De la longévité humaine et de la quantité de vie sur le globe/Partie III, chapitre II

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II.

Dès que Leibnitz eut aperçu ce grand fait, savoir, que ce globe avait commencé par être dans un état d’incandescence, dans un état de liquéfaction causée par le feu, un autre grand fait parut aussitôt, c’est que la vie n’avait donc pas toujours existé sur le globe.

L’état igné du globe en excluait nécessairement la vie.

Après trente années de méditations[1] sur les pensées de Leibnitz, dont il n’avait pas compris d’abord toute la puissance[2], Buffon écrivit son magnifique livre des Époques de la nature.

De ce livre date la chronologie du globe.

§ 1.De Buffon et du moment où la vie a pu exister sur le globe.

Buffon compte sept grandes époques de la nature :

La première est celle où la terre et les planètes ont pris leur forme ;

La seconde, celle où la matière, s’étant consolidée, a formé la roche intérieure du globe ;

La troisième, celle où les eaux ont couvert nos continents ;

La quatrième, celle où les eaux se sont retirées,… et où la vie a paru sur le globe.

« Dans ce même temps, où les terres élevées au-dessus des eaux se couvraient de grands arbres et de végétaux de toute espèce, la mer générale se peuplait partout de poissons et de coquillages, etc., etc.[3]. »

« La cinquième époque nous présente la naissance des animaux terrestres[4]… »

Les anciens posaient le monde éternel et toujours le même.

« Le monde, disait l’un d’eux, Ocellus Lucanus, a toujours été le même, de la même manière, toujours égal et semblable à lui-même. »

La science de nos jours nous a appris, et ceci est l’enseignement le plus grand qu’elle pût nous donner, que ce monde, et, pour nous borner ici à cette partie du monde qui nous occupe, que ce globe est un ouvrage de main, l’ouvrage d’une main divine, qu’il a eu son origine, son développement, ses progrès successifs, qu’il a commencé sous une forme, qu’il s’est continué sous une autre, que de celle-ci il a passé à une troisième ; qu’un moment est arrivé où la vie a pu enfin paraître, qu’elle a paru ; et que, depuis qu’elle a paru, elle a été souvent troublée par de grands et terribles événements.

« La vie, nous dit Cuvier, a été troublée sur la terre par des événements effroyables. Des êtres vivants sans nombre ont été victimes de ces catastrophes : les uns, habitants de la terre sèche, se sont vus engloutis par des déluges ; les autres, qui peuplaient le sein des eaux, ont été mis à sec avec le fond des mers subitement relevé ; leurs races même ont fini pour jamais, et ne laissent dans le monde que quelques débris à peine reconnaissables pour le naturaliste[5]… »

De Buffon datait la chronologie du globe ; de Cuvier date la science des êtres perdus ou la paléontologie.



  1. Voyez mon Histoire des travaux et des idées de Buffon.
  2. « La terre, selon tous les autres, doit finir par le feu ; selon Leibnitz, elle a commencé par là… Prétendre, avec Leibnitz, que la terre a été soleil, c’est dire des choses également possibles ou impossibles… » (T. I, p. 101.) Buffon parle ainsi de Leibnitz dans son premier ouvrage, la Théorie de la terre ; dans ses Époques de la nature, il s’empare des idées de Leibnitz, en double la force par l’éloquence, et ne les traite plus comme celles de tous les autres.
  3. Époques de la nature : ive époque.
  4. Ibid. : ve époque.
  5. Discours sur les révolutions de la surface du globe.