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Dans la bruyère/Souvenirs

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Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 73-74).

SOUVENIRS


À l’Abbé E. Fréour


Ami, t’en souviens-tu, de nos rêves d’antan,
Quand nous allions errer sous les ombrages calmes,
Et que nous regardions flotter, comme des palmes,
Les rameaux inclinés dans l’eau du large étang ?

Nous étions des enfants épris des grands poètes.
Nous aimions les sommets pour le vaste horizon,
Et nous sentions déjà l’approche du frisson
Qui fait jaillir le chant des âmes inquiètes.


Victor Hugo, Laprade, Hello ! C’étaient nos dieux,
Les phares flamboyants dans notre nuit profonde ;
Et l’austère pensée animait tout un monde
Où l’Idéal chantait en des vers radieux.

Les lettres d’Ozanam nous apprenaient à croire ;
Et dans sa prose immense aux murmures géants,
Pareille à la clameur des sombres océans,
Châteaubriand berça notre jeune mémoire.

De ces beaux jours perdus que nous est-il resté ?
Ah ! ne maudissons pas cette vie éphémère !
Si l’avenir trompeur a tué la Chimère,
Si le réel brutal a flétri la Beauté,

Du moins nous avons eu la vision sans bornes
De tout ce que Dieu fit grand, généreux, divin :
Quand on aime si haut on n’aime pas en vain,
Et quelque chose en reste au fond des âmes mornes.