De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 09/Article 1

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Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 467-501).
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Chapitre IX



ARTICLE PREMIER.

Remedes contre les Vers exentéraux, c’est-à-dire, qui sont ailleurs que dans les intestins.



Les Vers exentéraux se divisent en cinq classes, comme nous l’avons vu ; sçavoir, 1o. les Encéphales, proprement dits, puis les Rinaires, les Ophthalmiques, les Auriculaires & les Dentaires. 2o. Les Pulmonaires, les Cardiaires, les Sanguins, les Vésiculaires & les Elcophages. 3o. Les Cutanés ; sçavoir, les Crinons, les Cirons, les Bouviers, les Soyes, les Talpiers & les Toms. 4o. Les Umbilicaux & les Vénériens. 5o. Les Œsophagiens, & les Spermatiques.

Parmi les Vers de ces cinq classes, il n’y a que ceux de la première, de la seconde, de la troisiéme, & de la quatriéme, qui soient nuisibles au corps. Les autres, ainsi que nous l’avons remarqué plus haut, sont regardés comme amis du corps, & pour cette raison, n’ont pas besoin de remedes ; c’est pourquoi nous ne les comprendrons pas ici.


Remedes contre les Vers Encéphales.

Les Encephales proprement dits, c’est-à-dire, qui s’engendrent dans le cerveau, ou sur ses membranes, sont très-difficiles à chasser, vu qu’ils ne peuvent sortir par le nez, qui est la seule issue qu’ils pourroient avoir, s’ils en avoient quelqu’une. D’un autre côté, si par l’effet de quelque remède, ils viennent à mourir dans la tête, ils n’y peuvent causer qu’une corruption capable de tuer les malades. Ainsi de quelque maniere que l’on considere la chose, ce mal est d’une difficile guérison ; je dis difficile, car absolument parlant, il n’est pas incurable, & Schenckius[1] prétend qu’un excellent remède contre ces Vers est le vin de Malvoisie dans lequel ont bouilli des raiforts. On en donne au malade une suffisante quantité à jeûn. Nous avons parlé de ce remede dans l’Article premier du Chapitre troisiéme ; de sçavoir comment ce vin ou autre remede quel qu’il soit, peut tuer le Ver, sans que le cadavre de cet insecte cause dans le cerveau aucune corruption mortelle, c’est ce qui est très-difficile.


Contre les Rinaires.

Les Rinaires, c’est-à-dire, ceux qui sont dans la racine du nez, peuvent être chassés par des errhines : le suc des feuilles de Bétoine tiré par le nez est bon pour cet effet, la poudre de Bétoine, & celle de la plante nommée par les Botanistes Doronicum plantaginis folio, sont encore de bons remedes dans cette occasion, étant pris par le nez. Le Doronicum plantaginis folio, est rare, & il faut prendre garde de s’y laisser tromper. Comme j’en ai une grande quantité que j’ai cueillie moi-même aux environs de Plombiere, où elle croît en abondance dans les prairies ; j’en ai fait diverses expériences, & je puis dire qu’il n’y a point de simple qui soit si bon que celui-là pour dégager sans émotion, le cerveau par le nez. On peut mettre la fleur de cette herbe dans le nez, soit fraîche ou séche, comme l’on veut ; une pincée suffit. Elle décharge beaucoup de pituite, non-seulement par le nez, mais encore par la bouche, & elle soulage considérablement le cerveau. On n’en sçauroit trop conseiller l’usage aux personnes replettes, & à celles que la pituite incommode.

L’huile, & selon quelques-uns, le tabac, sont spécifiques contre ces sortes de Vers.

Il faut se rappeller là-dessus les deux histoires que nous avons rapportées depuis la page 75. jusqu’à la page 88. On y voit de quelle maniére ont été chassés deux Vers Rinaires du nez d’une femme, l’un par du tabac, l’autre par de l’huile.

Voici ces deux faits en abrégé ; 1o. cette femme dont il est parlé dans la premiere histoire, rendit son Ver après avoir mis inutilement en usage pendant quatre années toutes sortes de remedes, excepté le tabac, qu’elle s’avisa de prendre au bout de ces quatre années, & dont elle usa l’espace d’un mois. Elle le prit en poudre par le nez, & à peine le mois fut-il fini, qu’ayant un matin éternué avec effort, elle moucha son Ver, qui sortit tout roulé en pelotton. Voyez la page 75. où la chose est contée au long.

2o. Cet Officier dont il est parlé dans la seconde histoire, rendit le sien par le moyen de quelques goutes d’huile d’amandes douces qu’il se fit verser dans l’oreille gauche, où son Ver, quoique logé dans le nez, lui causoit un bourdonnement considérable, ce qui ne laissoit pas soupçonner au malade, d’avoir un Ver dans le nez.

Nous avons rapporté après un habile Physicien, page 87. de quelle maniere ce Ver étant dans le nez, a pu être chasse par un remede insinué dans l’oreille. L’explication est méchanique, & peut beaucoup servir dans la pratique de Médecine, nous y renvoyons.


Contre les Auriculaires.

Quant aux Vers des oreilles, ce sont de bons remedes pour les tuer ou pour les chasser, que le jus d’oignon, ou quelques goûtes de vieille urine, mêlée de miel, ou comme l’enseignent Dioscoride, Galien & Aetius, un peu de suc de Calamenthe : le lait de femme seringué dans l’oreille est encore très-bon pour les faire sortir : la fumée des choses amères, reçue par le nez & par la bouche sont aussi de bons secours. Salmult rapporte[2] que ces fumées firent sortir un jour à un malade onze Vers par les oreilles. On peut faire des parfums avec la semence de Jusquiame & la cire, réduites en petites bougies, qui étant jettées sur les charbons, rendent une fumée excellente contre ces Vers : on l’introduit dans les oreilles, par le moyen d’un petit entonnoir.

Mais pour bien juger de ce qui peut réussir contre les Vers des oreilles, il faut examiner ce qui peut réussir contre les perce-oreilles lorsqu’il y en est entré quelqu’un : il se présente sur cela une expérience qui ne sçauroit être trop consultée. Le perce-oreille n’entre dans l’oreille, & ne s’y plaît quand il y est entré, que parce qu’il y est attiré par le suc même qui se trouve dans l’oreille ; & le Ver qui est produit dans l’oreille ne s’y produit non-plus & n’y demeure, que parce que l’humeur contenue dans l’oreille leur est favorable. Ainsi ces deux sortes de Vers peuvent être regardés comme de même nature par rapport à ce qui peut réussir pour les faire sortir de l’oreille. Cela posé, voici l’expérience dont il s’agit. On y trouvera en l’examinant dans toutes ses circonstances, une leçon fidéle, de ce qu’il est à propos de faire ou de ne faire pas contre les Vers Auriculaires.

En 1723. au mois de Mars, dans le Bourg de Domard, Diocèse d’Amiens, un jeune Garçon[3], âgé alors de neuf ans, fils de M. Laffite, Maître Chirurgien du lieu, se plaignit d’un mal d’oreille, & dit qu’il croyoit avoir senti entrer, étant couché sur l’herbe, quelque petite bête dans son oreille droite.

Peu de jours après on en vit sortir un de ces insectes qu’on nomme perce-oreilles, & quelques autres jours après, il en sortit successivement jusqu’à quarante. Le père de l’enfant surpris d’un tel évenement, se mit à chercher quelle pouvoit être sur la terre la nourriture de ces insectes, & il trouva qu’ils aimoient beaucoup une certaine pomme douce. Instruit de cela, il mit de temps à autre à cet enfant dans l’orifice de l’oreille, de petits morceaux de cette pomme, ce qui parut avoir quelque succès, mais les Vers ne délogeant pas assez vîte, il voulut chercher quelque autre moyen. Il consulta pour cela les Livres de sa Profession, & n’y trouvant rien qui lui convînt, il prit le parti de consulter les Médecins d’Amiens & d’Abbeville. Les uns lui ordonnèrent d’introduire dans l’oreille de son fils, l’huile d’amande douce, l’huile de cumin, l’eau-de-vie ; les autres, d’y seringuer l’eau de mercure, avec l’huile de térébenthine. Il suivit ce dernier avis, & dès le lendemain, il vit avec étonnement sortir cinq de ces insectes par l’oreille gauche ; car auparavant ils ne sortoient que par la droite. L’enfant en rendit ensuite plusieurs autres, après quoi il fut huit à neuf mois sans ressentir aucune douleur, & sans rendre aucun Ver, mais depuis la fin du mois de Mai 1725. jusqu’au 24. Juillet de la même année, il en rendit indistinctement par l’une & par l’autre oreille, au moins cent vingt.

Les douleurs dont le jeune garçon se plaignoit alors, & qui ne duroient qu’un moment, se faisoient sentir, ainsi qu’il le désignoit, le long des muscles cretaphyles, jusqu’à la suture coronale, aussi-bien qu’à la surface coronale, depuis la suture jusqu’à la racine du nez. Il étoit d’une bonne santé, & d’une complexion plus forte que les autres enfans de son âge. Il avoit eu cependant deux foiblesses depuis ces jours-là, sans perdre la raison, & son teint devint plus blanc qu’il n’étoit auparavant.

Le pere de l’enfant tenta ensuite un nouveau remede, qui fut de seringuer dans les oreilles de son fils, une expression d’amers. Ce remede eut d’abord peu d’effet, mais M. Laffite, (c’est le nom du père) ne voulant point y renoncer, crut devoir le fortifier par de nouveaux amers, & y faire entrer une dose d’eau de mercure. Il en fit l’épreuve le premier Octobre 1725. & l’ayant continuée pendant six jours lui & sa femme virent sortir des oreilles de leur enfant pendant ces six jours, quatre-vingt-deux Perce-oreilles, outre plusieurs autres qui furent trouvés dans son lit ; & il ne se passa presque aucun jour, jusqu’à la fin de l’Automne, qu’il n’en sortît de temps à autre, & même pendant l’Hyver.

Au reste, parmi le grand nombre de ceux qui sortirent en différens temps des oreilles de ce malade, il s’en trouva plusieurs qui étoient une fois plus gros que ceux qui se trouvent ordinairement sous les pots de fleurs, & dans les coins des fenêtres.

Un de ces gros Perce-oreilles l’ayant fait beaucoup souffrir pendant huit ou neuf heures, avant que d’arriver à l’orifice de l’oreille, où il parvint ensuite, le jeune homme le voulut prendre, & en le prenant, il se sentit violemment piqué à un doigt, ce doigt s’enfla à l’instant, & il s’y forma du pus. Une autre circonstance remarquable, c’est que ces insectes sortoient des oreilles en reculant, & faisoient d’abord paroître leur fourche ou croissant de derriere.

Le remede tiré des amers & l’eau de mercure ayant ensuite paru trop forts à l’enfant, qui ne pouvoit plus les supporter, le père eut recours à d’autres moyens. Un Prêtre du voisinage lui conseilla l’huile de chenevis, mais avant que d’en seringuer dans l’oreille, on voulut en éprouver la vertu sur plusieurs de ces insectes qui étoient sortis vivans, on en toucha plusieurs avec cette huile, & ils moururent sur le champ. Après une telle expérience, on seringua de l’huile en question dans les oreilles de l’enfant, & il en sortit plusieurs Perce-oreilles morts mais soit que l’huile de chenevis ne pût se répandre dans tous les sinus, où ils se trouvoient renfermés, ou qu’elle ne soit pas aussi mortelle, qu’elle parut l’être d’abord par l’expérience que l’on fit, la source n’en tarit point. Ce qui obligea de souffler dans les oreilles de cet enfant de la fumée de tabac & de souffre. Mais ce remede ne fut pas plus efficace que les autres pour exterminer absolument ces insectes, qui se multiplioient sans fin. On s’avisa donc d’un autre expédient, qui fut d’appliquer aux oreilles des morceaux de poires de bon chrétien, pour attirer ces insectes ; & voici quel fut l’évenement de ce remede. Les Perce-oreilles venoient pendant la nuit manger ces morceaux de poires, puis rentroient si subtilement dans les oreilles, qu’il n’étoit pas possible d’en attraper aucun, quelque mesure que l’on prît pour cela. Enfin soit que le conduit par lequel ils sortoient & ils rentroient auparavant fût depuis devenu calleux, où que par quelque autre cause, ils fussent moins susceptibles de sentiment, il y avoit déja long-temps que l’enfant ne les sentoit plus ni sortir ni rentrer. Ce jeune homme, qui l’année de devant souffroit peu, souffrit ensuite beaucoup, & éprouva une insomnie presque continuelle. Depuis le commencement du Printemps, le nombre de ces petits animaux s’augmenta de plus en plus. Mais voici un événement bien extraordinaire, l’enfant s’étant fait par une chute une contusion sur le sourcil gauche, cette chute ouvrit un nouveau chemin aux Perce-oreilles, & il en sortit plusieurs par le nez.

L’Historien de ces faits est M. de Savoye, alors Curé de S. Ouen, & Doyen Rural de Vignacourt. Ils sont outre cela, certifiés dans le même-temps par les Officiers de la Baronnie de Domard, qui en ont été témoins oculaires[4]. Il y a plusieurs réflexions à faire sur cette Histoires qui n’est pas encore finie, & dont nous rapporterons la suite quelques pages plus bas. Ces réflexions regardent les remedes que nous venons de rapporter, & qui furent employés pour chasser les Perce-oreilles, dont il s’agit.

Les amers, dit-on dans cette Histoire, ayant fait d’abord peu d’effet, on crut devoir les fortifier par de nouveaux amers, & alors on vit sortir pendant six jours quatre-vingt-deux Perce-oreilles, outre plusieurs autres qui se trouverent dans le lit de l’enfant.


REMARQUE.

On ne peut douter que les Perce-oreilles n’aiment l’amertume, puisque le dedans des oreilles étant enduit, comme il est, d’un suc amer, qui est ce qu’on appelle Cerumen, se plaisent dans les oreilles. Cela posé, il est à croire que les amers qu’on seringua dans les oreilles de l’enfant, n’en firent sortir les Perce-oreilles que parce que ces animaux accoururent à l’amertume qu’on leur présenta ; en sorte que si cette amertume leur avoit été contraire, elle les auroit plûtôt obligés à s’enfoncer davantage dans l’oreille qu’à en sortir. Il faut faire le même raisonnement de tous les Vers qui se trouvent dans les oreilles. Ils ne s’y plaisent que parce qu’ils aiment l’amertume qui y est ; ainsi pour les attirer dehors, il faut leur présenter des choses amères, comme celles qu’on présenta à ces Perce-oreilles. Il est vrai qu’on dit dans la rélation, qu’ils sortoient en reculant ; ce qui pourroit d’abord faire croire qu’ils sortoient ainsi pour éviter les amers, bien loin d’y accourir. Mais il y a bien plus d’apparence, qu’inondés de ces amers qu’on leur lançoit avec force, ils ne se tournoient de la sorte, que pour défendre leur tête contre l’abondance & la violence de l’injection, & mieux goûter par ce moyen la liqueur qu’ils recevoient. On n’a point marqué quels étoient ces amers qu’on seringua ; on dit en général que c’étoit une expression d’amers qu’on seringua dans les oreilles ; ce qui n’est pas assez dire : mais pour suppléer à ce silence, nous croyons pouvoir avancer ici une chose qui surprendra sans doute quelques personnes, mais qui ne laisse pas d’être aussi propre dans le cas dont il s’agit, pour attirer dehors les Vers des oreilles, qu’aucun autre remede que ce puisse être. C’est de faire un onguent avec un peu de fiel de bœuf, de cire jaune, & de beurre, & d’enduire de cet onguent l’entrée de l’oreille ; c’est une composition qui imite l’enduit nommé cerumen, dont l’oreille est revêtue en dedans, & par cela même elle ne peut, pour les raisons que nous avons alléguées ci-devant, qu’être capable d’attirer les Vers. Du fiel de bœuf pour attirer les Vers ! Quel remede, bon Dieu, s’écrieront là-dessus certaines gens. Il est vrai que la chose paroît extraordinaire, puisque le fiel de bœuf appliqué sur le nombril des enfans qui ont des Vers dans les intestins, suffit quelquefois seul pour chasser du corps ces animaux ; mais il faut considerer que ce qui est contraire aux Vers contenus dans les boyaux, ne l’est pas pour cela à tous les autres, & que les Vers Auriculaires se nourrissant comme ils sont dans un lieu plein d’un suc amer, s’y trouvant bien, ne peuvent être contrariés par un remede qui a de l’analogie avec le suc amer de l’oreille, mais qu’au contraire ils doivent être attirés par là, comme par un appas : ainsi c’est une bonne méthode à suivre, pour faire sortir les Vers Auriculaires, que de frotter legerement l’entrée de l’oreille, avec l’onguent que nous venons de décrire.

Quant à l’huile de chenevis que l’on seringua dans les oreilles de l’enfant, comme cette huile contrarie plus que toute autre les Vers des oreilles, la bonne méthode dans ces occasions seroit de tirer l’huile par le nez ; elle s’insinueroit dans l’oreille par le tympan, où il y a une ouverture qui communique au nez, ainsi que nous l’avons remarqué pag. 75. 83. 84. parlant d’un Ver sorti par le nez, & elle chasseroit par ce moyen, ces insectes de l’oreille, l’huile leur étant contraire ; mais de la seringuer dans l’oreille, c’est le moyen de les faire fuir jusques dans le nez. Aussi dit-on dans cette histoire que les Perce-oreilles, après qu’on eut seringué l’huile dans l’oreille, n’en sortirent pas aussi abondamment qu’on s’y attendoit, & que ceux qui sortirent, étoient la plupart morts. On ajoute dans la même relation, que l’enfant s’étant fait en tombant une contusion sur le sourcil gauche, les Perce-oreilles sortirent alors en partie par le nez. Ce qui confirme la remarque que nous venons de faire touchant l’ouverture qui communique du tympan au nez.

Au reste, il faut éviter de faire mourir les Vers dans le nez ou dans l’oreille, lorsqu’on peut les en faire sortir vivans, car leurs cadavres causeroient une pourriture dangereuse. Il n’en est pas de même des Vers des intestins, on en voit aisément la raison. Au reste, les Perce-oreilles dont il s’agit, ayant été produits par le premier qui entra dans l’oreille de cet enfant, & qui s’y donna famille, il n’est pas étonnant que plusieurs d’entre eux fussent devenus plus gros que les Perce-oreilles ordinaires, vu l’abondante nourriture que dès qu’ils furent éclos, ils trouverent dans cet endroit. Mais ce n’est pas la principale réflexion qu’il y a ici à faire. La plus importante, est que ces Vers étant nés dans l’oreille de l’enfant, ce n’étoient plus de Vers étrangers, mais de véritables Vers Auriculaires ; en sorte que les remedes qui ont réussi à les faire sortir, doivent être regardés comme de véritables remedes contre les Vers des oreilles ; & que ceux qui n’y ont pas réussi, doivent au contraire, être regardés comme des remedes à éviter contre les Vers Auriculaires.

Il se présente ici une grande difficulté sur la sortie de ces Perce-oreilles, qui d’abord sortoient par l’oreille gauche, & dont cinq sortirent ensuite par l’oreille droite. Quel passage ceux-ci purent-ils trouver de l’oreille gauche à l’oreille droite ? Il y a lieu de croire que l’huile de térébenthine chassa d’abord ces cinq Vers dans le nez, par la petite ouverture que nous avons dit être au tympan de l’oreille, & avoir communication avec le nez. 2o. Que ces Vers étant dans le nez, s’enfuirent de-là dans l’oreille gauche, par l’ouverture du tympan de cette oreille ; ouverture à la vérité bien petite, mais qui peut sans doute prêter, s’élargir dans le corps vivant, lorsqu’un Ver vient à la picoter & à faire effort pour y entrer. L’on fit fort mal de seringuer cette huile de térébenthine dans l’oreille. C’est dans le nez qu’il la falloit glisser ; & il n’y a pas d’apparence, en considérant la structure du nez & de l’oreille, que si on s’y étoit pris de la sorte, aucun Perce-oreille eût passé à l’oreille gauche, & qu’ils ne fussent tous sortis par l’oreille droite, jusqu’au dernier, pourvu qu’on eût continué quelques jours à insinuer de cette huile dans le nez. Au reste l’explication que nous avons donnée de la sortie de ces Insectes par l’oreille gauche, en les faisant passer d’une oreille à l’autre par l’entremise du nez, au moyen de l’ouverture du tympan, cette explication, dis-je, n’en exclud pas une autre, qui paroît assez naturelle ; sçavoir, que ces Insectes qui sortirent par l’oreille gauche, y étoient entrés par dehors, après être sortis de l’oreille droite, & s’être dispersés alors autour de la tête du Malade ; d’où ensuite, ils s’étoient insinués dans l’oreille gauche. Cette explication paroît assez vraisemblable. Nous avons encore à rapporter quelques endroits de cette Rélation, qui ne sont pas d’une petite conséquence pour ce qui concerne la pratique de la Médecine.


Suite de la Rélation ci-dessus.

En 1727. le pere du jeune Homme, de l’oreille duquel il sortoit toûjours une grande quantité de Perce-oreilles, s’avisa de faire prendre à son fils, matin & soir, pendant quinze jours de suite, un bol fait avec sept grains de mercure doux & autant de diaphorétique minéral incorporés dans de la gelée de groseille ; ainsi ce fut par jour, quatorze grains de mercure doux, ce qui monta à deux cens-dix grains.

Ces bols mercuriels chasserent une grande quantité de Perce-oreilles ; mais le Malade tomba dans un état déplorable. Son corps devint couvert d’abscès, & dans des parties dangereuses, ce qui détermina le sieur Laffite, père du Malade, à renoncer à un tel remede.

M. de Savoye, en parlant de cet inconvénient, dit que le Malade n’observoit point le régime convenable en tel cas ; qu’au contraire tantôt il mangeoit un gros chanteau de pain, tantôt de la viande ou des fruits, à l’insçu de son père & de sa mère. Il ajoute que non-seulement on ne put compter le nombre complet des Perce-oreilles, qui sortirent de la tête de ce jeune homme, pendant l’année 1727. mais que le nombre en a été encore plus considérable dans l’année 1728. Le sieur Laffite & sa femme déclarent qu’ils en ont vu sortir 62. le 30. Juillet de la même année, & que la veille il en étoit sorti plus de 20. Ce qui doit plus étonner, c’est qu’il y avoit déjà plus de cinq ans, que le jeune homme étoit travaillé de ces Insectes. Il en sortoit peu l’hyver, mais le mois de May ils recommençoient à se montrer, & ne cessoient de paroître qu’à la fin de Novembre. Ils ne sortoient pas tous les jours, mais il étoit rare qu’une semaine, ou au plus, une quinzaine se passât sans qu’il en sortît. Ils étoient la plupart fort gros, & plus gros que les Perce-oreilles ordinaires. Depuis deux ans le Malade ne les sentoit plus, ni quand ils sortoient, ni quand ils rentroient. Au reste il n’étoit point sourd, & il se portoit d’ailleurs assez bien. Il avoit toujours grand appétit, mais son teint pâlissoit beaucoup, & l’on croyoit voir en lui, comme un commencement de stupidité.

Quoiqu’il souffrît beaucoup en Eté, il souffroit encore plus en Hyver, & son père crut le perdre l’Hyver de 1727.

Ce jeune homme, qui pendant cinq à six ans avoit été tourmenté de ces Perce-oreilles, engendrés successivement dans sa tête, & sortans tantôt par les oreilles, tantôt par le nez, s’est trouvé en 1730. parfaitement guéri, & cela par un pur effet du hasard ; s’il faut s’en fier là-dessus, aux conjectures. Le jeune homme s’étant trouvé au mois de Janvier 1730. dans la maison d’un des amis de son pere, où l’on buvoit de l’eau-de-vie, boisson familiere dans ce lieu-là, sur-tout parmi les petites gens, on lui en fit boire plusieurs coups, qui lui porterent à la tête. On vit peu après sortir de ses oreilles, une quantité prodigieuse de ces Perce-oreilles, & depuis ce temps-là, jusqu’à la fin d’Avril, qu’il en rendit un qui étoit apparemment le seul qui restoit : il n’en est plus sorti. Ses cheveux qui étoient bruns dans leur longueur, & blancs aux extrémités, reprirent une couleur égale.

Toute cette Rélation est attestée par un grand nombre de témoins.


Remarques sur la suite de cette Rélation.

Le mercure doux que le sieur Laffite Chirurgien, fit prendre à son fils, ne convenoit point en si grande dose, & pendant un si grand nombre de jours. On ne doit attribuer les abscès qui couvrirent le corps du Malade, qu’à la fonte extraordinaire que le mercure doux donné en si grande quantité, produisit dans les humeurs. Si l’on avoit mêlé ce mercure avec quelque purgatif pour entraîner par bas, ces humeurs, à mesure que le mercure les auroit fondues, il ne seroit point survenu d’abscès, mais de le mêler avec le diaphorétique minéral seul qui pousse les humeurs à la circonférence, on ne pouvoit prendre un meilleur moyen pour causer les abscès qui survinrent.

Deux cens dix grains de mercure doux donnés en deux semaines à un jeune homme de quinze ans, pour lui faire sortir des Vers qu’il a dans les oreilles, la dose est exorbitante.

Quant à l’eau-de-vie dont on fit boire plusieurs verres au jeune homme, & qui l’enyvra, c’est une grande question, si l’on doit attribuer à cette yvresse, la guérison dont il s’agit. En cas que cela soit, la guérison est singuliere : mais il seroit dangereux d’en faire des essais.


Contre les Dentaires.

Le meilleur remede contre les Vers des dents, est de tenir les dents propres, de se les laver tous les matins, & après les repas, & s’il y a des croutes sur les dents, d’ôter ces écailles, ou avec un fer ou avec quelques gouttes d’esprit de sel dulcifié, qu’on met dans un peu d’eau. La racine de plantain mâchée est encore un bon remede, aussi-bien que l’aloës & la myrrhe, mêlés avec un peu de miel, & appliqués à l’endroit où l’on sent du mal à la dent, la douleur cesse pour long-temps, & même ne revient plus si on a soin de réitérer quelquefois le même remede. Quelques Auteurs conseillent de brûler des graines de Jusquiame, & d’en faire aller la fumée aux dents : ils disent qu’on voit sortir aussi-tôt de la bouche, des Vers, que cette fumée emporte ; mais ce fait est une pure fable. Forestus[5] écrit que ces prétendus Vers ne sont qu’une apparence de Vers, laquelle se voit toujours dans la fumée de la graine de Jusquiame. J’ai voulu en faire l’essai, & je n’ai point vu cette apparence de Vers. Forestus a sans doute rapporté le fait sans l’avoir éprouvé ; mais ce qui me surprend, est qu’un autre Auteur assure en avoir fait l’expérience, & avoir vu effectivement ces Vers. Voici comment il s’explique : « Souvent les mains démangent fort à cause de petits cirons & tignes qui s’y nourrissent, & causent ce prurit. Pour les faire choir, j’ai vu prendre de la graine de cette herbe, que pour l’amour de cela ils nomment tignée, c’est la hanebane ou jusquiame, qui a de petits godets pleins de petits grains, & on en usoit de cette façon. Ayant des charbons allumés en un réchaud, & tout auprès un bassin plein d’eau ; on jettoit cette graine sur le feu, & on mettoit les mains à la fumée, puis après que l’on les avoit tenues assez à cette fumée, on les trempoit en l’eau froide, & incontinent paroissoient en la superficie de l’eau une infinité de Vermisseaux, & disoit-on affirmativement, que ces Vers étoient les tignes qui étoient sorties de la peau. Quand j’eus bien considéré cet effet, & vu de près les mains, où il n’y avoit aucune apparence que cela fût avenu, je fis tant que je découvris la finesse. Je pris une petite pièce de bois, que je mis à cette fumée de jusquiame, puis je la trempai en l’eau, & il en sortit aussi des Vers tout de même que l’autre fois : j’y présentai aussi une pantoufle, une pièce de fer & plusieurs autres choses, qui toutes enfin rendoient le même effet ; car ayant mis ma main, où je ne sentois aucune incommodité, je vis qu’il en sortoit autant que de celle de ceux qui étoient tourmentés de demangeaison : je pris résolution que ceci étoit une imposture, & cependant je concluds que ces grains étant en fumée, il y avoit en icelle une humeur crasse prête à se congeler, qui se géloit à la froideur de l’eau, & qu’ainsi il sembloit que ce fussent tignes. »

Nous avons remarqué plus haut que le meilleur remede contre les Vers des dents, est de se tenir les dents propres, & de se les laver tous les matins ; nous ajoûterons ici qu’on ne sçauroit mieux faire que de se les laver avec quelques cuillerées de cette eau de fougère que je fais préparer contre les Vers. Elle ôte toute la pourriture des dents, les empêche de se gâter, & les affermit. Il est vrai qu’elle laisse alors pour quelques momens un peu d’amertume sur la langue, mais on est bien dédommagé de ce petit inconvénient par le bien qu’elle procure aux dents, aux gencives & à toute la bouche.


Contre les Pulmonaires.

Les Vers qui s’engendrent dans la poitrine, & qui causent des toux violentes, ainsi que nous l’avons observé ailleurs, sont très-difficiles à chasser ; il y a un remede cependant que divers Médecins conseillent pour les faire sortir par le cracher ; c’est de donner au Malade du suc de marrube mêlé avec un peu de miel, & de lui faire sucer un peu d’oximel scyllitique en forme de looch.


Contre les Hépatiques.

On peut prendre contre les Vers du foie, plusieurs matins de suite dans un bouillon, environ douze grains de poudre de Cloportes, ou un bouillon au Veau, où l’on ait fait bouillir un peu d’hépatique.


Contre les Cardiaires.

Contre les Vers du cœur faites boire du suc d’ail, de raifort, & de cresson, ou bien prenez racine de gentiane & de pivoine, de chacune deux gros ; myrrhe, un gros ; mettez le tout en poudre subtile, mêlez-en une pincée dans une goutte d’eau, & frottez de cette eau le dedans des lévres du Malade, plusieurs matins de suite. Hebenstreit dans son Traité de la Peste, dit que l’ail tout seul est le plus prompt de tous les remedes contre cette maladie, & il rapporte là-dessus une expérience assez remarquable. Un grand Seigneur, dit-il, étoit tourmenté de plusieurs maux qu’on attribuoit au cœur, & comme il ne recevoit aucun soulagement, un jeune homme, qui étudioit en Médecine, & qui étoit connu du Médecin ordinaire, étant venu, dit qu’il se souvenoit d’avoir lu qu’il y avoit un genre de Ver, qui se trouvoit quelquefois au cœur & contre lequel la plûpart des remedes étoient inutiles, excepté l’ail ; que ce Seigneur pouvoit bien avoir un Ver semblable, & qu’on devoit tenter ce remede. Le Malade ne tint nul compte de l’avis d’un jeune homme sans expérience ; il s’opiniâtra à vouloir être traité à l’ordinaire, & il mourut. On l’ouvrit, & on lui trouva dans le cœur un Ver tout blanc, qui avoit une tête longue, dure comme de la corne : on prit le Ver tout vivant, & on le mit sur une table au milieu d’un cercle, qu’on décrivit avec du suc d’ail. Le Ver commença à se traîner de côté & d’autre, s’éloignant toujours de la circonférence du cercle, & enfin chassé par l’odeur de l’ail, se retira au milieu du rond, où il mourut par la force de cette odeur.


Contre les Sanguins.

Rien n’est meilleur contre les Vers qui s’engendrent dans le sang, que le jus de cerfeuil ; on en peut prendre une cuillerée trois fois par jour pendant une semaine, le matin à jeun, l’après midy deux heures après le dîné, & le soir un peu avant que de se coucher.


Contre les Vésiculaires.

Le sel végétal est bon contre les Vers qui sont dans les reins & dans la vessie ; on en peut prendre un demi gros le matin dans un bouillon. Le chrystal minéral y est bon encore.


Contre les Elcophages.

Le suc de Calamenthe y convient, & l’huile d’amandes amères.


Contre les Cutanés.

Les Cutanés, comme nous l’avons vu, sont les Crinons, les Cirons, les Bouviers, les Soies, & les Toms.

Il n’y a pas de meilleur remede contre les Crinons, que de baigner le Malade dans de l’eau tiede, puis de le frotter de miel auprès du feu, & de passer ensuite sur le corps un linge un peu rude.

On peut laver les pustules avec de l’eau où l’on aura mis du fiel de bœuf, ou bien les bassiner avec ce qui suit. Prenez six dragmes d’eau de millepertuis, une demie dragme de miel commun, & une dragme de poivre ; mêlez le tout ensemble.

Il est à propos quelquefois pour se défaire des Cirons & des Crinons, d’en venir aux remedes intérieurs, & cela pour corriger l’acidité & la viscosité du sang, & des autres liqueurs nourricières, laquelle entretient ordinairement ces Insectes. Ces remedes sont, de mettre dans son vin un peu de tartre soluble, avec un peu d’oxymel scillitique ; de prendre quelquefois dans du vin d’Espagne, ou dans de l’hydromel, un demi gros de la composition suivante : Deux dragmes d’élixir de vie, une dragme d’extrait d’absynthe, une dragme d’yeux d’Ecrevisse, sept à huit gouttes d’huile de sassafras ; remuer le tout jusqu’à ce qu’il soit bien mêlé.


Contre les Bouviers.

Il faut employer les mêmes remedes qui conviennent contre les Cirons. Quant aux Soies & aux Toms, j’ai rapporté dans le Chapitre troisième par quel moyen on s’en guérit.


Contre les Umbilicaux.

Voyez le Chapitre III.


Contre les Vénériens.

L’Aquila alba, est un excellent remede contre ces Vers ; la doze est depuis six jusqu’à trente grains en pilules.


  1. Schenck. lib. 2 Observ. Medic de capit. dolor. observ. 4.
  2. Salmut. cent. 2. observ. 39.
  3. Lettres sur des Perce-oreilles, par M. de Savoye, Curé de S. Ouen, imprimées à Paris. Premiere lettre en 1725. Seconde Lettre en 1726. Troisiéme Lettre en 1728. Quatriéme Lettre en 1731. chez Guillaume Cavelier, au Palais ; Guillaume Cavelier fils, rue S. Jacques ; la Veuve Pissot, Quay de Conti ; Jean de Nulli, au Palais.

    Mercure d’Août 1725. pag. 1761.
    Mercure de Juin 1726. pag. 1355.
    Mercure de Septembre 1728. pag 2000.
    Mercure de Janvier 1731. pag. 58.

  4. Mercure d’Août 1725. & de Juin 1736.
  5. Forest. de Ægritud. dentium, Lib. 14. Observ. 7. in Schol. pag. 96. columnâ secundâ.