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Dans la bruyère/Les Bois

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 38-41).
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LES BOIS


À Ambroise Gourdel


Ô bois, je vous aimai tout enfant ! Voyageur
En un rêve attardé sur un monde qui passe,
J’aimais déjà le bois, le bois calme et songeur,
Qui bruit dans la paix et qui croit dans l’espace.

Profondeur des forêts, immensité des cieux !
Le noir fourmillement des cités m’importune ;
L’horizon des murs gris a fatigué mes yeux :
Je rêve de sapins baignés d’un clair de lune.


Au penchant des coteaux je les revois toujours :
Éternellement verts, robustes et sonores,
Ils ne sont pas flétris par le hâle des jours
Et gardent au couchant la fraîcheur des aurores.

Sous le ciel infini, pendant les nuits d’été,
Ils ont des étangs bleus que ferme un cercle d’ombre,
Et qui, sous les rameaux reflétant la clarté,
Semblent des pans d’azur tombés dans l’herbe sombre.

Il n’est pas un seul coin de mousse ou de hallier
Qui ne m’ait vu sourire à la vie inconnue ;
Et maintenant encor mon rêve d’écolier
Est resté quelque part accroché dans la nue.

Je ne suis plus l’enfant chercheur de papillons
Qui courait sans souci parmi l’herbe mouillée,
Quand le soleil faisait de ses joyeux rayons
Resplendir une averse à travers la feuillée.


Je ne suis plus l’enfant dont le chant des oiseaux
Consolait aisément la tristesse sans cause,
Et qui, jetant des fleurs au courant des ruisseaux,
Bornait son avenir au destin d’une rose.

Une immense détresse a dévoré mon cœur :
Vous ne chanterez plus qu’au fond de ma mémoire,
Ô radieux refrain de mon passé vainqueur !
Je ne sais plus aimer et j’ai grand’peine à croire.

Ma lèvre a désappris les sourires charmants ;
J’ai vu que l’avenir était plein de mensonges.
Je ne trouverais plus sous les rameaux dormants
La sente où l’on se perd en effeuillant des songes.

Puisque je n’ai pas su cueillir les longs espoirs,
Je cherche, triste et seul, l’oubli d’un monde infâme :
Mais le deuil de mon cœur a rendu les cieux noirs,
Et dans les vagues bruits j’entends pleurer mon âme.


La forêt est sinistre ; et son murmure, hélas !
Qui berçait doucement mes songes éphémères,
Dans mon cerveau lassé résonne comme un glas
Sur les spectres peureux de mes jeunes chimères.

Et pourtant tu n’as pas changé, dôme béni !
C’est moi qui te reviens plein de doutes moroses :
Le réel m’a donné la soif de l’infini,
La haine des humains m’a fait aimer les choses !

En des teintes qui vont s’affaiblissant, le soir
Se meurt ; et déjà l’ombre ouvre sa lourde toile.
Comme un flambeau qui tremble au fond d’un reposoir,
Dans les lointains du ciel brille une pâle étoile.

Cachez-moi, sombres bois ! et que le firmament,
Pour les orgueils de l’homme et ses honteux désastres,
Comme une église en deuil qu’on voile tristement,
Sur le manteau des nuits fasse pleurer les astres !