De l’Homme/Section 4/Chapitre 14

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SECTION IV
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 9 (p. 14-16).
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CHAPITRE XIV.

L’amour du pouvoir est dans l’homme la disposition la plus favorable à la vertu.

Si la vertu étoit en nous l’effet ou d’une organisation particuliere, ou d’une grace de la divinité, il n’y auroit d’honnêtes que les hommes organisés par la nature ou prédestinés par le ciel pour être vertueux. Les lois bonnes ou mauvaises, la forme plus ou moins parfaite des gouvernements, n’auroient que peu d’influence sur les vertus des peuples. Les souverains seroient dans l’impuissance de former de bons citoyens ; et l’emploi sublime de législateur seroit, pour ainsi dire, sans fonctions. Qu’on regarde, au contraire, la vertu comme l’effet d’un desir commun à tous (tel est le desir de commander) ; le législateur pouvant toujours attacher estime, richesse, enfin puissance, sous quelque dénomination que ce soit, à la pratique des vertus, il peut toujours y nécessiter les hommes. Dans une excellente législation, les seuls vicieux seroient les fous. C’est donc toujours à l’absurdité plus ou moins grande des lois qu’il faut en tout pays attribuer la plus ou moins grande stupidité ou méchanceté des citoyens.

Le ciel, en inspirant à tous l’amour du pouvoir, leur a fait le don le plus précieux. Qu’importe que tous les hommes naissent vertueux, si tous naissent susceptibles d’une passion qui peut les rendre tels ?

Cette vérité clairement exposée, c’est au législateur, c’est aux magistrats, à découvrir ensuite dans l’amour universel des hommes pour la puissance les moyens d’assurer la vertu des citoyens et le bonheur des peuples.

Jusqu’au desir de la gloire, tout n’est donc dans l’homme qu’un amour déguisé du pouvoir. C’est dans ce dernier amour que se cache encore le principe de l’intolérance.