De la morale naturelle/XXIII
CHAPITRE XXIII.
Travail, Paresse.
Nous mesurons la durée du
tems par la succession de nos
sentimens, de nos idées ou de
nos sensations. L’espace de tems
qui n’est marqué pour nous par
aucune époque sensible, ne laisse
après lui qu’une impression vague
et confuse. Il nous paraît
tour-à-tour un instant et une
éternité. Le tems que nous ne
savons point employer, tant qu’il
dure, nous paraît éternel ; est-il
passé, ce n’est plus qu’un moment
dont le souvenir fugitif échappe à notre pensée. Occuper sa vie
est donc l’unique moyen d’en prolonger
la jouissance et d’en abréger
les ennuis, de se consoler
du peu de jours que nous avons
à vivre, et de supporter sans peine
le fardeau de chaque journée.
La paresse n’est pas une jouissance, elle n’est qu’une exemption de peine, et le repos n’est vraiment désirable que pour conserver les forces que nous avons acquises, ou pour réparer sans effort celles que nous avons perdues. Ce que le sommeil est au corps, le repos l’est à l’ame : il ranime d’abord nos facultés ; prolongé trop long-tems, il les accable, il les éteint.