De l’Homme/Section 7/Chapitre 8

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SECTION VII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 10 (p. 178-180).
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CHAPITRE VIII.

Des moyens employés pour détruire les jésuites.

Pour combattre les jésuites avec avantage, que falloit-il ? Opposer passion à passion, secte à secte, fanatisme à fanatisme ; il falloit armer contre eux le janséniste. Or, le janséniste, insensible par dévotion ou par stupidité au malheur de ses semblables (22), ne se fût point élevé contre les jésuites s’il n’eût apperçu en eux que les ennemis du bien public. Les magistrats le sentirent, et crurent que, pour l’animer contre ces religieux, il falloit étonner son imagination, et, dans un livre tel que celui des Assertions, faire sans cesse retentir à ses oreilles les mots d’impudicité, de péché philosophique, de magie, d’astrologie, d’idolâtrie, etc.

On a reproché ces assertions aux magistrats (23). Cependant, si, lors de l’affaire des jésuites, les magistrats n’avoient en France que peu de crédit et d’autorité ; si la position des parlements par rapport aux jésuites étoit telle qu’ils ne pussent opérer le bien public que sous des prétextes et par des motifs différents de ceux qui les déterminoient réellement ; pourquoi n’en eussent-ils pas fait usage, et n’eussent-ils pas profité du mépris où tomboient les livres et la morale des jésuites pour délivrer la France de moines devenus si redoutables par leur pouvoir, leurs intrigues, leurs richesses, leur ambition (24), et surtout par les moyens que leur constitution leur fournissoit pour s’asservir les esprits ?

Le vrai crime des jésuites fut l’excellence de leur gouvernement. Son excellent fut par-tout destructive du bonheur public.

Il faut en convenir, les jésuites ont été un des plus cruels fléaux des nations : mais, sans eux, l’on n’eût jamais parfaitement connu ce que peut sur les hommes un corps de lois dirigées au même but.

D’après l’exemple des jésuites, comment se former une idée des moyens de donner une excellent législation ?

(22) Jusqu’aux pédants jansénistes, tous conviennent qu’en France l’éducation actuelle ne peut former des citoyens et des patriotes.

(23) Ce livre des Assertions, disoient les partisans des jésuites, digne d’un théologien hibernois, ne l’est point d’un parlement. Les jésuites, ajoutoient-ils, n’ont donc pas été jugés par des magistrats, mais par des procureurs jansénistes. Ce que je sais, c’est qu’on doit en partie à ce livre la dissolution de cette société. Tant il est vrai que les plus heureuses réformes s’operent quelquefois par les moyens les plus ridicules !

(24) Pons de Thiard de Bissy, évêque de Châlons-sur-Saone, le seul qui, dans les états de Blois de 1558, fût resté fidele à Henri III, adresse une lettre au parlement de Dijon. Dans cette lettre, en date de 1590, ce prélat déplore d’abord le malheur de sa triste patrie ; il décrit les horreurs de la ligue, et ses crimes abominables ; il assure enfin que Dieu, dans sa colere, veut abymer ce beau royaume que des imposteurs au masque de fer ont ébranlé de toutes parts. Puis, s’adressant au parlement, c’est ainsi qu’il l’exhorte à chasser les jésuites :

« Ces apôtres de Mahomet ont, dit-il, l’impiété de prêcher que la guerre est la voix de Dieu. Que ces séducteurs diaboliques, ces amateurs présomptueux de la fausse sagesse, ces zélateurs hypocrites, ces murailles reblanchies, ces Éoles auteurs des tempêtes civiles, ces incendiaires des esprits, ces boute-feux des séditions, ces émissaires de l’Espagne, ces espions dangereux, et habiles dans l’art de dresser des embûches, soient donc à jamais bannis de France. »

Portant ensuite la parole au jésuite Charles et à ses confreres : « Vous voyez, dit-il, tous ces forfaits exécrables qui font gémir les gens de bien, et vous n’y opposez pas le moindre signe d’improbation : vous faites plus, vous y applaudissez ; vous promettez aux plus grands crimes les récompenses célestes ; vous excitez à les commettre, et vous placez dans le ciel d’infâmes brigands que vous lavez dans la rosée de votre miséricorde.

« Le roi très chrétien vient d’être assassiné par l’attentat horrible de vos semblables, et vous l’immolez encore après sa mort ! Vous le dévouez aux flammes éternelles, et vous osez prêcher qu’on doit lui refuser le secours des prieres ! »