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LIVRE 3 CHAPITRE 12
Seconde partie,
qui est des debvoirs speciaux de certains à certains,
par certaine et speciale obligation.
Praeface.
Ayant à parler des debvoirs speciaux et
particuliers, differens selon la diversité des
personnes et de leurs estats, soyent inegaux,
comme superieurs et inferieurs, ou egaux,
nous commencerons par les mariez, qui sont
mixtes, et tiennent de tous les deux, equalité
et inequalité. Aussi faut-il premierement parler
de la justice et des debvoirs privez et domestiques,
avant que des publics, car ils
precedent ; comme les familles et maisons sont
premieres que les republiques, dont la justice
privée qui se rend en la famille, est l’image,
la source et le modele de la republique. Or
ces debvoirs privez et domestiques sont trois,
sçavoir entre le mary et la femme, les parens
et les enfans, les maistres et serviteurs. Voylà
toutes les parties d’une maison et famille, laquelle
prend son fondement du mary et de la
femme, qui en sont les maistres et autheurs.
Parquoy premierement des mariez.
debvoirs des mariez.
selon les deux considerations diverses qui sont au mariage, comme a esté dict, sçavoir equalité et inequalité, aussi sont de deux sortes les debvoirs et offices des mariez : les uns mesmes et communs à tous deux, egalement reciproques et de pareille obligation, encore que, selon l’usage du monde, ne soyent de pareille peine, reproche, inconvenient ; sçavoir une entiere loyauté, fidelité, communauté, et communication de toutes choses, puis un soin et authorité sur la famille et tout le bien de la maison. De cecy plus au long au livre premier. Les autres sont particuliers et differens selon l’inequalité qui est entre eux ; car ceux du mary sont : 1 instruire sa femme, l’enseigner avec douceur de toute chose qui est de son debvoir, honneur et bien, et dont elle est capable. 2 la nourrir, soit qu’elle aye apporté douaire ou non. 3 la vestir. 4 coucher avec elle. 5 l’aymer et la deffendre. Les deux extremitez sont laides et vicieuses, les tenir subjectes comme servantes, et s’assubjectir à elles comme maistresses. Voylà les principaux. Ceux-cy viennent après, la panser malade, la delivrer captive, l’ensepvelir morte, la nourrir demeurant vefve, et les enfans qu’il a eus d’elle, par provision testamentaire. Les debvoirs de la femme sont, rendre honneur, reverence et respect à son mary, comme à son maistre et bon seigneur ; ainsi ont appellé leurs maris les sages femmes, et le mot hebreu (…) signifie tous les deux, mary et seigneur : celle qui s’acquitte de ce debvoir faict plus pour soy et son honneur que pour son mary, et faisant autrement ne faict tort qu’ à elle. 2 obeyssance en toutes choses justes et licites, s’accommodant et se ployant aux moeurs et humeurs de son mary, comme le bon miroir qui represente fidellement la face, n’ayant aucun dessein, amour, pensement particulier ; mais comme les dimensions et accidens, qui n’ont aucune action ou mouvement propre, et ne se remuent qu’avec le corps, elles se tiennent en tout et par-tout au mary. 3 service, comme luy appareiller par soy ou par autruy ses vivres, luy laver les pieds. 4 garder la maison, dont est comparée à la tortue, et est peincte ayant les pieds nus, et principalement le mary absent ; car eslongnée du mary, elle doibt estre comme invisible, et au rebours de la lune ne paroistre poinct, et près de son soleil paroistre. 5 demeurer en silence et ne parler qu’avec son mary, ou par son mary ; et pource que c’est chose rare et difficile que la femme silencieuse, elle est dicte un don de Dieu precieux. 6 vacquer et estudier à la mesnagerie, c’est la plus utile et honorable science et occupation de la femme, c’est sa maistresse qualité, et qu’on doibt, en mariage, chercher principalement en moyenne fortune ; c’est le seul douaire qui sert à ruiner ou à sauver les maisons, mais elle est rare : il y en a d’avaricieuses, mais de mesnageres peu. Or il y a bien à dire des deux. De la mesnagerie tost après à part. En l’accointance et usage du mariage, il faut de la moderation ; c’est une religieuse et devote liaison : voylà pourquoy le plaisir qu’on en tire doibt estre meslé à quelque severité ; une volupté prudente et conscientieuse. Il faut toucher sa femme severement et pour l’honnesteté, comme dict est, et de peur, comme dict Aristote, qu’en la chatouillant trop lascivement, le plaisir ne la fasse sortir hors des gonds de raison ; et pour la santé, car le plaisir trop chaud et assidu altere la semence et empesche la generation. Affin, d’autre part, qu’elle ne soit trop languissante, morfondue et sterile, il s’y faut presenter rarement. Solon l’a taillé à trois fois le mois ; mais il ne s’y peust donner loy ny reigle certaine. La doctrine de la mesnagerie suyt volontiers et est annexée au mariage.