De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/02

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Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 4-6).


CHAPITRE II.
Qu’il faut avoir un bas sentiment de soi-même.

Tout homme desire naturellement de sçavoir : mais de quelle utilité est la science, sans la crainte de Dieu ?

Certainement un païsan humble & craignant Dieu, vaut mieux qu’un superbe Philosophe, qui au lieu de penser à soy, perd le temps à considerer le Ciel & les astres.

Quiconque se connoît à fond, n’a que du mépris pour lui-même, & ne peut souffrir qu’on le louë.

Si j’avois toute la science possible, & que je n’eusse pas la charité, de quoy me serviroit cela devant Dieu, qui me jugera selon mes œuvres ?

N’ayez point trop de passion de tout sçavoir : car un esprit trop curieux est toûjours fort dissipé, & sujet à beaucoup d’erreurs.

Les gens de Lettres sont bien aises d’être connus, & en reputation de Sçavans.

Il y a une infinité de choses qu’il est inutile, ou peu necessaire à l’ame de sçavoir.

Celui qui s’applique à quelque autre chose qu’à ce qui peut contribuer à son salut, est dans une grande illusion.

Les grands discours ne contentent pas l’esprit. La joye interieure est le fruit d’une vie sainte. C’est un grand fond de confiance en Dieu, qu’une conscience bien nette.

Plus vous avez de lumiere, plus vous serez châtié, si vous n’en êtes pas meilleur.

Lors donc que vous excellez en quelque art ou en quelque science, n’en tirez pas vanité : mais craignez plûtôt d’en faire un mauvais usage.

Vous pensez peut-être avoir appris beaucoup de choses, & les bien sçavoir ; tenez pour certain qu’il y en a infiniment davantage que vous ignorez.

Ne vous en faites pas accroire : mais avoüez franchement vôtre ignorance.

Quelle raison avez-vous de vous préferer aux autres ? Sçachez que le monde est plein de gens plus habiles & mieux versez dans la Loy que vous.

Si vous voulez profiter de vôtre étude & de vôtre science, aimez à être inconnu & dans le mépris.

Il n’est point de plus excellente ny de plus utile leçon, que celle du parfait mépris de soi-même.

La marque d’une sagesse & d’une perfection consommée, est d’avoir un bas sentiment de soy, & beaucoup d’estime pour les autres.

Quand vous verriez vôtre frere commettre en public quelque crime énorme, vous ne devriez pas pour cela vous croire meilleur que luy, parce que vous ne sçavez combien de temps vous persevererez dans la grace.

Nous sommes tous fragiles : mais persuadez-vous que vous l’êtes plus que personne.