De Mazas à Jérusalem/3/Du tac au trac

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Chamuel (p. 67-74).
III. — Villégiature anglaise


III

VILLÉGIATURE ANGLAISE



DU TAC AU TRAC


Lorsqu’on ne se rend pas à une invitation convenablement formulée, il est correct de s’excuser. Quand bien même la politesse vous serait faite par une ignominieuse personne, il est mieux de décliner l’offre en quelques phrases courtoises. Et, voilà pourquoi je prends la plume, aujourd’hui, en la volonté de répondre aimablement au poulet suivant qui m’arrive de la préfecture de police :

« En vertu des instructions de M. le Procureur Général, j’ai l’honneur de vous prier de venir à mon cabinet. »

Ce bon billet est signé Clément.

S’agit-il d’un lunch, d’un interrogatoire ou d’une tentative d’embauchage ? je ne veux pas même y songer. Si je renonce à la petite visite en question c’est tout simplement parce que, profitant du beau temps, je suis en villégiature loin du quai des Orfèvres.

Oh ! l’absorbante quiétude des villégiatures ! Vous comprenez cela plus que tous, vous qui vous terrez à la campagne en laissant de fausses adresses, vous, monsieur de Beaurepaire :

— Ne m’en veuillez donc pas, cher comte, et tout à vous.

Quant au sous-ordre Clément qui sollicite le rendez-vous au nom de son maître Quesnay, il ne peut espérer, ce semble, une réponse personnelle. On a beau être courtois, on ne saurait entretenir correspondance avec les gens de service ; c’est assez d’écrire au patron.

Les commissaires et les substituts, les Clément comme les Croupi, les Anquetil ou les Couturier n’ont, il faut le reconnaître, qu’une responsabilité relative. Tous les abus de pouvoir, toutes les vilenies qui constituent leurs quotidiennes besognes, leur sont, en effet, indiqués par le faux-noble préposé aux vengeances du gouvernement. Eux ils ne sont que les très humbles valets ne discutant jamais. C’est dans leur sang. Prédestinés à l’esclavage et aux coups de pied quelque part, ils eussent été Paillasse à la foire — ils sont magistrats à la cour.

Quesnay, le gérant de la maison mal famée où ils servent, procure le travail, désigne les chambres, et, dans les couloirs du Palais de Justice, les enjuponnés trottent sec.

Une chose curieuse c’est que, malgré cette habile organisation permettant de faire tomber dru comme grêle les mois de prison et les milliers de francs d’amende, on songe encore à de nouveaux procédés.

Les jeunes hommes de ce temps qui parlent liberté affolent tellement les avachis au pouvoir que ces derniers perdent complètement la tête : ils tremblent et le laissent voir.

C’est, maintenant, la loi sur la presse qu’ils veulent modifier.

Seulement les députés chargés d’étudier la question se sont trouvés en face d’une sérieuse difficulté. Ces gens étaient bien d’accord pour frapper les écrivains de révolte irréductible ; mais ils tremblaient de toucher par contre-coup aux plumitifs, leurs frères, qui, monarchistes ou radicaux, rompent des lances de parade aux grandes joutes ministérielles.

Cela c’est sacré…

Et, en avant ! le patrimoine de nos pères… les saintes conquêtes des glorieux ancêtres… Les fils de 89 ne veulent pas qu’on y touche !

Alors on a confectionné un petit projet plein de mansuétude pour les crimes contre la sûreté de l’État. Ils sont légitimes, ceux-là. Ça fait partie du patrimoine.

Les politiciens pourront continuer leur jeu.

On a retenu simplement les attaques au principe même de l’Autorité.

Les révolutionnaires sauront au moins celles de leurs armes d’assaut qui sont les plus redoutées ; la Commission des honorables a ingénument précisé :

Provocation au meurtre, au vol et aux attentats par la dynamite.

Du sang, de l’or et des ruines ! Si c’était vrai ?..

Cette loi sur la presse aurait-elle vraiment tout prévu ?

Elle parle même de l’excitation à la désobéissance adressée à des militaires.

La tactique serait-elle dessinée ? l’horizon élargi — l’horizon où, comme une forêt mouvante, on entrevoit les crosses en l’air ?

Il serait puéril de s’inquiéter des aggravations de peine.

On se soustraira, demain, aux arrestations préventives avec la désinvolture qu’on met à éviter les rendez-vous et les guet-apens de l’heure présente.

Les révoltés ne sont pas aussi 1830 qu’on le voudrait croire. Le romantisme a fait et refait son époque. On ne se laisse plus prendre au piège grossier… Il va falloir compter avec ces réfractaires qui connaissent les subtilités de la lutte.

L’apeurement des gens en place est plutôt un bon symptôme.

On répondra du tac au trac — sans sacrifices inutiles, sans déclamations fanfaronnes. Bien en garde. Très sûr de soi.

Messieurs du Parlement peuvent à leur gré fabriquer des lois d’exception.

La Terreur grise nous fait sourire.