Curiositez inoüyes/Édition 1629/Introduction
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e n’est pas par une demangeson d’escrire, Amy Lecteur, que je te donne ces Curiositez : ceux qui me cognoissent, trouvent que je suis exempt de cette folle passion. Une personne de qualité, à qui refuser ce qu’il veut c’est un crime, les a tirées de mon cabinet, d’où elles ne fussent jamais sorties, puis que j’avois fait dessein apres tant de calomnies soufertes de n’exposer plus rien en public, ayant mille fois souspiré ces parolles, autresfois communes à un Prince Romain : utinam nescissem litteras! Mais en fin les prieres & les commandemens ont surmonté ma resolution, J’ay esté violenté, je l’advoüe, parce je prevoyois bien que mes ennemis ne pourroient gouster cest autre essay de ma plume ; mais apres tout, j’ai dequoy me resjouïr, puis qu’un des grands Prelats de notre siecle a condamné leur insolence. Reçois donc favorablement ce travail, cher Lecteur, & souvienne toy de ce que nous sommes : je veux dire que tu ne le trouveras point parfaict, parce que je ne suis pas un Ange, & s’il y a quelque manquement, il en faut accuser notre mortalité, qui fait pecher tout le reste des hommes. Sur tout, sçachez que je ne suis point opiniastre, ny ne le fus jamais : Je prens en tres-bonne part les Advertissemens qu’on me donne, & je ne m’estime pas si sçavant, que je ne m’offre bien d’estre enseigné ; Il n’y a que les sots & les glorieux qui le refusent, & que les ignorants qui disent sçavoir tout. Pour moi, cher lecteur, pourveu que tu me traictes en amy, je ne demande autre chose. Que si tu trouves estrange qu’un Ecclesiastique comme moi traicte un subjet si hardy & si libre, ce semble, considere je te prie que plusieurs de ma profession ont advancé des choses beaucoup plus libres que celles-cy, & que mesme on juge dangereuses. Ainsi l’abbé Tritheme mit au jour sa Poligraphie, & sa Steganographie, ou l’évocation des Esprits est manifeste, bien qu’il s’en serve autrement qu’en sorcier ; Guillaume Evesque de Paris n’a pas seulement escrit de la Magie naturelle, mais l’a parfaictement sçeuë & pratiquee, au rapport du grand Pic Comte de la Mirande. Et un autre sçavant Evesque Albert le grand en a enseigné les fondemens avec admiration. Roger Bacon, & Johannes de Rupescissa, tous deux religieux Cordeliers, ont faict le mesme. Petrus Cirvellus Espagnol, du mesme ordre, a fait voir à la Chestienté un livre in folio des quatre principaux genres de la Divination, & toutes les maximes de l’Astrologie Judiciaire : le Cardinal de Aliaco, Evesque de Cambray, a traité le mesme subjet, comme pareillement Jonctin Prestre Florentin, & Docteur Theologien : & puis que nous sommes sur les Italiens, Aurelius Augurellus, & Pantheus, tous deux Prestres, un Venitien, l’autre Tarvisien, n’ont-ils pas descrit les Resveries de la Pierre Philosophale, l’un dans sa Chrysopœia, & l’autre dans sa Voarchadumia? Marcille Ficin aussi Prestre, que n’a-t-il pas advancé de superstitieux? mais quelle superstition y a t’il au monde qu’il n’ait mis au jour? Anthonius Bernardus Mirandulanus Evesque de Caserte à son imitation, dans son livre de singulari certamine, a soustenu une infinité de choses tout à fait contraires à nostre Religion : le Cardinal Caietan de Vio en a faict tout de mesme ; & Giovanni Ingegneri Evesque de Capo d’Istria, s’est nouvellement amusé à soustenir les fondemens de la Phisionomie ; & auparavant tous ceux-cy Synesius Evesque Chrestien a escrit un livre des l’Interpretation des songes, commenté par apres par un autre Evesque ou Patriarche de constantinople Nicephorus, Gregoras. Je laisse les superstitions de l’Abbé Joachim, & de Savanarolla moine Dominicain ; les Azolains du Cardinal Bembo ; la Lucrece d’Æneas Silvius, puis fait Pape Pie Ⅱ. Le livre remply de vilainies de Pogius Florentin, Secretaire Apostolique : je laisse encore l’Histoire Macarronique soubs le nom de Merlin Coccai, faicte par Theophilus Folengius moine Benedictin, & une infinité d’autres livres faits par des Ecclesiastiques, avec lesquels, cher lecteur, si tu viens à conferer le mien, tu trouveras que c’est à tort si on me blasme. Et afin que tu sois adverty de mon dessein, sçache que je n’adjoute pas plus de foy à toutes ces Curiositez, qu’autant que l’Eglise Catholique Apostolique & Romaine permet, & que je ne les ay advancées, au moins quelques unes des plus chatouilleuses, qu’apres plusieurs Chrestiens de ma profession, comme tu pourras voir. Touchant les Veaux de Jeroboam, je ne suis pas le premier qui ay dit que leur fabrique estoit legitime, & que ce Roy n’estoit point Idolatre : notre sçavant Genebrard m’en a frayé le chemin, & apres luy Monceau, & devant eux Abiudan, & je suis prest à me retirer de leur compagnie, si en cecy elle m’est dangereuse. Que si tu dis que ces Curiositez ne devoient donc point estre appellées inouyes, puis que d’autres les ont traittées, je te responderay que la plus grand part estoient inouyes aux Chrestiens, puis que je les tire des Hebreux, chez lesquels elles estoient si obscures, que mesme ceux de ceste nation les negligeoient. Pour les
figures Talismaniques, elles estoient tellement inouyes dans nostre siecle, que mesme le nom n’en estoit pas cogneu. Or afin que tu en ayes une plus parfaite cognoissance, adjouste s’il te plaist ce qu’il s’ensuit.
En la premiere partie chapitre I, je dis que je n’avois sçeu trouver la cause pourquoy Plutarque, Strabon, Trogue, Tacite, & Diodore avoient accusé les Juifs d’avoir adoré un Cep de vigne; j’ai du depuis trouvé que que c’estoit qu’ils avoient ouy dire, & mesme veu, au moins quelques uns d’eux, que dans le Temple de Jerusalem il y avoit un Cep d’or, avec ses raisins & ses pampres contre la muraille, ainsi que le descrit Josephe : Interior porta, dit-il, tota inaurata erat, ut dixi, & circum eam auratus paries, desuper autem habebat aureos Pampinos, unde racemi statura hominis dependebant. Je sçais bien que plusieurs ont ainsi interpreté les parolles de Josephe, que ce Cep n’estoit point d’or massif, & solide, mais seulement depeint or à la Phrigiene : Mais l’autre Josephe fils de Gorion repugne à ceste interpretation : car parlant dans la mesme histoire, & plus clairement, & plus au long de ce Cep d’or de vigne, & de ses grapes, dit, fecit insuper Herodes vitem de auro mundo, & posuit in summitatem columnarum, cuius pondus erat mille talentorum aureorum. Erat autem vitis ipsa facta opere ingenioso, habens ramos perplexos, cuius folia, & germina facta erant ex rutilanti auro ; botri autem ex auro fulvo, & grana eius acini, atque folliculi facti erant ex lapidibus pretiosis, totumque opus erat fabrefactum opere vario, ut esset mirandum spectaculum, & gaudium cordis omnibus intuentibus ipsum : Et puis il adjouste incontinent Multi quoque scriptores Romani testantur se eam vidisse cum desolaretur Templum. Or les susdits Autheurs Plutarque, Platon, & les autres, voyant que dans le Temple il y avoit un Cep d’or si riche, si precieux, & si admirable, ils creurent que les Juifs l’adoroient à l’honneur de Bacchus, qui premier avoit subjugué l’Orient, & c’est le sentiment de Corneille Tacite qui vivoit au temps que ce beau Temple fut desolé. Sed quia, dit-il, sacerdotes iudeorum tibia, tympanisque concinebant, hedera vinciebantur, vitisque aurea in templo reperta Liberum Patrem coli domitorem Orientis, quidam arbitrati sunt, nequaquam congruentibus institutis, quippe Liber festos, lætosque ritus posuit : Iudæorum mos absurdus, sordidusque. Mais laissons cet Autheur impie qui se mocque par tout de la Religion des Juifs.
En la seconde partie, chap. 4, où j’ay traduit ψιλαἱς έπινίαῖς en ces mots françois Menues pensées, j’ai tourné le mot grec ψιλαἱς comme il se doit entendre, signifiant proprement petit, delicat & menu, & nous disons ypsilon, c’est à dire un petit y : Or les secondes pensées sont menuës et deliées, parce qu’elles considerent les choses abstractes & separées de la matiere, ce que les premieres ne font pas, de façon que nous disons mesme en bon François, lors que quelqu’un a advancé quelque subtille conception, voyla une pensée bien desliée.
Au chapitre suivant on peut adjouter ces Gamahez admirables. A Pise dans l’Eglise de S. Jehan, on void sur une pierre un vieux Hermite parfaictement dépeint par la seule nature, mais avec tant de merveille, qu’il semble n’y avoir rien oublié de ce qu’il convient à un homme de ceste sorte: car il est representé dans un agreable desert, assis prez d’un ruisseau, tenant une cloche en sa main. Ceste peinture naturelle ressemble presque en tout à celle qu’on faict de S. Anthoine. Dans le Temple de la Sapience à Constantinople on voit aussi sur un marbre blanc scié, l’image de S. Jean Baptiste, vestu d’une peau de Chameau, avec ceste deffectuosité que la nature ne luy a faict qu’un pied. A Ravenne dans l’Eglise de S. Vital on void encore un Cordelier naturellement figuré sur une pierre de couleur cendrée. A Sneiberg en Alemagne, on a trouvé dans
terre une petite statuë d’un certain metail non espuré naturellement faicte, laquelle representoit en bosse ronde un homme ayant un petit enfant sur son dos ; & quiconque a veu la peinture de S. Chrystophe, il peut facilement concevoir celle-cy. Il n’y a pas longtemps qu’on a trouvé dans la forest Hercine une pierre qui portoit naturellement la figure d’un vieillard à barbe longue, couronné d’une triple Thiare, tout semblable au Pontiphe Romain. Remarquez encore que plusieurs de ces pierres ou Gamahez ont tousjours un mesme nom, parce qu’elles ont tousjours une mesme figure. Ainsi celle qui represente les yeux de l’homme est nommee Leucophtalmos: celle qui porte un coeur, Encardia: celle qui figure la langue, Gloßopetra: celle sur laquelle les Genitoires sont despeints, Enorchis, & celle qui represente aussi bien les parties honteuses de l’homme que de la femme, Diphys, &c. Aux figures des planettes & des fleurs, on peut pareillement adjouster celles qui portent quelque espece de lettres & de mots, comme le Hyacinthe, sur lequel le Poëte dit qu’on void escrite la plainte du beau Phœbus pour avoir tué Hyacinthe, qu’il changea par apres en ceste fleur, & ceste plainte est exprimée en ces deux lettres αι qui composent la voix Ai, qui nous est si frequente en toutes sortes de douleurs
Non satis hoc Phœbo est; (his enim fuit auctor honoris)
Ipse suos gemitus folijs inscribit, & hya
Flos habet inscriptum, funestaque litera ducta est.
La mesme fleur qui sortit encore, suivant la fiction du mesme Poëte, du sang du valeureux Aiax, porte, les deux premieres lettres de son nom Ai.
Littera communis mediis pueroque viroque
Inscripta est foliis, hæc nominis illa querelle.
Pour la diverse figure qui se rencontre aux animaux que nous avons pareillement examinee en ce mesme Chapitre, je ne trouve rien de plus admirable que ce que des tesmoins oculaires m’en ont dit du depuis, qu’il y a fort peu de temps qu’en divers endroicts du Poictou on veit pleuvoir des petites bestioles de la grosseur du poulce, dont les unes estoient faictes comme des Evesques, ayant le rochet & camail renfermees dans un coquille ou une peau si admirable, qu’on eust dit estre de l’or bruny ; & les autres portoient la figure de moines ayant un froc & un capuchon; d’autres une certaine forme horrible, & d’autres qu’on ne sçavoit cognoistre ce que c’estoit. Il est dommage que cecy ne soit arrivé en Allemagne, nous eussions bien-tost veu quelque interpretation de l’Apocalypse, ainsi qu’Ananias Ieraucurius, & Raphaël Eglin Ministre de Zurich avoient interpreté, comme nous dirons cy apres, les obscures visions de Daniel, par quelques Characteres trouvez sur deux harengs peschez dans la Norvegue : Mais laissons les resver.
Au Chapitre Ⅵ. ou j’ay rapporté plusieurs divers Talismans, & prouvé leur puissance suivant les Orientaux, il faut prendre garde de ne pas mésler toute sorte de Characteres & figures indifferemment avec les Talismans; car bien que plusieurs portent les animaux du ciel qu’on appelle Constellations, ce n’est pas pourtant qu’ils soient des véritables Talismans, mais ou certaine monoye ; comme celle du Duc de Brunsvic, sur laquelle tous les signes du Ciel sont marquez; & celle de Cesar Auguste, sur laquelle il faisoit graver le signe du Capricorne; à nul autre dessein, que pour memoire de ce qu’il estoit né soubs ce signe : ou bien ces figures ne sont que mystiques Emblesmes, soubs lesquels les Anciens cachoient quelque Philosophie. Tel estoit le gobelet d’argent de Nestor, chez Homere, sur lequel les pleyades estoient gravees: en voicy la Traduction de Natalis Comes, plus Poëtique que celle de Giphanius.
Poculum erat pulchrum, domo & id portaverat ipfe,
Transfixum clavis aureis, acillius aures
Quatuor : hinc geminæ complexæ Liviæ at illas
Ex auro circumpascuntur, funda, duo sunt.
Nec facile hoc quispiam poterat extollere mensa,
Quum plenum foret ; at Nestor nullo ipse labore
Tollebat senior.----
Par ainsi quiconque ne sçauroit les mysteres de ce Gobelet, jugeroit sans doute, à y voir les pleyades despeintes, qu’il estoit fabrique sous quelque Constellation, à la façon des Talismans; Mais il n’y a rien qu’un sens Philosophique qu’Homere y a caché, comme on void dans Alciat qui l’explique en ces termes:
Nestoreum geminis cratera hunc accipe fundis,
- Quod gravis argenti massa profundit opus.
Claviculi ex auro; stant circum quatuor ansæ :
- Unamquamquæ super fulua columba sedet.
Solus eum potuit longevus tollere Nestor,
- Manæonide doceas quid sibi musa velit?
Est cœlum scyphus ipse ; colorque argenteus illi :
- Aurea sunt cœli sidera claviculi.
Pleiadas esse putant, quas dixerit ille columbas :
- Umbilici gemini magna minorque fera eft.
Hæc Nestor longo sapiens intelligit usu :
- Bella gerunt fortes, callidus astra tenet.
Le Poëte Anacreon qui consultoit aussi souvent Bachus que sa Muse se mocque, en bon biberon, de ce Gobelet de Nestor; & prie Vulcan de luy en forger un sur lequel on ne voye pas tant de Philosophie, qui ne fait que rompre la teste: car qu’ay-je affaire, dit-il, des Pleyades, ny du luisant Bootes ? forge moy donc, Vulcan, non point des armes ny des combats, mais bien un Gobelet si profond que tu pourras ; & graves y non les Astres, ny le Chariot du Ciel, ny triste Orion, mais une vigne & des raisins, un Bachus & un Cupidon qui pressent ensemble une grappe. Ses vers nettement tournez par Henricus sont ceux-cy:
Torno mihi labora
Argentum, & inde finge
Vulcane, non quidem arma, Nam quid Gradiuus ad me?
Sed poculum mihi fac
Quantum potes profundum.
Insculpitoque in illo
Non Astra, plaustrave ulla,
Tristem nec Orionem:
(Nam Pleiades quid ad me?
Qui lucidus Bootes?)
Vitem sed & racemos
Insculpe, cumque Bacho
Unas simul prementes
Cupidinem, & Bathyllum.
Ces vers m’ont autresfois fait penser , à sçavoir si tant de pierres precieuses qu’on void à des bagues anciennes, qu’on estime Talismans, comme estoit celle de nostre Bagarris, dont j’ay fait mention, sur lesquelles an void des Cupidons, des Bachus, de Vignes, des raisins, & des pampres, ne seroient pas plus tost les effects d’une Gaillarde humeur de quelques Philosophes, qu’ils se fussent plustost delectez à porter en leurs doigts les enseignes du vin que point d’autres figures?
Au mesme Chapitre Ⅵ. dans lequel j’ay parlé de la vertu de la ressemblance, je ne sçay comme on a laissé glisser le mot de France, au lieu d’Italie: car c’est en Italie principalement où on voit quantité de personnes atteintes de la lepre, parce qu’on y mange en plus grande quantité de la chair de porc, qu’en point d’autre Royaume; & la cause qui fait qu’on en voit aussi quelques uns frappez de la mesme maladie en France, c’est qu’apres l’Italie, on ne mange point ailleurs tant de chair de pourceau qu’icy ; ce que je ne dis neantmoins qu’apres les Medecins, sans que je pretende offencer ny les Estrangers, ny ceux de ma nation. En un mot, Amy lecteur, interprete en bonne part tout ce que tu trouveras dans ce livre, puis que mon dessein est exempt de passion. En la page 271. du mesme chapitre, je n’entends point ranger le don d’interpretation qu’avoit Joseph dans l’art de deviner les songes; non plus de rejetter l’ordre des commandemens establis par l’Eglise, & introduire celuy qui est couché dans la page 443. car en cela j’ay suivy la façon de conter des Juifs ; & apres tout, corrige, s’il te plaist ; les fautes de l’impression, & fais en mon endroit ce que tu voudrois qu’il te fust fait au tien.