De la sagesse/Livre III/Chapitre XLII

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de la gloire et de l’ambition.

l’ambition, le desir de gloire et d’honneur (desquels a esté parlé cy-dessus) n’est pas du tout et en tout sens à condamner. Premierement il est très utile au public, selon que le monde vit ; car c’est luy qui cause la pluspart des belles actions, qui pousse les gens aux essays hazardeux, comme nous voyons en la pluspart des anciens, lesquels tous n’ont pas esté meinez d’un esprit philosophique ; de Socrates, Phocion, Aristides, Epaminondas, des Catons et Scipions ; par la seule vraye et vifve image de vertu, car plusieurs, et en bien plus grand nombre, ont esté poussez de l’esprit ; de Themistocles, d’Alexandre, de Caesar : et bien que ces beaux exploicts n’ayent pas esté chez leurs autheurs et operateurs vrayes œuvres de vertu, mais d’ambition, toutesfois les effects ont esté très utiles au public. Outre ceste consideration, encore, selon les sages, est-il excusable et permis en deux cas : l’un est aux choses bonnes et utiles, mais qui sont audessoubs la vertu, et communes aux bons et meschans, comme sont les arts et sciences : (…) : les inventions, l’industrie, la vaillance militaire. L’autre est pour demeurer en la bienveillance d’autruy. Les sages enseignent de ne reigler poinct ses actions par l’opinion d’autruy, sauf pour esviter les incommoditez qui pourroient advenir de leur mespris de l’approbation et jugement d’autruy. Mais au faict de la vertu, et de bien faire pour la gloire, comme si c’en estoit le salaire, c’est une opinion faulse et vaine. Ce seroit chose bien piteuse et chetifve que la vertu, si elle tiroit sa recommandation et son prix de l’opinion d’autruy : c’est une trop foible monnoye et de trop bas alloy pour elle ; elle est trop noble pour aller mendier une telle recompense : il faut affermir son ame, et de façon telle composer ses affections, que la lueur des honneurs n’esblouysse poinct nostre raison, et munir de belles resolutions son esprit, qui luy servent de barrieres contre les assauts de l’ambition. Il se faut donc persuader que la vertu ne cherche poinct un plus ample ny plus riche theatre pour se faire voir, que sa propre conscience ; plus le soleil est haut, moins faict-il d’ombre ; plus la vertu est grande, moins cherche-elle de gloire ; gloire vrayement semblable à l’ombre, qui suyt ceux qui la fuyent, et fuyt ceux-là qui la suyvent : se remettre devant les yeux que l’on vient en ce monde comme à une comedie, où l’on ne choisit pas le personnage que l’on veust jouer, mais seulement l’on regarde à bien jouer celuy qui est donné ; ou comme en un banquet, auquel l’on use des viandes qui sont devant, sans estendre le bras à l’autre bout de la table, ny arracher les plats d’entre les mains des maistres d’hostel. Si l’on nous presente une charge dont nous soyons capables, acceptons-la modestement, et l’exerçons sincerement ; estimant que Dieu nous a là posez en sentinelle, affin que les autres reposent soubs nostre soin : ne recherchons autre recompense de nostre labeur, que la conscience d’avoir bien faict, et desirons que le tesmoignage en soit plustost gravé dedans le cœur de nos concitoyens, que sur le front des œuvres publicques. Bref, tenons pour maxime, que le fruict des belles actions est de les avoir faictes. La vertu ne sçauroit trouver hors de soy recompense digne d’elle. Refuser et mespriser les grandeurs, ce n’est pas tant grand miracle, c’est un effort qui n’est si difficile. Qui bien s’ayme et juge sainement se contente de fortune moyenne et aisée ; les maistrises fort actifves et passifves sont penibles, et ne sont desirées que par esprits malades. Otanes, l’un des sept qui avoient droict à la souveraineté de Perse, quitta à ses compagnons son droict, pourveu que luy et les siens vescussent en cest empire hors de toute subjection et maistrise, sauf celle des loix anciennes, impatient à commander et estre commandé. Diocletian quitta et renonça l’empire, Celestinus le papat.