Dent pour dent/06

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Les éditeurs de La Lecture (p. 66-78).


VI

LE COMPLOT


Colette et sœur Mary rentrèrent en pleurant dans leur chaumière.

Le père était absent ; la mère occupée à endormir un jeune enfant ne remarqua pas d’abord le chagrin de ses filles.

Colette assise au coin du foyer où expirait un feu de tourbe, pleurait silencieusement.

Mary se glissa près d’elle.

— Sœur, dit-elle, est-ce qu’on le pendra ?

Un sanglot fut la réponse de Colette.

La mère leva la tête.

— Qu’avez-vous, mes enfants ? demanda-t-elle.

Les deux sœurs se mirent à pleurer plus fort.

— Voyons, qu’y a-t-il ? parlez, je suis inquiète.

Colette raconta à sa mère le drame qui venait de se passer et dont le dénouement n’était pas douteux.

— Pauvre garçon, pauvre Tomy, dit la paysanne en essuyant une larme, on ne lui fera pas grâce, non, la justice du landlord est implacable. La même chose est arrivée à John O’Wine, un père de six enfants, rien n’y a fait, et Jack Tell et tant d’autres qui ont eu un sort semblable, non, on ne lui fera pas grâce.

L’excellente femme gémissait sur le malheur de Tomy, cependant elle se mit à consoler Colette et lui conseilla de se coucher afin de trouver dans le sommeil un peu de repos.

Mary, après avoir bien pleuré, s’endormit. Colette ne ferma pas les yeux. Avant le jour elle se leva et sortit furtivement de sa chaumière.

Qu’avait-elle décidé pendant cette nuit d’insomnie ? nous allons le savoir.

« Je ne veux pas que Tomy soit pendu, dit-elle, le bon Dieu m’aidera à le sauver. »

Sur le sol irlandais, il n’y a pas comme sur notre vieille terre d’Armorique d’antiques calvaires où le chrétien puisse s’agenouiller et prier. Là aucun signe extérieur d’un culte à peine toléré. Colette leva ses beaux yeux humides de larmes vers la voûte céleste, où réside le Dieu créateur de l’univers et, les mains jointes, elle invoqua son secours.

Que pouvait-elle, faible jeune fille, contre la justice inexorable du landlord ! C’était folie d’essayer de lutter, mais cette folie elle la commettrait. Tomy devait être jugé ce jour-là et exécuté le lendemain, Colette avait donc vingt-quatre heures pour agir.

Un brouillard épais et froid couvrait la campagne et augmentait encore l’obscurité, Colette avançait sans prendre garde à la rigueur de la température, et à la difficulté des chemins.

À un angle du sentier, des ombres surgirent, elle s’arrêta effrayée. Trois hommes s’approchèrent, elle les reconnut et frissonna. C’étaient Willy Podgey et ses deux fils.

— Colette, dit le paddy, n’ayez pas peur.

— Je vous croyais loin d’ici, répondit la jeune fille, ignorez-vous à quoi vous vous exposez ?

— Nous le savons, mais Tomy ne nous a pas rejoints hier, il lui est peut-être arrivé malheur, nous sommes revenus nous en informer.

— Hélas ! murmura la jeune fille, il a été pris.

— Ah ! mon Dieu ! gémit le pauvre père, il est perdu !

— Ce ne sera pas, s’écrièrent Georgy et William, nous irons l’arracher au bourreau.

— Et les constables, mes enfants, non, on ne peut lutter contre la force, nous avons commis une grande faute hier. Que faire, mon Dieu ! que devenir !

Le pauvre père pleurait, il était écrasé par la douleur.

— Nous ne laisserons point périr notre frère, disaient les deux jeunes gens.

— À vous seuls, mes amis, reprit la jeune fille, vous ne pouvez rien que vous perdre avec lui ; soyez donc prudents, je vous le demande, et laissez-moi agir. Je veux sauver Tomy, j’ai un plan, si je réussis vous me servirez, si j’échoue, votre intervention serait inutile et insensée.

— Que comptez-vous faire, Colette ?

— C’est mon secret. Je vais d’abord vous conduire dans un endroit sûr où la police ne pourra vous atteindre, vous resterez là jusqu’à ce que j’aille vous apprendre le résultat de mes démarches. Venez.

La jeune fille continua à suivre le chemin qu’elle avait pris. Le brouillard voilait la silhouette des montagnes peu élevées mais rendues d’un accès difficile par les accidents de terrain qui leur formaient des défenses naturelles. Cette partie montagneuse, sauvage, inhabitée était devenue le refuge des Outlaws, de tous ceux qui, ayant enfreint gravement les lois, ne peuvent plus vivre au grand jour. Ces hommes se livrent à la contrebande, ils se rient de la police et font parfois payer cher aux maîtres du pays l’ostracisme dont ils sont frappés.

Un étranger traverserait impunément ces lieux de refuge qui se trouvent dans toutes les parties de l’Irlande et y recevrait une affable hospitalité, mais malheur à l’Anglais qui oserait s’aventurer parmi ces tribus de révoltés.

Colette et ses amis franchissaient une partie marécageuse ; leurs pieds enfonçaient dans des ajoncs sous, lesquels se cachaient des flaques d’eau fétide ; habitués au pays, ils se dirigeaient sûrement au milieu de ces abîmes de boue et de vase où un faux pas pouvait les engloutir. Les premiers rayons du jour commençaient à percer l’épaisse couche de brouillard, le froid était un peu moins intense.

Au sortir des tourbières ou marchait sur un gazon court et vert, parsemé de trèfles et de fougères, on était au pied des montagnes. Adossée à un groupe de rochers, une hutte formée de terre et de chaume apparaissait dans le lointain.

À cent pas de la cabane, Colette s’arrêta.

— Attendez-moi ici, dit-elle, je préfère me présenter seule.

La jeune fille continua à marcher. Un jeune garçon d’une douzaine d’années se tenait sur le seuil de la pauvre hutte.

— C’est Colette, cria-t-il tout joyeux, en accourant vers elle.

— Bonjour, Jack, mon ami, il y a du monde chez toi ? On prend des précautions.

— On ne savait pas que ce fût vous, Colette ; à cette heure matinale, les visites ne sont pas toujours rassurantes.

— Jack, tu vas me rendre un service ?

— Parlez, j’obéirai, dit le jeune garçon simplement.

— Puis-je compter sur ton dévouement ?

— N’avez-vous pas soigné ma vieille mère ? Ne nous avez-vous pas maintes fois nourris et secourus ? N’est-ce pas à vous que nous devons d’avoir souvent échappé aux constables ?

— Bien, Jack, tu as un bon cœur. Écoute ce que j’ai à te dire.

Elle parla quelques minutes à voix basse, le jeune garçon baissa la tête en pâlissant.

— Ce sera difficile, dit-il lentement.

Après un moment de réflexion, l’enfant ajouta :

— Colette, trois montagnards sont chez nous, voulez-vous leur expliquer vous-même la chose, vous le ferez mieux que moi ?

La jeune fille hésita un instant.

— Allons, dit-elle.

Jack fit entendre un sifflement aigu auquel répondit un cri particulier.

— Suivez-moi, Colette.

Le jeune garçon et sa compagne pénétrèrent dans la cabane ; une résine fumeuse éclairait l’intérieur de ce taudis où rien ne révélait l’habitation. De la fougère fraîche étendue sur la terre servait de lits ; une vieille table placée près de la cheminée, où brûlait un feu de tourbe, était couverte de plusieurs verres et d’un pot de whiskey. Trois hommes, vêtus de peaux de chèvres, ressemblant à des bêtes fauves, entouraient la table ; les bords de leurs chapeaux cachaient leurs visages et leur donnaient un aspect encore plus menaçant.

Cette cabane, située à l’entrée de la montagne, était devenue, on le comprend, un point d’information pour les contrebandiers ; Jack leur servait d’intermédiaire dans leurs opérations prohibées et les prévenait chaque fois qu’un danger les menaçait.

Colette tremblait, non pas de crainte, elle savait qu’elle n’avait rien à redouter de ces hommes, terribles seulement pour leurs ennemis ; plus d’une fois, elle avait déjà rencontré des montagnards chez la mère Jane ; elle en connaissait quelques-uns qui étaient de Greenish et qu’une injuste condamnation avait réduits à fuir ; ce qui la troublait c’était l’étrangeté de la démarche qu’elle venait tenter.

À son entrée, aucun mouvement ne se fit parmi les buveurs. Colette était enveloppée de sa mante et ne se pressait pas de prendre la parole ; elle s’approcha du foyer où une vieille femme était assise.

— Bonjour, mère Jane, dit-elle, comment vous traite ce temps rigoureux ?

— Par Saint Patrick ! s’écria la bonne femme, Colette, est-ce bien vous, à cette heure ! qu’y a-t-il pour que vous accouriez ainsi avant le jour ?

Les buveurs firent un mouvement d’attention, sans cependant relever la tête.

— Ma bonne Jane, reprit la jeune fille, il y aura demain un malheur à Greenish, la justice du landlord s’exercera sur un pauvre Irlandais, la potence recevra une nouvelle victime.

— Encore ! murmura un des hommes.

— Qui donc, ma fille ? demanda la vieille femme.

— Tomy Podgey.

— Qu’a-t-il fait ?

Colette raconta ce qui était arrivé à la pauvre famille, son expulsion, sa lutte contre les constables, l’incendie du cottage et enfin l’arrestation de Tomy.

— Il a bien agi, dit un des montagnards prenant enfin la parole, la résistance est le meilleur parti à opposer à l’injustice qui nous gouverne.

— Oui, mais il va être pendu, fit Colette en pleurant.

— À cela, ma belle enfant, il n’y a rien à faire, répliqua philosophiquement le bandit.

— C’est malheureusement vrai, affirma la vieille femme, mais vous ne m’avez pas dit, Colette, le motif de votre visite.

— Je voudrais sauver Tomy.

— Y pensez-vous, ma fille ? Cette résolution est insensée. On ne peut rien espérer de la justice de mylord. Jamais il ne fait grâce.

— Mère Jane, dans votre impuissance, je comprends que vous raisonniez ainsi, mais des hommes ! ajouta-t-elle en se tournant vers les montagnards.

Ceux-ci levèrent la tête.

— Colette, a raison, fit le jeune garçon, si j’étais un homme, moi…

Un des buveurs, frappant amicalement sur l’épaule de Jack, lui dit d’une voix douce qui contrastait singulièrement avec son costume sauvage :

— Eh bien, enfant, que ferais-tu si tu étais un homme ?

Jack, un instant déconcerté, reprit résolûment.

— Je prendrais avec moi dix montagnards comme vous et j’enlèverais le prisonnier à la barbe des constables.

C’était le plan de Colette que le jeune garçon exprimait ainsi.

— Tu es un brave enfant, Jack, dit la jeune fille émue, que n’as-tu vingt ans !

Celui qui avait parlé à Jack s’approcha de Colette.

— Ce que Jack ferait, ne nous croyez-vous pas capable de le faire ?

Le montagnard avait enlevé son large chapeau et se présenta le visage découvert. C’était un jeune homme de vingt-cinq ans ; ses cheveux noirs, son teint bruni, ses yeux brillants et doux, ses traits accentués lui donnaient un caractère de mâle beauté qui frappait vivement ; sa physionomie était triste, il ne semblait pas fait pour l’existence qu’il menait. Dans une autre patrie, il eût été un citoyen honnête, intelligent, fidèle à son devoir ; en Irlande, une odieuse oppression l’avait poussé à une vie dangereuse.

— Clary ! fit Colette en reconnaissant le jeune homme, j’ai confiance, vous sauverez Tomy.

Le montagnard se penchant vers la jeune fille, lui dit très bas :

— C’est votre fiancé ?

— Non, répondit Colette en rougissant.

— Est-ce pour nous demander un semblable coup de main que vous êtes venue ici ? dit celui qui paraissait être le chef.

— Oui, répartit Colette.

— Nous avons trop de besogne en ce moment ; d’ailleurs il serait téméraire de braver la police en face et en plein jour. Ne savez-vous pas que celui qui se laisserait prendre subirait le sort que vous voulez épargner à Tomy Podgey ?

— Vous ne seriez pas pris.

— Qui nous le prouve ? Non, le garçon s’est mis dans un mauvais cas, nous ne pouvons l’en tirer.

Colette baissa tristement la tête. Un long silence régna dans la cabane, la mère Jane venait de jeter une brassée de tourbe pour attiser le feu, une flamme vive éclairait cette scène digne du pinceau de Rembrand. La vieille femme assise sur la marche du foyer, les trois bandits dans des attitudes différentes : le plus âgé, son chapeau rejeté en arrière, regardait à terre en fronçant ses sourcils bruns ; le second s’était rassis et sans se mêler au débat, dégustait en silence son verre de whiskey ; Clary grave et songeur considérait la jeune fille qui se trouvait en pleine lumière.

Colette était grande, élancée, elle avait rejeté sa mante et sa taille paraissait avec toute son élégance naturelle ; ses longs cheveux blonds tombaient en bandes sur ses épaules ; son visage, si frais d’ordinaire, était d’une extrême pâleur ; ses grands et beaux yeux d’azur se voilaient de larmes ; ses traits délicats, harmonieux la rendaient d’une beauté saisissante.

Clary la contemplait avec une muette extase et Jack se demandait comment ces hommes étaient assez farouches pour refuser ce que désirait Colette.

— Vous ne voulez rien faire en faveur de Tomy ? reprit la jeune fille donnant à sa voix déjà si douce l’intonation de la prière.

Le buveur avait posé son verre et regardant Colette, il dit d’un ton goguenard :

— On serait heureux de faire quelque chose pour vous plaire, la belle enfant, mais comme nous n’avons point les mêmes raisons que vous sans doute de protéger le beau Tomy, permettez que nous songions à notre sécurité.

Le visage de la jeune fille se couvrit de rougeur.

— Ne vous troublez pas pour cela, ma chère, quoique ces vives couleurs vous rendent mille fois plus belle, personne ne pense à blâmer votre intérêt pour l’heureux Tomy, on ne pourrait qu’envier son sort ; pas vrai, Clary ? ricana le bandit en se tournant vers le jeune homme dont les yeux ne quittaient pas Colette.

Celle-ci reprit aussitôt :

— Dans mon enfance, Tomy m’a sauvé la vie, je voudrais lui rendre aujourd’hui ce qu’il fit alors pour moi ; à cent pas d’ici, j’ai laissé son père et ses frères qui veulent à tout prix l’arracher à La mort.

— Nous les aiderons, dit Clary.

— Ah ça ! qui te prie de t’engager pour les autres ? répliqua le buveur.

— Je trouverai certainement dans la montagne une douzaine de garçons de cœur qui viendront avec moi secourir un des nôtres. Ne sommes-nous pas de la même patrie, frères par le malheur, ne devons-nous pas protéger les victimes de la tyrannie et au besoin les venger ?

— Paix, les amis, dit le chef, il y a un moyen de s’entendre. Je n’aime pas beaucoup ces luttes ouvertes avec l’autorité, cela pourrait attirer les habits rouges dans nos montagnes, cependant nous sommes en mesure de leur échapper et on ne peut laisser périr ce brave Tomy. Donc je ne m’oppose pas à ce que Clary prenne avec lui une douzaine des nôtres pour aller jouer ce tour à Sa Seigneurie, que Dieu confonde ! J’aimerais à être de la partie, mais je suis un morceau de trop d’importance, ma tête est mise à prix, il faut se défier des traîtres.

— Oh ! merci, merci, fit Colette, je vais porter cette bonne nouvelle à Willy Podgey. C’est bien entendu, n’est-ce pas ? Jack vous préviendra de l’heure de l’exécution, surtout ne manquez pas, un retard peut tout perdre.

Au moment du départ, Clary s’approcha de Colette et lui glissa ces mots à l’oreille : « Comptez sur moi. »

Quelques minutes après les montagnards avaient disparu, la jeune fille se trouva seule avec la vieille Jane et son fils.

— Puis-je me fier à leur parole ? demanda-t-elle.

— Oui, quand le chef a promis, on peut le croire.

— Et puis nous avons Clary pour nous, ajouta Jack à qui aucun détail de cette scène n’avait échappé.

— Mère Jane, reprit Colette, vous allez donner l’hospitalité jusqu’à demain à Willy Podgey et à ses fils ; ici, ils seront à l’abri de tout danger.

— Hum ! ma fille, notre cabane a été visitée plus d’une fois par les constables, on m’accuse, vous le savez, d’être en bonnes relations avec les gens de la montagne.

— Relations de voisinage, fit Colette en riant. N’importe, je vais installer ici les Podgey, Jack veillera à leur sécurité.

— N’ayez pas peur, dit le jeune garçon, je reconnais le pas des constables à un mille de distance et je suis familier avec les sentiers de la montagne.

— Je compte sur toi, mon ami.

Colette rejoignit les Podgey et les mit au courant de la situation. Elle les conduisit chez la vieille Jane, et après avoir enjoint à Jack de la tenir au courant de tout, elle revint vers son cottage où son absence aurait pu éveiller des inquiétudes.

La jeune fille était remplie d’espoir, Tomy serait sauvé et lui devrait la vie.

Elle sourit à la pensée de la joie de Tomy en apprenant tout ce qu’elle avait fait pour lui. Elle le devait bien, car c’était par amour pour elle qu’il s’était perdu. Colette ne pouvait se rappeler sans attendrissement la scène de la veille et les dernières paroles du jeune homme. Pendant la route l’image de Tomy l’accompagna, elle eût voulu faire connaître au pauvre garçon les tentatives de ses amis afin de diminuer son désespoir, mais il était impossible d’arriver jusqu’à lui.

Parfois un doute traversait son esprit, les montagnards viendraient-ils ? La parole de Clary la rassurait.

Avant d’aller plus loin dans notre récit, il est nécessaire de dire quelques mots de ce proscrit, qui doit y remplir un rôle important.

Clary O’Warn était le descendant d’un ancien chef de clan.

Le clan représentait en Irlande la commune moderne, avec cette différence essentielle que la commune est une agrégation de citoyens unis ensemble par un lien volontaire, purement fictif, tandis que le clan se composait des membres d’une, même famille tous rivés au clan par les liens indissolubles de la parenté.

On a souvent reproché à la commune moderne de préférer ses intérêts particuliers aux intérêts généraux du pays, on devine les inconvénients du clan, où dominaient les intérêts si vifs de la famille ; ambitieux, avides d’honneur et de richesses, les différents clans recherchaient sans cesse les moyens de s’étendre aux dépens de leurs voisins.

On comprend tout ce que ce régime féodal poussé jusqu’à ses dernières conséquences pouvait contenir de germes de division ; les désordres, les vices et les malheurs résultant de cette organisation neutralisèrent les éléments de force et de résistance que renfermait le pays et facilitèrent l’œuvre de la conquête anglaise.

Sous le règne d’Élisabeth, la famille O’Warn avait lutté contre les envahisseurs et refusé d’adopter la religion nouvelle ; ses biens connue ceux de tous les riches Irlandais furent confisqués et donnés aux vainqueurs, Les O’Warn avaient depuis vécu dans la pauvreté et avaient fini par devenir de misérables tenanciers de ces seigneurs anglais qui possédaient leur fortune.

Clary avait manifesté de bonne heure une vive intelligence et une foi ardente ; sa ferveur réjouissait l’âme du bon curé, dont il était l’élève et le fils d’adoption : le saint prêtre voyait en lui un futur lévite, un de ces anges du sanctuaire qui passent dans le monde faisant le bien, soutenait les courages, consolant toutes les douleurs au nom du Maître miséricordieux dont ils sont les disciples.

Dans les familles irlandaises il est d’usage qu’un fils soit consacré à Dieu, c’est l’honneur et la joie des parents. Si le ministère du prêtre est beau en tous pays, il est véritablement angélique en Irlande. Le prêtre est pauvre, car là où règne la misère il la partage et adoucit celle qui l’entoure en se sacrifiant lui-même. Et quels efforts ne doit-il pas faire pour calmer les haines profondes de ces esprits aigris par la souffrance et l’injustice !

Il ne fut pas donné à Clary de remplir ce rôle sublime.

Son père mourut, il perdit son frère aîné et resta seul soutient de sa mère et de sa jeune sœur.

Clary avait seize ans ; malgré son âge peu avancé, il accepta courageusement sa lourde tâche et travailla, comme l’avait fait son père, sans se lasser jamais.

La misère vint plus d’une fois s’asseoir à leur foyer, mais c’est la condition du paysans irlandais ; il est habitué à ses haillons, quand la faim ne le torture pas trop, il se trouve relativement heureux.

Deux années avant l’époque où se passent les événements que nous racontons, Clary vivait satisfait, dans son humble cottage, près de sa mère et de sa sœur Alice, âgée de dix-huit ans et douée d’une grande beauté.

Le garde-chasse du landlord, fort épris de la jeune fille, la rechercha en mariage, mais celle-ci refusa obstinément d’abjurer sa religion et d’épouser un ennemi des siens.

Furieux de cet affront, l’Anglais jura de se venger ; usant de son influence près du bailli, il obtint l’expulsion de ces gens qui l’avaient repoussé. Par une froide nuit d’hiver la pauvre famille fut jetée dehors sans qu’il lui fût permis d’emporter un seul vêtement pour se couvrir.

Alice, d’une santé délicate, ne supporta pas le froid, elle tomba malade et le chagrin acheva de la tuer ; sa mère ne lui survécut pas. Clary, fou de désespoir, n’avait plus ni famille ni asile.

Un jour le garde-chasse fut trouvé dans la forêt blessé de plusieurs coups de poignard. On chercha l’assassin, les soupçons se portèrent sur Clary, mais il s’était réfugié dans la montagne.

Colette avait connu Clary et sa sœur ; l’année précédente elle avait retrouvé le jeune homme dans une circonstance où, aidé de deux autres montagnards, il la préserva d’un grand danger.

Clary fut frappé de la beauté de Colette et, depuis, sa pensée revenait souvent sur les incidents de cette rencontre. Il n’avait pas été peu surpris de voir la jeune fille ce jour-là chez la vieille Jane et la sympathie qu’elle lui inspirait déjà s’était accrue.

Colette ignorait les sentiments du jeune homme, mais elle ne doutait pas qu’il ne tînt sa promesse ; quelque chose au fond du cœur lui disait qu’elle avait en Clary un ami dévoué.