De la morale naturelle/XXI
CHAPITRE XXI.
Esprit de parti.
On ne peut douter, ce me semble,
que l’amour ou la haine qui
tient à l’entêtement d’une opinion
quelconque ne soit un sentiment
factice ; mais tout factice
qu’il est, je n’en connais point
dont les effets soient plus violens,
plus extrêmes. J’ai toujours
remarqué que c’était à-peu-près
la seule passion des âmes froides,
qu’elles en étaient peut-être
même plus particulièrement
susceptibles, et je le conçois ;
n’ayant, pour ainsi dire, aucun
foyer intérieur, ce ne sont que
les impressions du dehors qui
peuvent y exciter une activité
soutenue, et ces impressions
sont d’autant plus vives qu’elles
ne rencontrent aucune force capable
de leur résister.
Il n’est point d’opinion, l’histoire nous en fournit trop d’exemples, plus ou moins ridicules, plus ou moins atroces, il n’en est point, quelque frivole ou quelque extravagante qu’elle soit, dont l’enivrement contagieux n’ait troublé le bonheur et le repos de la société.
L’esprit de parti rend fous les hommes même qui semblaient n’avoir reçu de la nature aucune disposition à le devenir.
En détestant tout esprit ambitieux qui cherche à faire secte, je m’impose la loi scrupuleuse de ne jamais confondre le caractère de l’homme et celui de ses opinions, l’inconséquence des idées et celle des mœurs.
Se rendre souvent compte à soi-même de sa manière de voir et de sentir, ne rien admettre, ne rien rejeter sur parole, oser être seul de bonne-foi, voilà sans doute les préservatifs les plus sûrs contre l’esprit de parti.