De la variation des animaux et des plantes sous l’action de la domestication/Tome II/27

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De la variation des animaux et des plantes sous l'action de la domestication (The Variation of Animals and Plants under Domestication)
Traduction par Jean-Jacques Moulinié.
C. Reinwald (Tom. IIp. 380-431).

CHAPITRE XXVII.

HYPOTHÈSE PROVISOIRE DE LA PANGENÈSE.


Remarques préliminaires. — Première partie : faits à réunir sous un même point de vue, à savoir, les divers modes de reproduction. — Action directe de l’élément mâle sur la femelle. — Développement. — Indépendance fonctionnelle des éléments ou unités du corps. — Variabilité. — Hérédité. — Retour.
Seconde partie : Énoncé de l’hypothèse. — Degré d’improbabilité des diverses suppositions nécessaires. — Explication par l’hypothèse des divers groupes de faits spécifiés dans la première partie. — Conclusion.


Nous avons, dans les chapitres précédents, discuté différentes classes de faits relatifs à la variation des bourgeons, aux diverses formes de l’hérédité, aux causes et aux lois des variations ; tous sujets qui, ainsi que les divers modes de la reproduction, se rattachent évidemment les uns aux autres. J’ai donc dû chercher un moyen de réunir tous ces faits par une méthode tangible, car il est désirable de pouvoir se rendre compte, même imparfaitement, comment il se peut qu’un caractère ayant appartenu à un ancêtre reculé, reparaisse subitement dans sa descendance ; comment les effets d’accroissement ou de diminution de l’usage d’un membre, peuvent se transmettre à la génération suivante ; comment l’élément sexuel mâle peut agir non-seulement sur l’ovule, mais quelquefois sur la forme maternelle ; comment un membre peut se reproduire exactement sur la ligne d’amputation, sans qu’il y ait ni trop ni trop peu ; comment des êtres organisés, identiques sous tous les rapports, peuvent être ordinairement produits par des modes aussi différents que le bourgeonnement et la génération séminale. Je sais parfaitement que les idées que je vais développer ne constituent qu’une hypothèse provisoire qui, jusqu’à ce qu’on en formule une meilleure, peut être utile en reliant entr’eux une foule de faits qui jusqu’à présent sont restés sans connexion, et n’ont été rattachés à aucune cause efficace. Ainsi que le fait remarquer Whewell, l’historien des sciences d’induction, les hypothèses quoique incomplètes ou même erronées peuvent souvent rendre des services à la science. C’est à ce point de vue que je risque l’hypothèse de la pangenèse, qui implique que dans l’organisme tout entier, chacun des atomes ou unités qui le composent se reproduit lui-même. D’où les ovules et les grains de pollen, la graine fécondée ou l’œuf, ainsi que les bourgeons, consistent en, et comprennent une multitude de germes émanant de chacun des atomes séparés de l’organisme.

Je vais dans la première partie énumérer aussi brièvement que possible les groupes de faits qui paraissent devoir être reliés ensemble, et à ce propos j’aurai à traiter avec quelques détails plusieurs points qui n’ont pas encore été discutés. Dans la seconde partie, j’énoncerai l’hypothèse ; et après avoir examiné jusqu’à quel point les suppositions nécessaires auxquelles elle entraîne sont en elles-mêmes improbables, nous verrons si elle atteint bien le but en permettant de ramener à un point de vue unique les divers groupes de faits qu’il s’agit de relier entre eux.

PREMIÈRE PARTIE.

On peut admettre deux classes principales de reproduction, qui sont les reproductions sexuelle et asexuelle. Cette dernière a lieu de plusieurs manières, — par gemmation, c’est-à-dire par formation de bourgeons de diverses espèces, et par génération fissipare, soit par division spontanée ou artificielle. Il est connu que certains animaux inférieurs peuvent, lorsqu’on les coupe en morceaux, reproduire autant d’individus complets. Lyonnet a coupé une Naïs en quarante fragments, qui tous devinrent des animaux parfaits[1]. Il est probable que chez quelques protozoaires on pourrait pousser la segmentation plus loin encore, et que dans les plantes les plus inférieures, chaque cellule pourrait reproduire la forme parente ; J. Müller croyait à une distinction essentielle entre la gemmation et la fissiparité, car dans cette dernière la portion séparée, si petite qu’elle soit, est plus parfaitement organisée ; mais la plupart des physiologistes sont actuellement convaincus que les deux procédés sont essentiellement semblables[2]. Le professeur Huxley dit que la fissiparité n’est presque qu’un mode particulier de gemmation, et le professeur H.-J. Clark a montré avec détails qu’il y a quelquefois comme une transaction entre la division spontanée et le bourgeonnement. Lorsqu’un membre est amputé, ou que le corps est coupé en deux, on dit que les extrémités coupées bourgeonnent, et comme la papille qui se forme la première, consiste en un tissu cellulaire non développé, comme celui d’un bourgeon ordinaire, l’expression est correcte. Nous voyons encore d’une autre manière l’analogie des deux modes ; car Trembley a observé que chez l’hydre, la reproduction de la tête après amputation était arrêtée aussitôt que l’animal commençait à produire des bourgeons[3].

Entre la production par fissiparité de deux ou plusieurs individus complets, et la réparation d’une lésion de peu d’importance nous trouvons, comme nous l’avons remarqué précédemment, une gradation si insensible et si complète qu’il est impossible de mettre en doute la similitude de ces deux procédés. Entre la force qui répare une lésion insignifiante dans quelque partie que ce soit, et celle qui auparavant travaillait à la maintenir dans son intégrité par le renouvellement continu de ses molécules, il ne peut pas y avoir de grande différence, et nous pouvons avec M. Paget admettre que dans les deux cas, c’est la même force qui agit. Comme à chaque phase de croissance, une partie amputée est remplacée par une autre au même état de développement, nous devons également admettre avec M. Paget[4] que les forces qui déterminent le développement de l’embryon sont identiques à celles qui agissent pour la réparation des lésions, ou en d’autres termes, que les mêmes forces qui amènent d’abord l’organisme à sa perfection, sont aussi celles qui l’y ramènent, lorsqu’elle se perd. Finalement, concluons que les diverses formes de gemmation et de génération fissipare, la réparation des lésions, la conservation de chaque partie dans son état propre, et l’accroissement ou développement progressif de l’ensemble de l’embryon, sont tous essentiellement les résultats de l’action d’une seule et même force.

Génération sexuelle. — L’union des deux éléments sexuels semble d’abord motiver une profonde distinction entre les reproductions sexuelle et asexuelle. Mais les cas bien authentiques de parthénogenèse prouvent qu’il n’y a pas réellement une distinction aussi grande qu’elle peut le paraître d’abord ; car il arrive parfois, et même fréquemment, que des ovules peuvent se développer et devenir des êtres complets, sans le concours de l’élément mâle. J. Müller et d’autres admettent que les ovules et les bourgeons sont essentiellement de même nature, et dans le cas des Daphnies, Sir J. Lubbock a montré le premier que les ovules et les pseudovules ont une structure identique. Certains corps qui, pendant les premières périodes de leur développement, ne peuvent être, par aucun caractère externe, distingués de vrais ovules, doivent néanmoins être considérés comme des bourgeons, car quoique formés dans l’ovaire, ils sont incapables d’être fécondés. C’est le cas des germes sphériques des larves de Cécidomyides, décrits par Leuckart[5]. Les ovules ainsi que l’élément mâle, avant qu’ils soient réunis, et comme les bourgeons, ont une existence indépendante[6]. Tous deux peuvent transmettre les caractères propres de la forme parente. C’est ce que nous montre avec évidence l’appariage inter se d’hybrides, car les caractères de l’un ou l’autre grand-parent reparaissent souvent, soit en entier, soit par fractions, dans les produits. C’est une erreur de croire que les mâles transmettent certains caractères, et les femelles d’autres, bien qu’ensuite de causes inconnues, il n’est pas douteux que l’un des sexes n’ait quelquefois une puissance de transmission plus forte que l’autre.

Quelques auteurs ont soutenu que le bourgeon diffère essentiellement d’un germe fécondé, par le fait qu’il reproduit toujours exactement les caractères de la forme parente, tandis que les germes fécondés se développent en des êtres qui diffèrent à un degré plus ou moins grand, soit entre eux soit de leurs parents : mais il n’y a point entre ces formes de distinction aussi tranchée. Nous avons consigné, dans le onzième chapitre, un grand nombre de cas, montrant que les plantes peuvent occasionnellement donner des bourgeons possédant des caractères nouveaux et fortement accusés, et qu’on peut même par bourgeons longtemps propager les variétés ainsi produites, et quelquefois même par graine. On peut néanmoins admettre que les êtres produits par voie sexuelle sont plus sujets à varier que ceux qui le sont asexuellement, fait dont nous chercherons par la suite à donner une explication partielle. Dans les deux cas, la variabilité est provoquée par les mêmes causes générales, et régie par les mêmes lois. On ne peut donc pas établir de distinction entre les variétés provenant de bourgeons, et celles provenant de graine. Bien que les variétés de bourgeons conservent ordinairement leurs caractères pendant les générations suivantes, elles peuvent cependant quelquefois, même après une très-longue série de générations par bourgeons, faire retour à leurs anciens caractères ; et cette tendance au retour chez les bourgeons est un des points de ressemblance les plus importants parmi ceux qu’on peut reconnaître entre les produits de la reproduction par gemmation et ceux de la génération séminale.

Il existe toutefois, entre les produits par génération sexuelle et asexuelle, une différence qui est très-générale. Les premiers passent dans le cours de leur développement d’un état inférieur à un état supérieur, comme nous le voyons dans les métamorphoses des insectes et dans celles des vertébrés ; mais ce passage ne peut être considéré comme nécessairement lié à la reproduction sexuelle, car on ne remarque rien de semblable dans le développement des Aphides, parmi les insectes, ni dans certains crustacés et céphalopodes, ni dans aucune plante vasculaire supérieure. Les animaux propagés asexuellement par bourgeonnement ou scission, ne présentent d’autre part aucun exemple d’une métamorphose rétrograde ; c’est-à-dire qu’ils ne descendent pas d’abord à un degré inférieur, avant d’arriver aux phases supérieures et finales de leur développement. Mais pendant l’acte même de la production asexuelle, et ensuite, ils avancent en organisation, comme nous le montrent plusieurs cas de génération alternante, mode de génération qu’avec d’autres naturalistes je considère comme essentiellement un fait de gemmation interne ou de fissiparité. Quelques plantes inférieures, comme des mousses et certaines algues subissent cependant d’après le Dr  L. Radlkofer[7], une métamorphose rétrograde, lorsqu’ils se propagent asexuellement. Nous pouvons jusqu’à un certain point comprendre pourquoi les êtres se propageant par bourgeons, rétrogradent si rarement pendant leur développement ; car pour chaque organisme, la conformation acquise à chaque phase de son évolution doit être adaptée à ses habitudes particulières. Or, chez des êtres produits par gemmation, — circonstance qui peut avoir lieu à toute époque de croissance, au contraire de ce qui se passe pour la génération sexuelle, — s’il y avait de la place pour le maintien d’un grand nombre d’individus à un état donné de développement, le mode le plus simple serait qu’ils se multipliassent par gemmation à ce même état, et non qu’ils revinssent en arrière vers une conformation antérieure ou plus simple, mais qui pourrait ne pas être appropriée aux conditions ambiantes.

Les considérations précédentes nous autorisent à conclure que la différence entre les générations sexuelle et asexuelle, n’est pas si grande qu’elle le paraît d’abord ; et nous avons déjà vu qu’il y a la plus étroite concordance entre la gemmation, la génération fissipare, la réparation des lésions, et la croissance ou le développement ordinaire. La propriété d’être fécondé par l’élément mâle, paraît être la principale distinction à établir entre l’ovule et le bourgeon ; encore cette propriété n’entre-t-elle pas toujours en jeu, comme dans les cas de parthénogenèse. Ceci nous conduit naturellement à rechercher quelle peut être la cause finale de la nécessité du concours des deux éléments sexuels pour l’accomplissement de la génération ordinaire.

Les graines et les ovules sont souvent utiles comme moyens de disséminer les plantes et les animaux, ou de les conserver à un état dormant pendant une ou plusieurs saisons ; mais des graines ou ovules non fécondés, et des bourgeons détachés, seraient également propres à remplir ces deux buts. Nous pouvons cependant indiquer deux avantages importants qui peuvent résulter du concours de deux sexes, ou plutôt de deux individus de sexes opposés, car ainsi que je l’ai montré précédemment, la conformation de tout organisme paraît être spécialement adaptée en vue du concours, au moins occasionnel, de deux individus. De même qu’on admet que l’hybridité, en tant que provoquant la stérilité, est avantageuse en ce qu’elle contribue à maintenir les formes distinctes, et adaptées à leur propre place dans la nature ; de même lorsque les espèces sont rendues variables par les changements dans les conditions extérieures, le libre entrecroisement des individus variant tendra à conserver à chaque forme son adaptation spéciale aux conditions dans lesquelles elle se trouve. Or, le croisement ne peut s’effectuer que par génération sexuelle ; cependant il est fort douteux que le but ainsi obtenu soit suffisamment important pour expliquer l’origine première du concours des deux sexes. J’ai aussi montré, après examen d’un grand nombre de faits, qu’un léger changement dans les conditions extérieures étant avantageux à chaque être, il en était de même du changement exercé sur le germe par l’union sexuelle avec un individu distinct, et à en juger par les innombrables moyens par lesquels la nature semble avoir assuré la possibilité de pareilles unions, la plus grande vigueur de tous les organismes croisés, et les effets nuisibles d’une reproduction consanguine trop prolongée, on est porté à croire qu’il doive en résulter de grands avantages. Le concours des deux sexes peut, cela va sans dire, outre les avantages ci-dessus indiqués, en offrir d’autres qui nous sont inconnus.

Il est également difficile de comprendre pourquoi le germe qui, avant la fécondation, subit un commencement de développement, cesse de progresser et périt s’il n’arrive pas en contact avec l’élément mâle ; et pourquoi, inversement, l’élément mâle qui peut rester vivace pendant quatre et même cinq ans dans le spermathèque de l’insecte femelle, périt également s’il ne se réunit pas au germe. Il est toutefois possible que les deux éléments sexuels périssent à moins d’être réunis, parce qu’ils renferment trop peu de matière formatrice pour jouir d’une existence indépendante et pour pouvoir se développer, car il est certain que dans les cas ordinaires, ils ne diffèrent pas quant à leur puissance de déterminer les caractères de l’embryon. Cette idée de l’importance de la quantité de matière formatrice est rendue probable par les considérations qui suivent. Il n’y a pas lieu de croire que les spermatozoïdes ou les grains de pollen d’un même individu, animal ou végétal, doivent différer les uns des autres ; cependant Quatrefages a montré que chez le Teredo[8], comme l’avaient précédemment fait Prevost et Dumas chez d’autres animaux, il faut plus d’un spermatozoïde pour féconder un ovule. Ceci a été également nettement démontré par Newport[9], qui signale en outre le fait important, basé sur de nombreuses expériences, que lorsqu’on ne met en contact les œufs de Batraciens qu’avec un petit nombre de spermatozoïdes, ils ne sont que partiellement fécondés, et que l’embryon ne se développe jamais complétement ; le premier pas de l’évolution qui est la segmentation partielle du vitellus, se fait plus ou moins, mais ne s’achève pas et n’atteint pas la phase granuleuse. La rapidité de la segmentation est également réglée par le nombre des spermatozoïdes. Kölreuter et Gärtner ont obtenu des résultats semblables sur les plantes. Ce dernier observateur trouva[10] après plusieurs essais successifs sur une Mauve, que même trente grains de pollen ne suffisaient pas pour féconder une seule graine, et que quarante grains ayant été appliqués sur un stigmate, quelques petites graines seules s’étaient développées. Les grains de pollen de Mirabilis sont très-gros, et l’ovaire ne contient qu’un seul ovule ; ces circonstances favorables engagèrent Naudin[11] à faire quelques expériences intéressantes : une fleur fécondée par trois grains de pollen réussit parfaitement ; il en féconda douze par deux grains seulement, et dix-sept par un seul, et dans chacune de ces deux séries, une seule fleur donna de la graine ; il faut noter que les plantes levées de ces deux graines, n’atteignirent pas leurs dimensions normales et ne portèrent que des fleurs remarquablement petites. Ces faits montrent clairement que la quantité de matière formatrice spéciale contenue dans les spermatozoïdes et les grains de pollen joue un rôle important dans l’acte de la fécondation, et influe, non-seulement sur le développement complet de la graine, mais aussi sur la vigueur de la plante produite par cette graine. Nous voyons quelque chose d’analogue dans certains cas de parthénogenèse, dans lesquels l’élément mâle n’intervient pas du tout ; car M. Jourdan[12] a constaté que sur 58,000 œufs pondus par des Bombyx du ver à soie non fécondés, un grand nombre parcoururent les premières phases de l’état embryonnaire, montrant par là qu’ils pouvaient se développer ; mais sur la totalité vingt-neuf seulement donnèrent des vers. Il n’est donc pas improbable qu’une insuffisance de quantité de la matière formatrice contenue dans les éléments sexuels, soit une des causes principales pour lesquelles, lorsqu’ils sont séparés, ils sont incapables d’une existence et d’un développement prolongés. L’opinion que le spermatozoïde a pour fonction de communiquer la vie à l’ovule est étrange, puisque l’ovule non fécondé est déjà vivant, et peut continuer à vivre pendant assez longtemps. Nous verrons plus tard qu’il est probable que les éléments sexuels, ou peut-être seulement l’élément femelle, renferment certaines cellules primordiales, c’est-à-dire n’ayant encore subi aucune différenciation, et qui ne se trouvent pas à un état actif dans les bourgeons.

Hybrides de greffe. — En discutant, dans le chapitre onzième, le cas singulier du Cytisus adami, nous avons montré que, lorsque les tissus de deux plantes, appartenant à des espèces ou variétés distinctes, se sont unis d’une manière intime, il se produit occasionnellement des bourgeons qui, comme les hybrides, présentent les caractères combinés des deux formes unies. Il est certain aussi que, lorsqu’on greffe des branches de variétés à feuilles panachées sur une souche ordinaire, celle-ci produit quelquefois des bourgeons portant des feuilles panachées ; on peut, il est vrai, considérer ce fait comme un cas de maladie par inoculation. Le fait que des bourgeons hybrides peuvent résulter de l’union de deux tissus végétaux distincts, est très-important en ce qu’il démontre de la manière la plus intéressante, l’identité essentielle des reproductions sexuelle et asexuelle ; car la propriété de combiner dans leurs produits les caractères des deux parents, est la plus frappante de toutes les fonctions de la génération sexuelle.

Action directe de l’élément mâle sur la femelle. — J’ai déjà, dans un chapitre précédent, donné des preuves convaincantes, qu’un pollen étranger peut occasionnellement affecter directement la plante mère. Ainsi lorsque Gallesio féconda une fleur d’oranger avec du pollen de citronnier, le fruit présenta des bandes d’écorce de citron parfaitement caractérisées ; plusieurs observateurs ont vu la couleur de l’enveloppe des graines et même celle des cosses, directement affectée chez le pois par le pollen d’une variété distincte ; et il en a été de même pour la pomme, fruit qui consiste en une modification du calice et de la partie supérieure du pédoncule de la fleur. Dans les cas ordinaires, ces parties sont entièrement formées par la plante mère. Nous voyons donc là que l’élément mâle affecte et modifie, non pas seulement la partie sur laquelle il est spécialement destiné à agir, qui est l’ovule, mais aussi les tissus partiellement développés d’un individu distinct. Ceci nous ramène vers l’hybride par greffe, dans lequel le tissu cellulaire d’une forme, au lieu de son pollen, paraît hybridiser les tissus d’une forme distincte. J’ai précédemment donné des raisons contraires à l’opinion émise que la plante mère devait être affectée par l’intermédiaire de l’embryon hybride ; mais même en admettant cette manière de voir, le fait deviendrait un cas d’hybridité par greffe ; car l’embryon fécondé et la plante mère doivent être regardés comme des individus distincts.

Chez les animaux qui ne reproduisent que lorsqu’ils sont presque adultes, et dont tous les organes sont alors complétement développés, il n’est guère possible que l’élément mâle puisse affecter directement la femelle. Mais nous avons un cas analogue et bien constaté, celui du quagga et de la jument de lord Morton, dans lequel l’élément mâle d’une forme distincte a affecté l’ovaire de la femelle, de sorte que les ovules et leurs produits auxquels elle donna ultérieurement naissance, après avoir été fécondés par d’autres mâles, furent nettement modifiés et pour ainsi dire hybridisés par le premier.

Développement. — Le germe fécondé n’arrive à maturité qu’après de nombreux changements, qui peuvent être faibles et très-lents, comme lorsque l’enfant devient homme ; ou considérables et soudains, comme dans les métamorphoses des insectes. Entre ces extrêmes, nous trouvons, sans sortir de la même classe, toutes les gradations ; ainsi, comme l’a montré Sir J. Lubbock[13], il y a une Éphémère qui mue plus de vingt fois, en subissant chaque fois un léger changement dans sa conformation ; changements qui, selon sa remarque, nous révèlent probablement les phases normales de développement, qui sont cachées, précipitées ou supprimées dans la plupart des autres insectes. Dans les métamorphoses ordinaires, les organes paraissent se transformer en parties correspondantes dans la phase suivante du développement ; mais il existe encore une autre forme d’évolution que le professeur Owen a désignée sous le nom de métagenèse. Dans ce cas, « les nouvelles parties ne se moulent pas sur la face interne des anciennes. La force plastique change son mode d’opération. L’enveloppe extérieure et toutes les parties qui donnaient la forme et le caractère à l’individu précédent, périssent et sont rejetées ; elles ne se transforment pas dans les parties correspondantes du nouveau. Elles sont dues à un procédé de développement distinct[14], » etc. La métamorphose passe toutefois si insensiblement à la métagenèse, qu’il est difficile de distinguer nettement les deux modes. Ainsi par exemple, au dernier changement que subissent les Cirrhipèdes, le canal alimentaire et quelques autres organes se moulent sur les parties précédemment existantes ; mais les yeux de l’ancien animal et du nouveau se développent sur des parties du corps très-différentes ; les extrémités des membres adultes se forment dans l’intérieur des membres de la larve, et peuvent être regardées comme en étant la métamorphose ; mais leur portion basilaire et le thorax entier se développent dans un plan perpendiculaire aux membres et au thorax de la larve : et c’est ce qu’on peut appeler de la métagenèse. La métagenèse joue un grand rôle dans le développement de quelques Échinodermes, car à la seconde phase de son développement, l’animal se forme presque comme un bourgeon dans l’intérieur de celui de la première phase, lequel est ensuite rejeté comme un vieux vêtement, quoique conservant quelquefois pendant un temps très-court une vitalité indépendantes[15].

Si au lieu d’un individu unique, il s’en développe ainsi par métagenèse plusieurs dans une forme préexistante, nous avons ce qu’on a appelé une génération alternante. Les jeunes formes ainsi produites peuvent ou ressembler à la forme parente qui les enveloppait, comme chez les larves de Cécidomyides, ou en différer à un degré étonnant, comme dans plusieurs vers parasites et les méduses ; mais il n’en résulte aucune différence essentielle dans le procédé, pas plus que dans les métamorphoses plus ou moins brusques et considérables des insectes.

La question du développement a dans son entier une importance majeure pour le sujet qui nous occupe. Lorsqu’un organe, un œil par exemple, se forme métagénétiquement dans un point du corps où il n’en existait aucun dans la phase précédente du développement, il faut regarder cet organe comme une formation nouvelle et indépendante, l’indépendance absolue des nouvelles conformations, des anciennes qui leur correspondent par la fonction, est encore plus manifeste lorsque plusieurs individus se développent dans l’intérieur de l’ancienne forme, comme cela se voit dans les cas de génération alternante. Le même principe doit probablement jouer un grand rôle, même dans les cas de croissance continue, comme nous le verrons lorsque nous traiterons de l’hérédité des modifications aux âges correspondants.

L’étude d’un autre groupe de faits complétement distincts nous conduit à la même conclusion, c’est-à-dire à l’indépendance des parties successivement développées. On sait qu’un grand nombre d’animaux appartenant à la même classe, et par conséquent ne différant pas considérablement entre eux, suivent des cours de développement très-divers. Ainsi certains coléoptères, qui ne sont en aucune façon très-différents d’autres insectes du même ordre, subissent ce qu’on a appelé une hyper-métamorphose, — c’est-à-dire passent par une phase primitive tout à fait différente de la phase larvaire vermiforme ordinaire. Dans le même sous-ordre de crustacés, les Macroures, comme l’a remarqué Fritz Müller, l’écrevisse de rivière éclôt sous la forme qu’elle conserve ensuite ; le jeune homard a les pattes divisées, comme le Mysis ; le Palémon naît sous la forme d’une Zoé, et le Peneus sous celle d’un Nauplie ; et tous les naturalistes savent combien ces formes larvaires diffèrent étonnamment les unes des autres[16]. Quelques autres crustacés, selon le même auteur, partent d’un même point, et arrivent à peu près au même but, tout en offrant de très-grandes différences dans les phases intermédiaires de leur évolution. Le professeur Allman fait au sujet des méduses la remarque que « la classification des Hydroïdes serait relativement très-simple, si, comme on l’a soutenu à tort, les méduses identiques génériquement, provenaient toujours de polypes également génériquement semblables ; et si d’autre part, les polypes génériquement identiques, donnaient toujours naissance à des méduses appartenant aux mêmes genres. » Le Dr Strethill Wright ajoute encore que, dans l’histoire de la vie des Hydroïdes, une phase quelconque médusiforme, polypiforme, ou planariforme, peut faire défaut[17].

D’après l’opinion maintenant généralement acceptée par la plupart des naturalistes, tous les membres d’un même ordre ou classe, les crustacés macroures, par exemple, descendent d’un ancêtre commun. Dans le cours de leur descendance, ils ont beaucoup divergé par leur conformation, mais ont aussi retenu un grand nombre de points communs ; divergence et conservation de caractères qui se sont effectuées bien qu’ils aient parcouru et parcourent encore une série de métamorphoses étonnamment différentes. Ce fait montre clairement combien dans le cours des diverses phases du développement chaque conformation doit être indépendante, tant de celle qui la précède que de celle qui la suit.

Indépendance fonctionnelle des éléments ou unités du corps. — Les physiologistes s’accordent à reconnaître que l’organisme entier se compose d’une foule de parties élémentaires, qui sont toutes en une grande mesure, indépendantes les unes des autres. Chaque organe, dit Claude Bernard[18], a sa vie propre, son autonomie ; il peut se développer et se reproduire par lui-même, indépendamment des tissus adjacents. Virchow[19] affirme encore plus énergiquement, « que chaque système, comme les systèmes osseux, nerveux ou sanguin, consiste en une masse considérable de petits centres d’action… Chaque élément a son action spéciale propre, et bien qu’il tire d’autres parties l’action stimulante de son activité, il n’en exécute pas moins seul ses fonctions spéciales… Chaque cellule épithéliale, et chaque fibre musculaire mène en quelque sorte une existence de parasite relativement au reste du corps… Chaque corpuscule osseux, possède effectivement des conditions de nutrition qui lui sont propres. » Et, comme le fait remarquer M. Paget, chaque élément vit pendant le temps qui lui est assigné, meurt, et est remplacé après avoir été rejeté ou résorbé[20]. Aucun physiologiste ne met en doute que, par exemple, chaque corpuscule osseux du doigt, ne diffère du corpuscule correspondant qui se trouve dans l’articulation correspondante de l’orteil, et il est certain que même ceux des deux côtés du corps diffèrent, quoique étant de nature presque identique. Cette similitude voisine de l’identité se manifeste d’une manière curieuse par les maladies dans lesquelles les points correspondants des côtés droit et gauche du corps sont affectés d’une manière semblable ; ainsi M. Paget[21] a figuré un bassin malade, dans lequel l’os offre un contour des plus complexes, mais dont tous les traits de conformation d’un côté sont identiquement reproduits de l’autre.

Un grand nombre de faits viennent appuyer cette opinion de la vie indépendante de chacun des éléments du corps. Virchow admet qu’un seul corpuscule osseux ou une seule cellule de la peau, peuvent devenir malades. L’ergot d’un coq, inséré dans l’oreille d’un bœuf, vécut pendant huit ans, atteignit un poids de 396 grammes[22] et une longueur de 24 centimètres, de sorte que l’animal paraissait avoir trois cornes. Une queue de cochon greffée sur le dos de l’animal, avait repris sa sensibilité. Le Dr  Ollier[23] a inséré sous la peau d’un lapin, un fragment du périoste provenant d’un jeune chien, et il se forma du véritable tissu osseux. La présence fréquente de poils, de dents parfaitement formées et même de dents de seconde dentition, dans certaines tumeurs ovariennes[24], sont des faits analogues, et qui conduisent à la même conclusion.

La question de savoir si tous les éléments innombrables et autonomes du corps, sont des cellules ou des produits modifiés de cellules, — en comprenant sous cette dénomination jusqu’aux corps en forme de cellules, mais sans parois et sans noyau, — est plus douteuse[25]. Le professeur Lionel Beale, emploie le terme de « matière germinale » pour désigner le contenu des cellules dans le sens le plus étendu du mot, et établit une distinction capitale entre la matière germinale et les matériaux formés, qui sont les produits divers des cellules[26]. Mais la doctrine omnis cellula e cellula — est admise chez les plantes, et l’est aussi très-généralement pour les animaux[27]. Ainsi Virchow, grand partisan de la théorie cellulaire, soutient que toute parcelle de tissu dérive de cellules, celles-ci de cellules préexistantes, qui proviennent de l’œuf, qu’il considère comme étant lui-même une grande cellule. Tout le monde reconnaît que des cellules, conservant toujours leur même nature, se multiplient par division spontanée. Mais lorsqu’un organisme subit de grands changements de conformation pendant son développement, les cellules, qu’à chaque état de l’évolution on suppose être directement provenues de cellules existant précédemment, doivent également avoir beaucoup changé de nature ; et les partisans de la théorie cellulaire attribuent ces changements à une propriété inhérente aux cellules elles-mêmes, et non à une action extérieure.

Une autre école soutient que les cellules et les tissus de tous genres peuvent, indépendamment des cellules préexistantes, se former aux dépens d’un blastème ou lymphe plastique, fait qui paraît établi par la cicatrisation des blessures. N’ayant pas étudié spécialement l’histologie, je n’ai pas la présomption d’exprimer aucune opinion sur les deux doctrines opposées. Mais tout le monde paraît s’accorder à admettre que le corps consiste en une multitude « d’unités organiques[28] », dont chacune, douée d’attributs qui lui sont propres, est jusqu’à un certain point indépendante de toutes les autres. Nous pourrons par conséquent nous servir indifféremment des termes de cellules ou d’unités organiques, ou simplement d’unités.

Variabilité et hérédité. — Nous avons vu au chapitre vingt-deuxième que la variabilité n’est pas un fait de même ordre que la vie ou la reproduction, mais qu’elle résulte de causes spéciales, et généralement de changements dans les conditions agissant pendant une série de générations. Une partie de la variabilité flottante ainsi causée, est apparemment due à ce que le système sexuel étant facilement affecté par ces changements dans les conditions, devient par ce fait souvent impuissant ; et, lorsqu’il est moins gravement affecté, perd une partie de ses propriétés normales de transmettre exactement les caractères des parents à leurs ascendants. La variabilité n’est cependant pas en connexion nécessaire avec le système sexuel, comme nous le prouvent les cas de variation par bourgeons, et quoique nous ne puissions saisir la nature de cette connexion, il est probable qu’un grand nombre de déviations de structure qui apparaissent dans les produits de génération asexuelle, sont le résultat de l’action directe des changements de conditions sur l’organisation, indépendamment des organes reproducteurs. Dans quelques cas nous sommes à peu près certains qu’il doit en être ainsi, lorsque tous ou presque tous les individus qui ont été exposés aux mêmes conditions, se trouvent affectés d’une manière définie et semblable, — comme les maïs importés de pays chauds et cultivés en Allemagne, les modifications survenues dans les toisons des moutons sous les tropiques, l’augmentation de taille et la précocité de nos races domestiques les plus améliorées, l’hérédité de la goutte à la suite d’excès, et un grand nombre d’autres cas. Or, des changements de ce genre n’affectant pas d’une manière spéciale les organes reproducteurs, il semble étrange que leur produit, le nouvel être organisé, se trouve en fait affecté d’une manière semblable.

Comment encore nous expliquer les effets héréditaires de l’usage ou du défaut d’usage d’organes particuliers ? Le canard domestique vole moins et marche davantage que le canard sauvage, et les os de ses membres ont, d’une manière correspondante, diminué et augmenté comparés à ceux de l’oiseau à l’état naturel. Un cheval est dressé à certaines allures, et son poulain hérite de la même disposition. Le lapin domestique s’apprivoise par la captivité, le chien intelligent par son association avec l’homme ; il apprend à rapporter le gibier, et ces diverses facultés mentales sont, ainsi que les aptitudes corporelles, héréditaires. Comment l’usage ou le défaut d’usage d’un certain membre ou du cerveau peuvent-ils affecter une petite agrégation de cellules reproductrices, situées dans une partie éloignée du corps, de telle manière que l’être qui se développe de ces cellules hérite des caractères de l’un ou de ses deux parents ? Une réponse, même incomplète, à cette question, serait désirable.

La reproduction sexuelle ne diffère pas essentiellement de la gemmation ou de la scission, et ces modes passent graduellement de la régénération des lésions jusqu’au développement et à la croissance ordinaires ; on pourrait donc s’attendre à ce que chaque caractère dût se transmettre régulièrement par tous les modes de reproduction comme par croissance continue. Dans les chapitres sur l’hérédité nous avons montré qu’une foule de nouveaux caractères, nuisibles ou avantageux, importants ou insignifiants, étaient souvent fidèlement transmis, alors qu’ils ne se trouvaient que sur un seul des parents ; nous devons aussi nous rappeler que les caractères se manifestant à un âge donné, tendent à réapparaître à l’âge correspondant. Nous pouvons en somme conclure que, dans tous les cas, l’hérédité est la règle, et la non-hérédité l’exception. Un caractère peut, dans quelques cas, n’être pas hérité, parce que les conditions extérieures s’opposent directement à son développement ; dans d’autres, parce qu’elles déterminent constamment une variabilité nouvelle, comme dans les arbres fruitiers greffés et les fleurs très-cultivées. Quant aux cas restants, le défaut d’hérédité peut être attribué à des effets de retour, ensuite desquels le produit ressemble à ses grands-parents ou à des ancêtres plus éloignés, au lieu de ressembler à ses parents immédiats.

Le retour est un des attributs les plus remarquables de l’hérédité. Il prouve que le développement d’un caractère et sa transmission sont deux pouvoirs distincts qui peuvent même, dans quelques cas, être antagonistes l’un de l’autre, car chacun d’eux peut agir alternativement dans des générations successives. Les faits de retour, dépendant de quelque combinaison inusitée ou favorable de circonstances, ne sont pas rares ; mais ils se présentent si régulièrement chez les animaux et plantes provenant de croisements, et si fréquemment chez les races non croisées, qu’ils constituent évidemment une partie essentielle de l’hérédité. Nous savons que, comme on le voit chez des animaux redevenus sauvages, les changements de conditions ont le pouvoir d’évoquer pour ainsi dire les caractères dès longtemps perdus. L’acte du croisement a par lui-même ce pouvoir à un degré très-prononcé. N’est-ce pas remarquable de voir des caractères qui ont disparu pendant des milliers de générations reparaître tout à coup bien développés, comme chez les races gallines et les pigeons maintenus purs, mais surtout lorsqu’on les croise ; les marques zébrines sur les chevaux isabelles, et autres exemples analogues ? Un grand nombre de monstruosités sont dans le même cas : ainsi, le développement d’organes rudimentaires ou la réapparition brusque d’un organe qui a dû exister chez quelque ancêtre très-reculé, mais dont il ne restait pas la moindre trace, comme la cinquième étamine de quelques Scrophulariées. Nous avons déjà vu que les faits de retour se montrent aussi dans la reproduction par bourgeons, et que quelquefois ils se manifestent pendant la croissance d’un même individu, surtout, quoique pas exclusivement, lorsqu’il a une origine croisée, — comme dans les cas d’individus de l’espèce galline, de pigeons, lapins, qui, en avançant en âge, ont fait retour par la couleur vers un de leurs parents ou ancêtres.

Nous sommes conduits à admettre que tout caractère susceptible de réapparition doit être présent dans chaque génération sous une forme latente, de la même manière que dans les animaux mâles et femelles, les caractères sexuels secondaires du sexe opposé demeurent latents, prêts à se développer lorsque les organes reproducteurs sont lésés. Cette comparaison des caractères sexuels secondaires latents dans les deux sexes, avec d’autres caractères latents, paraît justifiée par le cas que nous avons cité d’une poule qui avait repris quelques-uns des caractères masculins non pas de sa race, mais d’un ancêtre éloigné ; manifestant ainsi en même temps le redéveloppement de caractères latents des deux genres et rattachant ensemble les deux classes. Dans tout être vivant, nous pouvons être certains qu’il y a une foule de caractères perdus prêts à se manifester dans les conditions convenables. Comment rendre intelligible, et relier à d’autres faits, cette propriété admirable et générale du retour, — ce pouvoir de rappeler et de faire revivre des caractères depuis longtemps perdus ?

DEUXIÈME PARTIE.

Je viens de rappeler les principaux faits qu’il serait désirable de pouvoir rattacher entre eux par quelque lien intelligible. Je crois que la chose est possible, moyennant les suppositions suivantes qui, la première et la principale étant admise, ne paraîtront pas improbables, car elles s’appuient sur diverses considérations physiologiques. On admet presque universellement que les cellules, ou les unités du corps, se propageant par division spontanée ou prolifération, conservent la même nature et se convertissent ultérieurement en différentes substances et tissus du corps. À côté de ce mode de multiplication, je suppose que les cellules, avant leur conversion en matériaux formés et complétement passifs, émettent de petits grains ou atomes, qui circulent librement dans tout le système, et lorsqu’ils reçoivent une nutrition suffisante, se multiplient par division, et se développent ultérieurement en cellules semblables à celles dont ils dérivent. Pour être plus clair, nous pourrions appeler ces grains des gemmules cellulaires, ou, puisque la théorie cellulaire n’est pas complétement établie, simplement des gemmules. Nous supposons qu’elles sont transmises par les parents à leurs descendants, se développent généralement dans la génération qui suit immédiatement, mais peuvent souvent se transmettre pendant plusieurs générations à un état dormant, et se développer plus tard. Nous supposons que ce développement dépend de leur union avec d’autres gemmules partiellement développées, qui les précèdent dans le cours régulier de la croissance. Nous verrons, lorsque nous discuterons l’action directe du pollen sur les tissus de la plante mère, pourquoi j’emploie le terme d’union. On suppose que les gemmules sont émises par chaque cellule ou unité, non-seulement pendant l’état adulte, mais aussi pendant tous les états de développement. Enfin, je suppose que dans leur état dormant, les gemmules ont les unes pour les autres une affinité mutuelle, d’où résulte leur agrégation en bourgeons ou en éléments sexuels. Donc, à strictement parler, ce ne sont pas les éléments reproducteurs, ni les bourgeons qui engendrent les nouveaux organismes, mais les cellules ou unités mêmes du corps entier. Ces suppositions constituent l’hypothèse provisoire que je désigne sous le nom de pangenèse. Des idées à peu près semblables ont été proposées par d’autres auteurs[29].

Avant de montrer, premièrement, jusqu’à quel point ces suppositions sont en elles-mêmes probables et, secondement, jusqu’à quel point elles lient et expliquent les différents groupes de faits dont nous nous sommes occupés, je crois devoir donner un exemple de l’hypothèse. Si un Protozoaire de l’ordre le plus simple, est, comme il le paraît sous le microscope, formé d’une petite masse homogène de matière gélatineuse, un atome imperceptible émanant d’un point quelconque de cette masse et nourri dans des circonstances favorables, devra naturellement reproduire le tout ; mais si les surfaces supérieure et inférieure différent par leur structure de la portion centrale, ces trois parties auront à émettre des gemmules qui, agrégées par affinité mutuelle, formeront des bourgeons ou les éléments sexuels. La même idée peut s’étendre à un animal supérieur, seulement il faut admettre l’émission de milliers de gemmules par les différentes parties du corps. Maintenant, lorsque la patte d’une salamandre est coupée, par exemple, il se forme sur la blessure une légère croûte, au-dessous de laquelle les cellules ou unités d’os, de muscles, de nerfs, etc., sont supposées s’unir avec les gemmules dispersées qui, dans la patte complète, arrivent à leur tour ; celles-ci, en se développant, s’unissent à d’autres, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il se soit formé une papille de tissu cellulaire mou, la patte bourgeonnante, puis, avec le temps, un membre parfait[30]. Ainsi, la portion de patte enlevée, ni plus ni moins, serait reproduite. Si la queue ou la patte d’un jeune animal était enlevée, il se reproduirait une nouvelle queue ou une patte, comme cela a effectivement lieu après l’amputation de la queue du têtard, car les gemmules de toutes les unités qui composent la queue, sont disséminées dans tout le corps à tous les âges. Mais pendant l’état adulte, les gemmules de la queue larvaire resteraient à l’état dormant, parce qu’elles ne rencontreraient pas les cellules préexistantes à un état de développement convenable pour pouvoir s’unir avec elles. Si, par un changement de conditions ou toute autre cause, une partie du corps se modifiait d’une manière permanente, les gemmules qui ne sont que de minimes portions du contenu des cellules constituant cette partie, reproduiraient naturellement la même modification. Mais les gemmules antérieurement émanées de cette même partie, avant qu’elle eût éprouvé aucun changement, étant encore disséminées dans l’organisme et transmises de génération en génération, pourraient se redévelopper dans des circonstances favorables, et alors la nouvelle modification pourrait être perdue pour un temps ou pour toujours. L’agrégation des gemmules émanées des diverses parties du corps, en raison de leur affinité mutuelle, formerait les bourgeons, et leur agrégation d’une manière spéciale, probablement en petite quantité, jointe à la présence de gemmules de certaines cellules primordiales, constituerait les éléments sexuels. J’espère avoir par ces exemples rendu intelligible l’hypothèse de la pangenèse.

Les physiologistes admettent que bien que dépendante des autres, chaque cellule jouit cependant d’une certaine indépendance ou autonomie. Je ferai un pas de plus, et je supposerai que chaque cellule émet une gemmule libre, capable de reproduire une cellule semblable. Il y a là quelque analogie avec ce que nous voyons dans les animaux composés et les bourgeons floraux d’un même arbre ; car ce sont des individus distincts susceptibles d’une véritable reproduction séminale, qui ont cependant quelque chose en commun et sont dépendants les uns des autres ; ainsi les arbres ont le tronc et l’écorce, et certains coraux, comme les Virgularias, ont en commun, non-seulement quelques parties, mais même des mouvements.

L’existence de gemmules libres est une supposition gratuite, mais qui ne peut être considérée comme très-improbable, puisque les cellules peuvent se multiplier par division de leur contenu. Les gemmules ne diffèrent des vrais ovules ou bourgeons qu’en ce qu’on les suppose capables de se multiplier dans leur état non développé. Or, une telle capacité n’a rien d’improbable. On a vu le blastème de l’œuf se diviser et produire deux embryons ; et Thuret[31] a vu la zoospore d’une algue se séparer en deux parties, qui toutes deux ont germé. Un atome de virus variolique assez ténu pour être emporté par le vent, doit se multiplier des milliers de fois dans l’individu inoculé[32]. On a récemment vérifié[33] qu’une parcelle infiniment petite de la mucosité provenant d’un animal atteint de la peste bovine, placée dans le sang d’un bœuf sain, augmente si rapidement qu’au bout de peu de temps, la masse entière du sang est infectée, et que la moindre quantité de ce liquide contient assez de poison, pour communiquer dans moins de quarante-huit heures, la maladie à un autre animal.

La conservation de gemmules libres et non développées dans le même corps depuis la jeunesse jusqu’à la vieillesse, peut paraître improbable, mais nous devons nous rappeler combien les graines peuvent rester longtemps dormantes en terre et les bourgeons dans l’écorce de l’arbre. Leur transmission de génération en génération peut paraître encore plus improbable ; mais ici encore nous devons songer que bien des organes rudimentaires et inutiles ont été et sont encore transmis depuis un nombre infini de générations. Nous allons maintenant voir comment la transmission longtemps continue des gemmules non développées explique bien un grand nombre de faits.

Comme chaque unité, ou groupe d’unités similaires du corps, émet des gemmules, et que celles-ci sont toutes contenues dans le plus petit ovule ou graine, ou dans chaque spermatozoïde et grain de pollen, leur nombre et leur ténuité doivent être infinis. Je reviendrai sur cette objection qui paraît d’abord si formidable, mais je dois faire remarquer ici qu’une morue peut produire 6,867,840 œufs, un ascaride environ 64,000,000, et une seule Orchidée à peu près autant de millions de graines[34]. Dans ces divers cas les spermatozoïdes et les grains de pollen doivent exister en nombre bien plus considérable. Or, lorsqu’il s’agit de nombres pareils, que l’intelligence ne peut saisir, il n’y a pas de bonne raison pour repousser notre hypothèse actuelle parce qu’elle suppose l’existence de gemmules quelques milliers de fois plus nombreuses.

Dans chaque organisme les gemmules doivent être entièrement disséminées, ce qui, vu leur ténuité et la circulation constante des fluides dans le corps, n’offre rien d’improbable. Il doit en être de même pour les gemmules des plantes, car il en est chez lesquelles un petit fragment de feuille peut reproduire le tout. Il se présente ici une difficulté : il semblerait que chez les plantes, et probablement chez les animaux composés, tels que les coraux, les gemmules ne s’étendent pas de bourgeon à bourgeon, mais seulement par les tissus développés de chaque bourgeon séparé. Le fait qu’une souche n’est que rarement affectée par l’insertion d’une greffe d’une variété distincte, nous conduit à cette conclusion. Cette non-diffusion des gemmules est très-manifeste dans le cas des fougères ; car M. Bridgeman[35] a prouvé que lorsqu’on prend des spores (qui sont de la nature des bourgeons) sur la partie monstrueuse d’une fronde, et d’autres sur une partie normale, les spores reproduisent la forme des parties dont elles proviennent. Mais cette non-diffusion des gemmules de bourgeon à bourgeon peut n’être qu’apparente, et dépendre, comme nous le verrons ensuite, de la nature des premières cellules formées dans les bourgeons.

L’affinité élective supposée de chaque cellule pour la cellule particulière qui la précède dans l’ordre du développement est appuyée par plusieurs analogies. Dans tous les cas ordinaires de reproduction sexuelle, les éléments mâles et femelles ont une affinité mutuelle les uns pour les autres ; ainsi on admet qu’il existe dix mille espèces de Composées, et on ne peut douter que si on venait simultanément ou successivement à placer sur le stigmate d’une espèce le pollen de toutes les autres, elle ne choisît certainement son propre pollen. Cette capacité élective est d’autant plus remarquable qu’elle doit avoir été acquise depuis que les espèces nombreuses de cet immense groupe de plantes ont divergé de leur ancêtre commun. Quelque opinion qu’on ait sur la nature de la reproduction sexuelle, le protoplasma contenu dans les ovules et les cellules spermatiques (ou la force spermatique de celles-ci, si on préfère ce terme plus vague) doit agir sur l’autre en vertu de quelque loi d’affinité spéciale, ou pendant, ou après la fécondation, de manière que les parties correspondantes soient les seules à s’affecter mutuellement ; ainsi un veau produit d’une vache à courtes cornes par un taureau à longues cornes aura les cornes, et non les sabots, affectées par cette réunion des deux formes, et les produits de l’union de deux oiseaux à queues de couleur diverse auront la queue affectée et non le plumage entier.

Les divers tissus du corps manifestent, ainsi que plusieurs physiologistes l’ont observé[36], une certaine affinité pour des substances organiques spéciales, qu’elles soient naturelles ou étrangères au corps. Nous voyons cela dans les cellules du rein attirant l’urée du sang ; dans l’action du curare sur les nerfs, celle de l’upas et de la digitale sur les muscles, celle de la cantharide (Lytta vesicatoria) sur les reins, et dans le fait que les matières virulentes d’un grand nombre de maladies, comme la petite vérole, la scarlatine, la coqueluche, la morve, le cancer et la rage, affectent certaines parties définies du corps et certaines glandes ou tissus.

L’affinité de diverses parties du corps les unes pour les autres pendant leur premier développement a été signalée dans le précédent chapitre, lorsque nous avons discuté la tendance à la fusion des parties homologues. L’affinité se manifeste dans la fusion normale des organes qui, dans les premières phases embryonnaires sont séparés, et encore plus dans les cas de monstres doubles chez lesquels chaque os, muscle, vaisseau et nerf d’un embryon se confond avec la partie correspondante de l’autre. L’affinité entre les organes homologues peut se manifester sur des parties isolées aussi bien que chez l’individu entier, comme dans les cas de fleurs ou fruits symétriquement fusionnés, et présentant toutes leurs parties en double, sans autre trace de leur fusion.

On a aussi supposé que le développement de chaque gemmule dépendait de son union avec une autre cellule ou unité qui venant de commencer son développement, et la précédant dans l’ordre de croissance, se trouve être en quelque sorte d’une nature un peu différente. Il ne serait pas non plus improbable de supposer que le développement d’une gemmule puisse être déterminé par son union avec une cellule de nature un peu différente, car nous avons vu au chapitre dix-septième de nombreuses preuves qu’une légère différenciation des éléments sexuels mâles et femelles favorise sensiblement leur union et leur développement subséquent. Mais nous ne saurions faire aucune conjecture sur ce qui peut déterminer le développement des gemmules dans la cellule primordiale de l’ovule non fécondé.

Il faut aussi admettre que l’analogie nous fait défaut pour la détermination de plusieurs autres points : par exemple, si les cellules dérivées d’une même cellule parente peuvent, dans le cours normal de croissance, se développer suivant des conformations différentes, en absorbant diverses sortes de nourriture, indépendamment de leur union avec des gemmules distinctes. Cette difficulté est grande si nous songeons aux productions compliquées et pourtant symétriques, auxquelles les cellules de plantes inoculées du venin d’insectes des galles peuvent donner naissance. On admet assez[37] généralement que diverses excroissances et tumeurs polypoïdes des animaux, sont le produit direct, par prolifération, de cellules normales qui sont devenues anormales. Pendant la croissance et la réparation des os, les tissus parcourent, selon Virchow[38], toute une série de permutations et de substitutions. Les cellules du cartilage peuvent être converties par une transformation directe en cellules de la moelle, ou se transformer en tissu osseux et ensuite en tissu médullaire, ou enfin, elles peuvent se convertir d’abord en moelle, puis en os ; tant les permutations de ces tissus si voisins entre eux, et cependant si distincts par leur apparence, peuvent être variables. Mais comme ces tissus peuvent aussi changer de nature à tout âge, sans changement apparent dans leur nutrition, nous devons, conformément à notre hypothèse, supposer que des gemmules dérivées d’une espèce de tissu, se combinent avec les cellules d’une autre espèce, et causent ainsi les modifications successives.

Il est inutile de spéculer sur l’époque du développement à laquelle chaque unité organique émet ses gemmules, car le sujet tout entier du développement des divers tissus élémentaires est encore très-obscur. Quelques physiologistes, par exemple, soutiennent que les fibres musculaires et nerveuses se développent de cellules, qui se nourrissent ensuite par leur propre pouvoir d’absorption ; tandis que d’autres physiologistes nient leur origine cellulaire ; et Beale affirme que ces fibres se renouvellent exclusivement par la conversion de nouvelles matières germinales (c’est-à-dire ce qu’on appelle les noyaux ou nucléi) en matériaux formés. Quoi qu’il en soit, il paraît probable que tous les agents extérieurs, tels qu’un changement de nourriture, une augmentation ou diminution d’usage, etc., capables de causer une modification permanente de structure, doivent, en même temps ou avant, agir sur les cellules, noyaux, matière germinale ou de formation, dont se développent lesdites conformations, et par conséquent doivent aussi agir sur les gemmules.

Il est également inutile de se préoccuper de savoir si toutes les gemmules sont libres et séparées, ou si elles sont dès l’origine réunies par petites agrégations. Une plume a, par exemple, une structure complexe, et comme chaque partie séparée est susceptible de variations héréditaires, je conclus que la plume doit engendrer une grande quantité de gemmules, qui peuvent peut-être être agrégées en une gemmule composée. La même remarque peut s’appliquer aux pétales d’une fleur, qui sont souvent très-complexes, et ont chaque partie disposée en vue d’un but spécial, de sorte que chacune a dû être séparément modifiée, et ses modifications transmises. Par conséquent, d’après notre hypothèse, des gemmules séparées ont dû être émises par chaque cellule. Mais comme nous voyons quelquefois la moitié d’une anthère ou une portion de filament devenant pétaliforme, ou des parties du calice prenant la couleur et la texture de la corolle, il est probable que pour les pétales, les gemmules de chaque cellule ne sont pas agrégées en une gemmule complexe, mais sont librement et séparément disséminées.

Après avoir ainsi cherché à montrer que les suppositions précédentes sont, jusqu’à un certain point, appuyées par quelques faits analogues, examinons maintenant jusqu’à quel point notre hypothèse peut rattacher entre eux et ramener à un point de vue unique les divers cas énumérés dans la première partie. Toutes les formes de reproduction passent graduellement les unes aux autres, et concordent par leurs produits ; car il est impossible de distinguer entre les organismes provenant de bourgeons, de division spontanée ou de germes fécondés, puisqu’ils sont soumis au même genre de variations, et au retour de leurs caractères ; et, comme nous voyons que toutes les formes de reproduction dépendent d’une agrégation de gemmules émanant de toutes les parties du corps, nous pouvons comprendre cette concordance générale. Il est satisfaisant de trouver que les générations sexuelle et asexuelle, deux modes fort distincts par lesquels un même être vivant peut être produit, sont fondamentalement les mêmes. La parthénogenèse n’a plus rien d’étonnant, et en fait, l’étonnant est qu’elle ne se présente pas plus souvent. Nous voyons que les organes reproducteurs ne créent pas effectivement les éléments sexuels, mais qu’ils ne font que déterminer ou permettre leur agrégation d’une manière spéciale. Ces organes, avec leurs parties accessoires, ont toutefois de hautes fonctions à accomplir ; ils donnent aux deux éléments une affinité mutuelle spéciale, indépendamment du contenu des cellules mâles et femelles, comme le montre, dans le cas des plantes, la réaction réciproque du stigmate et des grains de pollen ; ils adaptent un des éléments ou tous deux à une existence temporaire et indépendante, et les préparent en vue de leur union mutuelle. Certaines dispositions dans ce but sont excessivement compliquées, comme les spermatophores des Céphalopodes. L’élément mâle est quelquefois pourvu d’attributs qui, observés sur un animal indépendant, pourraient être regardés comme un instinct dirigé par des organes des sens, comme lorsque le spermatozoïde d’un insecte se fraye un chemin au travers du micropyle infiniment ténu de l’œuf, ou lorsque les anthérozoïdes de certaines algues arrivent à l’aide de leurs cils vers la plante femelle, et y pénètrent par un orifice fort petit. Dans ces cas toutefois, nous devons admettre que l’élément mâle a acquis ses propriétés, comme les larves d’animaux, c’est-à-dire par des modifications successives, acquises à des époques correspondantes de la vie ; nous pouvons même presque assimiler l’élément mâle à une sorte de larve prématurée, qui s’unit, ou comme dans les algues inférieures, se conjugue avec l’élément femelle. Nous ne savons nullement ce qui peut causer l’agrégation des gemmules dans les organes sexuels, ni pourquoi des bourgeons adventifs peuvent se développer un peu partout, même sur un pétale, et souvent sur des blessures cicatrisées[39]. Aussitôt que les gemmules se sont agrégées, le développement commence, mais dans le cas des bourgeons, il est quelquefois suspendu, et cesse bientôt dans les éléments sexuels, à moins que ceux des deux sexes opposés ne viennent à se combiner ; même après cette réunion, le germe fécondé, ainsi que cela a lieu pour les graines enfouies dans le sol, peut quelquefois rester longtemps à un état dormant.

L’antagonisme observé depuis longtemps[40], quoiqu’il y ait des exceptions[41] — entre la croissance active et la reproduction sexuelle, — entre la réparation des lésions et la gemmation, — et chez les plantes, entre la multiplication rapide par bourgeons, rhizomes etc., et la production de graines, peut en partie s’expliquer par le fait que les gemmules ne se trouvent pas en nombre suffisant pour fournir aux deux modes de reproduction. Mais cette explication ne peut guère s’appliquer aux plantes qui, produisant naturellement beaucoup de graines, n’en donnent plus que peu ou point, dès que le nombre des bourgeons sur leurs rhizomes ou leurs rejetons augmente. Toutefois, comme les bourgeons, ainsi que nous le verrons tout à l’heure, renferment probablement un tissu qui a déjà été, jusqu’à un certain point, développé ou différencié, une certaine portion de matière organisée aura dû être dépensée à cet effet.

La division spontanée, qui est une des formes de la reproduction, nous amène par gradations insensibles à la réparation des moindres lésions ; et l’existence de gemmules émanées de chaque unité du corps entier et disséminées partout, explique tous les cas de ce genre, — même le fait merveilleux que, aussi souvent que Spallanzani et Bonnet eurent coupé les pattes du Triton, elles se reproduisirent complétement et exactement. J’ai entendu comparer ce fait à la recristallisation qui a lieu lorsque les angles d’un cristal brisé se réparent ; et les deux cas ont ceci de commun, que dans l’un la cause agissante est la polarité des molécules, et dans l’autre l’affinité des gemmules pour certaines cellules naissantes.

La pangenèse ne jette pas beaucoup de jour sur l’hybridité, mais elle s’accorde bien avec la plupart des faits constatés. Nous pouvons conclure du fait qu’un seul spermatozoïde ou grain de pollen est insuffisant pour la fécondation, qu’un certain nombre de gemmules dérivées de chaque unité est nécessaire pour le développement de chaque partie. Nous pouvons aussi inférer des cas de parthénogenèse, surtout chez le papillon du ver à soie, dans lequel l’embryon se développe souvent partiellement, que l’élément femelle renferme presque assez de gemmules de tous genres pour un développement indépendant, de sorte que réunies à l’élément mâle, elles doivent être surabondantes. Or, en règle générale, lorsque deux espèces ou races sont réciproquement croisées, leurs produits ne diffèrent pas, ce qui montre que les deux éléments sexuels ont un pouvoir égal, et s’accorde avec l’idée qu’ils renferment les mêmes gemmules. Les hybrides et métis sont généralement intermédiaires par leurs caractères aux deux formes parentes, et cependant ils ressemblent quelquefois plus à un des parents sur certains points, et au second sur d’autres, ou même par toute leur conformation ; fait qui se comprend aisément si l’on admet que les gemmules du germe fécondé soient en nombre surabondant, et que celles dérivant d’un des parents aient quelque supériorité de nombre, d’affinité ou de vigueur, sur celles provenant de l’autre. Les formes croisées offrent quelquefois la couleur ou d’autres caractères des deux parents sous forme de taches ou de raies, ce qui peut avoir lieu dès la première génération, ou par retour dans les générations séminales ou par bourgeons subséquentes, ainsi que nous l’ont montré les exemples signalés dans le onzième chapitre. Dans ces cas, nous devons admettre avec Naudin[42], que « l’essence » ou « l’élément » des deux espèces, termes que je traduirai par gemmules, ont de l’affinité pour leurs semblables, et se séparent ainsi en bandes ou en taches distinctes ; nous avons dans le quinzième chapitre, en discutant l’incompatibilité qui paraît exister entre certains caractères, et s’opposer à leur fusion, donné des raisons qui paraissent justifier l’admission d’une affinité mutuelle de ce genre. Lorsqu’on croise deux formes, il n’est pas rare de voir l’une d’entre elles être prépondérante sur l’autre dans la transmission de ses caractères, fait que nous ne pouvons expliquer qu’en supposant encore que l’une des formes a quelque supériorité par le nombre, la vigueur, ou l’affinité de ses gemmules ; à l’exception toutefois des cas où certains caractères sont présents dans une des formes et latents dans l’autre. Ainsi, par exemple, il y a chez tous les pigeons une tendance latente à devenir bleus, et lorsqu’on croise un pigeon bleu avec un d’une couleur quelconque, la teinte bleue est ordinairement prépondérante. Lorsque nous examinerons les caractères latents, l’explication de cette forme de prépondérance sera évidente.

Lorsqu’on croise ensemble deux espèces, on sait qu’elles ne produisent pas leur nombre normal de descendants ; et sur ce point nous ne pouvons que dire que le développement de chaque organisme dépendant d’affinités très-exactement balancées entre une foule de gemmules et d’unités ou cellules à développer, il ne doit pas être étonnant qu’il puisse résulter du mélange de gemmules émanant de deux espèces distinctes un défaut total ou partiel dans le développement. Nous avons montré, au dix-neuvième chapitre, que la stérilité des hybrides provenant de l’union de deux espèces distinctes dépend exclusivement d’une affection spéciale des organes reproducteurs, mais sans que nous puissions dire pourquoi ces organes sont ainsi affectés ; pourquoi des conditions d’existence artificielles, quoique compatibles avec la santé, déterminent la stérilité ; pourquoi enfin la reproduction consanguine longtemps continuée, ou les unions illégitimes des plantes dimorphes et trimorphes, produisent le même résultat. La conclusion que les organes reproducteurs sont seuls affectés, et non l’organisation entière, concorde parfaitement avec l’aptitude inaltérée et même augmentée que manifestent les plantes hybrides à se propager par bourgeons ; car, d’après notre hypothèse, cela implique que les cellules des hybrides émettent des gemmules hybrides, qui s’agrègent en bourgeons, mais ne se réunissent pas dans les organes reproducteurs, pour former les éléments sexuels. De la même manière, un grand nombre de plantes sorties de leurs conditions naturelles, cessent de produire de la graine, mais se propagent activement par bourgeons. Nous verrons bientôt que la pangenèse s’accorde bien avec la tendance prononcée vers le retour que présentent tous les organismes croisés, animaux et végétaux.

Le bourgeonnement ou la scission ne différant dans notre hypothèse de la génération séminale que par le mode primitif de l’agrégation des gemmules, nous pouvons comprendre la possibilité de la formation des hybrides de greffe, lesquels, combinant les caractères des deux formes dont les tissus ont été réunis, relient entre elles de la manière la plus étroite et la plus intéressante, la gemmation avec la reproduction sexuelle.

Nous avons fourni des preuves nombreuses montrant que le pollen d’une espèce ou variété, appliqué sur le stigmate d’une autre, affecte quelquefois directement les tissus de la plante mère. Ce fait, qui lors de la fécondation doit avoir lieu dans bien des plantes, ne peut se constater que lorsqu’on croise des formes distinctes. Dans la théorie ordinaire de la reproduction, ce fait est anormal au plus haut point, car les grains de pollen sont évidemment destinés à agir sur l’ovule ; mais dans ces cas ils agissent sur la couleur, la texture et la forme des enveloppes des graines, sur l’ovaire lui-même qui n’est qu’une feuille modifiée, et quelquefois sur le calice et la partie supérieure du pédoncule floral. D’après l’hypothèse de la pangenèse, le pollen renfermant des gemmules dérivées de toutes les parties de l’organisme, qui se disséminent et se multiplient par division spontanée, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les gemmules du pollen, qui émanent des parties voisines des organes reproducteurs, fussent parfois capables d’affecter les points correspondants de la plante maternelle, pendant qu’ils sont encore en voie de développement. Comme pendant toutes les phases de leur évolution, les tissus des plantes sont formés de cellules, et qu’on ne sache pas qu’il se produise de nouvelles cellules entre les cellules préexistantes et indépendamment d’elles, nous devons conclure que les gemmules provenant du pollen étranger ne se développent pas simplement au contact des cellules préexistantes, mais pénètrent effectivement dans les cellules naissantes de la plante mère ; ce qui peut se comparer à ce qui se passe dans l’acte ordinaire de la fécondation, pendant lequel le contenu des tubes polliniques pénètre dans le sac embryonnaire à l’intérieur de l’ovule, et détermine le développement de l’embryon. D’après cette manière de voir, on pourrait littéralement dire que les cellules de la plante mère sont fécondées par les gemmules émanées du pollen étranger. Dans tous les organismes, on peut de même dire que les cellules ou unités organiques de l’embryon, pendant les phases successives de son évolution, sont fécondées par les gemmules des cellules qui arrivent ensuite dans l’ordre de formation.

Les animaux sont complétement développés lorsqu’ils sont capables de reproduction sexuelle, et il semble à peine possible que l’élément mâle puisse affecter d’une manière aussi directe que dans les plantes les tissus de la mère ; il n’en est pas moins certain que les ovaires de celle-ci sont quelquefois affectés par une fécondation antérieure, au point que les ovules ultérieurement fécondés par un mâle différent portent nettement les traces de l’influence du premier ; ce fait, comme dans le cas d’un pollen étranger, peut se comprendre par la diffusion, la conservation et l’action des gemmules provenant des spermatozoïdes du mâle antérieur.

Chaque organisme arrive à maturité après un cours de développement plus ou moins long. Les changements qu’il éprouve pendant ce temps peuvent être petits et très-lents, comme lorsque l’enfant devient homme ; ou nombreux, brusques et légers, comme dans les métamorphoses de certaines Éphémères ; ou en petit nombre et fortement prononcés, comme dans la plupart des autres insectes. Chaque partie peut se mouler au dedans d’une partie préexistante et correspondante, et dans ce cas elle paraîtra, à tort selon moi, formée aux dépens de la partie précédente, ou bien elle peut se développer dans une partie du corps entièrement distincte, comme dans les cas extrêmes de métagenèse. Un œil peut, par exemple, se développer sur un point où il n’en existait pas auparavant. Nous avons aussi vu que, dans le cours de leurs métamorphoses, certains êtres organisés très-voisins atteignent quelquefois une conformation presque semblable, après avoir passé par des formes intermédiaires très-différentes, ou inversement, arrivent à des formes définitives tout à fait dissemblables, après avoir parcouru des phases d’évolution presque identiques. Il est difficile, dans de pareils cas, de croire que les premières cellules ou unités puissent, indépendamment de toute influence extérieure, avoir la faculté inhérente de produire de nouvelles conformations, différentes par la forme, la situation et la fonction. Mais ces mêmes cas sont très-simples dans l’hypothèse de la pangenèse. Les unités organiques, à chaque phase de l’évolution, émettent des gemmules qui, se multipliant, sont transmises au descendant. Aussitôt que dans ce dernier une cellule ou unité particulière se développe partiellement, suivant l’ordre normal de l’évolution, elle s’unit à la gemmule de la cellule suivante, ou est fécondée par elle et ainsi de suite. Maintenant supposons qu’à un état quelconque de l’évolution, certaines cellules ou agrégations de cellules aient été légèrement modifiées par l’action de quelque cause perturbatrice ; les gemmules émises par ces cellules étant semblablement affectées, reproduiront par conséquent la même modification. Cette marche pourrait se répéter jusqu’à ce que la conformation de la partie, à cet état particulier du développement, fût considérablement changée, sans que d’autres parties antérieurement ou ultérieurement développées dussent pour cela en être nécessairement affectées. Nous pouvons de cette manière comprendre l’indépendance remarquable qui existe entre les conformations dans les métamorphoses, et surtout dans les métagenèses successives d’un grand nombre d’animaux.

Le terme de « croissance » devrait être rigoureusement et exclusivement appliqué à l’augmentation de grandeur, et celui de « développement » réservé aux changements de conformation[43]. On dit qu’un enfant devient par croissance un homme, et un poulain un cheval ; mais comme, pendant cet intervalle, il s’opère de grands changements de conformation, il s’agit bien plutôt d’un fait de développement. C’est ce que nous prouvent indirectement les nombreuses variations et maladies qui, apparaissant à une période particulière de la soi-disant croissance, deviennent héréditaires à l’époque correspondante. Dans les cas, toutefois, de maladies survenant dans la vieillesse, postérieurement à l’époque ordinaire de la reproduction, et qui sont néanmoins quelquefois héréditaires, comme cela arrive pour certaines affections du cerveau et du cœur, nous devons admettre que les organes ont été de fait atteints plus tôt et ont, à cette époque, émis des gemmules affectées, mais que l’affection n’est devenue apparente et nuisible qu’après la croissance prolongée de l’organe dans le sens strict du terme. Dans tous les changements de conformation qui surviennent régulièrement dans un âge avancé, nous voyons les effets d’une détérioration de croissance et non d’un vrai développement.

Dans la génération alternante, des individus sont engendrés asexuellement pendant des phases antérieures ou postérieures du développement. Ces individus peuvent ressembler beaucoup aux formes larvaires précédentes, mais ils en sont généralement fort différents. Pour comprendre cette marche, il nous faut supposer qu’à un certain point de l’évolution, les gemmules se multiplient très-rapidement, et s’agrègent par affinité mutuelle en un grand nombre de centres d’attraction ou bourgeons. Ceux-ci doivent renfermer des gemmules, non-seulement de toutes les phases postérieures, mais aussi de toutes les phases antérieures du développement, car lorsqu’ils sont mûrs, ils sont capables de transmettre par génération sexuelle des gemmules de tous les états, si nombreux qu’ils puissent être. Nous avons montré dans la première partie, en ce qui concerne les animaux du moins, que les nouveaux êtres qui sont ainsi engendrés asexuellement, à quelque période que ce soit, ne rétrogradent pas dans leur développement, — c’est-à-dire ne passent pas par les premières phases que doit parcourir le germe fertilisé du même animal, et nous avons tenté une explication de ce fait en ce qui concerne sa cause téléologique. Nous pouvons également en comprendre la cause prochaine, si nous faisons la supposition, qui n’a rien d’improbable, que les bourgeons, comme les fragments d’une hydre hachée en morceaux, sont formés d’un tissu qui a déjà traversé plusieurs des premières phases du développement, car dans ce cas leurs cellules ou unités composantes ne s’uniraient pas aux gemmules dérivées de cellules antérieurement formées, mais seulement à celles venant ensuite dans l’ordre du développement. D’autre part, nous devons croire que dans les éléments sexuels, ou probablement dans la femelle seule, il doit exister des gemmules de certaines cellules primordiales qui, aussitôt que leur développement commence, s’unissent suivant une succession voulue, aux gemmules de toutes les parties du corps, depuis la première jusqu’à la dernière période de la vie.

Le principe de la formation indépendante de chaque partie, en tant que son développement dépende de l’union des gemmules convenables avec certaines cellules naissantes, et de la surabondance des gemmules dérivées des deux parents et multipliées spontanément, éclaircit un groupe de faits fort différent qui, dans les idées ordinaires qui règnent sur le développement, paraît fort étrange. Je veux parler des organes qui sont anormalement transposés ou multipliés. Ainsi les poissons dorés ont des nageoires surnuméraires placées sur diverses parties de leur corps. Nous avons vu que lorsque la queue d’un lézard se rompt, il s’en reproduit quelquefois une double, et que quand on divise longitudinalement la patte d’un triton, il se forme quelquefois des doigts additionnels. Lorsque des grenouilles, crapauds, etc., naissent avec leurs membres doubles, cette duplication, selon la remarque de Gervais[44], ne peut être due à la fusion complète à l’exception des membres, de deux embryons, puisque les larves sont privées de membres. Le même argument est applicable[45] à certains insectes pourvus de membres ou d’antennes multiples, qui proviennent aussi de la métamorphose de larves apodes ou privées d’antennes. Milne Edwards[46] a décrit le cas curieux d’un crustacé dans lequel un des pédoncules oculaires portait au lieu d’un œil complet, une cornée imparfaite, sur le centre de laquelle s’était développée une portion d’antenne. On a consigné le cas d’un homme[47] qui avait eu dans ses deux dentitions, une dent molaire à la place de la deuxième incisive de gauche, particularité qu’il tenait de son grand-père paternel. On connaît plusieurs cas de dents[48] supplémentaires s’étant développées sur le palais, surtout chez les chevaux, et dans l’orbite de l’œil. Certaines races de moutons portent plusieurs cornes sur le front. On voit quelquefois apparaître des poils dans des situations singulières, comme dans les oreilles de la famille Siamoise velue ; on a même trouvé dans la substance du cerveau, des poils tout à fait normalement conformés[49]. Certains coqs de combat ont eu jusqu’à cinq ergots sur la patte. Dans la race Huppée, la huppe du coq est formée de plumes sétiformes comme celles de son cou, tandis que chez la poule elle est composée de plumes ordinaires. Dans les pigeons et poules à pattes emplumées, on voit pousser sur le côté externe des pattes et des doigts des plumes semblables à celles de l’aile. Les parties élémentaires d’une même plume peuvent même se transposer, car dans l’oie de Sébastopol, il se développe des barbules sur les filaments divisés de la tige.

Des cas analogues sont si fréquents chez les plantes qu’ils ne nous frappent pas, et que nous ne leur accordons pas l’attention qu’ils méritent. Des pétales, étamines et pistils surnuméraires se produisent très-souvent. J’ai vu une foliole de la feuille composée du Vicia sativa convertie en une vrille ; or, les vrilles possèdent souvent des propriétés particulières, telles que le mouvement spontané et l’irritabilité. Le calice revêt souvent, en totalité ou par bandes, la couleur et la texture de la corolle. Les étamines sont si fréquemment converties plus ou moins complétement en pétales, qu’on n’y fait aucune espèce d’attention ; mais comme les pétales ont des fonctions spéciales à remplir, telles que de protéger les organes qu’ils enveloppent, d’attirer les insectes, et, dans bien des cas, de diriger leur entrée par des dispositions spéciales, nous ne pouvons guère expliquer la conversion des étamines en pétales simplement par un excès de nourriture. On peut occasionnellement trouver le bord d’un pétale renfermant un des produits les plus élevés de la plante, à savoir le pollen ; ainsi, j’ai vu sur un Ophrys, une masse de pollen constituée par de petits paquets unis ensemble et au caudicule par des fils élastiques, située entre les bords d’un pétale supérieur. Des segments du calice du pois commun, partiellement convertis en carpelles, renfermant des ovules, et dont les extrémités étaient devenues des stigmates, ont été observés. On pourrait citer un très-grand nombre de faits analogues[50].

Je ne sais ce que pensent les physiologistes de faits comme ceux qui précèdent. D’après la pangenèse, les gemmules libres et surabondantes des organes transposés se seraient développées dans un mauvais endroit, pour s’être improprement réunies avec des cellules ou des agrégations de cellules pendant leur état naissant, ce qui pourrait provenir d’une légère modification dans l’affinité élective de ces cellules, ou peut-être de certaines gemmules. Nous ne devons pas nous étonner que les affinités des cellules et gemmules varient sous l’influence de la domestication, si nous nous rappelons les cas curieux signalés au chapitre dix-septième, de plantes cultivées qui refusent absolument d’être fécondées par leur propre pollen ou par celui de la même espèce, mais sont très-fertiles par le pollen d’une espèce distincte ; ce qui implique que leurs affinités électives sexuelles — c’est le terme employé par Gärtner — ont été modifiées. Comme les cellules de parties adjacentes ou homologues auront à peu près la même nature, elles seront aptes à acquérir par variation les affinités électives mutuelles les unes des autres, et nous pourrons ainsi, jusqu’à un certain point, comprendre les cas, comme les cornes nombreuses sur la tête de certains moutons, la présence de plusieurs ergots sur les pattes, de plumes sétiformes sur la tête de certaines races gallines, et l’apparition chez les pigeons, sur les pattes, de plumes et d’une membrane interdigitale, car la jambe est l’homologue de l’aile. Comme tous les organes des plantes sont homologues et partent d’un axe commun, il est tout naturel qu’ils soient très-sujets à transposition. Il faut remarquer que lorsqu’une partie composée, telle qu’un membre ou une antenne supplémentaires, part d’une fausse position, il suffit pour cela que les premières gemmules aient été mal attachées, puisqu’en se développant, elles attirent les autres suivant une succession voulue, comme dans la régénération d’un membre amputé. Lorsque des parties qui sont homologues et semblables par leur structure, comme les vertèbres chez les serpents, ou les étamines des fleurs polyandriques, etc., se répètent fréquemment dans le même organisme, des gemmules très-voisines par leur nature doivent être fort nombreuses, ainsi que les points avec lesquels elles doivent s’unir ; nous pouvons donc, d’après ce qui précède, comprendre jusqu’à un certain point la loi posée par Isidore-Geoffroy Saint-Hilaire, que les parties qui sont déjà multiples, soient très-sujettes à varier par le nombre.

Les mêmes principes généraux s’appliquent à la fusion des parties homologues ; et, quant aux simples adhérences, elles doivent probablement être toujours accompagnées de quelque degré de fusion, au moins près de la surface. Lorsque, pendant leur premier développement, deux embryons arrivent en contact, comme tous deux renferment des gemmules correspondantes, qui sous tous les rapports doivent être de nature identique, il n’est pas étonnant que les gemmules dérivées des deux embryons se réunissent au point de contact à une ou plusieurs cellules naissantes, et produisent ainsi une partie ou organe unique. Deux embryons pourraient ainsi arriver à avoir sur les côtés adjacents un bras unique et symétrique, qui, dans un certain sens, aurait été formé par la fusion des os, muscles, etc., appartenant aux bras des deux individus. Dans le cas décrit par Lereboullet chez un poisson, dans lequel une tête double s’est graduellement fondue en une seule, les choses ont dû se passer de la même manière, outre la résorption de toutes les parties déjà formées. Ces cas sont précisément l’inverse de ceux dans lesquels une partie se double spontanément ou à la suite d’une lésion ; car, dans le cas du doublement, les gemmules surabondantes de la même partie se développent séparément en s’unissant aux points adjacents ; tandis que dans les cas de fusion, les gemmules dérivées de deux parties homologues se confondent pour n’en former qu’une seule : il se peut aussi que les gemmules d’un des deux embryons adjacents se développent seules.

La variabilité, ainsi que j’ai cherché à le montrer, dépend souvent de ce que les organes reproducteurs sont influencés d’une manière défavorable par des changements dans les conditions extérieures ; et dans ce cas, les gemmules, émanant des diverses parties du corps, se sont probablement agrégées d’une manière irrégulière, quelques-unes étant superflues, d’autres insuffisantes. Nous ne saurions dire si une surabondance des gemmules, jointe à leur fusion pendant le développement, pourrait déterminer l’augmentation de taille de quelque partie ; mais nous pouvons voir que leur défaut partiel, sans entraîner nécessairement l’atrophie complète d’un organe, peut y causer des modifications considérables ; car, de même qu’une plante peut être aisément hybridisée si son propre pollen est exclu, de même une cellule, si les gemmules voulues venaient à faire défaut, se combinerait probablement facilement avec d’autres gemmules analogues. Nous voyons quelque chose de ce genre dans le cas d’ongles imparfaits qui poussent sur les tronçons de doigts amputés[51], car les gemmules d’ongles se sont évidemment développées sur le point le plus rapproché.

Dans les variations causées par l’action directe du changement dans les conditions, qu’elles soient ou non d’une nature définie, telles que celles qu’ont subies les toisons des moutons dans les pays chauds, le maïs croissant dans les pays froids, la goutte héréditaire, etc. ; les tissus du corps sont, d’après la doctrine de la pangenèse, directement affectés par les nouvelles conditions, et émettent par conséquent des gemmules modifiées qui se transmettent à la descendance avec leurs nouvelles particularités. Dans la manière de voir ordinaire, il est impossible de comprendre comment le changement de conditions, qu’il agisse sur l’embryon, le jeune animal ou sur l’adulte, puisse déterminer des variations héréditaires. Il est également incompréhensible que les effets de l’usage ou du défaut d’usage longtemps continués, ou de modifications d’habitudes corporelles ou mentales, puissent être héréditaires. On ne saurait guère poser un problème plus compliqué ; mais, selon notre manière de voir, nous n’avons qu’à supposer que certaines cellules finissent par se modifier aussi bien dans leur structure que dans leurs fonctions, et qu’elles émettent alors des gemmules similairement modifiées. Ceci peut arriver à toute époque du développement, et la modification sera ensuite héréditaire à la période correspondante, car les gemmules modifiées s’uniront dans tous les cas ordinaires avec les cellules précédentes, et se développeront par conséquent à la période même à laquelle la modification avait d’abord apparu. Quant aux habitudes mentales ou instincts, nous connaissons si peu les rapports qui existent entre la pensée et le cerveau, que nous ne savons si une habitude invétérée peut provoquer quelque changement dans le système nerveux ; mais lorsqu’une habitude ou un attribut mental, ou la folie sont héréditaires, nous devons admettre qu’il y a réellement eu transmission de quelque modification effective[52] ; ce qui, selon notre hypothèse, impliquerait que des gemmules dérivées de cellules nerveuses modifiées, se transmettent à la descendance.

Il est généralement, peut-être toujours, nécessaire qu’un organisme soit, pendant plusieurs générations, exposé à des conditions ou des habitudes modifiées, pour qu’il en résulte chez ses descendants un changement dans la conformation. Ceci peut être en partie dû à ce que les changements ne sont d’abord pas assez apparents pour attirer l’attention ; mais cette explication est insuffisante, et je ne puis me rendre compte du fait, sinon par la supposition qu’appuient fortement quelques cas dont nous parlerons en traitant du retour, que les gemmules émises par la cellule avant qu’elle ait éprouvé aucune modification, sont transmises en grand nombre aux générations successives, mais que les gemmules provenant des mêmes cellules après modification, s’augmentant naturellement sous l’influence de conditions favorables, finissent par devenir assez nombreuses pour prévaloir sur les anciennes gemmules et les supplanter.

Signalons encore une autre difficulté : nous avons vu qu’il y a dans leur fréquence, quoique pas dans leur nature, des différences importantes entre les variations des plantes propagées par génération sexuelle et asexuelle. En tant que la variabilité dépende d’une action imparfaite des organes reproducteurs, motivée par des changements dans les circonstances extérieures, nous voyons d’emblée pourquoi les plantes levées de graine doivent être plus variables que celles qui se propagent par bourgeons. Nous savons que des causes fort minimes, — le fait, par exemple, qu’un arbre a été greffé, ou a crû sur son propre tronc, la position des graines dans leurs capsules ou celle des fleurs sur l’épi, — suffisent quelquefois pour provoquer une variation dans une plante levée de graine. Or il est probable, comme nous l’avons expliqué en parlant de la génération alternante, que le bourgeon est formé d’une portion de tissu déjà différencié ; par conséquent, un organisme ainsi constitué ne passera pas par les premières phases du développement, et se trouvera, à un âge où sa conformation serait le plus facilement modifiable, moins exposé aux causes diverses qui peuvent provoquer la variabilité ; mais il est possible que cette explication de la difficulté soit encore insuffisante.

Quant à la tendance au retour, on peut remarquer des différences semblables entre les plantes propagées par bourgeons ou par graines. Un grand nombre de variétés, qu’elles aient été produites originellement par l’un ou l’autre mode, peuvent être sûrement propagées par bourgeons, mais font généralement, ou même toujours, retour par graine. Ainsi encore, les plantes hybrides peuvent être multipliées autant qu’on le veut par bourgeons, mais sont toujours sujettes à faire retour lorsqu’on les propage par graine, — c’est-à-dire à perdre leurs caractères hybrides ou intermédiaires. Je ne trouve aucune explication satisfaisante de ce fait. Voici encore un exemple plus embarrassant : certaines plantes à feuillage panaché, des Phlox à fleurs rayées, des épines-vinettes à fruits sans graines, peuvent tous être propagés avec certitude par les bourgeons de boutures, mais les bourgeons qui se développent sur les racines de ces boutures, perdent presque invariablement leurs caractères, et font retour à leur état antérieur.

Nous voyons finalement que, dans l’hypothèse de la pangenèse, la variabilité dépend d’au moins deux groupes de causes distinctes. Premièrement, du défaut, de la surabondance, de la fusion et de la transposition des gemmules, et du redéveloppement de celles qui ont pu longtemps demeurer à un état dormant. Dans ces cas, les gemmules elles-mêmes n’ont subi aucune modification, mais les changements sur les points précités peuvent amplement justifier une variabilité flottante assez considérable. Secondement, pour les cas dans lesquels l’organisation a pu être modifiée par un changement dans les conditions d’existence, l’augmentation ou la diminution dans l’usage des parties, ou toute autre cause, les gemmules émises par les unités modifiées du corps entier, seront elles-mêmes modifiées, et se développeront en conformations nouvelles et différentes, lorsqu’elles auront été suffisamment multipliées.

Passons à l’hérédité : si nous supposons qu’un protozoaire homogène et gélatineux varie et prenne une couleur rougeâtre, un de ses atomes détachés conserverait naturellement la même couleur, une fois complétement développé, et nous aurions là la forme la plus simple de l’hérédité[53]. On peut en dire de même des unités infiniment nombreuses et diversifiées constituant le corps entier d’un animal supérieur, atomes séparés qui sont précisément nos gemmules. Nous avons déjà suffisamment discuté l’hérédité des effets directs causés par le changement dans les conditions d’existence, par l’augmentation ou la diminution de l’usage, ainsi que le fait important de la transmission héréditaire aux âges correspondants. Ces divers groupes de faits qui, dans l’hypothèse de la pangenèse, deviennent intelligibles, ne le sont dans aucune des hypothèses qui ont jusqu’à présent été proposées.

Ajoutons quelques mots sur l’atrophie ou la suppression complète des organes. Lorsqu’à la suite d’un défaut d’usage prolongé pendant un grand nombre de générations, une partie se réduit dans ses dimensions, elle tend, comme nous l’avons déjà expliqué, à se réduire toujours davantage, en vertu du principe de l’économie de croissance ; mais ceci n’explique pas la disparition complète, ou à peu près, d’une petite papille de tissu cellulaire représentant par exemple un pistil, ou d’un nodule osseux microscopique représentant une dent. Dans quelques cas de suppression encore incomplète, et dans lesquels on voit, par un effet de retour, reparaître parfois un rudiment d’une partie, il faut, d’après notre manière de voir, que des gemmules disséminées, provenant de cette partie, existent encore ; d’où nous devons supposer que les cellules, par union avec lesquelles le rudiment se développait autrefois, manquent, dans ces cas, d’affinité pour ces gemmules. Mais dans les cas d’atrophie totale, les gemmules ont sans doute disparu ; chose qui n’a rien d’improbable, car bien qu’il puisse y avoir, disséminées dans chaque être vivant, une quantité immense de gemmules, tant actives que dormantes, leur nombre doit être cependant limité ; et il semble naturel que des gemmules provenant d’un rudiment affaibli et inutile, soient plus sujettes à périr que celles émanant d’autres parties encore dans un état parfait d’activité fonctionnelle.

En ce qui concerne les mutilations, il est certain qu’une partie peut être lésée ou enlevée pendant plusieurs générations, sans qu’il en résulte aucun effet héréditaire, et ce fait constitue, contre notre hypothèse, une objection apparente qui n’échappera à personne. Mais, premièrement, un être ne peut guère être intentionnellement mutilé pendant les premières phases de son évolution dans l’utérus ou dans l’œuf ; et de pareilles mutilations, lorsqu’elles ont une cause naturelle, paraissent être des défectuosités congénitales, qui sont quelquefois héréditaires. En second lieu, d’après notre hypothèse, les gemmules se développent par division spontanée, et se transmettent de génération en génération, de manière à être présentes pendant une longue période, et prêtes à reproduire une partie dont l’ablation aurait été répétée. Il semble néanmoins, d’après les faits donnés au chapitre douzième, que des mutilations sont devenues héréditaires dans quelques cas fort rares, mais dans la plupart desquels les surfaces mutilées étaient devenues malades. On peut, dans ces cas, conjecturer que les gemmules de la partie enlevée, ayant été toutes graduellement attirées vers la surface malade, auront ainsi été détruites. Bien que le fait n’ait lieu que dans l’individu lésé seul, par conséquent chez un seul des parents, cela pourrait suffire pour qu’une mutilation fût héréditaire, pour la même raison qu’un animal sans cornes de l’un ou l’autre sexe, croisé avec un animal complet du sexe opposé, transmet souvent son anomalie à sa descendance.

Le dernier point que nous avons encore à discuter, le retour, repose sur ce principe que la transmission et le développement constituent deux propriétés distinctes, bien qu’elles agissent généralement ensemble ; et la transmission des gemmules et leur développement subséquent nous montrent comment est possible l’existence de ces deux pouvoirs distincts. Cette distinction est très-visible dans les cas nombreux où un grand-père transmet à son petit-fils, par sa fille, des caractères que celle-ci n’a pas ou ne peut pas avoir. Nous ne pouvons en aucune manière savoir pourquoi le développement de certains caractères, qui ne sont pas nécessairement liés aux organes reproducteurs, se trouve restreint à un sexe seul, — c’est-à-dire pourquoi certaines cellules d’un sexe s’unissent à certaines gemmules et en déterminent le développement ; — mais c’est en fait l’attribut commun à la plupart des êtres organisés chez lesquels les sexes sont séparés.

La distinction entre la transmission et le développement est également très-manifeste dans tous les cas ordinaires de retour ; mais avant de discuter ce point, je crois devoir dire quelques mots de ces caractères que j’ai appelés latents, et qu’on ne peut faire rentrer sous le chef du retour dans le sens usuel du terme. La plupart des caractères secondaires qui appartiennent à un sexe, ou peut-être tous, sont latents dans l’autre ; c’est-à-dire que des gemmules capables de se développer en caractères sexuels secondaires mâles, sont incluses dans la femelle, et qu’inversement des caractères féminins le sont dans le mâle. Nous ne savons point clairement pourquoi il se développe certaines gemmules masculines chez une femelle dès que ses ovaires cessent leurs fonctions ou deviennent malades ; pourquoi, après castration, les cornes du jeune taureau continuent à croître jusqu’à ressembler à celles de la vache ; ou pourquoi, chez le cerf, soumis à la même opération, les gemmules des andouillers que lui ont transmises ses ancêtres ne se développent pas du tout. Mais, dans bien des cas, chez les êtres organisés variables, les affinités mutuelles des cellules et des gemmules sont modifiées, de sorte que certaines parties sont multipliées ou transposées ; et il semble qu’un léger changement dans la constitution d’un animal, lié à l’état des organes reproducteurs, entraîne une modification dans les affinités des tissus des diverses parties du corps. Ainsi, lorsque les animaux mâles atteignent l’âge de puberté, et ensuite à chaque nouvelle saison, certaines cellules acquièrent quelque affinité pour certaines gemmules, qui se développent et forment les caractères masculins secondaires ; mais si les organes reproducteurs sont détruits, ou même temporairement troublés par des changements de conditions, ces affinités ne sont pas excitées. Néanmoins, avant qu’il arrive à la puberté, et dans l’intervalle des époques de la reproduction, le mâle doit renfermer à un état latent les gemmules nécessaires. Le cas singulier que nous avons cité d’une poule ayant revêtu les caractères masculins, non de sa propre race, mais d’un ancêtre éloigné, démontre la connexion qui existe entre les caractères sexuels latents et le retour ordinaire. Chez les animaux ou plantes qui produisent ordinairement plusieurs formes, comme certains papillons décrits par M. Wallace, chez lesquels il existe trois formes femelles et le mâle, ou les espèces trimorphes de Lythrum et d’Oxalis, il faut qu’il y ait, dans chaque individu, des gemmules latentes propres à reproduire ces formes très-diverses.

On peut appliquer le principe de latence des caractères, combiné avec la transposition des organes, à ces cas singuliers de papillons et d’autres insectes, dans lesquels une moitié ou un quart du corps ressemblent au mâle et le reste à la femelle ; d’où il résulte que les côtés opposés du corps, séparés par une ligne tranchée, diffèrent quelquefois de la manière la plus apparente. On peut encore l’appliquer aux cas cités dans le treizième chapitre, relatifs à la différence qui se remarque entre les côtés droit et gauche du corps, dans l’enroulement en spirale de certains mollusques, et dans le genre Verrucaria chez les Cirrhipèdes ; car on sait que dans ces cas, l’un et l’autre côté peuvent indifféremment présenter le même changement remarquable de développement.

Le retour, dans le sens ordinaire du mot, intervient si constamment qu’il constitue évidemment une partie essentielle de la loi générale de l’hérédité. Il a lieu chez les êtres qui se propagent par génération séminale ou par bourgeons, et peut même s’observer sur un même individu à mesure qu’il avance en âge. La tendance au retour est souvent provoquée par un changement dans les conditions, et l’est très-évidemment par l’acte du croisement. Les formes croisées sont d’abord généralement intermédiaires par leurs caractères aux formes parentes ; mais dès la génération suivante elles font ordinairement retour vers un ou vers leurs deux grands-parents, et quelquefois vers des ancêtres plus éloignés. Comment nous expliquer ces faits ? Chaque unité organique d’un hybride doit, d’après la doctrine de la pangenèse, émettre une foule de gemmules hybrides, car les plantes croisées se propagent facilement et largement par bourgeons ; mais d’après la même hypothèse, il doit y avoir également des gemmules dormantes émanant des deux formes parentes pures ; et ces dernières conservant leur état normal, doivent être probablement aptes à se multiplier largement pendant la vie de chaque hybride. Les éléments sexuels d’un hybride renfermeront donc à la fois des gemmules pures et hybrides ; et lorsqu’on appariera deux hybrides, la combinaison de gemmules pures provenant de l’un des hybrides, avec les gemmules également pures dérivées des mêmes points de l’autre, déterminera nécessairement un retour complet des caractères ; car il n’est peut-être pas trop téméraire de supposer que des gemmules de même nature inaltérées et non modifiées, doivent être tout particulièrement aptes à se combiner. Les gemmules pures combinées avec des gemmules hybrides détermineront un retour partiel. Enfin, les gemmules hybrides provenant des deux parents reproduiront simplement la forme hybride[54]. Tous ces cas et degrés de retour s’observent constamment.

Nous avons montré dans le quinzième chapitre que certains caractères paraissent antagonistes et ne peuvent se fusionner ensemble ; de là, lorsqu’on croise deux animaux présentant des caractères de ce genre, il pourrait arriver qu’il n’y eût pas chez le mâle seul assez de gemmules pour la reproduction de ses caractères spéciaux, et de même chez la femelle ; dans ce cas, les gemmules dormantes et provenant de quelque ancêtre reculé, pourraient l’emporter et déterminer ainsi la réapparition de caractères dès longtemps perdus. Ainsi, par exemple, lorsqu’on croise des volailles ou des pigeons blancs et noirs — couleurs qui ne se fondent pas volontiers — on voit réapparaître dans le premier cas le plumage rouge du Gallus bankiva sauvage, et dans le second cas le plumage bleu du bizet. Le même résultat pourrait encore avoir lieu dans des conditions qui favoriseraient la multiplication et le développement de certaines gemmules dormantes, comme lorsque les animaux redeviennent sauvages et font retour à leurs caractères primitifs. Un certain nombre de gemmules étant nécessaire pour le développement de chaque caractère, puisque nous savons qu’il faut la présence de plusieurs spermatozoïdes ou grains de pollen pour la fécondation, et le temps devant favoriser leur multiplication, nous pourrions par là comprendre quelques cas curieux signalés par M. Sedgwick, relatifs à certaines maladies qui apparaissent régulièrement d’une manière alternante. Il en est de même pour d’autres modifications faiblement héréditaires. On a souvent remarqué que certaines maladies paraissent se renforcer dans l’intervalle d’une génération. La transmission de gemmules dormantes pendant plusieurs générations successives n’a en soi rien de plus improbable, ainsi que nous l’avons précédemment remarqué, que la conservation pendant un grand nombre de générations, d’organes rudimentaires, ou seulement de la tendance à la production d’un rudiment ; mais il n’y a pas lieu cependant de supposer que toutes les gemmules dormantes doivent se transmettre et se propager perpétuellement. Si petites et nombreuses qu’on puisse les supposer, l’organisme ne saurait entretenir et conserver un nombre infini de gemmules, émanées de chaque cellule de chaque ancêtre, pendant un cours prolongé de descendance et de modifications. D’autre part, il ne semble pas improbable que certaines gemmules puissent, dans des conditions favorables, être conservées et se multiplier pendant une période plus longue que d’autres. En définitive, les idées que nous venons d’exposer semblent élucider dans une certaine mesure, le fait étonnant qu’un enfant peut s’écarter du type de ses deux parents, et ressembler à ses grands-parents ou même à des ancêtres éloignés par un nombre considérable de générations.

Conclusion. — Appliquée aux diverses grandes classes de faits que nous venons de discuter, l’hypothèse de la pangenèse est sans doute fort complexe, mais les faits à expliquer ne le sont pas moins. Les suppositions sur lesquelles repose l’hypothèse ne sont cependant pas très-compliquées — à savoir, que les unités organiques possèdent à côté de la propriété qu’on leur reconnaît ordinairement de s’accroître par division sponnée, celle d’émettre des gemmules ou des parcelles libres infiniment ténues de leur contenu. Celles-ci se multiplient et s’agrègent pour former les bourgeons et les éléments sexuels ; leur développement dépend de leur union avec d’autres unités ou cellules naissantes, et elles peuvent être transmises à un état dormant aux générations successives.

Dans un animal complexe et doué d’une organisation supérieure, les gemmules émises par chaque cellule ou unité du corps, doivent être infiniment nombreuses et petites. Chaque unité de chaque partie doit émettre ses gemmules, à mesure qu’elle change pendant le cours du développement, dont le nombre des phases peut être très-considérable, comme chez quelques insectes par exemple. Tous les êtres organisés doivent, en outre, renfermer des gemmules dormantes dérivées de leurs grands-parents et de leurs ancêtres encore plus éloignés, mais pas de tous. Ces gemmules presque infiniment petites et nombreuses doivent se trouver dans chaque bourgeon, ovule, spermatozoïde et grain de pollen. Une pareille supposition est inadmissible, dira-t-on, mais il faut se rappeler que nombre et grandeur ne sont que des difficultés relatives, et que certains animaux ou plantes peuvent produire un nombre d’œufs ou de graines qui dépasse notre conception.

Les parcelles organiques qui, émises par certains animaux odorants, imprègnent l’atmosphère sur de grandes étendues, doivent être infiniment nombreuses et ténues ; elles affectent cependant avec force les nerfs olfactifs. Les molécules contagieuses de certaines maladies qui sont assez fines pour flotter dans l’atmosphère et adhérer sur du papier glacé, en sont encore un exemple frappant ; et on sait à quel point elles se multiplient dans le corps humain, et quelle est la puissance de leur action. Il existe des organismes indépendants à peine visibles à l’aide des plus puissants grossissements auxquels nos meilleurs microscopes peuvent atteindre, et qui sont probablement aussi gros que les cellules ou unités des animaux supérieurs ; et cependant ces organismes doivent sans doute se reproduire par des germes excessivement petits, relativement à leur dimension, qui est déjà si réduite. L’objection tirée de la difficulté, qui paraît d’abord insurmontable, d’admettre l’existence de gemmules aussi nombreuses et aussi petites que l’exige notre hypothèse, n’a donc pas un grand poids.

Les cellules ou unités du corps sont, d’après l’opinion générale des physiologistes, regardées comme ayant leur autonomie, comme les bourgeons d’un arbre, mais à un moindre degré. Je fais un pas de plus, et je suppose qu’elles émettent des gemmules reproductrices. Ainsi l’animal n’engendre pas son espèce, comme un tout, par la seule action de son système reproducteur, mais chaque cellule séparée engendre son propre type. Les naturalistes ont souvent dit que chaque cellule d’une plante a la capacité réelle ou potentielle de reproduire la plante entière, mais elle ne jouit de cette propriété que parce qu’elle contient des gemmules provenant de toutes ses parties. Si notre hypothèse est provisoirement acceptée, nous devons considérer toutes les formes de reproduction asexuelle, qu’elles aient lieu à l’état adulte, ou, comme dans les cas de génération alternante, pendant le jeune âge, comme étant fondamentalement les mêmes et dépendant de l’agrégation mutuelle et de la multiplication des gemmules. La régénération d’un membre amputé ou la cicatrisation d’une blessure se font d’après le même procédé agissant partiellement. La génération sexuelle diffère sous quelques rapports importants, principalement, à ce qu’il semble, en ce que le nombre de gemmules agrégées dans chaque élément sexuel séparé est insuffisant, et peut-être aussi par la présence de certaines cellules primordiales. Le développement de chaque être, en comprenant toutes les formes de métamorphose et de métagenèse, ainsi que la croissance des animaux plus élevés dans l’échelle, chez lesquels la conformation ne change pas d’une manière frappante, dépend de la présence de gemmules émises à toutes les époques de la vie, et de leur développement à une période correspondante, par union avec les cellules précédentes, qui sont, pour ainsi dire, fécondées par les gemmules dont l’ordre de développement appelle le tour. L’acte de fécondation ordinaire, et le développement de chaque être seraient donc des faits très-analogues. L’enfant, à parler rigoureusement, ne devient pas homme, mais comprend des germes qui, par leur développement lent et successif, finissent par constituer l’homme ; et dans l’enfant comme chez l’adulte, chaque partie engendre la même partie, pour la génération suivante. L’hérédité ne doit être considérée que comme une forme de croissance, analogue à la division spontanée d’une plante unicellulaire de l’organisation la plus simple. Le retour dépend de ce que l’ancêtre transmet à ses descendants des gemmules dormantes, qui, occasionnellement, peuvent se développer sous l’influence de causes connues ou inconnues. Chaque animal ou plante peut être comparé à un terrain rempli de graines, dont la plupart germent promptement, une portion demeure quelque temps à un état dormant, tandis que d’autres périssent. Lorsque nous entendons dire qu’un homme porte dans sa constitution les germes d’une maladie héréditaire, cette expression est littéralement vraie. Finalement, la propriété de propagation dont est douée chaque cellule séparée, détermine la reproduction, la variabilité, le développement et le renouvellement de tout organisme vivant. Je ne sache pas que jusqu’à présent, et tout imparfaite que soit celle que je viens de développer, aucune tentative pour ramener à un point de vue unique ces divers ordres de faits, ait encore été faite. Nous ne pouvons sonder la complexité merveilleuse d’un être organisé, complexité qui est loin d’être diminuée par notre hypothèse. Il faut considérer chaque être vivant comme un microcosme, — un petit univers, composé d’une foule d’organismes aptes à se reproduire par eux-mêmes, d’une petitesse inconcevable, et aussi nombreux que les étoiles du firmament.



  1. Paget, Lectures on Pathology, 1853, p. 159.
  2. Dr  Lachmann (Ann. and Mag. of Nat. Hist., 2e  série, t. XIX, 1857, p. 231) remarque, au sujet des infusoires, que la scission et la gemmation passent insensiblement l’une à l’autre. M. W. C. Minor, Ann. and Mag., etc., 3e  série, t. XI, p. 328, montre que chez les Annélides la distinction qu’on a faite entre les deux modes n’est pas fondamentale. Bonnet, Œuvres d’hist. nat., t. v, 1781, p. 339, pour remarques sur le bourgeonnement des membres amputés chez les salamandres. Voir aussi prof. Clark, Mind in Nature, New-York, 1865, p. 62, 94.
  3. Paget, O. C., p. 158.
  4. Id., ibid., p. 152, 164.
  5. Sur la reproduction asexuelle de larves de Cecidomyides, trad. dans Ann. and Mag. Nat. History, mars 1866. p. 161, 171.
  6. Quatrefages, Ann. des sc. nat., 3e  série, 1850, p. 138, pour quelques remarques sur ce point.
  7. Ann. and Mag. of Nat. Hist., 2e  série, t. xx, 1857, p. 153–155.
  8. Ann. des sciences nat., 3e  série, 1850, t. XIII.
  9. Trans. Phil. Soc., 1851, p. 196, 208, 210 ; 1853, p. 245, 247.
  10. Beitræge zur Kenntniss, etc., 1844, p. 345.
  11. Nouvelles archives du Muséum, t. I, p. 27.
  12. Cité par Sir J. Lubbock, dans Nat. Hist. Review, 1862, p. 345.
  13. Trans. Linn. Soc., t. XXIV, 1863, p. 62.
  14. Parthenogenesis, 1849, p. 25–26. Le prof. Huxley a publié quelques excellentes remarques sur ce point (Medical Times, 1856, p. 637), au sujet du développement des astéries, et montre comment la métamorphose passe singulièrement et graduellement à la gemmation, qui est en fait la même chose que la métagenèse.
  15. Prof. J. Reay Greene, dans Günther’s, Record of Zoolog., Lit., 1865, p. 625.
  16. Fritz Müller, Für Darwin, 1864, p. 65, 71. Le prof. Milne Edwards, la plus haute autorité en matière de crustacés (Ann. des sc. nat., 2e  série, Zoologie, t. III, p. 322), insiste sur le fait que leurs métamorphoses diffèrent même dans les genres les plus voisins.
  17. Prof. Allman, Annals and Mag. of Nat. Hist., 3e  série, t. XIII, 1864, p. 348. — Dr S. Wright, ibid., vol. VIII, 1861, p. 127. — Voir aussi p. 358, pour des faits analogues observés par Sars.
  18. Des tissus vivants, 1866, p. 22.
  19. Pathologie cellulaire, trad. angl., 1860, p. 14, 18, 83, 460.
  20. Paget, Surgical Pathology, t. I, 1853, p. 12–14.
  21. Id., ibid., p. 19.
  22. Mantegazza, Degli innesti animali, etc. Milano 1865, p. 51. Tab. 3.
  23. De la production artificielle des os, p. 8.
  24. Isid. Geoffroy Saint-Hilaire, Anomalies, t. II, p. 549, 560, 562. — Virchow, O. C., p. 484.
  25. Pour la plus récente classification des cellules, Ernst Häckel, Generelle Morpholog. 1866 ; t. II, p. 275.
  26. The Structure and growth of tissues, 1865, p. 21, etc.
  27. Dr W. Turner, The present Aspect of Cellular Pathology. Edinburgh Med. Journal, avril 1863.
  28. Cette expression est employée par le Dr E. Montgomery (On the Formation of so called Cells in animal bodies, 1867, p. 42), qui nie que les cellules dérivent d’autres cellules par un procédé de croissance, et croit qu’elles naissent à la suite de certains changements chimiques.
  29. Le professeur Huxley a appelé mon attention sur les idées de Buffon et de Bonnet. Le premier (Hist. nat. gen., édit, de 1749, t. II, p. 54, 62, 329, 333, 420, 425), suppose que les molécules organiques existent dans la nourriture consommée par tout être vivant, et que ces molécules sont, par leur nature, analogues aux organes divers par lesquels elles sont absorbées. Lorsque les organes se sont ainsi complétement développés, les molécules n’étant plus nécessaires, se rassemblent et forment des bourgeons ou les éléments sexuels. Si Buffon avait supposé que ces molécules eussent été formées par chaque unité séparée dans tout le corps, son idée et la mienne eussent été fort semblables.

    Bonnet (Œuvres d’hist. nat., t. V, part. I, 1781, in-4, p. 334), parle de germes dans les membres adaptés à la réparation de toutes les pertes possibles ; mais il n’explique pas si ces germes sont supposés être les mêmes que ceux qui sont dans les bourgeons et les organes sexuels. Sa fameuse théorie, maintenant abandonnée, de l’emboîtement, implique l’inclusion à l’infini de germes parfaits au dedans d’autres germes, préexistants et prêts pour toutes les générations successives. D’après mon idée, les gemmules de chaque partie séparée ne sont pas originellement formées d’avance, mais se produisent constamment dans chaque génération et à tout âge, quelques-unes se transmettant de générations antérieures.

    Le professeur Owen (Parthenogenesis, 1849, p. 5–8) remarque : « Les produits du germe-cellule primaire fécondé ne sont pas tous nécessaires pour la formation du corps dans tous les animaux ; quelques-uns des germes-cellules dérivés peuvent rester intacts et être inclus dans le corps qui a été constitué par leurs semblables, métamorphosés ou combinés de diverses manières ; ainsi inclus, tout germe-cellule dérivé, ou son noyau, peut commencer et répéter par imbibition la même marche de croissance et de propagation par scission spontanée, de même que celui auquel il doit lui-même son origine, etc. »

    C’est par l’action de ces germes-cellules que le professeur Owen explique la parthénogenèse, la propagation par division spontanée et la réparation des lésions. Sa manière de voir concorde avec la mienne par la transmission supposée et la multiplication de ses germes-cellules, mais en diffère fondamentalement par le fait qu’il croit que le germe-cellule primaire s’est formé dans l’ovaire de la femelle, et a été fécondé par l’élément mâle. Je suppose que la formation de mes gemmules est indépendante de tout concours sexuel, et a lieu dans tout le corps par chaque unité séparée, et qu’elles ne font que s’agréger dans les organes reproducteurs.

    M. Herbert Spencer (Principles of Biology, t. I, 1863–4, chap. iv et viii) a discuté longuement ce qu’il appelle des unités physiologiques. Celles-ci concordent avec mes gemmules en ce qu’elles sont supposées se multiplier et être transmises du parent à l’enfant, les éléments sexuels ne leur servant que de véhicule ; elles sont les agents efficaces dans toutes les formes de reproduction et de régénération de tissus ; elles expliquent l’hérédité ; mais, ce qui pour moi est inintelligible, elles ne sont pas appelées à agir sur le retour ou l’atavisme ; on leur suppose une polarité que j’appelle affinité, et sont apparemment regardées comme provenant de chaque partie séparée du corps. Mais les gemmules diffèrent des unités physiologiques de M. Spencer en ce qu’il en faut un certain nombre ou masse, comme nous le verrons, pour le développement de chaque partie ou cellule. J’aurais néanmoins conclu à l’accord fondamental entre les vues de M. Spencer et les miennes, sans quelques passages, qui, autant que je puis les comprendre, indiquent quelque chose de tout différent. Voici quelques passages tirés des pages 254–256 : « Dans le germe fécondé, nous avons deux groupes d’unités physiologiques, différant légèrement par leur structure. » … « Il n’est pas évident qu’un changement dans la forme d’une partie, causé par un changement d’action, entraîne dans les unités physiologiques de tout l’organisme des modifications telles, qu’elles se développeront en organismes ayant la même modification lorsqu’elles seront émises sous forme de centres reproducteurs. Lorsque nous avons traité de l’adaptation, nous avons vu qu’un organe modifié par accroissement ou diminution de fonction ne peut que lentement réagir sur l’ensemble du système de manière à déterminer les changements corrélatifs nécessaires pour produire un nouvel équilibre ; ce n’est cependant qu’après que cet équilibre sera établi que nous pouvons nous attendre à ce qu’il soit complétement exprimé dans les unités physiologiques dont l’organisme est construit, alors seulement que nous pouvons compter sur une transmission complète de la modification aux descendants. » … « Que le changement dans la descendance doive, toutes choses d’ailleurs égales, avoir lieu dans la même direction que chez les parents, paraît être indiqué par le fait que le changement transmis par le système de l’ascendant est une modification vers un nouvel état d’équilibre, qui tend à ramener l’action de tous les organes, y compris ceux de la reproduction, à être en harmonie avec les nouvelles actions. »

  30. M. Philippeaux, Comptes rendus, oct. 1866, p. 576, et juin 1867, a récemment montré que lorsqu’on enlève le membre antérieur entier, y compris l’omoplate, il n’y a plus possibilité de régénération. Il en conclut que, pour que celle-ci puisse avoir lieu, il faut qu’il reste une petite portion du membre. Mais, comme dans les animaux inférieurs on peut couper en deux le corps entier, et que les deux moitiés peuvent se reproduire, cette manière de voir ne paraît pas probable. La rapide cicatrisation d’une profonde blessure, comme dans le cas de l’extirpation de l’omoplate, ne pourrait-elle pas empêcher la formation ou la sortie du membre naissant ?
  31. Ann. des sc. nat., 3e  série, Bot., t. XIV, 1850, p. 244.
  32. Prof. Lionel Beale, Med. Times and Gazette, sept. 1865, p. 273, 330.
  33. Third Report of R. Comm. on the Cattle Plague, Gard. Chron., 1866, p. 446.
  34. M. F. Buckland a soigneusement calculé le nombre d’œufs ci-dessus indiqué pour la morue, d’après des pesées, Land and Water, 1868, p. 62. Dans une autre circonstance, il a trouvé le chiffre de 4,872,000. — Mariner (Phil. Transact., 1768, p. 280) n’a trouvé que 3,681,760. — Pour l’Ascaris, voir Carpenter (Comp. Phys., 1854, p. 590) M. J. Scott, du Jardin Botanique royal d’Édimbourg, a calculé, comme je l’avais fait pour les orchis britanniques (Fertilisation of Orchids, p. 344), le nombre de graines contenues dans une capsule d’Acropera, et en trouva 371,250. Or cette plante produit plusieurs fleurs par racème et plusieurs racèmes par saison. Dans un genre voisin, Gongora, M. Scott a vu vingt capsules sur un seul racème, et dix racèmes de l’Acropera donneraient plus de 74 millions de graines. F. Müller m’apprend qu’il trouva dans une capsule de Maxillaria, au Brésil, un poids de 42 grains 1/2 de graine ; ayant rangé en ligne un demi-grain, il trouva que ce poids contenait 20,667 grains ; il devait donc y en avoir dans la capsule 1,756,440. La même plante peut produire une demi-douzaine de capsules.
  35. Ann. and Mag. of Nat. Hist., 3e  série, t. VIII, 1861, p. 490.
  36. Paget, Lectures on Pathology, p. 27. — Virchow, O. C. (trad. angl.), p. 123, 126, 294. — Claude Bernard, des Tissus vivants, p. 177, 210, 337. — Physiologie de Müller.
  37. Virchow, O. C., 1860, p. 60. 162, 245, 441, 454.
  38. Id. p. 412–426.
  39. Rev. J. M. Berkeley, Gard. Chron., avril 1866, sur un bourgeon développé sur un pétale de Clarkia. — H. Schacht, Lehrbuch der Anat., etc., 1859, part. II, p. 12, sur les bourgeons adventifs.
  40. M. H. Spencer (Principles of Biology, t. II, p. 430) a longuement discuté l’antagonisme entre la croissance et la reproduction.
  41. Le saumon mâle reproduit de bonne heure. Le Triton et le Siredon sont capables de reproduction ayant encore leurs branchies larvaires, d’après Filippi et Duméril (Ann. and Mag. of Nat. Hist., 3e  série, 1866, p. 157). — E. Häckel (Monatsbericht Akad. Wiss. Berlin, 1865) a observé le cas surprenant d’une méduse pourvue d’organes reproducteurs actifs, qui produisit par gemmation une forme toute différente de la méduse, ayant elle-même la propriété de se reproduire par génération sexuelle. Krohn a montré (Ann. and Mag. of Nat. Hist., 3e  série, vol. xix, 1862, p. 6) que d’autres méduses, quoique parfaitement munies d’organes sexuels, se propagent par gemmes.
  42. Nouvelles Archives du Muséum, t. I, p. 151.
  43. Divers physiologistes ont déjà établi cette distinction entre la croissance et le développement. Le professeur Marshall, Philos. Transact., 1864, p. 544, en donne un bon exemple à propos des idiots microcéphales, chez lesquels le cerveau continue à croître après avoir subi un arrêt dans son développement.
  44. Comptes rendus, 14 nov. 1864, p. 800.
  45. Quatrefages, Métamorphoses de l’homme, etc., 1862, p. 129.
  46. Günther’s, Zoological Record, 1864, p. 279.
  47. Sedgwick, Medico-Chirurg. Review, avril 1863, p. 454.
  48. Isid. Geoff. Saint-Hilaire, Hist. des anomalies, t. I, 1832, p. 435, 657 ; — t. II, p. 560.
  49. Virchow, Pathologie cellulaire, 1866.
  50. Moquin-Tandon, Tératologie végétale, 1841, p. 218, 220, 353 ; — Pour le pois, Gard. Chron., 1866, p. 897.
  51. Physiologie de Müller, trad. française, 1845, t. I, p. 302.
  52. Sir H. Holland, Medical Notes, 1839. p. 32.
  53. C’est l’opinion émise par le prof. Häckel, dans Generelle Morphologie, t. II, p. 171, où il dit : « C’est seulement l’identité partielle des matériaux spécifiques constituants de l’organisme du parent et de l’enfant, la division de cette substance lors de la reproduction, qui est la cause de l’hérédité.
  54. Naudin, Nouv. archives du Muséum, t. I, p. 151, parle des éléments ou essences des deux espèces qui sont croisées.