Dante n’avait rien vu/Un monstre

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Albin Michel (p. 125-126).

Un monstre

Il était court, genre nabot.

Le conseil de révision qui déclara « Bon pour le service » un phénomène de cet acabit était, sans nul doute, ivre mort, ce matin-là.

L’homme, par surcroît, portait le nom de Faugibier. Puni, il occupait un marabout qui se dressait solitaire, au milieu d’un carré ceint d’épines.

Au bruit de mes pas, le nabot releva sa tête à cervelle de lapin.

— C’est vous Faugibier ?

— Oui, monsieur le civil.

Faugibier fait partie de ces monstres qui composent le fond des bagnes. Ce n’est pas une forte tête, c’est un idiot malsain. Il ne complote pas ses mauvais coups, mais ce qu’il pense est mauvais et il exécute les choses qu’il pense, tout simplement. Si le serpent rampe, c’est qu’il n’a pas de pattes, si Faugibier trébuche c’est qu’il n’a pas la moindre lumière dans l’esprit.

J’avais rencontré sa dernière victime sur un chantier de la route, un jeune homme de vingt-deux ans, propre jusqu’ici.

— Ah ! ce fut rapide ! me dit-il.

Faugibier se glissa un soir sous mon marabout, me mit une main sur la nuque, la pointe de son couteau sur le ventre et me dit : t’es bath !

Je voulus me dégager.

— Si tu bouges, j’appuie.

Et il ajouta :

— Tu seras mon septième mort

Faugibier avait tout d’une gargouille de cathédrale.

Il me regardait avec des yeux de vautour.

— Alors, lui dis-je, ce n’est pas assez des sergents, il faut que vous, un détenu, vous martyrisiez vos camarades.

— Monsieur le civil, répond la gargouille, je vous le jure sur les vieux cheveux blancs de mes parents, je ne lui ai pas fait mal, à ce petit !