutes ces terres du Levant, on voit encore de ces Talismans tres-anciens, ce nous seroit un argument infaillible que les Orientaux en ont esté les inventeurs.

8. Quelques-uns de ces Talismans ne font plus aucun effect comme celuy de plomb qui chassoit les Crocodilles, fondu par Achmed Ben-Tolon, Caliphe d’Egipte : ainsi qu’a remarqué Scaliger le Pere : comme aussi ceux que m’a communiqué M. du Val, homme tres-sçavant en ces curiositez, dont le nombre qu’il en a dans son cabinet est prodigieux. Je suis apres à faire graver tous les meilleurs Talismans qu’il ait, & l’eusse desja fait si j’eusse receu ceux que M. de Peyresc m’a promis. J’ay appris que M. Pontus de Lyon en avoit aussi quelques uns, que je tascheray de recouvrer pour les mettre avec ceux qu’on me doit envoyer d’Italie & d’Allemaigne, & si je les recognois bons, je les mettray au jour, & renouvelleray leur secret que tous les sçavans hommes regrettent comme perdu, ou grandement difficile ; monstrant par apres comme tous ceux qui ont dressé de ces figures y ont meslé des superstitions à bon droit condamnees. Or plusieurs de ces Talismans sont encore auiourd’huy aussi puissans que du commencement, tesmoin celuy que rapporte le Cosmographe Arabe, tres-croyable, cité par Scaliger le fils : Ce Talisman se voit, dit il, aux contrees de Hamptz dans la ville du mesme nom, & n’est autre chose que la figure d’un Scorpion, gravee sur l’une des pierres d’une tour, qui a ceste puissance de ne laisser entrer dans la ville aucun serpent ou scorpion: & si par plaisir on y en apporte quelqu’un des champs, ils ne sont pas plustost à la porte qu’ils meurent soudainement. Ceste figure a encore ceste vertu, que lors qu’on est piqué de quelque scorpion, ou mordu de quelque serpent, il ne faut qu’imprimer l’image de la pierre avec de l’argile, & l’appliquer sur le mal qui est guary à mesme temps. Que si on ne veut croire à ce Cosmographe, qu’on croye à Monsieur de Breves comme tesmoin oculaire, qui dit en la relation de ses voyages, qu’« en Tripoly de Syrie, dans le mur qui joint la porte de la marine, se voit une pierre enchantee, sur laquelle est taillee en relief la figure d’un scorpion, laquelle y fut mise par un Magicien pour exterminer les bestes venimeuses, qui infectoyent ceste Province, comme à Constantinople le serpent d’airain, en Hippodromos, & au dessus de la ville se voit une caverne pleine de carcasses & ossemens de serpens qui moururent lors.» Ce sont ses propres mots. Que s’il appelle ceste pierre enchantee, & qu’elle y fut mise par un Magicien, il ne parle que selon le sentiment des habitans qui ne sçavent dire autrement, n’en sçachant point la raison naturelle, comme nous avons dit. Dans Bysance maintenant Constantinople on voyoit quantité de ces figures Talismaniques, mais la fureur des guerres les a ruynees au desadvantage des habitans. Muhamet Sultan fit encore abbatre un cheval d’airain, portant un chevalier qu’on disoit garder asseurement la ville de peste & d’air contagieux : mais du depuis ceste maladie y a esté si grande, qu’en l’espace de quatre mois, tesmoin Leonclavius qui estoit present, elle a estouffé cent cinquante mille personnes, & tous les ans au mois de Juillet & d’Aoust on void presque un semblable effect. Et bref toute l’Asie estoit pleine de ces figures, dont la pratique estoit aussi passee en Europe: car les Druydes au rapport du docte Frey, s’en servoyent heureusement, & mesme nos ayeuls ont asseuré que c’estoit une ancienne tradition, que là où les Fees ou Fades, femmes des Druydes, habitoyent, jamais la gresle ny tempeste ne gastoyent les fruits; & la cause en estoit à mon opinion, parce qu’elles dressoyent de ces Talisman. Du depuis plusieurs sçavans hommes ont tiré de l’oubly ces figures; & Paracelse s’y est tellement occuppé, qu’il en a fait diverses, avec tant de puissance, qu’elles preservent de peste ceux qui les portent, comme ont veu par experience plusieurs Allemans. Et sans aller plus loin, on m’a asseuré que M. Laneau preservoit de ceste maladie tous ceux ausquels il donnoit un de ces Talismans, qu’il faisoit suivant ceux qu’a d’escrit Marsile Ficin. Ceux aussi que Paracelse appelle Zenexton (mot controuvé, estant la coustume de cet Autheur de feindre des mots nouveaux) sont dressez avec un singulier artifice : en l’un on void un scorpion & un serpent figurez, & dit qu’il faut le faire lors que le Soleil & la Lune entrent signe de l’Escorpion: En un autre on voit quantité de petits trous au dedans d’une ovalle, voyez-en la figure rapportée dans les œuvres Chimiques de Crollius.

On pourra encore objecter, que ceste practique part d’un homme soupçonné, & dont les escrits ne sont point exempts de Magie. Ailleurs je responds à ceste objection, pour maintenant j’advanceray de ces figures faites par des hommes sans reproche.

Jonctin sur la Sphere de Sacrobosco asseure que son Precepteur qui estoit un Religieux Carme, appellé Iulianus Ristorius à Prato, nullement superstitieux, fut prié par un de ses amis de luy dresser une de ces figures pour le soulager de la goutte crampe, à laquelle il estoit grandement sujet : luy qui estoit homme sçavant touché de l’incommodité de ce sien amy, luy donne la maniere d’en faire, de façon qu’il n’en dressa pas seulement une, mais plusieurs, la lune estant au signe de Cancer, avec tant d’heur & de certitude qu’il en veit incontinent l’effect. Confecit, dit-il, plures imagines pro se & amicis suis : quibus confectis unam pro se accepit & liberatus est. La mesme il dit d’un florentin fort pieux , qu’il fit aussi un de ces Talismans, pour chasser les moucherons, & il en vint à bout. Nicolaus Florentinus, dit il, vir religiosus fecit in una constellatione annulum ad expellendum culices, quas vulgo Zauzaras dicimus, sub certis & determinatis imaginibus, & usus fuit constellatione Saturni infortunati, & expulit culices. Que veut-on davantage pour l’innocence & la puissance tout ensemble des figures ? qu’on blasme tant qu’on voudra ceux qui les maintiennent, & qu’on descrie ces experiences; Pour moy je les recognois certaines & naturelles, & proteste n’y avoir jamais rien trouvé de supernaturel.

La deuxième voye que je me suis proposé de suivre, pour monstrer la puissance de ces figures, est le pouvoir & la vertu de la ressemblance qu’il y a entre le scorpion & son image, & la constellation de cét animal. Je prouve donc ceste vertu par induction de celle que la seule ressemblance produit dans tous les Arts & sciences, comme Theologie, Philosophie, Medecine, Astrologie, Phisionomie, Divination des songes, Peinture, Sculpture, Musique, &c.

9. Ceux donc qui sont sçavans aux secrets de l’Ancienne Theologie asseurent que les premiers qui mirent des Images aux Temples, semblables à celles avec lesquelles les Anges avoient paru en terre, ce ne fut qu’à dessein d’attirer plus facilement par la force de la ressemblance ces bien heureux esprits : Et je ne sçay si par ceste mesme vertu de ressemblance qu’il se trouve entre Dieu & les hommes. Faciamus hominem ad imaginem, & similitudinem nostram : Quelques Theologiens auroient dit vray, que le Fils de Dieu n’eust pas laissé de ce faire homme sans pastir toutesfois, bien qu’Adam n’eust pas offencé : mais parlant des choses comme elles sont à present, nous sçavons que Jesus-Christ se trouve au milieu de ceux qui parlent avec foy de son nom, parce que parlant de quelqu’un avec affection, nous nous l’imaginons tel qu’il est; nous imaginants donc Jesus-Christ quand nous parlons de luy, il se trouue parmy nous, se rendant ainsi present à nos cœurs, lorsque nous y gravons son image par nostre pensee ; tant il est vray que la ressemblance peut des merveilles sur celuy mesme qui ne depend d’aucune chose, & qui n’est contraint en aucune loy: mais que cecy soit conceu & pieusement & avec humilité, & avancé avec la saincteté qu’il faut pour parler d’un subject si adorable.

10. La Philosophie encore nous fait voir en l’imagination le pouvoir qu’a la ressemblance: car si la femme enceinte vient à se representer puissamment quelque object durant l’actede la generation, le fruict asseurément en retiendra parfaictement l’image. Les enfans sçavent l’histoire de la Princesse qui conceut & enfanta un More, bien qu’elle & son mary fussent blanct, à cause seulement qu’un More estoit depeint au ciel de son lict. Ainsi, la mere s’imagine de desrober, de tuer, ou d’aimer, l’enfant sera larron, meurtrier, ou amoureux ; si de voyager, il sera voyageur ; si de dancer ou de jouer du luth, il y sera propre, & ainsi du reste: & on sçait que tous les jours on experimente aux enfans les desirs passionnez que les meres ont eu durant leur grossesse, imprimant à leur fruict la ressemblance de la mesme chose qu’elles ont desiree. A raison dequoy on dit que les enfans qu’une femme mariee aura conceu d’un autre que de son mary, ressembleront parfaitement à son mary, parce qu’elle pensoit tousjours en luy durant l’acte de la generation craignant qu’il n’arrivast sur l’affaire. Voyez ce que nous avont dit à la fìn du chapitre precedent de ces marques pronenuës par l’imagination, & comme elles venoyent à estre esmeuës, si on maugeoit ce qu’elles ressembloyent. Voyez encores ces merveilles de l’imagination bien deduites par Paracelse, Marsile Ficin, Pic Comte de la Mirande, Tostat, Valesius & Medina.

11. La Medecine observe pareillement les admirables effects tirez de la ressemblance, tesmoin les simples qui soulagent les parties de nostre corps dont ils portent l’image, comme nous avons veu ; ou bien ils guarissent les maux, desquels ils ont la figure ou couleur. Ainsi les lentilles & semences des raves guerissent la petite verole des enfans, à cause que ces grains sont semblables aux taches de ce mal : & la rhubarbe qui est jaune, chasse la colere qui est de mesme couleur. En un mot les plantes steriles ou fecondes, dit Porta, rendent ceux qui en usent steriles ou feconds, les belles rendent beaux, les laides, laids, & les defectueuses defectueux, de façon qu’il couclud apres Theophraste. Accedunt stirpium aliquot geetra deficientium, vel folio, vel radice, vel alijs partibus, eademque ratione membris illis nostri corporis respondentibus infesta noxiaque sunt. Le mesme il dit des animaux : Eadem ratione ad animalia transeundo, si aliquibus membris deficisse videmus, eadem membris nostris adversantur. A raison dequoy les animaux qui n’ont point de sang gastent le nostre, si nous les mangeons. Ainsi de toutes les autres parties: Et on observe qu’en France il se trouve plus de Ladres qu’en pas un autre Royaume, à cause qu’on y mange des pourceaux en plus grand nombre, tant il est vray que nostre corps se rend semblable à ce qu’il mange. A raison dequoy on dit qu’Hercule estoit grandement fort, parce qu’il se nourrissoit de la moüelle de Lyon, animal tres-robuste.

12. L’Astrologie monstre aussi la vertu de la ressemblance, jugeant des qualitez de l’enfant par celles des estoilles : car Mars eslançant une lumiere esclatante & rouge, fait rougeastre celuy qui naist sous son influence. Saturne qui est pasle & languide, le fait blesme & decoloré, Jupiter & Venus qui d’ardent des rayons clairs, doux & agreables, le rend beau & plaisant. Le mesme en est des autres qualitez, comme si les signes sont hauts & en leur Apogee, l’enfant, disent les Arabes, sera pareillement haut & de grande stature ; s’ils son bas, il sera bas & petit. Quant au mouvement, Saturne qui l’a tard, & lent, rend aussi l’enfant paresseux & pesant : la Lune qui l’a viste le rend leger & estourdy. On peut voir le reste parfaitement deduit par ces deux sçavans Italiens, Cardan & Porta, qui asseurent qu’on peut predire aussi sans faillir des evenemens tous semblables, par la figure & autres qualitez des Metheores. Ainsi peut-on dire, qu’on verra des armées, combats, & guerres, apres que les lances de feu, espees, trompettes, & boucliers, sont apparus en l’air : Et principalement le Commette, duquel on dit, nunquam impune visus Cometta: & en suite on peut conclurre grande effusion de sang, lors que tous ces Metheores sont extraordinairement rouges : ou bien quand le Soleil & la Lune, au temps qu’ils souffrent quelque esclypse semblent ensanglantez : que s’ils sont pasles, fluides, & ternis, on peut conclurre des grandes mortalites causees par la peste, qui rend ceux qui en font frappez pasles, blesmes, & sans couleur.

13. La phisionomie fait encore voir des effects prodigieux de la ressemblance & des figures: car si on vient à contrefaire la mine de quelqu’un, & qu’on s’imagine d’avoir les cheveux, les yeux, le nez & bouche, & toutes les autres parties comme luy ,& en un mot si on s’imagine semblable à luy en phisionomie, on pourra cognoistre son naturel, & les pensees qui sont propres, par celles qu’on se formera durant ceste grimace : C’est l’opinion fondee sur l’experience de Campanella, qui l’exprime en ces termes: De sensi Cum quis hominem videt statim imaginari oportet se nasum habere ut alter habet, & pilum, & vultum, & frontem & locutionem: & tunc qui affectus, & cogitationes illi obrepunt, iudicat homini illo esse proprios, quem ita imaginando contuetur. Hoc non absque ratione & experientia. Spiritus enim format corpus, & iuxta affectus innatos ipsum fingit exprimìtque. J’avois tousjours pensé que l’opinion de cét homme fut de s’imaginer seulement la mesme mine, comme portent ses paroles : mais comme j’estois à Rome, ayant sceu qu’on l’y avoit amené, j’appris le reste par la curiosité que j’eus de le visiter à l’inquisition, non sans beaucoup de peine: m’estant donc mis à la compagnie de quelques Abbez, on nous meina à la chambre où il estoit, & aussitost qu’il nous apperceut il vint à nous, & nous pria d’avoir un peu de patience qu’il eust achevé un billet qu’il escrivoit au Cardinal Magalot : nous estans assis, nous apperceumes qu’il faisoit souvent certaines grimaces, qui nous faisaient juger qu’elles partoient ou de folie, ou de quelque douleur, que la violence des tourmens dont on l’a affligé luy eust causé, ayant le gras des jambes toutes meurtries, & les fesses presque sans chair, la luy ayant arrachee par morceaux, afin de tirer de luy la confession des crimes dont on l’accusoit. Mais un sçavant Alleman fera voir en peu de temps l’histoire de ses malheurs & de sa vie. Pour revenir donc à nostre propos, un des nostres luy ayant demandé, dans la suitte de l’entretien, s’il ne sentoit point de douleur, il respondit en riant que non, & jugeant bien que nous estions en peine des grimaces qu’il avoit fait, il nous dit qu’à nostre arrivee il se figuroit le Cardinal Magaloti, comme on le luy avoit depeint, & nous demanda s’il estoit fort chargé de poil. Pour lors, moy qui avoit leu autrefois dans son livre ce que dessus, je conceus incontinent, que ces grimaces estoient necessaires pour bien juger du naturel de quelqu’un. Je ne dis point ce qu’il se passa en ces entreveuës, parce qu’il est hors de mon sujet. Je retourne seulement aux effets qui se trouvent en la phisionomie, produits par la force de la ressemblance. On voit donc par expcrience, & tous les sçavans phisionomistes l’ont observé, que si un homme a le front rond, il est sujet à folie & legereté, s’esmouvant fort facilement, ainsi que la figure ronde est facile à mouvoir; Et la raison naturelle en est que les esprits montans en haut, & rencontrant un lieu rond ils sont fort facilement meus. On observe encore, que ceux qui ont le bas du visage avancé & pointu, & le front petit, qu’ils sont grandement brutaux & stupides, en un mot, ils ressemblent au pourceau dont ils portent aucunement l’image; & sans m’arrester davantage à ces experiences, voyez-en un bon nombre chez les phisionomistes, esquels on peut remarquer combien de pouvoir & de vertu ont la ressemblance & les figures.

14. L’art de deviner les songes est fondé encore sur la ressemblance, comme on peut voir dans l’histoire sacrée, où Joseph predit à l’Eschanson, qu’apres trois jours il seroit remis à son office; parce qu’il avoit songé, qu’il pressoit trois grappes dans la coupe de Pharaon; mais au boulanger il luy predit qu’apres trois jours il seroit pendu, & son corps mangé des oiseaux, suivant ce qu’il avoit aussi songé, qu’il portoit trois corbeilles pleines, & que les oiseaux mangeoient à la derniere. Il predit encore sept ans de fertilité, & sept autres de sterilité, par les sept vaches grasses, & sept maigres, & les sept espis plains, & les sept vuides, que Pharaon avoit veu en dormant. L’histoire prophane a aussi cogneu plusieurs de ces veritez par la similitude: car Hecube estant grosse songea qu’elle enfantoit un flambeau qui brusloit son Royaume, & ce fut Paris qui fut la cause de l’embrasement de Troye. Je dis davantage, que la ressemblance des songes a souvent esté si puissante, qu’on a veu reelement arriver ce qu’on avoit songé; comme Cornelius Ruffus, lequel apres qu’il eust songé d’avoir perdu la veuë, la perdit tout à faict. Galien en rapporte un faict tout semblable au livre des Presages qu’on peut tirer des songes, & on peut voir les Autheurs qui en ont escrit, comme Nicephore, Salomon Juif, Synesius, Platon, Ciceron, Valere Maxime, Cardan, & Artemidore, qui ont examiné tout ce que Chrisipe, Antipater, Artemones, Jambliche, Aristide, Apomazar Arabe, & Scirnachan Indien en avoient dit.

15. La Peinture & la Sculpture confirment merveilleusement ceste puissance des figures, puis que les tristes & pleurantes nous rendent si tristes, que par fois elles tirent des larmes de nos yeux; & les plaisantes & gayes nous resjouyssent & font rire : c’est pourquoy on n’employe celles-cy que rarement aux choses sainctes, & void-on les premieres frequentes aux Eglises, depeignant plus souvent Jesus-Christ en Croix que ressuscitant, ou seant à la dextre de son Pere; parce que, outre que la peinture en ceste action nous met en memoire & nostre redemption & l’amour de celuy qui estant immortel s’est voulu faire homme pour pouvoir mourir, elle nous excite encore par la vertu de la ressemblance à estre tristes comme elle est, tant elle a de pouvoir: Est enim similitudo (dit Porta) pictus sermo, vel picturaloquens, quæ quovis sermone, quibùsve notis valentor est.

16. La Musique en fin monstre, aussi bien que tout le reste des sciences, les secrettes vertus de ceste ressemblance & des figures. Ainsi (dit-on) que le Musicien Timothee par la diversité des voix & tons, qu’il disposoit suivant l’harmonie des humeurs, il n’y avoit point d’affections qu’il n’esmeust : & nous esprouvons tous les jours que les chansons gayes nous rendent gais, & les piteuses tristes. La musique des Lydiens, à ce que Platon en dit, estant effeminee rendoit les hommes effeminez : au contraire, celle des Lydiens, courageux, masles, & sans crainte. Je laisse ce que les curieux ont advancé, de pouvoir guarir les maladies avec la musique par la convenance des tons, ainsi qu’on asseure de Pythagore, qu’il guarit les furieux, Terpander les sourds, & Damon les yvrognes. Pour les instrumens, il n’y a rien de plus certain, qu’on en peut faire sonner plusieurs à la fois, sans qu’on les touche, pourveu qu’on les accorde en la mesme proportion que celuy qu’on touchera sera monté & accordé : Et bien que le son aux autres soit fort delicat à nostre sentiment, on pourra pourtant voir le mouvement que les cordes feront, si on met une plume ou quelque autre chose legere au dessus. Admirable ressemblance, qui fait des merveilles par tout ! Quidnam hic efficit, dit M. Ficin, ut cithata subitò patiatur à cithara, nisi situs aliquis quædam figura conformis?

Si donc la ressemblance a tant de pouvoir en tout ce que nous venons de voir, concluons qu’elle n’est pas moindre en celle des figures Talismaniques, & d’autant plus asseurement que l’experience nous le fait voir. Reste maintenant de prouver ceste puissance naturelle par la troisieme voye, qui est la vertu des Astres : ce qui sera facile, si nous monstrons premierement la façon que les plus doctes tiennent en dressant ces Images, je dis les plus doctes, parce que je sçay que plusieurs ne font pas tant d’observations, comme nous verrons, bien qu’ils voyent quelquefois arriver l’effect qu’ils desirent , mais c’est avec plus de temps.

17. On se propose donc tout premierement l’effect qu’on veut faire avec ces images, comme chasser quelques bestes dommageables, adoucir la violence des vents, destourner la foudre & la gresle, guarir certaines maladies, & autres choses. Cela estant proposé, on cherche les moyens propres pour parvenir à ceste fin, comme pour guarir l’hydropisie, il faut considerer que la maladie consiste en l’humidité, il faut donc prendre non une matiere indifferente pour graver & tailler sous les Constellations; mais desja chaude & seiche de sa nature. Secondement, choisir pour le signe ascendant celuy qui est pareillement chaud & sec, tel qu’on dit estre le belier. En troisième lieu, choisir encore le signe à qui ceste maladie est subjette, tel qu’on dit estre Saturne: mais ayant aussi besoin d’un Astre fort humide, afin que la sympathie qui est si puissante en toutes choses agisse en cét effect, on prendra la Lune en son decours : car ainsi que pour guarir la morsure de la vipere on mesle de sa chair à l’Antidote : de mesme, pour faire vuider ces eaux, il faut se servir de l’Astre qui a plus de convenance avec les eaux. D’avantage il faut observer le signe qui a du rapport avec la partie du corps qui est essence, & c’est le conseil d’un sçavant Medecin, qui dit: Opartet Medicum absque defectu scire, ubi cauda draconis sit in homine, ubi Aries, ubi Axis polaris, ubi sit linea meridionalis, ubi Oriens, ubi Occidens, &c. Or que les signes ayent plus de convenance, & influent davantage à une partie du corps qu’à l’autre, l’experience de la guarison des playes nous le fait voir tous les jours. On prend garde encore s’il est possible aux Astres sous lesquels le malade est subject; & en fin on remarque sur tout de travailler sous certains aspects seulement profitables en l’operation, les uns pour influer avec plus de chaleur ou de froideur, les autres avec moins, estant ainsi requis. De façon que toutes ces choses estant diligemment observees, les rayons de ces Astres rencontrans la figure disposee, s’impriment tellement en elle par la ressemblance & harmonie qui s’y trouve, qu’estant une fois receus, ils agissent par apres à ce qui s’y rencontre de semblable. En toutes les autres choses on procede de mesme, comme pour chasser, par exemple, les scorpions de quelque endroit, on choisit le signe avec lequel ils ont quelque correspondance, tel que le scorpion celeste, puis on prend un Astre malin, & qui leur est contraire, n’estant pas si necessaire d’observer tant de regles aux bestes & autres animaux irraisonnables, qu’aux hommes. La figure du scorpion estant donc dressee, les scorpions vivans sentans naturellement l’influence nuisible, qui est attachée à l’image, ils la fuyent pour se conserver : ou bien s’ils sont trop proches, ils meurent. Que si on a peine à concevoir comment ces animaux peuvent sentir ceste influence, il ne faut considerer qu’il y a certaines personnes qui hayssent si estrangement les chats, ou autres animaux, que s’il y en a un dans la maison, ils suëront & fremiront naturellement, sans qu’ils le voyent. On dit aussi qu’il y a une certaine herbe que les chats sentent de fort loin, de façon que si on met sur un toict, ou dans une chambre, ils viendront de bien loin pour se veautrer dessus. Plusieurs choses sont descrites par les Naturalistes plus incroyables en apparence. Il ne me reste donc plus que d’expliquer trois choses avancees, qui sont : A sçavoir si les Astres influent sur les choses d’icy bas : s’ils ont quelque ressemblance avec elles: & si les figures artificielles peuvent retenir leurs influences, & agir par apres comme nous avons dit.

18. Mais auparavant il faut que je pose ceste conclusion & ce fondement asseuré : Que les Astres, & leurs influences en ces figures ne sement rien sur nostre volonté, c’est pourquoy j’estime ridicules, damnables & scandaleuses ces operations qu’Alibinus Villanovensis dit qu’on peut faire par le moyen de ces Images:
Adfugandos latrones.
Ut mulieres transeuntes super imaginem rideant & cantent.
Ad sistendum equum in cursu.
Ad recipiendam substantiam ablatam.
Ad expugnandos hostes, &c.

& plusieurs autres, esquelles on peut joindre celles de Thebit Ben-Chorat, & la plus grand’ partie de celles de Tritheme, & de Gochlenius, dont nous rejettons l’invention, & en condamnons la pratique, comme trompeuse & de nul effect, aussi bien que celles de Marcellus Empirique, qui dit que pour guarir la douleur qui se forme dans l’intestin, qu’on appelle Colum, qui va depuis le roignon dextre jusques au fenestre en passant sur le fonds de l’estomac, il faut dresser un Talisman d’une lame d’or gravee des characteres suivans : mais auparavant voulez-vous rire, escoutez ceste observation. Que la lame d’or soit gravee sous la vingt & uniéme Lune avec une pointe de mesme metail. Qu’estant gravee, elle soit mise dans un petit tuyau d’or bouché de peau de chevre, puis le lier avec une courroye du mesme animal au pied droit ou au gauche, selon que le mal se trouvera de l’un ou de l’autre costé. Que celuy qui en usera, n’ait aucune cognoissance de femme, & principallement d’enceinte. Qu’il prenne garde de ne pas entrer dans des tombeaux ou sepulchres : Et bref qu’il observe sur tout de chausser tousjours le pied gauche premier que le droit : escoutons parier le mesme Autheur, plus impertinent & superstitieux qu’aucun qui ait jamais traicte ceste matiere qu’on descrie pour estre meslee de mille sottises, sans qu’on vueille se donner la peine de choisir le bon, & laisser le mauvais: Sed dum, (dit-il) utitur quis hoc præligamine, abstineat Venere, & ne mulierem, aut prægnantem contingat, nec sepulchrum ingrediatur omninò servare debebit. Adipsum autem coli dolorem penitùs evitandum, ut sinistrum pedem semper prius calciet observabit : Tout le reste est trop long & trop ridicule pour le deduire. Les caracteres de ce Talisman superstitieux (que je ne rapporte que pour faire cognaistre la distinction que je fais des faux & des veritables) sont ceux-cy:

L * M O R I A
L * M O R I A
L * M O R I A
L * M O R I A

D’icy je n’ay plus de peine à comprendre pourquoy la puissance des Talismans est aujourd’huy si mesprisee : car on en a escrit des choses si crotesques & dangereuses tout ensemble, que sans faire distinction du bon & du mauvais, on abhorre également tout ce qui porte le nom de Figure ou Talisman. Mais separons le bon grain de l’yvroye; & disons en suite de nostre discours, qu’en la fabrique de ces figures toutes paroles font indifferentes, & qu’elles ne servent que pour amuser les plus simples, comme lors qu’Albinus dit que pour guarir les fiévres tierce & quarte, douleurs de nerfs, ventricule, & des parties honteuses, il faut graver l’image du scorpion sur de l’or, ou de l’argent, lors que le Soleil est en son propre domicile, & la Lune au Capricorne, & en la gravant il faut dire : Exurve, Domine, gloria mea : exurge psalterium & cythara ; exurgam diluculo, & reciter encore le Pseaume : Miserere mei Deus, miserere mei, quia in te confidit anima mea. De là mille superstitions ont pris naissance, & a-t’on commencé de vouloir guarir les maladies avec des simples paroles, sans avoir esgard ny aux Astres, ny à autre chose. Voyons maintenant le premier poinct qu’il nous faut prouver pour establir la puissance des figures, qui est à sçavoir si les Astres influent & causent du mouvement aux choses de ce monde.

19. Aristote pour prouver puissamment l’affirmative, forme un raisonnement admirable & digne d’un tel Philosophe. Cela, dit il, à quoy le mouvement a pris naissance, il a donné sans doute au reste des choses la force de se mouvoir: or est-il que le mouvement du ciel a este sans controverse le premier en la nature ; doncques tout ce qui s’y meut, se meut par son mouvement, de façon que s’il venoit à cesser, tout ce qu’il croit & se meut en ce monde cesseroit pareillement. Jonctin en apporte l’exemple du cœur de l’homme, lequel comme il est le commencement de vie & de mouvement, aussi fait-il vivre & mouvoir tous les autres membres; que s’il vient à estre blessé le mouvement qui estoit par tout les corps ne cesse pas seulement, mais aussi la vie : & en suite on peut voir Hypocrate, qui confirme tellement ceste doctrine , & authorise avec tant de verité ces influences celestes, qu’il asseure qu’on peut predire par le lever & coucher des Astres, les tempestes, pluyes, orages, & autre diversité de temps, sans la consideration duquel souvent les Medecins se trompent en la guarison des maladies: Cùm temporum mutatione, dit-il, & Astrorum ortus & occasus observaverit medicus, quemadmodum singula horum eveniant, prænoscet utique, & de anno, qualis hic sit futurus, &c. Et puis monstrant quel temps, & quelles saisons sont dangereuses aux maladies par le divers mouvement des Astres, adjouste incontinent : Periculosissima sunt ambo solstitia, maximè verò æstivum periculosum, etiam æquinoctium utrúmque, magis vero autumnale. Oportet autem & Astrorum ortus considerare, præcipuè Canis, deinde Arcturi, & Pleiadum occasum : Morbi enim in his maximè diebus indicantur, alijque perimunt, alij verò desinunt, aut in aliam speciem, aliúm que statum transmutantur. C’est perdre temps que de s’arrester à prouver ceste verité si claire : & quand nous n’aurions que ces tesmoignages, elle seroit assez cogneuë, qu’on a observé depuis que l’Astronomie a commencé d’estre, que le lever & coucher de ces estoilles fixes causent icy bas tres grands changemens, & faut estre ridicule & privé du sens commun, ou bien tout à fait ignorant, de nier que les Hyades & Pleiades ne soient pluvieuses & nebuleuses; c’est à dire causant nuées, obscuritez, & pluyes ; le Lyon & la Canicule, des chaleurs & des seicheresses : l’Orion, un temps humide & tempestueux; ainsi des autres. Et apres tout, ne voyons-nous pas qu’il y a des fleurs qui en se tournent avec le Soleil; d’autres qui se monstrent hors de l’eau lors qu’il se leve, & se cachent lors qu’il se couche, comme regrettant son absence; & non seulement les simples ont leurs qualitez qui procedent des Astres, mais encore les pierres, dont quelques unes suivent si bien les mouvemens de ceux qui leur influent particulierement, qu’elles changent d’aspect avec eux. On voit ceste verité en celle qu’on appelle Lunaire, doüée de tant de merveilles, qu’elle change de diverses faces aussi bien que la Lune, dont elle prend le nom : Et bref les humeurs ne croisssent-ils pas avec ce planette, & ne descroissent-ils pas quand il décroist ? Si on veut avoir d’avantage d’experience accompagnées des raisons qui convainquent, on n’a qu’à lire les predictions Astrologiques de Ptolomee, & on verra que la verité de ces influences est trop claire pour en douter.

20. L’autre poinct, qui est de la ressemblance des Constellations avec les choses sublunaires est plus difficile à prouver, mais non pas moins veritable, toutesfois on fait ceste objection. Si les Constellations du belier, du taureau, des gemeaux , &c. ressemblent à ces animaux, ou c’est reellement, ou seulement par imagination : Si reellement, ou ils sont à l’huictiesme ciel, ou à quelque autre : ils ne sont pas au huictiesme : car aux Constellations du belier, du taureau, & des. autres, on ne voit point que ces animaux soient depeints & representez : ils ne sont pas non plus aux crystallins, ny à ceux des planettes : car nous les verrions comme nous voyons les autres estoilles, ny à un neufiesme ciel, comme quelques uns ont creu; s’ils sont par imagination, leurs effets sont doncques imaginaires & non veritables, & par consequent la puissance des Talismans, ou Figures, est vaine.

Nous respondrons apres les plus sçavans Astrologues, que veritablement ces peintures ne sont point reelles : car aux estoilles qui composent la constellation du belier, on y peut aussi bien imaginer un cheval qu’un mouton, Si j’en ay autrefois fait l’experience. Elles ne sont pas aussi imaginaires, à la façon qu’on imagine une chimere, qui n’a jamais esté, mais elles sont ainsi disposees au ciel par nostre imagination; à cause que la constellation qu’on appelle belier, influë puissamment sur les moutons & beliers, le taureau sur le taureau, ainsi des autres : ou bien le belier celeste est ainsi appellé, à cause qu’il n’y a point d’animal en terre qui soit plus semblable en nature à ceste constellation que le belier : car il rend celuy qui naist sous luy si pieux, si humble, si doux, & si traictable, qu’il ressemble en tout à la simplicité d’un agneau. Davantage, il aura la teste dure, & les cheveux espais & faits en chainons, comme une toison : Vidimus enim, (dit Jonctin) complures huius signi homines, capite malleari, spissis crinibus ad modum velleris, & supra frontem elevatis quasi capite certarent. Et ce sont les raisons naturelles pourquoy ces signes celestes sont appeliez du nom des animaux. On peut adjouster encore celles-cy avec le mesme Jonctin ; que lors que la Lune est au signe du belier, ce signe influe principalement sur la teste de l’homme, & la rend forte comme celle de cét animal, & c’est pourquoy on a appelle ceste constellation de ce nom plustost que de celuy d’un autre animal : tout de mesme, lors que la mesme planette se trouve au signe du taureau, il influe sur le col, où gist la force du taureau; à celuy des gemeaux, sur les bras, c’est pourquoy on represente deux enfans qui s’embrassent, à l’escrevice sur la poictrine, à cause que ceste beste marche sur ceste partie ; lors qu’elle est au lion, ce signe influe au cœur, duquel le lion est nommé genereux. Voyez en suite les autres que je ne veux pas rapporter, parce que les raisons ne me contentent pas, je crois donc que les signes influent à ces membres, non pas par la force de ces raisons souvent impertinentes, mais à cause que l’experience nous le fait voir. Ils influent donc visiblement sur les animaux dont ils portent le nom: car les chiens en la canicule enragent, & les lions deviennent furieux soubs le signe du lion & ce fust ceste seule raison qui porta les premiers Philosophes à nommer les constellations du nom de ces animaux, & toutes les autres qu’on en donne n’ont esté que posterieures & inventées par les Astrologues, qui vindrent apres eux. Ces constellations sont donc nommées du nom de ces animaux, à cause qu’elles dominent sur eux. Et sans m’arrester plus long temps à ce poinct : voyez pour abreger le susdit Jonctin, Heurnius, Cardan & Galeotus, qui fait un chapitre particulier : Quare signa Zodiaci animalium nomina habent ? où il conclud: Aries enim in oves: taurus in boves : leo in leones : scorpio, in scorpiones : pisces, in pisces : virgo in virgines & steriles, & sic de cæteris, imperium babent.

Pour le reste des quarante huict constellations, nous n’en faisons pas maintenant icy mention: parce que quelques-uns qui ont soustenu la puissance des figures ont dit, qu’il n’y avoit que les signes du Zodiaque qui peussent agir puissamment par tout, à cause qu’ils font tout le tour de la terre, ou le Soleil en eux, & les autres, qu’une partie seulement : neantmoins nous nous pouvons servir de toutes, comme je monstreray à une autresois, pourveu que je voye que ce traicté soit receu favorablement des doctes,& descouvriray les principales raisons que les fables avoient cachées, pourquoy les anciens Astrologues avoient imposé des noms si extravagans, ce semble, à tout le reste de ces constellations : maintenant je me contente de monstrer comme celle du Zodiaque peuvent agir sur les figures artificiellement dressees : & c’est le troisiesme poinct que j’ay à prouver.

21. La question est donc, à sçavoir si les Astres influent aussi bien sur les choses artificielles que sur les naturelles?

Je respons en deux mots, que l’affirmative est si certaine, que S. Thomas qui n’a rien laissé à examiner, & le grand Albert ne l’ont sceu nier; Et l’experience nous apprend que le Soleil eschauffe aussi bien l’image artificielle d’un homme, que l’homme mesme : or si cét Astre agit indiferemment, pourquoy non les autres ? & à tout dire : Pourquoy les estoilles n’agiroient aussi bien aux choses artificielles, qu’aux naturelles , puis qu’en leur estre elles sont toutes naturelles ? exclud-on de la nature l’or, quand on en faict une bague ? & rendon moins naturelles les pierres quand on en fait une maison ? que si on dit qu’elles n’acquierent donc pas plus de vertu qu’elles avoient auparavant ; on respond que le contraire est manifeste, par deux raisons. La premiere, que la diverse figure les rend plus propres à agir à une telle action qu’elles n’estoient pas : comme si un morceau de bois ou de pierre n’estoit propre à tenir de l’eau, en le creusant on le rendra propre; ainsi des autres figures. L’autre raison est, que ces choses mises en œuvre sont travaillees sous certaines constellations qui leur influent des qualitez qu’elles n’avoient pas, ainsi que l’experience nous fait voir au biscuit, dont l’un se conserve long-temps, & l’autre qui cuit ou devant, ou apres, est sujet aux vers & à corruption, bien que gardez en mesme lieu, & faits de mesme bled, paistris avec la mesme eau, & avec toutes les conditions imaginables. Mais arrestons nous seulement aux figures, & concluons que si elles sont dressees sous l’observation que nous avons dit, & grattées sur une matiere propre, qu’elles pourront retenir naturellement l’influence des Astres, & faire les effects merveilleux que nous venons de voir. Ceste conclusion sera renduë & plus forte & plus cognuë par la responce aux objections suivantes. Cependant, pour la verité des influences celestes sur les choses artificielles, consultez Tertulian, Origene, Sainct Irenee, Sainct Augustin, Thekel, ou l’Auteur des pierres des enfans d’Israël, Arnoldus Abbas Lubecensis, Arnobius, Olympiodore chez Photion, Julius Firmicus & Leunclavius. Voyez encore le livret del Barnerio, dont le tiltre est Regole sopra la carta Marina, dans lequel il prouve doctement & par experience, que plusieurs cottons & laines du Levant, & mesme de ce païs, durent plus ou moins, si on les travaille en divers Royaumes, & sous certaines constellations, aussi bien que les navires. Le mesme prouve Vitruve des bastimens, bien que la pierre & le ciment soit aussi bon en un endroit qu’en l’autre.

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