De la morale naturelle/XXII

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chez Volland, Gattey, Bailly (p. 135-136).


CHAPITRE XXII.

Jouir du présent.



Ce n’est plus qu’un vain mot pour tout homme sorti de l’état de nature.

Il ne dépend plus de nous de séparer le présent du passé et de l’avenir ; d’ailleurs qu’y gagnerions-nous à perdre nos souvenirs et nos espérances, ce qu’il y a de plus réel peut-être dans le bonheur de la vie ?

Le présent est un instant qui nous échappe ; il ne laisse pas même au sentiment le tems de s’y reposer et de jouir. Il faut à notre cœur comme à notre imagination plus d’étendue et plus d’espace.

Je sais bien que l’excès de la prévoyance éteint tout ; mais avec une manière de voir juste et simple, l’idée de l’avenir et du passé ne sert qu’à prolonger le moment de la jouissance.

Il serait sans doute insensé de mourir tous les jours pour conserver l’espoir de se survivre le lendemain ; mais ne jouit-on pas plus délicieusement avec la douce espérance de jouir encore ?