De Figuris veneris ou les Multiples visages de l’amour/6

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Editions du chat qui pelote (p. 131-139).


VI

FANTAISIES

Où il est question de fantaisies, mensonges peut-être, mais
mensonges divins.

En effet, avant d’en terminer, il ne sera pas hors de propos d’ajouter quelques mots sur l’intempérance de ceux qui ont pratiqué le coït avec les bêtes. Il est avéré qu’en Égypte les habitants de Mendès avaient coutume d’adorer, à l’égal d’un Dieu, un bouc, de lui offrir des sacrifices dans lesquels les femmes se prostituaient publiquement à lui, malgré lui. Écoutons d’abord Hérodote :

« De mon temps dit-il, le nome de Mendès fut témoin d’un prodige : un bouc s’accoupla publiquement avec une femme. »

Plutarque écrit aussi : « On rapporte qu’en Égypte le bouc de Mendès, enfermé avec un grand nombre de femmes, toutes fort belles, refuse d’avoir commerce avec elles, et leur préfère de beaucoup les chèvres. »

Et selon Venette, rien ne fut plus fréquent en Égypte, que de voir des jeunes filles coïter avec des boucs.

Strabon, dit également :

« À Mendès on honore Pan et le bouc ; là les boucs s’accouplent avec les femmes. »

Cette pratique ne fut pas non plus inconnue des Hébreux, à ce que nous apprend la loi de Moïse lui-même dans sa Lévitique :

« Celui qui aura coïté avec une jument ou une chèvre sera mis à mort, la bête aussi sera occise. La femme qui se sera accouplée avec un cheval sera tuée ainsi que l’animal. »

Et pensez-vous qu’il serait jamais venu à l’esprit de Juvénal et nous dire, ainsi que nous l’avons déjà relaté :

« Elle n’hésite pas un instant à se faire couvrir les fesses par un âne », s’il n’était réellement arrivé que des femmes supportassent l’accouplement avec un âne ? De même Apulée aurait-il décrit avec autant de détails que de grâces le coït d’une matrone avec Lucius changé en âne par suite d’une erreur de Fotis dans ses Métamorphoses ?

Mais une crainte me tourmentait fort. Comment faire, pourvu comme je l’étais de jambes lourdes et longues, pour chevaucher une si frêle créature, pour presser de mes ignobles sabots des membres aussi blancs, aussi délicats et qui semblaient faits de miel et de lait ? Ces lèvres mignonnes et purpurines, ces lèvres qui distillent l’ambroisie, comment les baiser avec cette bouche hideusement fendue et ces dents en quartier de roc ? Comment la belle enfin, quelque démangeaison qu’elle eût de sentir mes griffes, pourrait-elle engouffrer un membre aussi énorme ? Malheur à moi ! me disais-je, je vais écarteler une femme noble. Je me vois déjà livré aux bêtes, et contribuant de ma personne aux jeux que va donner mon maître. Cependant les doux propos, les ardents baisers, les tendres soupirs, les agaçantes œillades n’en allaient pas moins leur train. Bref : « Je le tiens, s’écrie la dame, je le tiens, mon tourtereau, mon moineau chéri ! » Et m’embrassant étroitement, elle me fit bien voir que j’avais raisonné à faux et craint à tort. Resserrant son étreinte, elle m’introduisit tout entier en elle, oui tout. Et chaque fois que par ménagement, je tentais de retirer mes fesses, l’ennemi se portait en avant d’un effort effréné, et saisissant mon dard, se collait à moi par étreintes convulsives, au point que j’en vins à me demander si j’en avais réellement assez pour satisfaire sa lubricité. »

Au dire de Venette, encore une jeune fille de Toscane se fit couvrir par un chien, au temps du pape romain Pie V ; et à Paris, en octobre 1601, d’après une note d’Elmenhorst sur le passage d’Apulée, plus haut cité, précise ainsi :

« On découvrit une femme qui avait fait son affaire avec un chien ; l’application de la loi fut requise, et par une sentence unanime du Parlement, la femme adultère et le chien son complice furent brûlés vifs. »

Et quoi ? Une femme eut bien l’audace de subir un crocodile, s’il faut en croire Plutarque dans l’intelligence des animaux : « Tout dernièrement notre excellent Philinus, de retour près de nous d’un long voyage en Égypte, raconta qu’il avait vu dans la ville d’Antée une vieille femme dormant avec un crocodile nonchalamment allongé près d’elle sur un grabat. » Les hommes mêmes ne firent pas fi du cunnus des bêtes. Plusieurs gravures anciennes, en effet, représentent un homme enfilant une chèvre.

Même de nos jours, les chroniques des tribunaux démontrent que, en dehors des chèvres, parfois aussi des brebis, des vaches, des juments ont servi à la satisfaction des passions de bergers ou d’autres gens de condition vile. Mais il s’agit là d’une fantaisie que les psychiatres dénomment : bestialité et qui ne présente pas un intérêt capital : on peut au moins lui reprocher de manquer de raffinement. Aussi bien Forberg juge-t-il bon de ne pas y insister longuement, et, de terminer son ouvrage sur un thème de fantaisies plus distinguées que l’on peut appeler : les chaînes ou bracelets de l’amour.

Forberg termine en effet son ouvrage par un aperçu qu’on ne saurait négliger sur les poses spintriennes, à propos desquelles il donne quelques explications.

Dans les différents genres de lubricités, dit-il, dont nous avons parlé jusqu’à présent, le plus souvent deux êtres ont affaire l’un avec l’autre. Mais il arrive aussi que l’action s’engage entre plus de deux partenaires, entre trois et même davantage. C’est une sorte d’exercice qu’il convient d’appeler à l’instar de Tibère, des Spintries ; Suétone nous en apporte le témoignage suivant :

« Tibère avait installé dans sa retraite de Caprée une sellaria réservée à ses débauches secrètes. Là une troupe choisie de jeunes filles et de mignons, et des inventeurs de monstrueux accouplements, qu’il appelait des spintries, formaient entre eux une triple chaîne et se prostituaient devant lui pour ranimer, par ce spectacle, ses désirs languissants. »

Cette sellaria, de par l’origine même du mot, était sans doute une chambre garnie de sièges. Ceux qui se prostituaient entre eux sur ces sièges étaient appelés des sellarii, à cause de l’endroit, et des spintries à cause de leur entrelacement ; car, au dire de Festus, le spinter est « une sorte de bracelet que les femmes portaient au haut du bras gauche. »

Le mot semble dériver, par corruption, de sphincter, en grec et du latin constringo qui signifie : j’étreins.

Tacite rapporte dans ses Annales : « Ce fut alors qu’on inventa les mots nouveaux de sellarii, de spintriœ, pour exprimer des réduits infâmes et des complaisances infinies. »

Les spintries sont donc ces êtres qui, réunis entre eux comme les anneaux d’un bracelet, font l’amour. Ils peuvent s’enchaîner trois ensemble par série de deux, de telle façon que celui du milieu baise ou pédique, ayant devant lui une jeune fille ou un cinède, et derrière un pédicon. C’est une chaîne de ce genre qui reliait les personnages dont parle Ausone, dans une épigramme :

« Ils sont trois dans un lit : deux subissent l’accouplement et deux commettent. — Ils sont donc quatre ? — Non, il ne faut compter que pour un chacun des deux partenaires des extrémités, mais il faut compter pour deux celui du milieu, agent et patient tout ensemble. »

Il y a des sprintries dans lesquelles celui du milieu baise ; il y en a d’autres dans lesquelles celui du milieu encule.

Il n’est d’ailleurs pas nécessaire que le partenaire du milieu baise ou encule. Son rôle peut en effet avoir été fixé entre ses complices de façon que par derrière il subisse l’assaut d’un beau mâle, et que par devant il irrume ou bien il suce, ou il lèche. Toutes ces postures, il les a essayées, et même il les a variées d’une manière originale, cet Hostius, si remarquable par ses dispositions lubriques qu’il pourrait être donné en exemple à la postérité, Sénèque s’est déchaîné contre lui avec une violence peut-être excessive pour un philosophe modéré et équitable. Il semble cependant qu’une tacite volupté chatouille les sens de ce rigide gardien de la vertu, quand il en parle ainsi dans ses Questions Naturelles :

« Je veux, dit-il, ici vous conter une petite histoire, où vous verrez que la débauche ne dédaigne aucun artifice qui provoque au plaisir, et combien elle est ingénieuse à stimuler encore ses propres fureurs. Hostius Quadra était d’une impudicité qui fut même traduite sur la scène. C’est ce riche avare, cet esclave de cent millions de sesterces, qui fut tué par ses esclaves, et dont Auguste jugea la mort indigne de vengeance, en s’abstenant toutefois de déclarer qu’elle lui parût légitime. Hostius ne bornait pas à un seul sexe ses jouissances impures ; il était aussi avide d’hommes que de femmes. Il avait fait faire des miroirs reproduisant les objets bien plus grands qu’ils ne sont, et où le doigt paraît plus long et plus gros que le bras. Il disposait ces miroirs de telle sorte que quand il se livrait à un homme, il voyait sans tourner la tête tous les mouvements de son étalon ; et la vue d’un membre aux énormes proportions que figurait le métal trompeur, le faisait jouir comme si c’eût été une rivalité. Il allait dans tous les bains recruter ses hommes, et il les choisissait à sa mesure : et cependant il lui fallait encore recourir à l’illusion pour assouvir son insatiable lubricité. Qu’on dise maintenant que c’est au goût de la parure qu’est due l’invention du miroir ! On ne peut rappeler sans horreur ce que ce monstre, digne d’être déchiré, de sa bouche impure osait dire et exécuter, alors qu’entouré de tous ses miroirs il se faisait spectateur de ses turpitudes ; oui, ce qui, même demeuré secret, pèse sur la conscience ; ce que tout accusé nie, il en souillait sa bouche, il le touchait de ses yeux. Et pourtant, ô dieux, le crime recule devant son propre aspect ; les hommes perdus d’honneur et voués à toutes les humiliations gardent comme un dernier scrupule la pudeur des yeux. Mais lui, comme si c’était peu d’endurer des choses inouïes, inconnues, il conviait ses yeux à les voir ; et non content d’envisager toute sa dégradation, il avait ses miroirs pour multiplier ces sales images et les grouper autour de lui ; et comme il ne pouvait tout voir aussi bien quand il se livrait aux étreintes de l’un, et que la tête baissée, sa bouche s’appliquait aux aines d’un autre, il s’offrait à lui-même, à l’aide de ses miroirs, le tableau de son double rôle. Il contemplait l’œuvre infâme de cette bouche ; il se voyait pénétré par tout ce qu’il pouvait admettre d’hommes à son accouplement. Partagé quelquefois entre un homme et une femme, et passif de toute sa personne, que d’abominations ne voyait-il pas ? Que restait-il que cet être immonde eût pu réserver pour les ténèbres ? Loin que le jour lui fît peur, il s’étalait à lui-même ses monstrueux accouplements, il se les faisait admirer. Que dis-je ? Doutez-vous qu’il n’eût souhaité d’être peint dans ces attitudes ? Les prostituées même ont encore quelque retenue, et ces créatures, livrées à la lubricité publique, tendent à leur porte quelque voile qui cache leur triste complaisance, tant il est vrai que les lupanars même ont pour ainsi dire leur pudeur. Mais ce monstre avait érigé son ignominie en spectacle ; il se mirait dans ces actes que la plus profonde nuit ne voile pas assez. « Oui, se dit-il, je subis en même temps et un homme et une femme ; et de ces lèvres qui me restent libres, j’exerce un attouchement plus impudique encore. Tous mes membres sont occupés à la débauche ; que mes yeux aussi aient part à l’orgie, qu’ils en soient les témoins, les appréciateurs ; et ce que la position de mon corps m’empêche de voir, que l’art me le montre. Qu’on ne croie pas que j’ignore ce que je fais. Vainement la nature n’a donné à l’homme que de chétifs moyens de jouir, elle qui a si richement pourvu d’autres races. Je trouverai le secret d’étonner même ma frénésie, et de la satisfaire. Que me sert ma dépravation, si elle ne va pas outre nature ? Je placerai autour de moi de ces miroirs qui grossissent à un point incroyable la représentation des objets. Si je le pouvais, j’en ferais des réalités ; ne le pouvant pas, repaissons-nous du simulacre. Que mes appétits obscènes s’imaginent tenir plus qu’ils n’ont saisi et s’émerveillent de leur capacité. » Lâcheté indigne ! C’est à l’improviste peut-être, et sans la voir venir, que cet homme a reçu la mort. C’était devant ses miroirs qu’il fallait l’immoler. »

Et cela nous prouve que le système des miroirs et la manie des voyeurs ne datent pas d’aujourd’hui. Ces anciens, si experts sur tout ce qui concerne l’amour savaient en user avec un raffinement que nous ne connaissons probablement plus.

Du reste, l’exemple leur venait de haut : et leurs empereurs étaient en effet les premiers a le leur donner. Tibère, on l’a déjà vu, avait pour les poses spentriennes un faible caractérisé. Aussi les documents nous le représentent souvent en pareille posture et particulièrement dans une très singulière, mais qui ne manque pas d’agrément : à demi-couché, en effet, l’empereur lèche le cunnus d’une jeune


fille accroupie au-dessus de lui, tandis qu’il laisse une autre lui sucer le pénis.

Mais on peut aussi composer une spintrie de plus de trois personnages en une chaîne plus longue. Si un homme baise une jeune fille, tandis que lui-même et la jeune fille sont pédiqués, vous avez quatre partenaires formant une triple chaîne : c’est ce que faisait Tibère, d’après le passage de Suétone cité plus haut. Supposez à chacune des extrémités encore un pédicon, et vous aurez un groupement grâce auquel peuvent se copuler cinq personnes formant un quadruple enlacement ; Martial nous l’expose de la manière suivante : « Il s’agit ici de formes du baiser d’un nouveau genre, telles que seul peut en oser le baiseur le plus roué ; il s’agit de ce que font, bouche close, les mignons ; on y voit comment ils s’accouplent par cinq, comment ils s’entrelacent en nombre en une seule chaîne. »

Néron également se plaisait dans ces agréables complications amoureuses, et, un bas-relief antique nous transmis une attitude significative dans un groupement de cinq copulateurs ingénieusement diversifié. Néron penché baise une jeune fille couchée sur le dos, il en lèche une autre qui se tient debout, et lui-même est enculé ; en même temps celle qui est debout subit l’assaut d’un enculeur. Une chaîne de ce genre peut se développer à l’infini, cela va de soi…

Forberg termine son ouvrage brusquement sur ces mots, comme s’il voulait laisser à l’imagination intéressée de son lecteur le soin de créer lui-même ces chaînes, où l’on est si heureux d’être enfermé. Mais afin d’aider cette imagination et en professeur soucieux de son devoir jusqu’au bout, il a dressé un tableau des différentes postures amoureuses que nous reproduisons ci-après.