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Depuis l’Exil Tome VIII Procès-verbaux des séances du sénat, de la chambre et du conseil municipal de Paris, à la mort de Victor Hugo

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NOTE VIII.

PROCÈS-VERBAUX DES SÉANCES
du senat, de la chambre et du conseil municipal.

SÉNAT
Séance du 22 mai 1885.
présidence de m. le royer.

La nouvelle de la mort de Victor Hugo était connue au Luxembourg un peu avant l’ouverture de la séance.

M. le président se lève et dit :

Messieurs les sénateurs, Victor Hugo n’est plus ! (Mouvement prolongé.)

Celui qui, depuis soixante années, provoquait l’admiration du monde et le légitime orgueil de la France, est entré dans l’immortalité. (Très bien ! très bien !)

Je ne vous retracerai pas sa vie ; chacun de vous la connaît ; sa gloire, elle n’appartient à aucun parti, à aucune opinion (Vive approbation sur tous les bancs) ; elle est l’apanage et l’héritage de tous. (Nouvelle approbation.)

Je n’ai qu’à constater la profonde et douloureuse émotion de tous et, en même temps, l’unanimité de nos regrets.

En signe de deuil, j’ai l’honneur de proposer au Sénat de lever la séance. (Approbation unanime.)

M. Brisson, président du conseil, garde des sceaux, ministre de la justice. — Je demande la parole.

M. le président. — La parole est à M. le président du conseil.

M. le président du conseil. — Messieurs, le gouvernement s’associe aux nobles paroles qui viennent d’être prononcées par M. le président du Sénat.

Comme il l’a dit, c’est la France entière qui est en deuil. Demain, le gouvernement aura l’honneur de présenter aux chambres un projet de loi pour que des funérailles nationales soient faites à Victor Hugo. (Très bien ! très bien !)

La séance est immédiatement levée.

Séance du 23 mai.

M. Henri Brisson, président du conseil :

Messieurs, Victor Hugo n’est plus. Il était entré vivant dans l’immortalité. La mort elle-même, qui grandit souvent les hommes, ne pouvait plus rien pour sa gloire.

Son génie domine notre siècle. La France, par lui, rayonnait sur le monde. Les lettres ne sont pas seules en deuil, mais aussi la patrie et l’humanité, quiconque lit et pense dans l’univers entier.

Pour nous, Français, depuis soixante-cinq ans, sa voix se mêle à notre vie morale intérieure et à notre existence nationale, à ce qu’elle eut de plus doux ou de plus brillant, de plus poignant et de plus haut, à l’histoire intime et à l’histoire publique de cette longue série de générations qu’il a charmées, consolées, embrasées de pitié ou d’indignation, éclairées et échauffées de sa flamme. (Applaudissements.) Quelle âme, en notre temps, ne lui a été redevable et des plus nobles jouissances de l’art et des plus fortes émotions ?

Notre démocratie le pleure : il a chanté toutes ses grandeurs, il s’est attendri sur toutes ses misères. Les petits et les humbles chérissaient et vénéraient son nom ; ils savaient que ce grand homme les portait dans son cœur. (Nouveaux applaudissements.) C’est tout un peuple qui conduira ses funérailles. (Applaudissements.)

Le gouvernement de la République a l’honneur de vous présenter le projet de loi suivant :

PROJET DE LOI

Le président de la République française,

Décrète :

Le projet de loi dont la teneur suit sera présenté à la chambre des députés par le président du conseil, ministre de la justice, et par les ministres de l’intérieur et des finances, qui sont chargés d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.

Article premier. — Des funérailles nationales seront faites à Victor Hugo.

Art. 2. — Un crédit de vingt mille francs est ouvert à cet effet au budget du ministère de l’intérieur sur l’exercice 1885.

Fait à Paris, le 23 mai 1885.

Le président de la République,
Signé : Jules Grévy.

Par le président de la République :

Le président du conseil, ministre de la justice,
Signé : Henri Brisson.
Le ministre de l’intérieur,
Signé : Allain-Targé.
Le ministre des finances,
Signé : Sadi Carnot.

Le président du conseil demande l’urgence et la discussion immédiate.

La commission des finances se réunit immédiatement.

Quelques instants après, elle revient, et M. Dauphin fait en son nom le rapport suivant :

Messieurs, le génie qui fut et qui restera la grande gloire du dix-neuvième siècle vient, suivant la belle expression de M. le président du conseil, d’entrer dans l’immortalité.

Le gouvernement vous propose de décider que des funérailles nationales seront faites à Victor Hugo aux frais l’État.

Ce n’est qu’un faible témoignage du double sentiment de douleur et de fierté qui anime le pays.

Mais la France, plus puissante que ses représentants, rend à cette heure, par un deuil public, un solennel hommage au poëte inimitable, au profond penseur, au grand patriote qu’elle a perdu. (Vive approbation.)

Votre commission des finances vous propose à l’unanimité de voter le projet de loi dont lecture a été donnée par M. le président du conseil.

Le projet est voté par 219 voix sur 220 votants.

M. de Freycinet, ministre des affaires étrangères :

Je crois devoir donner lecture au Sénat d’un télégramme que j’ai reçu hier de notre ambassadeur à Rome à l’occasion de notre deuil national.

« Rome, 22 mai 1885.

« La mort de Victor Hugo a donné lieu, à la Chambre des députés d’Italie, à une imposante manifestation.

« M. Crispi, après avoir fait l’éloge du grand poëte que la France a perdu, a dit que la mort de Victor Hugo était un deuil pour toutes les nations civilisées. (Applaudissements.) Il a demandé que M. le président de la Chambre voulût bien associer la nation italienne au deuil de la France.

« M. Biancheri, président de la Chambre, a dit que le génie de Victor Hugo n’illustre pas seulement la France, mais honore aussi l’humanité, et que la douleur de la France est commune à toutes les nations. Il a ajouté que ce ne serait pas le dernier titre de gloire de Victor Hugo d’avoir été toujours le défenseur de la liberté et de l’indépendance des peuples, et que l’Italie n’oubliera pas que, dans ses jours de malheur, elle eut toujours en Victor Hugo un ami bienveillant et un ardent défenseur de la sainteté de ses droits. » (Applaudissements.)

Je crois être l’interprète du Sénat et du Parlement tout entier, en déclarant que la France est profondément sensible à ces témoignages de sympathie de l’Italie et qu’elle l’en remercie solennellement. (Acclamations prolongées.)


CHAMBRE DES DÉPUTÉS
Séance du 23 mai.

À l’ouverture de la séance, M. Charles Floquet, président de la Chambre, se lève et dit :

Mes chers collègues, le monde vient de perdre un grand homme ; la France pleure un de ses meilleurs citoyens, un fils qui a enrichi l’antique trésor de notre gloire nationale. (Très bien ! très bien !) Le dix-neuvième siècle n’entendra plus la voix de son contemporain, de celui qui a été l’écho sonore de ses joies et de ses douleurs, le témoin passionné de ses grandeurs et de ses désastres.

Le poëte, celui qu’on appelait l’enfant sublime, avait charmé jusqu’au ravissement la jeunesse brillante de ce siècle. Aux heures sombres, le penseur avait soutenu les consciences, relevé les courages. (Applaudissements.) Et, dans les dernières années, le vieillard auguste nous était revenu, apportant au milieu de nos malheurs et de nos luttes l’esprit de concorde et la tolérance de celui qui peut tout comprendre et tout concilier, ayant tout souffert pour la République. (Vifs applaudissements.)

Nous nous étions habitués à le croire immortel dans sa laborieuse et indomptable vieillesse ; désormais il vivra dans l’éternelle admiration de la postérité, dans le cercle lumineux des esprits souverains qui imposent leur nom à leur âge. (Applaudissements.)

Victor Hugo n’a pas seulement ciselé et fait resplendir notre langue comme une merveille de l’art ; il l’a forgée comme une arme de combat, comme un outil de propagande. (Nouveaux et vifs applaudissements.)

Cette arme, il l’a vaillamment tournée, pendant plus de soixante années, contre toutes les tyrannies de la force. (Applaudissements.) Pendant plus de soixante années, la propagande de ce héros de l’humanité a été en faveur des faibles, des humbles, des déshérités, pour la défense du pauvre, de la femme, de l’enfant, pour le respect inviolable de la vie, pour la miséricorde envers ceux qui s’égarent et qu’il appelait à la lumière et au devoir. (Applaudissements répétés.)

C’est pourquoi le nom de Victor Hugo doit être proclamé, non seulement dans l’enceinte des académies où s’inscrit la renommée des artistes, des poëtes, des philosophes, mais dans toutes les assemblées où s’élabore la loi moderne, à laquelle l’illustre élu de Paris voulait donner pour règles supérieures les inspirations de son génie prodigieux fait de toute puissance et de toute bonté. (Double salve d’applaudissements. — Acclamations prolongées.)

Je vais donner la parole au gouvernement qui l’a demandée et, après que la Chambre aura statué sur les résolutions qui lui seront proposées, je pense que je répondrai au vœu de toute la Chambre en lui demandant de lever la séance en signe de deuil national. (Applaudissements.)

Le président du conseil présente, dans les mêmes termes qu’au Sénat, la proposition de funérailles nationales.

Elle est votée par 415 voix contre 3.

M. Anatole de La Forge dépose alors la proposition qui suit :

« Le Panthéon est rendu à sa destination première et légale.

« Le corps de Victor Hugo sera transporté au Panthéon. »

Il demande l’urgence, qui est votée.

La discussion est remise à mardi.


CONSEIL MUNICIPAL DU PARIS
Séance du 22 mai.

La nouvelle de la mort de Victor Hugo est apportée au milieu de la séance.

M. le président. — Messieurs, j’apprends comme vous tous, le deuil que frappe la patrie.

Victor Hugo est mort ! Je vous propose de lever la séance. (Assentiment unanime.)

M. Pichon. — Messieurs, je n’ajoute qu’un mot aux paroles que vous venez d’entendre.

Je demande que le conseil municipal décide qu’il se rendra en corps, et immédiatement, à la demeure de Victor Hugo, pour exprimer à la famille du plus grand de tous les poëtes les sentiments de sympathie et de condoléance profonde des représentants de la ville de Paris. (Très bien ! très bien !)

La proposition de M. Pichon est adoptée.

M. DESCHAMPS. — J’ai l’honneur, au nom de plusieurs de mes amis et au mien de déposer la proposition suivante :

« Le conseil
« Émet le vœu :

« Que le Panthéon soit rendu à sa destination primitive et que le corps de Victor Hugo y soit inhumé. (Assentiment sur un grand nombre de bancs.)

« Signé : Deschamps, Cattiaux, Boué, Rousselle, Chassaing, Guichard, Muzet, Voisin, Mesureur, Jacques, Maillard, Mayer, Cernesson, Simoneau, Dujarrier, Braleret, Songeon, Delhomme, Hubbard, Navarre, Marsoulan, Millerand, Dreyfus, Curé, Chautemps, Darlot, Monteil, Strauss, Pichon. »

Je demande l’urgence.

L’urgence, mise aux voix, est adoptée.

La proposition de M. Deschamps est adoptée.

M. Monteil. — J’ai l’honneur de déposer la proposition suivante, pour laquelle je demande l’urgence :

« Le conseil délibère :

« Article premier. — Le nom de Victor Hugo sera donné à la place d’Eylau jusqu’à l’Arc de Triomphe.

« Art. 2. — Les plaques seront posées immédiatement. (Approbation.)

« Signé : Monteil Deschamps, G. Hubbard, Strauss, Michelin. »

L’urgence, mise aux voix, est adoptée.

La proposition de M. Monteil est adoptée.

M. Songeon. — Messieurs, vous venez d’arrêter que vous vous rendriez immédiatement en corps auprès de la famille du grand citoyen qui vient de disparaître. Je vous propose de décider que tous, également en corps, vous assisterez aux obsèques.

Cette proposition est adoptée.

La séance est levée et le conseil municipal se rend en corps à la maison mortuaire.