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Défense des droits des femmes/02

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Paris : Chez Buisson, lib., rue Haute-Feuille, n° 20 ; Lyon : Chez Bruyset, rue Saint-Dominique (p. 21-74).

CHAPITRE II.

L’opinion reçue d’un caractère sexuel, discutée.

On a produit une foule de raisonnemens ingénieux pour prouver, en rendant compte de la tyrannie de l’homme et en cherchant à l’excuser, que les deux sexes, dans leurs efforts pour acquérir la vertu, devoient tendre à se former à cet égard un caractère très-différent : disons-le nettement ; on ne reconnoît point aux femmes une force d’ame suffisante pour arriver à ce qui mériteroit réellement le nom de vertu. Cependant, il sembleroit qu’en leur donnant une ame aussi parfaite qu’à l’homme, la providence n’a voulu établir qu’un seul chemin pour conduire l’espèce humaine, soit à la vertu, soit au bonheur qui en résulte.

Si donc les Femmes ne sont point un essaim de mouches brillantes, de papillons éphémères, pourquoi les retenir dans l’ignorance sous le nom spécieux d’innocence ? Les hommes se plaignent, et avec raison, des folies et des caprices de notre sexe, mais ils se gardent bien d’employer la verge de la satyre contre nos passions violentes et nos vices dégradans. — Vous voyez, répondrai-je, l’effet naturel de notre ignorance ! L’ame qui ne sait s’appuyer que sur des préjugés, sera dans une instabilité perpétuelle ; et le courant s’élancera avec une furie destructive, tant qu’il ne trouvera point de digue pour rompre sa force. Les femmes apprennent depuis leur enfance, soit par les leçons qu’on leur donne, soit par l’exemple de leurs mères, qu’une légère connoissance de la foiblesse humaine, la douceur de caractère, l’obéissance extérieure et une attention scrupuleuse à une sorte de propreté puérile, leur obtiendra la protection de l’homme. Pour peu qu’elles soient jolies, elles n’ont besoin de rien autre chose, du moins pendant vingt ans de leur vie.

C’est ainsi que Milton décrit la fragile Ève, notre première mère ; j’avouerai que quand il nous dit que les femmes sont formées pour la douceur et les grâces délicates et attrayantes, je ne puis saisir le sens de ces expressions, à moins de supposer que, comme les sectateurs de l’alcoran, il veut nous refuser une ame, et insinuer que nous sommes des êtres créés uniquement pour flatter les sens de l’homme par les graces délicates et attrayantes, et par une obéissance aveugle, toutes les fois qu’il redescend sur la terre, fatigué de s’être élevé sur les aîles de la contemplation.

Qu’ils nous insultent cruellement, ceux dont la voix ne nous avertit que de nous rendre des animaux domestiques agréables à notre maître ! Par exemple, qu’est-ce que cette douceur victorieuse si vivement et si fréquemment recommandée, qui gouverne tout en obéissant ? Quelles expressions puériles ; et combien est nul et insignifiant cet être ! — En supposant qu’il puisse s’en trouver un immortel qui veuille se plier à tant d’abjection et à régner par ces honteux moyens. « Certainement, dit Bacon, l’hommme est parent de la brute par son corps ; et s’il n’est pas parent de Dieu par son ame, on ne peut voir en lui qu’une créature bien basse et bien ignoble ! » En vérité, les hommes me paroissent agir bien peu philosophiquement quand ils veulent s’assurer de la bonne conduite des Femmes, en essayant de les retenir toujours dans un état d’enfance. Rousseau étoit plus conséquent lui, lorsqu’il vouloit arrêter les progrès de la raison dans les deux sexes ; car si les hommes mangent du fruit de l’arbre de la science, à coup sûr les femmes voudront en goûter ; mais elles n’arriveront qu’à la connoissance du mal, vû la culture imparfaite que reçoit aujourd’hui leur tête.

Les enfans, je l’avoue, sont innocens ; mais quand on applique cette épithète à des hommes faits, ce n’est plus qu’une manière polie de leur reprocher leur foiblesse. Car si l’on convient que la providence a destiné les femmes à l’acquisition des vertus humaines, et à se procurer, par l’exercice de leur intelligence, cette stabilité de caractère qui forme la base la plus solide sur laquelle puissent être appuyées nos espérances à venir, on doit leur permettre aussi de s’adresser directement à la source de la lumière, et ne pas les réduire à marcher dans le demi-jour que fournissent les astres qui l’accompagnent. Milton, j’en conviens, étoit d’une opinion très-différente, puisqu’il ne plie le genou que devant les droits incontestables de la beauté, quoiqu’il seroit difficile de rendre conséquens deux passages de lui que je vais mettre en opposition ; mais les grands-hommes sont trop souvent conduits par leurs sens à de pareilles inconséquences.

« Ève qu’ornoit la beauté dans toute sa perfection, répondit à son époux : Source de mon existence dont tu disposes, j’obéis sans replique à ce que tu m’as commandé ; Dieu l’ordonne ainsi. Dieu est ta loi, tu es la mienne : n’en point connoître d’autre, est la science la plus précieuse de la femme et sa véritable gloire ».

Telles sont précisément les raisons que j’ai employées vis-à-vis des enfans. J’avois pourtant soin d’y ajouter : Votre intelligence commence à se fortifier, vous ferez bien de prendre mes avis jusqu’à un certain dégré de maturité ; alors votre devoir sera de penser par vous-mêmes et de ne consulter que Dieu et votre conscience.

Cependant, Milton paroît d’accord avec moi dans les vers suivans, où il fait adresser par Adam ce raisonnement à son auteur : « Ne m’as-tu pas fait ici ton lieutenant ? N’as-tu pas placé bien au-dessous de moi ces êtres inférieurs ? Quelle société, quelle harmonie, quel vrai plaisir peut exister entre des êtres inégaux ? Et pourtant tous ces biens doivent être réciproques. Il faut qu’ils soient donnés et reçus dans leur juste proportion. Mais dans la disparité, deux êtres, l’un supérieur et actif, l’autre foible et bien au-dessous du premier, ne sauront se convenir ; bientôt ils deviendront également à charge l’un à l’autre. Je parle de cette société telle que je la sens, propre à faire partager tous les plaisirs de la raison ».

En traitant donc des mœurs des Femmes, laissons de côté le sexe, et suivons nos recherches sur la manière de les faire coopérer, si l’expression n’est point trop hardie, avec l’Être suprême.

J’entends par l’éducation individuelle, mot qui n’est pas assez précisément déterminé, les soins donnés à un enfant, dont l’effet sera d’aiguiser lentement ses sens, de former son tempérament, de régler ses passions dès qu’elles commencent à fermenter, et de mettre en activité son intelligence, avant que le corps arrive à sa maturité ; de manière que, devenu personne faite, il n’ait plus qu’à suivre et non à commencer le travail important de raisonner.

J’ajouterai, pour prévenir toute méprise, que je ne crois pas que l’éducation particulière puisse produire toutes les merveilles qui lui sont attribuées par des écrivains trop confians. Il faut élever les hommes et les Femmes en grande partie dans les opinions et les mœurs de la société dans laquelle ils vivent. Dans tous les âges, il a existé un courant d’opinions populaires qui n’a jamais manqué de tout entraîner, devant lui, et de donner à toutes les années d’un siècle un air de famille. Il me suffit néanmoins, pour prouver ma thèse actuelle, que quelque soit l’influence des circonstances sur les talens, tout individu puisse devenir vertueux par l’exercice de sa propre raison ; car n’y eut-il qu’un être qui eut été créé avec des inclinations vicieuses, et fut positivement méchant, l’argument contre la providence auroit toute sa force. Qu’est-ce qui pourroit alors nous sauver de l’athéisme ? Ou si nous adorons un Dieu, pouvons-nous faire de ce Dieu le principe du mal ?

En conséquence, l’éducation la plus parfaite à mon avis, consiste dans l’exercice de l’intelligence le mieux calculé pour fortifier le corps et former le cœur : ou, en d’autres mots, pour mettre l’individu à même d’atteindre à des habitudes vertueuses qui le rendent indépendant. Dans le fait, c’est une dérision d’appeler vertueux un être dont les vertus ne résultent pas de l’exercice de sa propre raison. Telle étoit l’opinion de Rousseau relativement aux hommes : je l’étends aux Femmes, et j’assure avec confiance qu’elles ont été tirées hors de leur sphère par un faux rafinement, et non par la généreuse envie d’acquérir des qualités mâles. De plus, l’humble hommage qu’elles continuent de recevoir est si ennivrant, que jusqu’à ce que les manières actuelles changent, il sera impossible de les convaincre que l’influence illégitime qu’elles obtiennent en s’avilissant, est pour elles un vrai malheur, et qu’il leur faut retourner à la nature et à l’égalité, si elles veulent s’assurer ce bien-être tranquille que ne peuvent procurer que des affections sans mélange ; mais cet heureux jour, nous l’attendons. — Nous l’atendrons peut-être jusqu’à ce que les rois et les nobles éclairés par la raison, et préférant la dignité réelle de l’homme à leur état puéril, jettent d’eux-mêmes leurs brillans pompons héréditaires ; et si les Femmes ne veulent pas résigner le pouvoir arbitraire que leur donne la beauté, elles prouveront qu’elles ont moins d’ame que l’homme.

On m’accusera d’arrogance, je le sais ; eh ! bien, je vais plus loin. Je déclare ce que je crois fermement ; c’est que tous les auteurs qui ont écrit sur l’éducation et les mœurs des Femmes, à partir depuis Rousseau jusqu’au docteur Grégory, ont contribué à en faire des caractères plus foibles, plus artificieux qu’ils ne l’eussent été par eux-mêmes, et par conséquent des membres moins utiles à la Société. J’aurois pu exprimer cette conviction d’un ton plus bas ; mais j’aurois craint qu’on n’eut traité mes plaintes de doléances affectées, au-lieu d’y voir l’expression fidelle de mes sentimens et le résultat incontestable que l’expérience et la réflexion m’ont fait tirer. Quand j’en viendrai à cette division de mon sujet, j’aurai soin de remarquer les passages les plus blamables de ces deux auteurs ; en attendant, je dois faire observer que j’enveloppe dans la même condamnation tous ces livres si vantés qui ne tendent pourtant, à mon avis, qu’à dégrader une moitié de l’espèce humaine, et à donner aux Femmes des agrémens qu’elles achètent trop cher, puisque c’est aux dépens des vertus solides.

Cependant, pour raisonner dans le sens de Rousseau, si l’homme a réellement atteint la perfection de l’ame quand son corps est arrivé à la maturité, il faudroit pour ne faire qu’un, de l’homme et de la Femme, que cette dernière s’en reposât entièrement sur l’intelligence de l’autre. Alors le joli chevre-feuille embrassant l’arbre vigoureux, qui le supporteroit, formeroit un tout également remarquable par l’élégance et la force. Mais, hélas ! les maris aussi bien que leurs compagnes, ne sont trop souvent que de vieux enfans ; à peine même, grâce à leurs débauches prématurées, les hommes conservent-ils cet extérieur mâle dont ils se prévalent ; et si un aveugle en conduit un autre, certes il n’est pas besoin qu’un ange descende du ciel pour nous dire ce qu’il en arrivera.

Les causes qui, dans la corruption actuelle de la société, contribuent à l’asservissement des Femmes, en enchaînant leur intelligence, et en affoiblissant leurs sens, sont en grand nombre ; peut-être une de celles qui fait plus de mal que toutes les autres, c’est leur inattention pour l’ordre.

Faire chaque chose d’une manière bien ordonnée, est un précepte très-important dont les Femmes, qui généralement parlant reçoivent une éducation fort peu reglée, n’atteignent jamais la pratique avec autant d’exactitude que les hommes, assujettis dès leur enfance à une marche régulière. Cette sorte d’étourderie, d’insouciance qui met les choses au hazard ; car quel autre nom donner aux mouvemens brusques et heurtés d’une espèce de sens commun, à peine au-dessus de l’instinct, qu’on n’a jamais soin de soumetre à l’examen de la raison, empêche les Femmes de généraliser les choses de fait ; ainsi elles font aujourd’hui ce qu’elles ont fait hier, uniquement parce qu’elles l’ont fait hier.

Ce mépris des conseils de la raison dans le printems de la vie, a pour sa suite des conséquences plus funestes qu’on ne le croit : car les petites connoissances auxquelles arrivent les Femmes à tête forte, se trouvent, par différentes circonstances, beaucoup moins liées que celles des hommes ; elles les doivent plus aux observations faites à la volée, qu’à la comparaison des remarques individuelles, soutenues des résultats de l’expérience, généralisés par la méditation. Plus à la société que les hommes, à cause de leur situation dépendante et de leurs occupations domestiques, si elles apprennent quelque chose, c’est à la dérobée ; et comme l’instruction n’est, en général, chez elles qu’un point secondaire, elles n’en suivent aucune branche avec cette ardeur persévérante, indispensable pour donner de la force aux facultés de l’esprit et de la netteté au jugement. On exige, dans l’état actuel de la société, un peu d’instruction pour soutenir le caractère de ce qu’on apelle une naissance honnête ; en conséquence, les jeunes gens sont obligés de se soumettre à quelques années d’études ; mais dans l’éducation des Femmes, la culture de l’esprit est toujours subordonnée à l’acquisition de quelques avantages corporels, et l’on manque même ce but, puisque le corps énervé par une éducation casanière, d’après de fausses notions de modestie, n’arrive jamais à cette grâce et cette beauté que des membres seulement à moitié formés et affoiblis d’ailleurs, ne sauroient offrir. En outre, l’émulation, ce ressort si puissant, ne les engage point à développer leurs facultés dans la jeunesse, et n’ayant point d’objet sérieux d’étude, si les jeunes personnes ont reçu de la nature quelque pénétration, elles la portent bientôt sur les petits détails de la vie et les manières du beau monde. En un mot, elles s’arrêtent sur les effets et les modifications, sans remonter jamais aux causes ; et des règles compliquées de maintien remplacent, sans doute, bien imparfaitement des principes clairs et simples.

Pour prouver que l’éducation donne aux Femmes cette apparence de foiblesse, je me contenterai de citer l’exemple des militaires qu’on fait entrer, comme elles, dans le monde avant que leur moral ait été enrichi de connoissances, et fortifié par les principes. Eh bien ! les conséquences sont les mêmes : les jeunes gens au service acquièrent une légère connoissance superficielle, glanée dans le champ de la conversation, et leurs rapports fréquens avec les hommes dans la société, leur vaut ce qu’on apelle le tact du monde. On a souvent confondu cette science des usages avec celle du cœur humain ; mais le fruit crud d’observations faites au hazard et qu’on n’a jamais soumises à l’épreuve d’un jugement formé par des comparaisons soignées, et une expérience réfléchie, mérite-t-il vraiment le beau nom de science ? les militaires, ainsi que les Femmes, pratiquent les vertus du dernier ordre, avec une politesse scrupuleuse. Où donc est la différence sexuelle quand l’éducation a été la même ; pour moi je n’en vois aucune, si non plus de liberté pour les premiers qui les met du moins à portée de voir et de connoître plus de détails de la vie.

Peut-être regardera-t-on comme un écart, une remarque politique que je vais me permettre, et qu’il seroit impardonnable de laisser échapper, tant elle dérive naturellement de mon sujet.

Des armées toujours sur pied, ne seront jamais composées d’hommes robustes et déterminés, cela n’est pas possible : elles peuvent être des machines bien disciplinées, mais elles compteront rarement des hommes à passions fortes ou doués de facultés énergiques. Quant à la profondeur de tête, je ne crains point de trop m’aventurer en assurant qu’elle est aussi rare dans les armées que chez les Femmes. La cause en est, à mon avis, la même. On peut encore observer que les officiers sont particulièrement attentifs à leur personne, fous de la danse, des assemblées nombreuses et brillantes, des aventures et de la plaisanterie[1]. Leur grande affaire est la galanterie, comme celle du beau sexe. — On leur a appris à plaire, et ils ne vivent que pour plaire. Cependant, ils ne perdent pas pour cela leur rang dans la distinction des sexes ; on les regarde toujours comme supérieurs aux Femmes, quoique toute leur supériorité, sauf ce que je viens d’en dire, soit difficile à découvrir.

Le grand malheur est que les militaires et les Femmes acquièrent des manières avant des mœurs, et une sorte de connoissance du train de la vie avant l’idée réfléchie ou le sentiment de sa grande et auguste destination. La conséquence est simple. Contens des facultés ordinaires que donne la nature, s’y bornant, ces êtres imparfaits deviennent la proie des préjugés, et prenant toutes leurs opinions sur parole, se soumettent aveuglément à l’usage ; de sorte que, s’il leur reste quelque sens, c’est uniquement une sorte de coup-dœil d’instinct, qui saisit les proportions, les formes élégantes, et décide sur les belles manières ; mais ne sauroit creuser et arriver jusqu’au tuf ou se rendre compte du pourquoi d’une chose en la soumettant à l’analyse au moyen du raisonnement.

Ne pourroit-on pas appliquer la même remarque aux Femmes ? on pourroit même pousser plus loin cet argument, et dire que les militaires et les Femmes sont également tirés de la place avantageuse qu’ils rempliroient dans la société, sans les distinctions contre nature, établies par la civilisation. Les richesses et les honneurs héréditaires ont fait des Femmes des zéros, pour donner de la valeur aux autres chiffres, et le désœuvrement n’a pas manqué d’amener dans la société un mélange de galanterie et de despotisme, qui fait de ces mêmes hommes, qu’on a vu ramper en esclaves aux pieds de leurs maîtresses, les tyrans de leurs sœurs, de leurs femmes et de leurs filles. Il est vrai qu’ils prétendent les tenir seulement dans l’ordre et à leur place ; mais fortifiez l’ame des Femmes en l’agrandissant, et vous verrez bientôt finir cette obéisance aveugle. Comme c’est ce qu’il faut au pouvoir arbitraire, les tyrans et les libertins n’ont pas tort de tâcher de retenir les Femmes dans les ténèbres ; les premiers n’ont besoin que d’esclaves, et les autres que de joujoux. Dans le fait, les voluptueux ont été la plus dangereuse espèce de tyrans ; et les Femmes se sont trouvées dupes de leurs amans, comme les princes de leurs ministres, en croyant régner sur eux.

J’ai principalement en vue Rousseau traçant le caractère de Sophie, charmant à la vérité, mais bien peu naturel, suivant moi ; au reste, j’attaque moins les détails que la base de ce caractère, les principes de l’éducation de cette Sophie : je dirai plus, quelque portée que je sois à admirer le génie de ce grand écrivain, dont je me trouverai dans le cas de citer les opinions, j’avouerai que l’indignation prend toujours la place de l’admiration, et que le froncement de sourcil de la vertu insultée efface le sourire de la satisfaction que causent ses phrases éloquentes, mais vuides ou fausses, toutes les fois que je lis ses voluptueuses réveries. Je me dis : Est-ce là l’homme qui, dans son zèle pour la vertu, voudroit bannir tous les arts de la paix et presque nous ramener à la rudesse spartiate ? est-ce là l’homme qui se complaît à peindre les généreux et utiles combats contre la passion, les triomphes des sentimens honêtes et les élans sublimes par lesquels une ame, attachée à la terre, se détache d’elle-même pour prendre son vol vers le ciel ? — Combien il rabaisse ses grands sentimens quand il s’amuse à décrire les jolis pieds, les airs atrayans de sa petite favorite ! mais je me borne pour le présent à éfleurer ce sujet, et au lieu de reprendre avec sévérité les effusions passagères d’une sensibilité victorieuse, je me contenterai d’observer que, quiconque a jetté un œil bienveillant sur la société, a dû souvent jouir du plaisir de voir un humble amour mutuel, quoiqu’il ne fût ni annobli par le sentiment, ni fortifié par l’union de deux ames cherchant la vérité de concert. Il a pu voir les bagatelles domestiques fournir matière à une douce conversation, et d’innocences caresses délasser de travaux qui n’exigeoient ni un grand exercice de l’ame, ni un vol bien étendu de la pensée. Je le demande, cette vue d’une félicité modérée ne lui a-t-elle pas paru plus touchante que respectable ? n’a-t-elle pas excité en lui une émotion semblable à celle que nous éprouvons à la vue des jeux des enfans ou des petits animaux[2], spectacle plus majestueux, la vue des combats généreux du mérite souffrant, a élevé notre ame jusqu’à l’admiration, et porté nos pensées dans ce monde où les sensations feront place à la raison.

De deux choses l’une, il faut donc regarder les Femmes ou comme des êtres susceptibles de moralité, ou comme des êtres si foibles qu’ils doivent se soumettre entièrement aux facultés supérieures des hommes.

Examinons un peu cette question. Rousseau déclare qu’une Femme ne doit jamais se sentir indépendante un seul moment ; qu’il faut qu’elle soit constamment gouvernée par la crainte qui la détermine à exercer son adresse naturelle ; en un mot, il en veut faire une esclave coquette pour en faire un objet plus attrayant de désir, une plus douce compagne pour l’homme, toutes les fois qu’il voudra se délasser. Il pousse plus loin ses raisonnemens, qu’il prétend tirer des indications de la nature, et insinue que le courage et la véracité, ces clefs de la voûte de l’édifice de toutes les vertus humaines, ne doivent être cultivées chez elles qu’avec certaines restrictions, parce que l’obéissance est la grande leçon qu’il faut constamment inculquer aux Femmes, le type sur lequel il faut former leur caractère sans jamais souffrir qu’elles s’en écartent.

Quelle absurdité ! quand s’élevera-t-il donc un grand homme d’un caractère assez juste et d’un génie assez puissant pour dissiper les nuages que l’orgueil et le gout de la jouissance ont repandu sur ce sujet ! quand même les Femmes seroient naturellement inférieures aux hommes, leurs vertus devroient être toujours les mêmes en qualité, si non en degré ; ou bien, je m’y perds, et la vertu n’est plus qu’une idée relative ; en conséquence, leur conduite doit être fondée sur le même principe et tendre au même but.

Liées avec l’autre sexe comme filles, épouses et mères, leur caractère moral doit s’apprécier d’après la manière dont elles remplissent ces devoirs simples ; mais le but, le grand but de leurs efforts, doit aussi être de déployer leurs facultés et d’acquérir la dignité d’une vertu qui sent son prix. Elles peuvent essayer de semer des fleurs sur la route de la vie ; mais elles ne doivent jamais oublier, non plus que l’homme, que cette vie ne nous donne pas un bonheur capable de satisfaire une ame immortelle. Je ne prétends point du tout faire entendre qu’aucun des deux sexes doive se perdre dans des réflexions abstraites ou dans des vues éloignées, jusqu’à oublier les affections et les devoirs qui sont à notre portée, et que je regarde, à vrai dire, comme les moyens destinés par la providence à rendre la vie fructueuse et utile ; au contraire, personne ne recommande avec plus de chaleur que moi, d’en jouir et de les pratiquer, même quand j’assure qu’ils procurent plus de satisfaction en les considérant sous ce point de vue subordonné.

L’opinion établie que la Femme fut créée pour l’homme, a probablement pris naissance de l’histoire où Moïse s’est permis d’être poëte ; cependant, comme je présume que ce n’est que le très-petit nombre, dans ceux qui se sont occupés de ce sujet, qui a jamais supposé qu’Eve ait été tirée, littérallement parlant, d’une des côtes d’Adam, il faut convenir que cette induction tombe d’elle-même, ou que tout ce qu’on peut en conclure, c’est qu’à partir de l’antiquité la plus reculée, l’homme a toujours pris plaisir à se servir de sa force pour subjuguer sa compagne, et de son adresse pour lui faire ployer la tête sous le joug, parce que son égoïsme vouloit que la Femme, ainsi que le reste de la création, fut entièrement consacrée à ses jouissances.

Qu’on ne me prête donc point l’idée de vouloir intervertir l’ordre des choses ; je suis déjà convenue que, d’après leur constitution physique, les hommes semblent destinés par la providence à un plus grand degré de cette vertu qui suppose la force. Je prends ici tout ce sexe collectivement ; mais je ne vois pas l’ombre de raison à conclure que leurs vertus doivent différer quant à leur nature ; et, dans le fait, comment cela seroit-il possible, si la vertu n’a qu’une mesure commune et éternelle ? je suis donc obligée, pour raisonner conséquemment, de soutenir avec autant de force l’identité de but des deux sexes, que l’existence même de Dieu.

Il suit donc de tout ceci qu’on ne sauroit opposer la ruse à la sagesse, les petits soins aux grandes actions, ni une douceur insipide, vernie du nom d’amabilité, à ce courage que de grandes vues peuvent seules inspirer.

On m’objectera que les Femmes perdront alors beaucoup des graces qui leur sont propres ; et pour réfuter une assertion qu’on prétendra malfondée, on me citera deux vers d’un poëte bien connu ; car Pope a dit au nom de tout son sexe : « Cependant elle n’étoit jamais si sûre de créer en nous de l’amour, que quand elle tachoit de se rendre haïssable. »

Je laisserai au lecteur judicieux à déterminer dans quel jour cette saillie place les hommes et les Femmes ; en attendant je me contenterai d’observer qu’il m’est impossible de découvrir pourquoi ces dernières, à moins que l’immortalité ne soit pas leur partage, devroient être toujours dégradées, en ne servant qu’à l’amour, ou à quelque chose de moins honête encore.

Parler avec peu de respect de l’amour est, je le sais, un crime de haute trahison contre le sentiment et la belle sensibilité à la mode ; mais il est plus question ici de tenir le simple langage de la vérité et de s’adresser à la tête qu’au cœur. Essayer, par des raisonnemens, de bannir l’amour de ce monde, ce serait vouloir bannir Dom-Quichotte du roman de Cervantes, et pécher contre le sens commun autant que le chevalier de la Triste-figure ; mais essayer de réprimer cette passion tumultueuse, et prouver qu’il ne faut pas lui laisser détrôner des qualités supérieures, ou usurper dans notre ame le sceptre que l’intelligence doit toujours y tenir d’une manière tranquille et impartiale, paroîtra sans doute moins choquant.

La jeunesse est la saison de l’amour dans les deux sexes ; mais, dans ces jours où l’on a le tort de jouir sans prévoyance, il seroit pourtant assez sage de faire quelques provisions pour les années plus importantes de la vie, où la réflexion vient remplacer les sens refroidis : cependant Rousseau, trop suivi en cela par les autres écrivains qui l’ont imité, n’a cessé de répéter avec beaucoup de chaleur, que toute l’éducation des Femmes devait tendre à un seul point : de les rendre agréables.

Raisonnons un peu avec les personnes de cet avis, qui se piquent d’avoir quelques connaissances du cœur humain ; croyent-elles que le mariage puisse déraciner les habitudes ? La Femme instruite uniquement à plaire, trouvera bientôt que ses charmes ne sont plus que les tièdes rayons d’un soleil d’hiver, et qui ne peuvent avoir beaucoup d’effet sur le cœur d’un époux qui les voit tous les jours, quand l’été a fait place à une saison plus froide. Aura-t-elle alors assez d’énergie naturelle pour chercher des ressources et des consolations en elle-même, et tirer parti de ses facultés qu’elle a laissé dormir ? N’est-il pas plus vraisemblable qu’elle essayera de plaire à d’autres hommes, et d’étouffer, dans le doux espoir de nouvelles conquêtes, les mortifications que son orgueil et son amour-propre auront reçues ? Quand un mari cesse d’être un amant, et par malheur cela ne peut pas manquer d’arriver, le désir qu’elle avait de plaire, languit ou se tourne en humeur ; l’amour, de toutes les passions peut-être la plus évaporable, devient alors jalousie ou vanité.

Parlerons-nous des Femmes auxquelles leurs principes ou leurs préjugés peuvent servir de frein : eh bien ! celles-là, quoique reculant avec horreur à la seule idée d’intrigue, n’en seront pas moins charmées d’être convaincues, par l’hommage de la galanterie, que leurs maris sont trop cruels de les négliger ; ou bien, honnêtes, mais sensibles, elles passeront des jours, des années à rêver au bonheur qu’éprouvent deux ames bien unies ; cette désespérante méditation minera leur santé, jusqu’à ce qu’enfin, consumées par le chagrin, elles viennent à s’éteindre. Je voudrois bien voir à présent à quoi leur aura servi ce grand art de plaire, sur lequel on ne cesse d’insister ! Que mes adversaires en conviennent, cette recette ne peut-être qu’à l’usage d’une maîtresse ; l’épouse chaste, et la mère sérieusement occupée, ne regarderont la faculté de plaire que comme le poli de leurs vertus, et l’affection d’un époux, comme une de ces consolations qui rendent la tâche moins difficile, et la vie plus heureuse. — Mais aimées ou négligées, leur premier soin sera de se rendre respectables, et de ne pas confier tout leur bonheur à un être sujet aux mêmes faiblesses qu’elles.

L’aimable docteur Grégory, est tombé dans la même erreur. Je respecte son cœur, mais je désapprouve entièrement son célèbre ouvrage intitulé, Legs d’un père à ses filles.

Il leur conseille de cultiver le goût pour la parure, parce que, dit-il, le goût pour la parure est naturel aux Femmes. Je n’entends pas trop ce que Rousseau et lui veulent dire par ce mot, qu’ils emploient si souvent sans l’avoir défini. Veulent-ils nous révéler que dans un état préexistant, l’ame étoit folle de parure, et qu’en entrant dans un nouveau corps, elle n’a pas manqué d’y apporter ce goût. Moi, je ne manquerai pas de sourire, comme je le fais, toutes les fois que j’entends parler d’élégance innée. — Se bornent-ils à prétendre que l’exercice de nos facultés produira ce goût. — Je le nie ; il n’est point naturel, mais il vient, comme la fausse ambition des hommes, de l’amour du pouvoir. Grégory va beaucoup plus loin : il recommande précisément la dissimulation, et avertit une jeune fille innocente et naïve de mentir à ses sentimens, et de ne point danser avec vivacité, quand même la gaité qui l’animeroit, donneroit à ses pieds de l’expression, sans rendre son port immodeste. Je le demande au nom du sens-commun et de la vérité, pourquoi seroit-il défendu à une Femme de reconnoître qu’elle peut prendre plus d’exercice qu’une autre, ou, en changeant les mots, qu’elle est d’un bon tempéramment ? et pourquoi pour éteindre son innocente vivacité, lui insinuer obscurément que les hommes en tireront des conséquences auxquelles elle ne songeoit guères ? — Qu’un libertin pense ce qu’il voudra ; mais j’espère qu’aucune mère sensible ne restreindra la franchise naturelle de la jeunesse, par ces indécentes précautions. La bouche parle de l’abondance du cœur, et un sage, plus page que Salomon, a dit qu’il falloit avoir le cœur pur, sans s’inquiéter de l’observation de cérémonies minutieuses, qu’il est d’ailleurs fort aisé de remplir scrupuleusement, quoique le vice règne dans le cœur.

— Sans doute les Femmes doivent s’efforcer de purifier leur cœur ; mais peuvent-elles le faire, quand leur intelligence, sans culture, les laisse absolument dans la dépendance de leurs sens, soit pour s’occuper, soit pour s’amuser ; quand aucune recherche plus noble ne les met au-dessus des petites vanités du jour, ou en état de calmer les mouvemens qui agitent un foible roseau, livré à la merci des plus légers zéphirs. L’affectation est-elle donc nécessaire pour gagner le cœur d’un honnête homme ? La nature a donné à la Femme un corps moins robuste qu’à l’homme ; mais faudra-t-il, pour s’assurer l’affection de son mari, qu’une Femme qui, par l’exercice de ses facultés morales et physiques, a su conserver à son tempéramment sa force naturelle, et à ses nerfs leur vigueur, tandis qu’elle remplissoit les devoirs d’épouse, de fille et de mère, s’abbaisse jusqu’à l’artifice, et feigne une délicatesse maladive, dans l’intention de conserver le cœur d’un homme qui devroit être charmé de la voir en bonne santé, pour peu qu’il fût raisonnable. La foiblesse peut exciter l’intérêt et flatter l’arrogant orgueil de l’homme ; mais, les caresses d’un maître, d’un protecteur, ne satisferont pas une ame généreuse qui veut et mérite du respect. Cette sorte de tendresse est un, chétif, remplacement de l’amitié.

Je reconnais la nécessité, de tous ces artifices dans, un Serail, à la bonne heure : l’Epicurien qui le possède, a besoin d’avoir son palais réveillé, sous peine de dégoût ; mais quelle Femme se contenterait de cette existence, sinon celle qui n’en mériteroit pas une meilleure ? Peut-on faire de la vie un songe, et la passer lâchement dans le sein du plaisir, ou la langueur de l’indolence, plutôt que d’assurer son droit à des jouissances raisonnables, et de s’illustrer par la pratique des vertus qui honorent l’espèce humaine ? Certes, elle n’a pas une ame immortelle celle-là, qui peut dissiper, de gaîté de cœur, sa vie purement consacrée à la paure, pour amuser les heures languissantes et charmer les ennuis d’une créature son égale, qui veut être réveillée par ces sourires et ses agaceries.

Au contraire, la Femme qui exerce son corps et fortifie son intelligence, en soignant sa famille et pratiquant différentes vertus, devient l’amie et non l’humble esclave de son époux, et si elle mérite son estime par ces qualités solides, elle ne sera pas réduite à cacher son amour, ni à prétendre à une froideur de tempéramment contre nature, pour exciter les passions de son mari. En effet, parcourons l’histoire, nous y verrons que les Femmes qui se sont distinguées, n’ont été ni les moins belles, ni les moins aimables de leur sexe.

La nature, ou, pour parler plus exactement, Dieu a bien fait tout ce qu’il a fait ; mais l’homme a gâté son ouvrage, en se tourmentant à chercher des moyens de le perfectionner. On voit assez que j’ai actuellement en vue cette partie du traité de Grégory, où il conseille à une Femme de ne jamais laisser connoître à son mari l’étendue de sa sensibilité et de son amour. Précaution voluptueuse et aussi peu efficace qu’absurde. — L’amour, par sa nature même, ne peut être que passager : chercher un secret pour le fixer, serait aussi déraisonnable, que chercher la pierre philosophale ou la panacée universelle ; et cette découverte servirait aussi peu, ou pour mieux dire, nuirait autant au genre-humain. Le lien le plus sacré de la société est l’amitié, vérité reconnue par le satyrique, qui a raison de dire : « quelque rare que soit le véritable amour, l’amitié véritable est encore plus rare » ; C’est une vérité toute simple, et la cause n’en étant pas très-cachée, ne peut échapper au plus léger coup-d’œil de l’observateur. L’amour, cette passion ordinaire, où le hasard et la sensation remplacent le choix et la raison, est ressenti jusqu’à un certain point par la masse du genre-humain ; car il est inutile, quant à présent, de parler des mouvemens qui s’élèvent ou descendent au-dessus ou au-dessous de l’amour. Cette passion naturellement augmentée par l’inçertitude et les obstacles, tire l’ame de son assiette ordinaire et exalte ses affections ; mais la sûreté de la possession de l’objet qu’on recherchoit, amenée par le mariage, laissant tomber la fièvre de l’amour, cette température que comporte la santé, paroît insipide. J’avoue que ceux qui la jugent ainsi, sont seulement les êtres qui n’ont pas assez de bon-sens pour substituer la tendresse calme de l’amitié, la confiance de l’estime, à l’admiration aveugle et aux émotions sensuelles de l’amour.

Tel est le cours infaillible des choses. — L’indifférence ou l’amitié succède nécessairement à l’amour. — Et cette disposition semble être parfaitement en harmonie avec le système de gouvernement établi dans le monde moral. Les passions sont des ressorts qui poussent à agir, et ouvrent l’ame ; mais elles se rabaissent à la qualité de purs appétits, et deviennent une satisfaction personnelle et momentannée, quand elles ont atteint leur but, et que l’ame satisfaite s’arrête à la jouissance. L’homme qui a déployé quelque vertu, tandis qu’il combattoit pour une couronne, n’est souvent devenu qu’un tyran voluptueux après avoir réussi à la mettre sur sa tête ; de même, quand l’amant n’est point identifié avec l’époux, l’insensé en proie à des caprices enfantins, et à de ridicules jalousies, néglige les devoirs sérieux de la vie, pour prodiguer à un vieil enfant, sa Femme, les caresses par lesquelles il auroit dû exciter la confiance dans l’ame de sa jeune famille.

Pour remplir les devoirs de la vie, et être en état de suivre avec vigueur les différentes fonctions qui forment le caractère moral, un maître et une maîtresse de maison, ne doivent pas continuer à s’aimer avec passion. Je veux dire qu’ils ne doivent pas se livrer à ces émotions qui troublent l’ordre de la société, et absorbent des facultés qu’on auroit dû employer autrement. L’ame qui n’a jamais été remplie par un objet, manque de vigueur. Elle est foible, si elle peut rester long-tems dans cet état d’apathie.

Une éducation prise à contre-sens, une ame étroite et sans culture, et beaucoup de préjugés sexuels, tendent à rendre les Femmes plus constantes que les hommes ; mais je ne veux pas, pour le présent, m’occuper davantage de cette branche de mon sujet. J’irai plus loin et j’avancerai, sans croire proposer un paradoxe, qu’un mariage malheureux, tourne souvent à l’avantage d’une famille, et que la Femme négligée, est, en général, la meilleure mère. C’est ce qui arriveroit même presque toujours, si l’ame des Femmes étoit plus grande : car, il semble que ce soit une dispensation ordinaire de la providence, qu’il faille déduire de l’expérience, ce trésor de la vie, ce que nous gagnons dans les jouissances actuelles ; et que tandis que nous cueillons les fleurs du jour et goûtons le plaisir, nous ne puissions pas cueillir en-même-tems le fruit solide du travail et de la sagesse. Le chemin est devant nos yeux, nous pouvons prendre à droite ou à gauche ; celui qui veut passer sa vie à voltiger d’un plaisir à un autre, ne doit pas se plaindre, s’il n’acquiert ni la sagesse, ni l’estime qu’on lui accorde.

Supposons pour un moment, que l’ame n’est pas immortelle, et que l’homme n’a été créé que pour la scène étroite du monde : je crois qu’alors nous aurions raison de nous plaindre, de ce que l’amour et la tendresse puérile deviennent toujours insipides et cessent de piquer nos sens. Mangeons, buvons, et faisons l’amour, car nous mourrons demain, seroit dans le fait le langage de la raison, la moralité de la vie ; et il n’y auroit qu’un fou qui pût abandonner la réalité, pour courrir après une ombre fugitive. Mais si, animées d’un plus noble espoir, à la vue des facultés perfectibles de notre ame, nous dédaignons de borner nos vœux et nos pensées à ce point terrestre, qui ne paroît grand et important qu’autant qu’il est lié avec une perspective sans bornes et de sublimés espérances, quelle nécessité d’avoir une conduite fausse, et pourquoi voiler la majestueuse et sainte vérité, pour nous attacher à conserver des biens trompeurs qui sappent les bases de la vertu ? Pourquoi l’ame des Femmes se souilleroit-elle de la coquetterie, dans la vue de plaire à des hommes sensuels, et d’empêcher l’amour de devenir amitié ou tendresse affectueuse, en ne lui fournissant aucun des motifs qui peuvent le rendre tel. Qu’un cœur honnête se montre à découvert, et que la raison apprenne aux passions à se soumettre à la nécessité ; ou plutôt que le grand but de la vertu et des connoissances, élève l’ame au-dessus de ces sentimens qui rendent amère la coupe de la vie, plutôt qu’ils ne l’adoucissent, surtout quand on n’a pas soin de les restreindre dans leurs justes bornes.

Il n’est pas question ici de cette passion de roman qui accompagne le génie. — Rien ne peut affoiblir le ressort de ses aîles. Il n’y a que cette grande passion, bien au-dessus des petites jouissances de la vie, qui soit fidèle au sentiment et vive d’elle-même ; au reste, toutes celles que leur durée a rendu célébres, ont été malheureuses. L’absence, un tempérament mélancolique leur ont donné de la force. — L’imagination a plané au-dessus d’une beauté vue à travers d’un nuage. Mais la familiarité auroit peut-être changé l’admiration en dégoût, ou du moins en indifférence, et permis à l’imagination de chercher un nouvel objet. C’est ainsi que Rousseau, fidèle aux convenances dans cet ordre de choses, peint Héloïse, la maîtresse de son ame, aimant St.-Preux, même au moment où elle voyoit éteindre sa vie ; mais ce n’est pas là une preuve de l’immortalité de cette passion.

Je trouve ce même caractère à l’avis du docteur Grégory sur la délicatesse de sentiment, qu’il conseille à une Femme de ne pas se donner la peine d’acquérir, à moins qu’elle ne soit déterminée à se marier. Conséquent néanmoins à son premier avis, il regarde cette détermination comme indélicate, et recommande soigneusement à ses filles de la cacher, quoiqu’elle doive régler leur conduite ; comme s’il étoit peu délicat d’avoir les appétits ordinaires de la nature humaine.

Belle morale, et d’accord avec la timide prudence d’une ame étroite qui ne sauroit étendre ses vues au-delà de la minute actuelle de son existence ! Si toutes les facultés de l’ame d’une Femme ne doivent être cultivées que dans le rapport de dépendance où l’on suppose qu’il faut qu’elle se trouve toujours vis-à-vis de l’homme ; si, quand elle a obtenu un époux, elle est arrivée au terme de sa carrière et que sa basse vanité se contente de ce chétif honneur, laissons-la ramper à son gré dans cette situation qui lui suffit, quoique le rôle qu’elle y joue ne l’élève guère au-dessus du règne animal ; mais si elle s’efforce d’obtenir le prix et l’estime dûs à un être raisonnable et immortel, qu’elle cultive son intelligence sans s’arrêter au caractère de l’homme auquel elle peut être destinée pour épouse ; qu’elle se décide seulement, sans trop s’inquiéter du bonheur actuel, à se donner les qualités qui ennoblissent un être raisonnable. Alors un mari grossier ou peu aimable pourra choquer son goût, mais n’altérera jamais la paix de son ame ; préparée aux évenemens, au lieu de la plier à imiter les foiblesses de son associé, elle en saura souffrir les fâcheux effets, et ce caractère dur présentera une épreuve plutôt qu’un obstacle à sa vertu.

Si notre auteur eut borné ses remarques à l’espoir romanesque d’un amour constant et d’affections partagées, il auroit dû rappeler cette grande vérité : que l’expérience dissipera toujours ce bonheur après lequel ses avis ne nous empêcheront jamais de soupirer, et qui disparoît toutes les fois qu’en éveille l’imagination au dépens de la raison.

J’avoue qu’il arrive souvent que les Femmes qui se sont fait une délicatesse de sentimens vraiment romanesque et contraire à la nature, passent leur vie[3] à imaginer combien elles auroient été heureuses avec un mari capable de les aimer de l’amour le plus tendre et croissant tous les jours ; mais elles gémissent aussi bien mariées que seules, et elles ne seroient pas moins malheureuses avec un mauvais mari qu’en séchant du désir d’en obtenir un bon. J’accorde qu’une éducation convenable, un cœur rempli de bons principes, mettroit une Femme en état de supporter avec dignité la vie solitaire ; mais je soutiens que négliger de cultiver son goût, de peur d’éprouver des désagrémens de la part d’un mari qui pourra peut-être le choquer de tems à autre, c’est abandonner l’essentiel pour l’accessoire. À vrai dire, je ne sais trop de quel usage seroit un goût perfectionné, s’il ne servoit à rendre l’individu qui le possède plus indépendant des hazards de la vie ; s’il n’ouvroit de nouvelles sources de jouissances, uniquement du ressort des facultés de l’ame, et qui par-là même n’ont besoin du concours de personne. Les gens de goût, mariés ou célibataires, seront toujours choqués de différentes choses qui n’affectent nullement des ames moins sensibles. Ce n’est pas sur cette conclusion qu’il faut juger ce raisonnement ; il suffit d’examiner si, dans toute la somme des jouissances, on peut regarder le goût comme un avantage.

Procure-t-il plus ou moins de peine ou de plaisir ? voilà la question : la réponse décidera de la justesse de l’avis du Docteur Grégory, et montrera combien il est absurde et tyrannique de tracer un plan d’esclavage, ou d’essayer d’élever des êtres moraux d’après d’autres règles que celles qui nous sont fournies par la pure raison, et qui s’appliquent également à toute l’espèce humaine.

Des mœurs douces, la patience et la mansuetude, sont des qualités si précieuses que les poëtes, dans leurs élans sublimes, ont cru devoir en revêtir la divinité ; et peut-être aucune image de sa bonté ne se grave-t-elle aussi profondément dans le cœur humain, que celle qui le représente abondant en miséricorde et disposé à pardonner. La douceur aimable, considérée sous ce point de vue, porte tous les caractères de la grandeur combinée avec les charmes irrésistibles de la condescendance ; mais quel aspect différent ne prend-elle pas, lorsqu’elle n’est que l’abaissement soumis de la dépendance, l’appui de la faiblesse, qui aime, parce qu’elle a besoin de protection, et qui pardonne, parce qu’elle est réduite à endurer patiemment les injustices qu’elle n’ose repousser, et sous l’oppression desquelles elle sourit encore, pour adoucir son tyran. De quelqu’abjection que ce tableau présente l’idée, c’est pourtant celui d’une Femme accomplie, du moins à s’en raporter à l’opinion de ces sophistes à deux balances, aux yeux de qui le mérite de la Femme doit être autre que celui de l’homme. Quelquefois, cependant, ils replacent charitablement la côte[4] enlevée, et font de l’homme et de la Femme un seul être moral ; sans oublier de donner à celle-ci tous les charmes de la soumission.

On ne nous parle point du Choix d’un état pour les Femmes, abstraction faite du mariage. Quoique tous les moralistes ayent reconnu que le systême de la vie semble démontrer que l’homme est préparé par diverses circonstances à prendre un état, ils veulent que la Femme ne s’occupe que du présent ; d’après ce principe, ils lui recommandent la docilité, la gentillesse, et je ne sais quelle affection caressante ; ils font de ces qualités les vertus cardinales du sexe ; et, sans égard pour la variété que la nature met dans les caractères, un écrivain a déclaré que le sérieux étoit une qualité masculine dans une Femme ; elle a été formée pour être le joujou de l’homme, et il faut qu’elle remplisse cette destination.

Il est philosophiquement vrai que la gentillesse est le partage d’un être foible et délicat : la grâce en lui doit suppléer à la force ; mais quand la docilité n’est point raisonnée, quand elle se prête à tout, elle cesse d’être une vertu, et cependant il faut qu’elle ait ce caractère dans une association ou l’un des conjoints est toujours inférieur à l’autre, et lui inspire seulement une tendresse fade qui dégénère facilement en mépris. Encore si les monitions pouvoient rendre aimable et complaisante une Femme qui ne l’est point naturellement, il pourroit en résulter quelques avantages ; mais si, comme on peut le démontrer, ce conseil donne au sexe en général ne produit que l’affectation ; s’il s’oppose au perfectionnement, à l’amélioration du caractère, je ne vois pas ce que gagne le sexe à sacrifier de solides vertus pour des grâces superficielles, quoiqu’elles puissent lui procurer quelques années d’un empire absolu.

Comme philosophe, je lis avec indignation les epithètes que les hommes emploient pour adoucir leurs insultes ; comme moraliste, je demande ce que signifie l’assemblage incohérent de jolis défauts, aimaibles foiblesses, etc. ? S’il n’existe de criterium, de type morale que pour les hommes, la Femme n’est qu’un être équivoque ; elle n’a, ni l’instinct toujours sûr des brutes, ni les directions de la raison. Faite pour être aimée, elle ne peut prétendre au respect sans se dénaturer, et sans être rejettée de la société, comme empiétant sur les droits de l’autre sexe.

Mais, pour considérer le sujet que nous traitons sous un autre point de vue, est-il vrai que ces Femmes, d’une indolence passive, soient les meilleures épouses ? pourvue pas nous écarter du temps présent montrez-nous comment ces foibles créatures remplissent leur rôle ? faites-nous voir que les Femmes qui, par l’acquisition de quelques dons superficiels, ont donné de la consistance au préjugé dominant, faites-nous voir, dis-je, qu’elles contribuent au bonheur de leurs époux ? ne déployent-elles leurs charmes que pour les amuser ? ces Femmes élévées de bonne heure dans l’obéisance passivè, sont-elles bien propres au soin d’une famille, à l’éducation des enfans ? ont-elles assez de caractère pour remplir ces devoirs ? je ne le crois pas ; et, après avoir parcouru les annales de mon sexe, je conviens avec ceux qui en ont fait la satyre, que cette moitié du genre humain est la plus foible et la plus opprimée. L’histoire ne nous offre que les témoignages de son infériorité ; toutes ont porté le joug oppresseur des hommes : il en est si peu qui s’en soient affranchies, qu’elles me rappellent la conjecture ingénieuse à laquelle Newton a donné lieu. On a dit, en parlant de ce grand philosophe, qu’un être d’un ordre supérieur s’étoit probablement venu loger dans un corps humain : je croirois de même que le peu de Femmes extraordinaires qui, par un effort excentrique, se sont élevées au-dessus de leur sexe, étoient des esprits mâles qui, par quelques méprises, se sont trouvés renfermés dans un corps féminin ; mais si cette conjecture n’est pas philosophiquement admissible, il faut que l’infériorité du sexe tienne à ses organes, ou au partage inégal de ce feu céleste qui anime notre argile.

Toutefois, en évitant toute comparaison directe entre les deux sexes, comme je l’ai fait jusqu’à présent, ou en reconnoissant de bonne foi l’infériorité des Femmes selon la manière actuelle de voir les choses ; j’insiste sur ce que les hommes ont accru cette infériorité au point de placer les Femmes presque hors de la ligne des créatures raisonnables. Laissez-leur assez de marge pour développer leurs facultés, pour renforcer leurs vertus, alors vous déterminerez la place qu’elles doivent occuper dans l’échelle des êtres ; je parle du sexe en général ; n’oublions pas qu’il est un petit nombre de Femmes distinguées qui n’ont pas besoin qu’on leur assigne une place ; elles sauront bien se la donner.

Enveloppées de ténèbres épaisses du despostisme qui nous font trébucher à chaque pas, il nous est sans doute assez difficile de prévoir le dégré de perfection dont nous sommes susceptibles ; mais quand la morale sera fondée sur des bases plus solides, j’ose avancer, sans être prophète, que la Femme sera l’esclave ou l’ami de l’homme ; nous ne serons plus réduites à douter, comme à présent, si c’est un agent moral ou un chaînon qui, dans la série des genres et des espèces, unit l’homme à la brute ; mais quand il seroit reconnu que, comme les animaux, les Femmes sont créées pour l’usage de l’homme, ils les laisseront patiemment mordre leur frein, sans les accabler d’un sot orgueil. Si au contraire on prouve leur rationabilité, les hommes sans doute ne s’opposeront point à leur perfectionnement, pour satisfaire des caprices et des fantaisies : ils n’employeront point toutes les grâces de leur réthorique à leur apprendre l’obéissance implicite à leurs commandemens ; quand ils traiteront de l’éducation des Femmes, ils ne diront pas qu’elles ne doivent jamais user librement de leur raison ; ils ne recommanderont point le manège, la ruse, la dissimulation à des êtres susceptibles d’acquérir, comme eux, toutes les vertus de l’humanité.

Si la moralité a une base éternelle, elle doit être la même dans tous les tems ; or tout être à qui l’on fait un devoir de se sacrifier journellement aux convenances, ne vit en effet que pour le moment présent, et ne peut être soumis à la responsabilité ; il auroit donc pu parler sérieusement, le poëte qui a dit pour persifler les Femmes, que si elles s’égarent, il faut s’en prendre à leur étoile ; car elles seroient en effet livrées à la fatalité, s’il étoit démontré que leur propre raison ne doit jamais les guider ; qu’elles n’ont aucun droit à l’indépendance ; qu’il leur est interdit de s’élever au-dessus de l’opinion, ou de sentir la dignité de l’être raisonnable qui ne relève que de Dieu, et qui souvent oublie l’existence des autres êtres pour ne s’occuper que de lui-même et du modèle de perfection dont les attributs peuvent être l’objet de son imitation, quoique l’esprit se perde dans leur contemplation idéale.

Mais rejettons les déclamations, quand la raison nous offre sa lumière. Si les Femmes sont des créatures raisonnables, ne les traitez point en esclaves ; en les associant à l’homme, ne les traitez point comme les bêtes qui sont dans sa dépendance ; cultivez leur entendement, donnez-leur des principes ; qu’elles acquièrent la conscience de leur dignité, en éprouvant qu’elles ne dépendent que l’être suprême ; au lieu de leur faire une morale particulière pour les rendre plus agréables, enseignez-leur, comme aux hommes, à se soumettre à la nécessité.

Peut-être l’expérience prouvera-t-elle qu’elles ne peuvent atteindre au même dégré de force d’esprit, de persévérance, de courage ; mais que leurs vertus soient spécifiquement les mêmes que celles des : des hommes, dussent-elles les avoir à un degré inférieur ; la supériorité de l’homme sera tout aussi évidente, si elle ne l’est davantage, et la vérité qui est une, et qui n’est susceptible d’aucune modification, sera commune à tous. L’ordre actuel des choses ne sera pas même dérangé, les Femmes auront seulement le rang que la raison leur assigne, sans chercher les moyens de tenir la balance égale, encore moins de la faire pencher.

On peut regarder ces propositions comme des rêves de l’Utopie, je n’en rends pas moins des actions de grâce à l’être qui me les a inspirées, et qui m’a donné le courage d’oser faire usage de ma propre raison, jusqu’à ce que, ayant secoué mes entraves, je me suis indignée à l’aspect des fausses notions qui asservissent mon sexe.

J’aime l’homme comme mon compagnon ; mais son sceptre légitime ou usurpé ne s’étend pas sur moi, à moins que le mérite individuel ne force mon hommage, et dans ce cas là même, je me rends à la raison et non à l’individu. Dans le fait, l’être qui répond de sa conduite doit la diriger sur sa propre raison ; s’il en est autrement, qu’on me dise sur quoi repose le tribunal du juge souverain ?

Il me semble nécessaire d’insister sur ces vérités triviales, car on en a, pour ainsi dire, isolé les Femmes, et en les dépouillant des vertus qui parent l’humanité, on les a décorées de quelques grâces artificielles qui les rendent propres à exercer, pour quelques instans, une sorte de tyrannie : l’amour dans leur sein remplace les passions nobles et généreuses : leur seule ambition est d’être jolies ; de produire l’émotion, au lieu d’inspirer le respect ; et, telle que la servilité dans les monarchies absolues, la bassesse de ce désir détruit toute la force du caractère. La liberté est la mère de la vertu ; si les Femmes étoient esclaves par leur nature, s’il ne leur étoit pas donné de respirer l’air vivifiant de la liberté, elles languiroient comme des plantes étrangères, et seroient regardées comme un beau défaut dans la nature ; n’oublions point qu’elles ne sont pas autre chose aujourd’hui.

Mais on peut rétorquer sur l’homme, l’argument relatif à la servitude dans laquelle le sexe a toujours été retenu. Le petit nombre a toujours asservi le plus grand, et des monstres qui méritoient à peine le nom d’hommes, ont tyrannisé des milliers de leurs semblables. Pourquoi des hommes supérieurs se sont-ils soumis à cette dégradation ? Il n’est pas universellement reconnu que les rois, envisagés collectivement, l’ayent toujours emporté en talens et en vertu, sur un nombre égal d’individus tirés de la masse commune du genre-humain ; n’ont-ils pas cependant été toujours traités, et ne le sont-ils pas encore, avec une vénération qui outrage la raison ? La Chine n’est pas le seul pays où l’on ait fait un dieu d’un homme : pour avoir quelque repos, les hommes se sont soumis à un maître ; il en a été de même des Femmes, et jusqu’à ce qu’il soit prouvé qu’un courtisan qui fait abnégation de ses droits naturels, n’est pas un être moral, on ne peut pas démontrer que la Femme est inférieure à l’homme, car elle a toujours été subjuguée.

Une force brutale a jusqu’ici gouverné le monde. La science la plus utile aux hommes, la politique est encore dans l’enfance, et ce qui le prouve bien évidemment, c’est que les philosophes n’osent la regarder comme une véritable science.

Je ne poursuivrai ce raisonnement que pour en tirer la conclusion naturelle, que puisqu’il est de la saine politique d’étendre la liberté, le genre humain en y comprenant les Femmes, en deviendra plus vertueux et plus sage.

  1. Pourquoi donc faire un crime aux Femmes de leurs passions pour les gens en écarlatte ou en bleu de roi ? leur éducation ne les raproche-t-elle pas plus de cette çlasse que de toute autre ?
  2. C’est une sensation de ce genre que l’agréable peinture du bonheur de nos premiers parens, dans le Paradis, tracée par Milton, m’a toujours fait éprouver. J’avouerai qu’au lieu de porter envie à ce couple charmant, le sentiment de la noblesse de mon être, un orgueil digne, si l’on veut, de Satan, m’a toujours fait chercher dans son enfer de plus sublimes images. Je dirai, dans le même style, que toutes les fois que quelque beau monument des arts s’est offert à ma vue, j’ai joui délicieusement, et parce que je sentois, pour ainsi dire, une émanation de la divinité, dans le bel ordre que j’admirois, et que je me plaisois à suivre ; jusqu’à ce que descendue de cette hauteur, propre à donner des vertiges, je me surprisse moi-même occupée de la contemplation du plus grand spectacle réservé à la vue de l’homme : — Celui de la vertu, paisiblement retirée dans quelque solitude, où, loin de la fortune qui l’a rebutée, elle jouit de sa propre conscience qui lui suffit, sans s’abaisser jusques à la plainte.
  3. Je ne citerai, pour exemple, que le fatras de romans dont nous sommes inondés.
  4. Voyez Rousseau, Swedenborg.