Dans la bruyère/Le Cheval Entravé

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 64-65).

LE CHEVAL ENTRAVÉ


À Sullian Collin


Je vis, dans la prairie immense et toute verte,
Un cheval entravé qui broutait le gazon,
Et soudain, le front haut et la narine ouverte,
Aspirait à la fois l’air libre et l’horizon.

Il était de sang pur, de race renommée.
Cabrant son poitrail brun dans un brouillard vermeil,
Il soufflait bruyamment son haleine enflammée
Vers le couchant rougi par la mort du soleil.


Oh ! comme il eût fait bon courir dans l’étendue,
Par dessus les halliers, les ronces, les ruisseaux,
Etourdi par le bruit de la course éperdue,
L’œil en flamme, et soufflant du feu par les naseaux.

Mais, par degré, le soir éteignit sa lumière ;
La nuit vint rafraîchir les cieux incendiés ;
Et le cheval pensif courba sa tête altière,
Flairant les lourds liens qui retenaient ses pieds.

Alors, dans l’ombre vague où l’horizon recule,
Il allongea le cou, plein d’épouvantement ;
Et devant l’infini, voilé de crépuscule,
Jeta dans les échos un long hennissement.

Ainsi, désespérés, vers l’espace sans borne,
Poètes, nous jetons un long et triste adieu,
Quand le néant rappelle à l’impuissance morne
L’homme qui s’oubliait dans les rêves d’un dieu.