Aller au contenu

Décrets des sens sanctionnés par la volupté/13

La bibliothèque libre.
A Rome, De l’Imprimerie du Saint Pere, M. DCC. LXXXXIII (p. 91-101).


LE BAROMÈTRE,
OU

Les caprices amoureux du Médecin G...,
député de l’Assemblée nationale, et de
la demoiselle M....., Catin bourgeoise
de la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince.



Vous voici, ainsi que moi, mon cher lecteur, transporté à l’assemblée nationale, non pour y entendre de superbes motions ; mais pour nous y amuser aux dépens de certains graves députés qui connaissent merveilleusement bien l’art précieux de réunir l’utile à l’agréable ; pédagogues insupportables à la tribune, insidieux politiques dans la discussion d’un décret ; sibarites voluptueux dans les événement de leur vie privée, et libertins avec ivresse et passion dans les têtes-à-têtes que la brutalité des sens leur fait rechercher avec ardeur.

Au nombre de ces têtes exaltées qui nous enivrent de leur prétendu patriotisme, on distingue le médecin G....., qui marchant sur les traces du fameux Printems, a gagné maints beaux écus, en inspectant les urines des soi-disant pucelles et des vieilles contesses lubriques et passionnées, célèbres par leurs écarts scandaleux et par leurs conférences intimes avec le messagers des Dieux ; car il ne faut pas s’imaginer que la vérole ne soit uniquement que du ressort des prostituées publiques ; ce mal américain que Christophe Colomb mit au nombre de ses découvertes, ne respecte ni rang, ni qualité, et en France sur-tout, il fit autant de ravages parmi les têtes couronnées et les princes du sang royal, que parmi les dévergondées qui exploitent dans les taudions de la capitale, ou qui s’occupent à branler des engins dans les décombres des édifices publics.

Quoi qu’un médecin connaisse parfaitement tous les dangers que ce poison infect traîne à sa suite, la facilité qu’il possède de la guérison, et l’infaillibilité du jus de baromètre lui fait affronter le péril, et j’ai presque autant vu de disciples avoir recours aux fourneaux de Saint-Côme, pour leur propre compte que pour ceux de leurs pratiques.

Si le médecin G....., aussi présomptueux qu’un greffier de tribunal d’arrondissement qui se croit pour le moins aussi sage que Licurgue, et aussi éclairé que Solon, passe dans les rues pour se rendre au manége des Tuileries, et y augmenter le nombre des animaux à deux pieds qui y figurent ; à sa démarche compassée, à sa tournure empesée, il n’est nulle personne qui ne le prit pour un de ces robinocrates travestis, qui garnissaient autrefois les fleurs de lys de la grande-chambre, et qui maintenant, sous une autre forme, sont à l’assemblée nationale les perturbateurs de l’ordre social.

Si cet assassin public traverse les ponts pour se rendre au faubourg Saint-Germain, oh ! c’est bien différent, ce n’est plus une contenance taciturne qu’on remarque en lui, c’est un air de satisfaction et de contentement de lui-même ; alors ceux qui le connaissent, jugent que le petit député est précisément en route pour aller dépêcher un moribond, et l’envoyer dans l’autre monde, en vertu de ses ordonnances ; car qui peut ignorer que c’est sur la casse, la rhubarbe et le séné qu’il a fondé sa cuisine, et que les pillules antivénériennes ont fondé ses revenus. Cependant cette croyance serait en défaut ; non, ce n’est pas au chevet d’un agonisant que le charlatan national tourne ses pas, c’est au contraire près du lit d’une bonne vivante gaillarde, s’il en fut, débauchée par goût, lubrique par tempérament, dissolue par principes, et qui ranimerait les forces d’un septuagénaire en mettant en usage les ressources du putanisme, qui dans tous les tems furent de sa compétence. Y pensez-vous, me dira-t-on ? quoi, M. le docteur G..... irait au bordel ? Eh ! pourquoi non, tout comme un autre ? Mais j’observe aux moralistes partisans de cet empiryque, que mon anecdote pourrait formaliser, que ce ratichon médecinal ne compromet point sa gravité, ni sa perruque adonisée et poudrée à blanc dans un des repaires de la débauche, à la porte duquel se trouve ordinairement un satellite féminin, la gorge nue, qui aborde le premier passant d’un air luxurieux et hardi, et lui dit effrontément : mon chou, veux-tu monter chez moi, je te promets, foi d’honnête putain, de te donner bien du plaisir ; viens mon cœur, viens mon bijou, tu seras content ; j’ai un gros cul, de gros tettons, une motte bien garnie, et par-dessus tout, je suis bien complaisante. Non, ce n’est pas un de ces taudis que va visiter G..... ce noir corbeau de la mort ; eh ! où va-t-il donc ? chez sa maîtresse, continuera-t-on. Eh ! bien oui, chez sa maîtresse, chez la maîtresse à tout le monde. Comme je m’apperçois ici que je redouble l’embarras de mes lecteurs, et que je captive leur attention, je vais promptement leur donner le mot de l’énigme.

Dans cette capitale, image fidelle de l’ancienne Babilonne, où tous les vices sont en règne, et où les plaisirs croissent à vue d’œil, tout aussi bien que la misère. Le putanisme et la prostitution se divisent en quatre classes, et on compte, trois sortes de bordels privilégiés qui ne différent que par la forme aux bordels déposés à chaque coin de rue de cette grande ville. Putains de qualité ; putains bourgeoises ; putains marchandes ; font les honneurs de ces trois premiers bordels ; les quatrièmes sont sans ambiguité, et à tous venus beau jeu.

C’est donc dans un de ces trois premiers bordels que je viens de citer, que le médecin G.... s’achemine ; ce n’est point chez une putain de qualité, il est trop avare et trop lésineux pour se soumettre au tarif imposé par la grandeur ; d’ailleurs son habit sépulchral et provoquant l’effet de la décoction, ne peut qu’effaroucher les plaisirs de condition, et je suis à cet égard de ce sentiment. Oui, si j’étais fille, et qu’un grave Hypocrate vienne en perruque quarrée et en vêtemens de deuil pour me le poser, à coup sûr, sa décoration sinistre me déplairait tellement, que je n’aurais plus pour lui que demie-complaisances ; et si malheureusement il avait besoin du secours des verges pour restaurer sa vigueur et faire guider son outil de mauvais présage, je me vengerais très-certainement, et de la bonne manière, sur son flasque postérieur, de la tournure pédantesque de son faible et mol individu.

Mais, encore un coup, monsieur le narrateur, pourquoi tant tourner au tour du pot, pour nous apprendre que le médecin G.... va au fauxbourg Saint-Germain pour foutre un con ; que ce con n’est point au nombre de ces bannals, qui bordent les croisées du quartier Saint-Honoré et de plusieurs autres. Venez au fait, et nommez-nous l’incomparable courtisanne, qui, sous le décorum de l’honnêteté fornique avec ce paillard député. Volontiers, voilà que j’y suis.

Rue des Fossés-Monsieur-le-Prince, près le Théâtre-Français, no. 11, est une putain bourgeoise de la seconde classe, nommée M....., belle voluptueuse et de bonne composition, point de desirs auxquels elle ne se prête pour contenter les fouteurs discrets qui l’honorent de leurs séances, et qui la gratifient de leur argent. Cul, con, tettons, sa science et sa lubricité sont de nature, que, sans s’exposer à aucun événement fâcheux, elle dirait volontiers à ses chalans : si vous n’êtes pas content, reprenez votre offrande ; en effet, elle a la croupe la plus mobile et la charnière la plus obéissante qui puisse se rencontrer sous le cotillon de la courtisanne la plus experte. Fouterie paresseuse, fouterie en brouette, fouterie renversée, enfin, fouteries de tous genres ; elle n’ignore rien.

La demoiselle M..... vit avec un certain oncle qui ne l’est pas plus que moi, et qui lui a donné toutes les leçons qu’elle met aujourd’hui si heureusement en pratique. Cet oncle prétendu la fout à ses momens perdus ; il n’y a pas de mal, combien de cousins ou de beau-freres font dans le monde le même office. C’est une belle couverture qu’un parent de ce genre.

C’est enfin chez la demoiselle M..... que le petit député va se délasser de la fatigue des séances nationales, et de l’ennui d’ordonner des sels spiritueux et des apozèmes. C’est dans ce demi-bordel honnête qu’il fout régulièrement tous les mardis de chaque semaine, à raison de douze livres par séance, et de vingt-quatre sous pour la chambrière ; c’est un prix fait en été comme en hyver, et ce n’est ma foi pas trop cher.

Il me reste donc à décrire la manière dont s’y prend le fouteur si savant, d’envoyer les humains ad patres ; avec sa beauté citoyenne, aussi-tôt qu’il arrive, ne croyez pas qu’en ribaud vif et sémillant il saute à l’abordage, et que se débarrassant de la physionomie austère qu’il est obligé d’afficher par les chemins, il voltige en papillon auprès du cul de sa belle. Oh ! que non pas ; c’est toujours le même homme, sortant de se livrer à ses plaisirs, une boucle dérangée de sa perruque doctorale, lui causerait des vapeurs, et le ferait tomber en syncope ; il faut donc que sa fouteuse redouble de complaisance, et sur cet article, il faut admirer sa résignation et sa patience.

Le plus souvent, après quelques phrases sentimentales, le monsieur qui ne bande pas toujours à propos, pour provoquer en lui l’érection, réclame les secours que lui administre ordinairement la main officieuse de sa dulcinée bourgeoise, qui pour branler un vieux fouailleur eut en son tems damé le pion à la Montigny, à la Dumas, à Henriette Poissy, à la Gourdan et à toutes les putains du tems passé, dans celui-ci même elle surpasse le poignet léger de Blondy, de Delaunay et autres courtisannes publiques et renommées.

Ainsi donc, d’une main habile, faisant sauter les boutons qui cadenassent le magasin d’impuretés du médecin G....., elle empoigne un vit glacé, qu’elle secoue graduellement à l’effet de pomper les esprits vitaux de la doctrine épuisée de monsieur le docteur ; de l’autre, elle se saisit des témoins testiculaires du fouteur affaibli, et jouant de l’épinette avec grace et dextérité, elle branlotte l’un et l’autre, jusqu’à ce que des signes incontestables de vigueur témoignent qu’il est tems d’ouvrir boutique et de se mettre en chantier.

Si ce moyen ne réussit pas, il est d’autres ressources à mettre en œuvre, et que la fouterie enseigne ; comme la demoiselle M..... ne les ignore pas, elle s’y applique avec ardeur, et au moment où monsieur le médecin commence à peine à bander, sa travailleuse, d’un doigt ferme, s’introduit dans son anus, et lui insinue le postillon, non celui de Calais, qui ne rend compte que de la séance du soir ; mais le postillon courier du plaisir qui peut se planter à toute heure.

Ne vous imaginez pas que je vais vous peindre le médecin ribaud se vautrant ensuite sur sa fouteuse, et déranger dans ses bras l’économie de sa perruque magistrale. Point ; ce n’est même qu’avec peine qu’il se résout à quitter sa canne à bec de corbin ; il veut foutre, à la vérité, mais sans se déranger. Que fait donc la putain bourgeoise, pour obvier à cet inconvénient ? Elle se retourne, se trousse, montre le fessier dont l’aimable nature l’a pourvue, le docteur sans quitter son chapeau de dessous son bras, enfile la route de la félicité, et sans quitter les yeux de dessus le baromètre déposé sur la muraille, il fout gravement en levrette sa lubrique monture, qui remue le croupion avec célérité, pour faciliter une décharge des plus complettes.

Roulant les yeux comme un démon qu’on exorcise, le médecin député acheve la besogne, renguaîne son outil ; après l’ablution de la cuvette, paye, s’en va, et revient le mardi d’ensuite ; c’est ainsi que la plupart des têtes à perruque foutent sans se gêner. Si les plaisirs sont moins vifs, au moins cet ordinaire réglé à ses commodités.