Depuis l’Exil Tome VI Deuxième discours pour l’amnistie

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J Hetzel (p. 133-135).

II

DEUXIÈME DISCOURS POUR L’AMNISTIE

SÉANCE DU SÉNAT
du 3 juillet

Je ne veux dire qu’un mot.

J’ai souvent parlé de l’amnistie, et mes paroles ne sont peut-être pas complètement effacées de vos esprits ; je ne les répéterai point.

Je vous laisse vous redire à vous-mêmes ce qui a été dit, dans tous les temps, contre l’amnistie et pour l’amnistie, dans les deux ordres de faits, dans l’ordre politique et dans l’ordre moral. — Dans l’ordre politique, toujours les mêmes crimes reprochés par un côté à l’autre côté ; toujours, à toutes les époques, quels que soient les accusés, quels que soient les juges, les mêmes condamnations, sur lesquelles on entrevoit au fond de l’ombre ce mot tranquille et sinistre : les vainqueurs jugent les vaincus. — Dans l’ordre moral, toujours le même gémissement, toujours la même invocation, toujours les mêmes éloquences, irritées ou attendries, et, ce qui dépasse toute éloquence, des femmes qui lèvent les mains au ciel, des mères qui pleurent. (Sensation.)

J’appellerai seulement votre attention sur un fait.

Messieurs, le 14 juillet est la grande fête ; votre vote aujourd’hui touche à cette fête.

Cette fête est une fête populaire ; voyez la joie qui rayonne sur tous les visages, écoutez la rumeur qui sort de toutes les bouches. C’est plus qu’une fête populaire, c’est une fête nationale ; regardez ces bannières, entendez ces acclamations. C’est plus qu’une fête nationale, c’est une fête universelle ; constatez sur tous les fronts, anglais, hongrois, espagnols, italiens, le même enthousiasme ; il n’y a plus d’étrangers.

Messieurs, le 14 juillet, c’est la fête humaine.

Cette gloire est donnée à la France, que la grande fête française, c’est la fête de toutes les nations.

Fête unique.

Ce jour-là, le 14 juillet, au-dessus de l’assemblée nationale, au-dessus de Paris victorieux, s’est dressée, dans un resplendissement suprême, une figure, plus grande que toi, Peuple, plus grande que toi, Patrie, — l’Humanité ! (Applaudissements.)

Oui, la chute de cette Bastille, c’était la chute de toutes les bastilles. L’écroulement de cette citadelle, c’était l’écroulement de toutes les tyrannies, de tous les despotismes, de toutes les oppressions. C’était la délivrance, la mise en lumière, toute la terre tirée de toute la nuit. C’était l’éclosion de l’homme. La destruction de cet édifice du mal, c’était la construction de l’édifice du bien. Ce jour-là, après un long supplice, après tant de siècles de torture, l’immense et vénérable Humanité s’est levée, avec ses chaînes sous ses pieds et sa couronne sur sa tête.

Le 14 juillet a marqué la fin de tous les esclavages. Ce grand effort humain a été un effort divin. Quand on comprendra, pour employer les mots dans leur sens absolu, que toute action humaine est une action divine, alors tout sera dit, le monde n’aura plus qu’à marcher dans le progrès tranquille vers l’avenir superbe.

Eh bien, messieurs, ce jour-là, on vous demande de le célébrer, cette année, de deux façons, toutes deux augustes. Vous ne manquerez ni à l’une ni à l’autre. Vous donnerez à l’armée le drapeau, qui exprime à la fois la guerre glorieuse et la paix puissante, et vous donnerez à la nation l’amnistie, qui signifie concorde, oubli, conciliation, et qui, là-haut, dans la lumière, place au-dessus de la guerre civile la paix civile. (Très bien ! — Bravos.)

Oui, ce sera un double don de paix que vous ferez à ce grand pays : le drapeau, qui exprime la fraternité du peuple et de l’armée ; l’amnistie, qui exprime la fraternité de la France et de l’humanité.

Quant à moi, — laissez-moi terminer par ce souvenir, — il y a trente-quatre ans, je débutais à la tribune française, — à cette tribune. Dieu permettait que mes premières paroles fussent pour la marche en avant et pour la vérité ; il permet aujourd’hui que celles-ci, — les dernières, si je songe à mon âge, que je prononcerai parmi vous peut-être, — soient pour la clémence et pour la justice. (Profonde émotion et vifs applaudissements.)