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Dans la bruyère/La Faneuse

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 35-37).
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LA FANEUSE


À Édouard de Kerdaniel


 
Les reins cambrés, les bras tendus, le rire aux lèvres,
Elle enlève le foin de sa fourche de bois.
Regardez : ce n’est pas la fille aux pâleurs mièvres,
Qui marche à pas comptés et fait traîner sa voix.

Non, c’est la paysanne active, presqu’un mâle.
Entêtée au travail, sans soif et sans sommeil,
Sans craindre pour son teint les morsures du hâle,
Elle passe en riant dans les feux du soleil.


À chaque mouvement, sous son fichu de toile,
Ses seins, que nul corset jamais n’osa meurtrir,
Se tendent puissamment sans souci d’aucun voile ;
Et, la jambe avancée, elle semble s’offrir.

Les jeunes gens joyeux peuvent railler et rire :
Elle sait aussi rire et répondre au besoin ;
Et plus d’un qui plaisante, en lui-même l’admire,
Toujours forte et debout sur les vagues du foin.

La sueur de son front coule sur sa poitrine.
Enfin, elle s’arrête et respire un moment :
La charretée est faite ! Au bas de la colline
Déjà l’ombre du soir tombe du firmament.

Maintenant, qui sera la reine de la fête ?
Mais les gars l’ont portée entre leurs bras nerveux :
Et la voilà là-haut qui balance la tête,
Sur le sommet du char, au lent roulis des bœufs.


C’est ainsi que bientôt, reine puissante et belle,
Elle fait son entrée à la ferme, au milieu
De l’odeur des foins secs qui s’exhale autour d’elle,
Dans les rires de joie et la paix du ciel bleu.